Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Gladys (Pin-up) par Thierry Bellefroid
« Pin-Up » N°6, par Yann et Berthet. Chez Dargaud.

Sur la couverture, un sticker annonce : « fin du deuxième round, bientôt le cycle de Las Vegas ». Pas à dire, Pin-Up, c'est avant tout une affaire qui roule. Et chez Dargaud, quand ça marche, on fait marcher tant que ça peut. Au point d'un rien effrayer le lecteur parano dans mon genre. Moi, quand on me vend l'album qui suit avant même que j'ai tourné la première page de celui que j'ai entre les mains, je trouve ça louche. Quoi, celui-ci est-il donc si mauvais que Dargaud nous rassure en nous promettant un autre cycle « bientôt » ? A moins que ce ne soit pour rassurer les naïfs qui pensaient qu'en bons pères de famille, Yann et Berthet n'allaient pas tirer sur la ficelle mais bien tirer leur révérence, en arrêtant ici leur série fétiche (-iste ?...). Enfin, quoi qu'il en soit, voici donc la fin du deuxième round, ce qui m'amène à cette première constatation : fallait-il donc trois albums pour nous le raconter ? La réponse me semble couler de source : non. Diluée, étirée, édulcorée, cette suite au cycle initial n'en est que l'ombre. Elle n'amène guère de surprises si ce n'est celle, un rien désagréable, de voir Dottie se frotter à une expérience homosexuelle qui, décidément, semble obséder tous les scénaristes en mal de chiffres de vente (Dufaux d'abord, Van Hamme plus récemment, et maintenant Yann... mais qu'est-ce qu'ils ont tous !) Heureusement, non seulement la parenthèse est vite refermée mais en plus elle est traitée avec une certaine pudeur, juste pour faire fantasmer les mecs en mal d'héroïnes bisexuelles et de caresses à la Bilitis. Yann sait ce qu'il fait. Berthet aussi, d'ailleurs. Pin-Up se vend sous toutes les formes : habillée en album, moins habillée en sérigraphie, glamour en figurines de plomb, rétro en affiches ou sur les bouteilles d'armagnac, j'en passe et des moins belles. Les produits dérivés deviennent plus importants que le personnage et cela se ressent sur l'esprit de la série, calqué à 100% sur l'attente d'un public qui en redemande. Pourtant, étant l'heureux possesseur d'un tirage de tête de deux des albums de cette série (non, vous n'aurez pas mon adresse. D'ailleurs, je n'ai que ceux-là, je ne suis pas collectionneur !), je ne cesse pas de m'émerveiller du talent de Berthet. Ses crayonnés sont souvent plus beaux que le résultat publié, même s'il faut lui reconnaître un encrage intelligent et une coloriste tout à fait « dans le ton ». Alors quoi ? On attendrait peut-être un brin de sincérité, quelque chose de plus désintéressé. Mais si ça se trouve, le public ne serait pas d'accord. Car malgré tous les reproches qu'on peut faire aux auteurs, c'est avant tout ceux qui les lisent qui ont fait de Pin-Up ce qu'elle est aujourd'hui : un produit de grande consommation.

PS. Vous aviez des doutes sur l'indépendance d'esprit du chroniqueur de bdparadisio ? Cette chronique devrait les dissiper. Le fait que ce site organise un concours Pin-Up avec albums à la clé ne m'empêche nullement de dire ce que je pense...
Le feu occulte (Trolls de Troy) par Thierry Bellefroid
« Le feu occulte », tome 4 de Trolls de Troy, par Arleston et Mourier, aux éditions Soleil.

Et voilà, c'est fini. Trolls de Troy ne sera pas une série à rallonge. A moins que l'idée d'un nouveau cycle n'effleure Scotch Arleston. Ce quatrième album vient clore une très jolie série « périphérique » qui a fini par presque voler la vedette à Lanfeust. Sans doute doit-elle beaucoup de son succès à l'humour que Scotch Arleston a su y insuffler et Jean-Louis Mourier y rendre par le dessin. Un humour à qui je reprochais dans une précédente chronique de chasser un peu trop ouvertement sur les terres de René Goscinny. C'est vrai qu'on voyait beaucoup de similitudes entre Astérix et Trolls de Troy. Cette fois, ce n'est plus ni du hasard ni du plagiat ni même une inspiration inconsciente, c'est du pastiche. La case finale en dit long sur l'amour qu'Arleston porte aux personnages de Goscinny, dont certains sont même pastichés dans leur attitude type. Ainsi, on retrouve dans la scène d'ouverture le climat identique à celui des scènes d'empoignade verbale entre César et les tribuns de Rome. Et plus loin, les « esclaves » Trolls rappellent des scènes d'Astérix et Cléopatre. Montré aussi franchement, ce qui paraissait comme un défaut de la cuirasse devient une qualité de l'oeuvre. Oui, Trolls de Troy est une sorte d'hommage à Astérix (en passant, il salue aussi les Schtroumpfs de Peyo, vous le verrez en lisant cet album), mais un hommage qui se laisse lire sans une pointe d'ennui. On sourit souvent, on rit parfois, c'est léger, drôle et fin à la fois, c'est aussi mené sur un train d'enfer, exactement à la manière d'un Astérix. Bref, Goscinny a un fils spirituel. Et Arleston a tout compris.
Frisco (Loranne) par Thierry Bellefroid
« Frisco », le tome trois de la série Loranne, par Dieter et Nicaise, dans la collection Grafica des éditions Glénat.

