Sale
affaire. Coller aux basques d'un confrère n'avait rien pour me plaire, mais
la donation anonyme d'un commanditaire qui ne l'était pas moins à mes bonnes
œuvres saurait cette fois encore calmer mes poussées déontologiques. Le
gars dont il était question avait pris pour blaze professionnel "le choucas".
Et quand je le vis pour la première fois je sus immédiatement pourquoi.
Choucas
: [/uka]. n.m. Oiseau noir, à nuque grise, voisin de la corneille. Tout
le client, ça. Les tempes grises, costard noir acheté à l'occasion de l'enterrement
de sa mère en guise de trousseau de (re)naissance, chemise jaune comme un
bec de piaf, Tam-tam dans la poche plutôt que portable dans la peau. Drôle
de zique pour un drôle de privé. Le choucas en quelques chiffres ? La cinquantaine
au compteur, soixante-huitard, même pas un 357 en poche pour couper la parole,
trois albums sortis presque simultanément, une vrai fin à la fin de chaque
épisode. Un dur qui s'ignore, quoi.
Le libéralisme n'avait pas seulement ruiné la vie professionnelle du Choucas. Il avait aussi gommé son identité propre. Malgré de nombreuses recherches au gré de la (re)lecture des trois albums, le Choucas restait un héros sans papiers. On lui connaît une mère morte, une sœur, Odile, présentatrice météo à la télé, quelques "amis" de circonstances, Gabin, le black taxi féru de vieilles mécaniques, un ex prof de lettres reconverti dans la livraison de pizzas, champion de lutte gréco-romaine à ses heures, autant d'intimes improbables qui brouillent un peu plus encore le portrait flou de ce détective pas comme les autres.
Je l'ai d'abord suivi pour sa première affaire. Ses cartes de visite sentaient encore bon l'encre fraîche des débuts de carrière prometteurs. Une carrière initiée au hasard d'une conversation surprise sur un portable confisqué à son ex-patron. Le Choucas pénétrait l'univers feutré mais périlleux des tournois de Scrabble. Le mot compte triple rodait à chaque case. L'ambiance était pesante, émaillée de meurtres mystérieux et de bons mots. Le détective agissait avec une inconstance benoîte irrésistible. Son ancien patron était un suspect intéressant. Le choucas planait dans cet univers gentiment pourri, faisant de son mieux pour résoudre une affaire peut-être un peu trop grande. Quelques quidams semblaient n'attendre que lui pour une réplique assassine. Les dialogues valaient sacrement le déplacement. Aucun doute, on était dans le polar, le vrai. Le monde était bien réel, sale de tout ce quotidien un peu dégueulasse qui nous entoure. Loin des cartes postales de beaux quartiers de certains collègues. Les personnages avaient une présence. Une vrai. Des caractères bien trempés, bien campés, mais dont on savait pouvoir les croiser à un détour de rue sombre. J'avais déjà un peu plus de respect pour cet amateur.
J'en suis pour l'instant au stade de sa troisième
enquête. Notre oiseau traîne toujours costard noir et chemise jaune
qu'il a depuis le second épisode enrichis d'une paire de chaussettes rouges
qui ne sont pas sans rappeler des pattes de corneille. Une simple photo
de classe de 1962 constitue le principal outil d'une mission lucrative
: cinq-mille balles par tête de pipe localisée vivante. Je m'escrimais les yeux sur le dossier Choucas
quand soudain je fus frappé par un détail. Un autre que lui semblait agir
dans l'ombre. J'étais rassuré. Le choucas ne me ferait que peu d'ombre, nous ne bossions pas dans la même catégorie. Mais son succès serait sans doute plus retentissant que le mien. Pas mal pour un privé en papier. Je pouvais également rassurer mon commanditaire. Rien à craindre de cet oiseau-là. A moins d'être un éditeur concurrent. Damien Perez Images Copyrights © Lax - éditions Dupuis 2001 |
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