Fin de parcours (ou de cycle, je ne sais pas...) pour Loranne, cette jeune Américaine aux mauvaises fréquentations entraînée dans une histoire pas très nette par un ancien (?) agent de la CIA, Keith Malone. Deux premiers albums au climat glauque, mystérieux. On sent que Keith ne joue pas franc-jeu, que Loranne n'est pas tout-à-fait dupe, que Dusty, son frère drogué, est la clé de l'histoire. Et puis dans ce troisième volet, le dénouement. On est tenté de se dire : tout ça pour ça ? En effet, le « grand complot » auquel Keith mêle malgré eux Dusty et Loranne est pour le moins éculé. C'était pas la peine de nous faire de grands airs de conspirateurs et des conversations mystère si c'était pour déboucher sur une action aussi plate. Enfin, heureusement, ce qui sauve tout, c'est la fin. Et là, j'ai retrouvé ce bon vieux Dieter qui aime soigner les fins de ses histoires et surprendre ses lecteurs en égratignant ses héros au moment où l'on ne s'y attend plus. Le retournement de situation du procès de Loranne est en effet totalement inattendu. Heureusement. Il sauve carrément l'album. Le dessin de Viviane Nicaise, lisse comme un parquet ciré, ne jette pas de lumière très particulière sur cette « saga » dont on retiendra surtout les caractères des personnages et le climat oppressant bien développé par Dieter au fil des albums. Un produit honnête mais qui ne fait pas vibrer.
« La clé du mystère, tome 1 : Meurtre sous la Manche », par Sikorski et Lapière. Chez Dupuis.

Dans la bibliographie de Denis Lapière se trouvent des albums inégaux. Certains sont de petits bijoux (j'ai une tendresse toute particulière pour la série Ludo, par exemple, ou pour Alice et Léopold, mais je pense aussi au « Bar du vieux Français », dessiné par Stassen). D'autres semblent ne pas tenir leurs promesses. Celui-ci fait partie de la seconde catégorie. Cruelle déception, en effet, que ce faux suspense dessiné par le « vieux » comparse, Alain Sikorski, avec qui Denis Lapière avait repris les aventures de Tif et Tondu au début des années 90. Evidemment, quand une série s'appelle « La clé du mystère » et affiche en couverture « Démasquez vous-même l'assassin ! Les dernières pages scellées renferment la solution », on place la barre très haut. On s'attend à une enquête démoniaque, un scénario à embrouilles truffé de fausses pistes passionnantes. Il n'en est rien. Et pour ne pas découvrir la supercherie finale, il faut faire preuve d'une bonne dose de mauvaise volonté, tant cette astuce est cousue de fil blanc et usée jusqu'à la corde par des décennies de mauvais scénarios ! Autant dire que la copie est à revoir, le dessin dépourvu de personnalité de Sikorski ne sauvant pas l'ensemble du naufrage. Seul le personnage de Kéli est vraiment attachant. Mais ce duo d'enquêteurs aux méthodes et aux moeurs antagonistes fait lui aussi déjà vu. Pas facile de prendre la relève de Tillieux. Beaucoup s'y sont déjà essayés. Denis Lapière n'est pas le premier à s'y casser les dents. Pourtant, on sent bien qu'il a tenté de refaire du Gil Jourdan à la sauce d'aujourd'hui. Je préfère relire l'original...
Elise (Le prince de la nuit) par Thierry Bellefroid
« Elise », tome 5 de la série « Le prince de la nuit », par Yves Swolfs. Dans la collection Grafica des éditions Glénat.

Il y a tout juste vingt ans, le jeune Yves Swolfs créait son premier héros, Durango. Il allait trouver son public grâce à cette variation sur le thème du western spaghetti dont les meilleurs albums resteront ceux de la trilogie « Amos - Sierra sauvage - Le destin d'un desperado ». Et puis, en 95, après avoir créé Dampierre (dont il a très vite cédé le dessin à Legein), Swolfs surprenait tout le monde en se lançant dans une grande fresque à travers les âges sur les traces des vampires. « Le prince de la nuit » était né. A l'enthousiasme des uns répondait le rejet des autres, trouvant, souvent à juste titre, que Swolfs véhiculait dans cette histoire des tombereaux entiers de lieux communs. Avec ce cinquième volume en cinq ans (le rythme ne faiblit pas malgré les nouvelles collaborations avec Marc-Rénier et Griffo), Yves Swolfs reste fidèle à son idée de base. Face à face, encore : Kergan, l'infâme, le malfaisant vampire aux pouvoirs terrifiants et Vincent, dernier des Rougemont à tenter de contrer cette bête immonde. Ca sent l'album de transition, les gousses d'ail à deux sous et autres recettes de cuisine. Tous les personnages se ressemblent (on peut remplacer certains des protagonistes du Prince de la nuit par leurs frères jumeaux déjà vus dans Durango, mais ce n'est pas nouveau) sauf un, le commissaire de police Durieux, qui a la gueule de Jean Gabin. Pourquoi cette caricature dans une BD qui n'a rien d'un hommage au cinéma français ? Clin d'oeil au rôle de flic proche de la retraite qui décide d'aller jusqu'au bout, malgré les interdictions de ses supérieurs ? Sans doute. Mais voir la tronche de Gabin dans une histoire de vampires en BD, c'est un peu comme si on vous faisait un Jérôme Bloche avec la gueule d'Humphrey Bogart ! Non seulement, ça n'apporte rien, mais en plus, ça décrédibilise l'ensemble puisque ça déforce l'effet fantastique. Bref, je ne peux pas dire que cet album m'ait enthousiasmé. En tout cas, quand on le lit juste après avoir avalé les deux tomes de "Je suis un vampire" de Trillo et Risso, il n'y a pas l'ombre d'un doute...
Le Sacrifice du Fou (Tower) par Thierry Bellefroid
« Le sacrifice du fou », tome 2 de la série « Tower », par Goethals et Ange, chez Vents d'Ouest.

Deuxième volume de ce captivant thriller scénarisé par Ange (Bloodline et Némesis, entre autres) et dessiné par Sébastien Goethals. Tout le monde veut la peau de Tom Cleggan : le Mi-5, son ancien chef à l'IRA, le détective privé envoyé d'Italie par les parents de sa compagne... pas besoin de vous faire un dessin, avec autant d'ennemis, « Tower » a tout du héros de BD parfait. Personnellement, je ne raffole ni du graphisme parfois torturé de Goethals ni des cloueurs de Delphine Rieu (la première page, par exemple, n'est pas un appel à la lecture), mais j'arrive à passer outre sans trop de problème car l'adaptation de l'histoire imaginée par Hubert Chardot ne manque pas de qualités. On trouve tous les ingrédients auxquels on pouvait s'attendre dans une histoire s'attachant à raconter comment un tueur de l'IRA qui a décroché peut être rattrapé par son passé : Mi-5, SAS, vrais activistes et terroristes sans scrupules, repentis, indics, délateurs, fantômes du passé et secrets trop longtemps gardés. Et malgré le fait que ces ingrédients soient pour le moins attendus, ça fonctionne parfaitement, le scénario est mené tambour battant autour d'un Tom Cleggan tantôt attachant tantôt froid comme un roulement à bille dont l'obsession est de tuer ceux qui veulent lui nuire avant qu'ils ne le retrouvent. Le procédé est classique mais l'intrigue est suffisamment solide pour qu'on se laisse faire avec plaisir. Les éditions Vents d'Ouest ne s'y sont pas trompé. Elles ont décidé de remettre le premier album en vente avec une nouvelle couverture, jugée plus alléchante. Tout indique que cette série deviendra très vite un succès de librairie. D'autant que, jusqu'ici, on a pas l'impression qu'Ange tire son histoire en longueur. Pourvu que ça dure.
« Le Chasch », volume Un du Cycle de Tschaï, par Morvan et Li-An, dans la collection Néopolis, chez Guy Delcourt.

C'est l'un des cycles les plus connus de la littérature de science-fiction des années soixante. On le doit à Jack Vance, auteur d'une quarantaine de romans qui fleurent bon le Fantasy et le Space Opera. L'adapter en BD semblait une évidence. De là à réussir l'adaptation en question... il y avait une marge. Et pourtant, cette marge, les auteurs de ce premier album ne l'ont pas transformée en écueil. Le scénario de Jean-David Morvan et le dessin de Li-An (rappelez-vous, l'auteur de « Planète lointaine », dans la collection Encrages) se rencontrent à merveille sur ce projet. La lecture de ce premier tome ne sent pas l'adaptation de roman. On jurerait qu'il s'agit d'une BD originale. Les personnages sont bien campés, surtout le héros, Adam Reith, le Terrien « égaré » sur Tschaï, toujours sûr de son bon droit. On regrettera simplement l'étroitesse de certaines pages, un peu comme si, devant la profusion d'éléments à livrer, les auteurs n'avaient par moment pas eu d'autre choix que celui de réduire la taille des cases. Chaque roman se déclinera en deux tomes, soit 92 pages, ce qui nous fera un total de pas loin de quatre cents pages (et huit tomes) pour raconter l'ensemble du cycle. On verra donc sur la longueur si les auteurs arrivent à conserver cette fraîcheur et cette maîtrise d'un univers réapproprié. Signalons que les couleurs de Scarlett Smulkowski (la coloriste de « Miss ») sont très réussies et privilégient des teintes sombres où l'on retrouve la prédominance du vert olive et du brun. Inutile de dire que l'intrigue elle-même est passionnante : le cycle de Tschaï s'est vendu à plus de 500.000 exemplaires !
Les yeux dans le bouillon par Thierry Bellefroid
« Les yeux dans le bouillon », par Broquet et Rabaté. Chez Casterman.

La notoriété de Pascal Rabaté -renforcée par l'Alph'Art du meilleur album obtenu en janvier pour Ibicus- suffira-t-elle à doper les ventes d'un album dont le dessin rebutera plus d'un lecteur ? Espérons-le, car la lecture des « yeux dans le bouillon » a été pour moi un réel moment de plaisir. On y retrouve cet humour délicieux qui caractérise Rabaté et qui rappelle « Un ver dans le fruit » ou « Les pieds dedans ». Un humour « campagnard » qui est plutôt un regard tendre et vache à la fois sur les beaufs de province dont Pascal se moque sans jamais cesser de les aimer. Il faut dire qu'il a une fois de plus choisi sa région pour cadre. Les caprices de la Loire fournissent la matière des histoires de cet album où l'on retrouve un personnage secondaire décidément récurrent dans l'oeuvre de Rabaté : le pinard. Et pas n'importe quel pinard, puisque le Savennières est son vin préféré, dont il ne se lasse pas de faire l'apologie d'un festival de BD à l'autre ! Un grand consommateur de Savennières raconte à une famille de vacanciers quelques-unes des histoires les plus inattendues arrivées dans la région à l'occasion de crues de la Loire. On « plonge » dedans à pieds joints et on découvre tout un monde villageois, avec ses petits travers et ses petites querelles, ses secrets mal gardés et ses personnages hauts en couleur. La dernière histoire est plutôt un clin d'oeil à la génération hippie, mais la précédente, celle du mari qui aimait davantage ses bouteilles que sa femme est un pur bijou façon Rabaté. On y trouve ce gentil cynisme, cette cruauté dans la sagesse qui coiffe souvent les récits de Pascal.
Reste le problème du dessin, dont je touchais un mot plus haut. Virginie Broquet n'a pas eu peur des visages disgracieux, difformes et irréguliers (ils m'ont parfois fait penser au Pétrus Barbygère de Sfar)! Elle n'a pas craint non plus d'aller piocher dans une palette de couleurs criarde à souhait, privilégiant des roses très Barbara Cartland et des pastels verts omniprésents. Il faut laisser ses préjugés au vestiaire pour lui emboîter le pas. Le mieux, si vous n'y arrivez pas, est peut-être de boire une petite ficelle de Savennières d'abord !

L'Horloge (L'Horloge) par Thierry Bellefroid
« L'Horloge », par Roosevelt, tome 1. Chez Paquet.

Eh oui, je viens seulement de lire « L'Horloge », pourtant prépublié sur notre site il y a plusieurs semaines. Comme pour beaucoup d'entre vous, cette prépublication a surtout satisfait ma curiosité, mais je reste attaché au support papier lorsqu'il s'agit de lire une BD dans son intégralité. J'ai donc plongé dans cet ouvrage étrange et emboîté le pas au peintre José Roosevelt avec beaucoup de plaisir, même s'il faut reconnaître qu'on ne peut entreprendre la lecture d'un tel album à deux heures du matin, après une soirée arrosée avec des copains. Roosevelt est volontiers ésotérique, mystérieux, parfois un rien trop. Son discours sur la peinture est évidemment celui d'un vrai connaisseur. Et comme il nourrit l'intrigue, il s'agit de s'y accrocher, d'accepter de revenir en arrière, à certains moments, de lire certaines phrases en retournant aux tableaux des différents chapitres (il y en aura douze, voir interview de Roosevelt à ce sujet dans la partie « dossiers » de ce site). Mais si vous acceptez de fournir ce petit effort intellectuel, ce livre est aussi riche que mystérieux. On y fait des rencontres pour le moins inattendues. Pour preuve, le passage du premier au deuxième chapitre. Le premier est très intriguant, noir, violent et intellectuel à la fois. Le suivant est onirique, placé dans un rapport à la réalité totalement inversé, et mélange des codes du dessin animé (un personnage de canard aux yeux doux qui a un côté très Donald Duck) avec ceux de la peinture, dans des décors qui rappellent à certains moments l'influence de Moebius. Bref, tout ça semble partir un peu dans tous les sens et il faudra bien les 150 pages (trois volumes en tout) pour comprendre où l'auteur veut nous emmener. Sa quête philosophico-spirituelle est loin de se dévoiler dans son intégralité au fil de ce premier tome, mais s'y dégagent déjà une force et une originalité certaines qui donnent envie d'en savoir plus.
Capitaine Laguibole par Thierry Bellefroid
« Capitaine Laguibole », par Rossi et Abuli. Chez Albin Michel.

Abuli n'est pas un inconnu. Avec sa série « Torpédo », il a créé un modèle de BD basé sur l'exploitation de la violence gratuite et du sexe. Rossi n'est pas un inconnu non plus. Fils spirituel de Jean Giraud, il a repris avec beaucoup de talent le dessin des aventures de Jim Cutlass et réalisé en collaboration avec Le Tendre un album très remarqué, « La gloire d'Héra », dont le deuxième tome est en chantier. La rencontre entre les deux paraissait cependant assez improbable. Et elle donne finalement lieu à un album hybride où l'on retrouve la fascination d'Abuli pour la violence gratuite et les histoires amorales, mais avec une retenue parfois contre-nature qui vient notamment du dessin très propre de Rossi. Un dessin qui pour autant est le moins abouti et le moins enthousiasmant que nous ait livré Christian Rossi à ce jour. Certaines vignettes sont carrément bâclées et dans l'ensemble, les décors sont à peu près inexistants. Il y a bien quelques moments de grâce, mais ils sont trop rares pour sauver l'ensemble. Quant aux personnages, ils suivent le même chemin. Certains sont amusants, mais la plupart baladent une sérieuse dose de « déjà-vu » dans leurs fontes. Les histoires courtes ne permettent pas davantage de fouiller le sujet, ni de surprendre le lecteur. Bref, un album-kleenex qui devrait faire son trou grâce aux signatures de ses concepteurs. Je lui préfère franchement le récent « Sang & encre » (Omond-Martin) paru chez Delcourt, même si je lui trouve à lui aussi des défauts.
Le livre de Jack par Thierry Bellefroid
« Le livre de Jack » par Denis-Pierre Filippi et Olivier Boiscommun, paru aux Humanoïdes Associés.

Magnifique, c'est le premier mot qui me vient quand je repense à ce livre que je viens de refermer. Magnifique à plus d'un titre. Et tout d'abord, au plan du dessin et de la mise en couleurs. Boiscommun est ici plusieurs coudées au-dessus de Troll (trois tomes chez Delcourt) et nous invite à entrer dans un univers magistral, aux verts très soutenus (à la Loisel) sur fond de ciels dorés et de décors splendides. Il y a la maison (hantée ?) aussi belle et mystérieuse de l'extérieur qu'à l'intérieur, il y a les toits aussi (une constante chez Filippi, voir « Un drôle d'ange gardien » chez Delcourt), et puis ce mythe du loup-garou entièrement déformé (et mâtiné d'un zeste de remake de la Belle et la Bête). Tout cela servi par un superbe découpage, privilégiant quand il le faut des pleines pages magistrales et quand cela se justifie, au contraire, des très gros plans de regards particulièrement expressifs.
Depuis quelque temps, les Humanos semblent débaucher beaucoup de monde chez Guy Delcourt. Mais ce qui frappe, c'est que le passage de l'un à l'autre correspond apparemment à un travail en profondeur, un peu comme si Sébastien Gnaedig allait demander à ces auteurs de montrer ce qu'ils avaient vraiment dans le ventre. On ne peut que s'en réjouir. La lecture d'albums comme ce « Livre de Jack » est un vrai moment de bonheur. Je préfère ne pas trop m'étendre sur le scénario dont l'idée mérite d'être découverte à la lecture de l'album plutôt qu'avant, à la lecture d'une chronique. Plongez-vous donc sans hésiter dans cette très belle histoire. Vous ne le regretterez sûrement pas. D'autant que Filippi et Boiscommun n'iront pas au-delà de deux tomes, l'un s'appelant « Le livre de Jack » et l'autre, le prochain, « Le livre de Sam », qui explorera davantage l'univers de la compagne de Jack.
Du très beau travail.
Rapaces - tome 2 (Rapaces) par Thierry Bellefroid
« Rapaces II », par Dufaux et Marini, chez Dargaud.

Ca sent le cuir et le latex, chez les Marini-Dufaux. Y a qu'à regarder la couverture pour être fixé : Rapaces N°2 sera du même tonneau que le premier du même nom, on ne change pas une recette qui gagne. Alors, comme on est vite blasé dans le monde impitoyable de la BD, nos Marini-Dufaux vont encore un peu plus loin dans la panoplie fétichiste et dans les relations troubles entre protagonistes. Ne boudons pas notre plaisir, le dessin de Marini est suffisamment talentueux pour nous faire oublier que cette histoire flirte avec le glauque comme d'autres avec la poésie. Les créatures imaginées par le dessinateur suisse ont des atouts certes bien différents de la Cécile d'un Gibrat, mais auxquels les lecteurs masculins ne resteront pas insensibles. Et les décors baroques sont mieux exploités encore que dans le premier tome (la poursuite sur les toits du « Lost dogs » en est un bel exemple). Reste que tout ça a un petit air des plus malsains et des plus opportunistes. Car il est évident que si l'on prend un à un les éléments de « Rapaces », ils sont chacun comme autant de clichés du genre.

Que penser, dès lors, de ce nouvel opus ? D'abord, qu'il éclaire le lecteur, resté dans le flou à bien des égards, au terme du premier album. Le kyste derrière l'oreille, la malédiction, les deux Rapaces tout aussi immortels que les vieux vampires, tout cela était un peu confus, le scénariste a pensé à éclairer notre lanterne avant d'aller plus loin et c'est très bien. Ensuite, comme toujours quand on lit des histoires fantastiques de Jean Dufaux, on retrouve à la fois les mêmes obsessions ou les mêmes tics (notamment dans l'écriture) et les références à peine voilées à d'autres oeuvres, qu'elles soient littéraires ou cinématographiques. Passées les comparaisons, reconnaissons honnêtement que cet album est réglé comme du papier à musique pour emmener le lecteur sur les traces de la jolie Vicky. Le rythme y est, les images saisissantes aussi, sans compter une intrigue savamment distillée. Bref, si d'aucuns jugeront « Rapaces » profondément vulgaire et déplacé, il trouvera sa place dans la plupart des bibliothèques d'amateurs de récits de vampires. Car dans ce genre, il n'a guère à rougir de la comparaison avec la concurrence, si ce n'est le très récent « Je suis un vampire » paru en deux tomes chez Albin Michel et que l'on ne peut que chaudement recommander pour l'originalité de son traitement et sa brillante mise en scène. « Rapaces » sent le parfait produit d'époque, le glamour en toc et le papier glacé qui s'encanaille du bout des lèvres avec tout ce que le gore peut produire d'images sanguinolentes ou violentes. Mais tout cela, les Marini-Dufaux le font avec un indéniable talent. Et manifestement, en y prenant du plaisir. Ca se sent.
L'enfance volée (Petit Verglas) par Thierry Bellefroid
« L'enfance volée », premier tome de « Petit verglas », par Corbeyran et Sattouf, chez Delcourt.

Infatigable, Eric Corbeyran. Mois après mois, il multiplie les sorties et les nouvelles séries, pour la plupart chez son éditeur de référence, Guy Delcourt. Et ce n'est pas fini, puisque les « Stryges » s'enorgueilliront bientôt d'une nouvelle série intitulée « Le clan des chimères » (elle déclinera le thème ses stryges à l'époque médiévale et sera dessinée par Michel Suro, parution probable début 2001). Plus le temps avance et mieux les univers créés par Corbeyran semblent maîtrisés. Après les très réussis « Abraxas » et « Maître de Jeu », voici donc « Petit Verglas », réalisé avec un parfait inconnu (Riad Sattouf réalise ici sa première BD après des débuts dans l'illustration et l'animation). Autant le dire tout de suite, cet album dégage quelque chose. D'abord parce que les deux personnages principaux sont aussi originaux qu'attachants. Deux enfants. L'un a le pouvoir de guérir par les mains et cultive son don avec humilité. L'autre, une petite fille, finit par s'échapper de la pièce où elle vit recluse depuis sa naissance à la suite d'une expérience comportementale démente tentée par son père et dont elle a fait les frais. Le destin les fera se rencontrer et l'histoire pourra commencer.
Les dessins et les couleurs sont très beaux, surtout si l'on tient compte du fait qu'il s'agit d'un premier album pour Riad Sattouf. L'ambiance campagnarde pas très définie (mais qui sent la Bretagne) est bien rendue, les deux enfants sont très expressifs, les adultes sont peut-être un peu « rugueux » mais cela correspond finalement assez bien au rôle que Corbeyran leur assigne dans l'histoire. Bref, une belle bande dessinée, même si le revers de la médaille est encore et toujours que pour développer un univers intéressant, le carcan de 46 planches est désespérément étriqué. Résultat, une fois de plus, il s'agit surtout d'une mise en place, voire d'une mise en bouche. Non pas qu'il ne se passe rien (bien au contraire) dans ce premier épisode. Mais qu'il se termine de manière abrupte et frustrante, comme toujours dans ces cas-là. Ne reste plus au lecteur qu'à patienter jusqu'au suivant, puisque telle est la règle, principalement chez Delcourt, dont les one-shot se comptent sur les doigts de la main.
Mauvaise pente (Sales mioches) par Thierry Bellefroid
« Mauvaise pente » tome 4 de la série « Sales mioches » par Berlion et Corbeyran, chez Casterman.

Olivier Berlion et Eric Corbeyran poursuivent leurs deux séries enfantines avec des bonheurs divers. Si les « Sales mioches » sont bien installés dans les bacs des libraires, « Le cadet des Soupetard » n'arrive pas vraiment à décoller. On peut se demander à quoi tient cette différence d'estime du public car les deux séries jouent sur les mêmes registres : l'enfance et la nostalgie. Mais le côté urbain des « Sales mioches » et leur nom ouvertement frondeur ont peut-être d'emblée semblé moins mièvre aux lecteurs. Cette bande de gosses ou de pré-ados à la tête desquels on retrouve le grand frère protecteur, Mig, poursuit ses petites aventures dans une ville de Lyon très bien rendue par le dessin de Berlion. Les personnages sont connus maintenant, et c'est même avec un certain plaisir qu'on retrouve leurs tronches et leurs mots d'argot. Un nouveau venu, toutefois, vient semer la zizanie. Et le mot n'est pas trop fort, quand on voit ce que Mario arrive à faire sans ouvrir la bouche, rien que par sa présence silencieuse et suspecte, dans ce petit groupe d'amis si proches qu'ils en forment une famille.
L'histoire de Corbeyran est d'une simplicité et d'une limpidité exemplaires, elle entraîne le lecteur sans détour vers une heureuse conclusion (comment pourrait-il en être autrement dans cette série ?) et lui fait passer un agréable moment. Sans doute l'un des meilleurs, peut-être même le meilleur album de cette jeune série. D'autant que pour ajouter au plaisir de la lecture, le dessin d'Olivier Berlion ne cesse de progresser depuis son expérience dans la collection « Long Courrier ». Evidemment, et c'est la règle du jeu puisque les auteurs racontent une histoire par volume, Corbeyran ne peut développer ici un univers aussi complexe et subtil que dans les Stryges, Le fond du Monde ou encore la nouveauté du mois « Petit Verglas » (voir chronique par ailleurs) parus chez Guy Delcourt. Mais les lecteurs n'ont pas de raison de bouder cet album pour autant. Ils y retrouveront notamment le plaisir de lire une histoire qui s'achève à la dernière page de l'album, ça fait du bien de temps en temps !
« Le chant de la machine, volume 1 » par Mathias Cousin et David Blot. Chez Delcourt.

J'en ai mis du temps à me décider à lire cette BD.
Faut dire que je ne suis pas un dingue de la House Music. Alors, la perspective de me plonger dans son histoire en près de 100 pages pour ce premier volume et à peu près autant pour le second me tentait assez peu. Mais à la faveur d'une fin d'après-midi pluvieuse, j'ai finalement décidé de m'y mettre. Et je n'ai pas été déçu ! « Le chant de la machine », c'est d'abord pour les ignares dont je fais partie (mais quand on lit les sources et les explications de David Blot, qui ne l'est pas, en la matière ?) une plongée en apnée dans le vaste monde de l'inconnu. J'ai appris tant de choses à la lecture de cette BD que je me demande si je pourrai en retenir le quart. L'érudition de David Blot est phénoménale et si comme moi, la musique vous intéresse sans pour autant que vous vous y connaissiez vraiment, c'est le moment où jamais d'en apprendre un peu plus. Evidemment, rien n'est meilleur qu'une bonne bande son pour goûter pleinement cette BD (un peu à la manière de ce bon vieux Jonathan de Cosey, à part qu'ici, vous entendez ce qu'il y a dans les cases !) et les auteurs ont même pensé vous renseigner sur ce que vous pourriez trouver chez les bons disquaires. Ils ont aussi « leur » compile, chez Source/Virgin et à défaut d'autre chose, c'est ça que je me suis mis en lisant.
Venons-en à l'aspect purement BD de cette histoire. Là, j'avoue que je suis partagé. Avec son dessin noir et blanc façon Crumb (en plus sage), Mathias Cousin n'a pas nécessairement choisi la facilité. Il y a des pages très bavardes et le ton général est plus proche de l'Oncle Paul que d'une histoire BD traditionnelle. L'inconvénient de la formule est donc aussi son avantage : on apprend beaucoup parce que ça foisonne d'infos et d'anecdotes... mais ça foisonne tellement d'infos et d'anecdotes que c'en devient lourd et indigeste, parfois. A vous de choisir. Moi, je me dis que je n'aurais jamais ouvert un livre qui aurait eu le même titre. Alors, même si je pense que la matière de cet album aurait été utilisée à meilleur escient dans un livre, je dois reconnaître que sa transposition en bande dessinée en rend l'accès plus aisé pour une série de gens, dont moi. C'est donc gagné. Car le pari des auteurs devait bel et bien être celui-là !
L'invitation (Emma) par Thierry Bellefroid
« L'invitation », tome Un de la série « Emma » par Christian De Metter, chez Triskel.

Un homme amnésique qui n'est pas plus préoccupé que ça de retrouver la mémoire, ça nous change de XIII... C'est le cas d'Alex, un type dont on ne saura rien (ou si peu) d'un bout à l'autre de l'album. Alex échoue par hasard dans un appartement parisien après un séjour en clinique où il s'est fait son seul ami, un infirmier noir presque aussi énigmatique que lui. Jusque là, pas de quoi fouetter un chat. L'originalité du livre tient surtout au climat que l'auteur y installe avec un talent incontestable. Talent graphique, d'abord, puisque « Emma » est une BD entièrement peinte, un peu à la façon d'un « Tell me, dark », pour citer l'exemple le plus proche par la facture (crayonnés semi apparents sous le pinceau, palette de couleurs restreinte) et le plus récent. Talent narratif ensuite, car les silences parlent autant que les mots. Les dialogues, concis, sonnent juste et le découpage parfois kaléidoscopique (certaines planches comptent jusqu'à treize cases) privilégie tantôt les personnages, tantôt l'ambiance froide et triste de cet hiver 1922 à Paris.
A plus d'un égard, l'expérience de Christian De Metter m'a rappelée le récent « Mother » de Guillaume Sorel. Comme dans « Mother » en effet, c'est la peinture elle-même, son pouvoir d'évocation et de catharsis qui est au centre de l'histoire. Difficile à ce stade de savoir où le récit nous mènera (et si l'on peut faire un reproche au livre, c'est de nous laisser sur une fin pour le moins mystérieuse), mais il y a indiscutablement une force graphique qui se dégage de l'ensemble et que le visage d'Emma (dans l'album mais aussi en couverture) résume presque à lui seul.
Dommage que des « fout moi la paix » ou des « j'irais tout à l'heure (au futur simple...) » fleurissent un peu trop facilement parmi les phylactères. Un correcteur d'orthographe chez Triskel SVP.
« Comme des loups affamés » tome deux de Claymore, par Ruellan et Ersel. Dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.

C'est souvent à partir du deuxième volume d'une série qu'on peut se forger une opinion plus ou moins définitive. Celui-ci ne fait pas nécessairement exception. Même si l'on espère que les auteurs profiteront des prochains albums pour corriger encore quelques défauts, comme la sous-exploitation des décors (c'était déjà un problème dans le premier album qui manquait de respirations et de grands espaces). Mais dans l'ensemble, Maryse Ruellan (qui signait le premier album du nom de Maryse Nouwens) a réussi son pari, qui est d'emmener les lecteurs sur les terres d'Ecosse durant la première moitié du 18ème siècle avant de virer de bord et de suivre son héroïne loin, très loin de sa terre d'origine. Le seul problème, c'est qu'il faut en passer par une partie historique que la scénariste veut restituer au plus près de la vérité, ce qui nous donne un deuxième album un peu trop didactique, dont le souffle épique semble presque absent. Beaucoup de scènes de guerre dans ce « Comme des loups affamés ». Beaucoup de stratégie militaire et de personnages finalement assez secondaires au regard de la destinée de l'héroïne centrale, Eillen. Ceci étant , on ne s'ennuie pas à sa lecture. Et même si on a la sensation d'être devant un album de transition, il s'y passe suffisamment de choses pour ne pas décréter que la copie est à revoir. Le dessin d'Ersel plaira forcément aux très nombreux fans des « Pionniers du Nouveau-Monde » et se place dans la filiation directe de Jean-François Charles.
Le brouet sapide (Abraxas) par Thierry Bellefroid
« Le brouet sapide », premier tome de la série Abraxas, par Alfred et Corbeyran. Chez Delcourt, collection « Conquistador »

Abraxas, c'est d'abord une sacrée collection de gueules. Dès la première page, une figure hideuse traverse l'image, poursuivie par une citrouille sur pattes qui ne semble pas lui vouloir que du bien. Des tronches, il y en aura bien d'autres. Cette histoire est presque un musée des horreurs et on imagine avec quelle délectation Alfred en a imaginé le casting. Mais réduire « Le brouet sapide » à cet aspect serait un peu court. Car Abraxas, c'est un monde en soi. Corbeyran y a planté une atmosphère à la fois étrange et glauque, des personnages inquiétants ou difformes, une maladie transmise par une pluie annuelle, un directeur de cirque ruiné, un mage puissant et dit-on anthropophage, une police fort peu efficace, le tout dans une petite cité médiévale qui pourrait aussi bien être le Rêverose d'Olivier Rameau si elle n'était peuplée de tant d'hideuses créatures et secouées par des crimes nocturnes quasi quotidiens. Le découpage est vraiment excellent, qui passe allègrement de la narration purement cinématographique (les deux premières pages, par exemple) à des planches plus conventionnelles, mais extrêmement bien équilibrées (comme les planches 4 et 5). Certains dialogues sont savoureux (toujours la planche 4, excellent exemple) et de manière générale très bien dosés. De nombreuses planches muettes permettent à Alfred de donner plus de force d'évocation à ses images. Les couleurs, les expressions des visages, les angles de vue sont très soignés. Ainsi, la planche 28 qui montre à gauche une vue en contre-plongée du grand théâtre d'Abraxas et à droite, sur toute la hauteur de la page également, l'intérieur du théâtre, à travers une plongée vertigineuse. Du très beau travail, donc, dont on ne regrettera qu'une chose, c'est qu'il soit emprisonné dans le traditionnel format de 46 planches. Résultat, comme toujours dans les séries, on referme ce premier album avec un sentiment de frustration et beaucoup de questions sans réponse.
« Pas-de-mâchoire », le tome 8 de la série « Les Innomables » par Yann et Conrad. Chez Dargaud.

Les années passent et le duo révélé par « les hauts de page » de Spirou et confirmé par « Le Trombone Illustré » semble travailler de mieux en mieux. Au contraire de nombreuses séries qui s'essoufflent, « Les Innommables » n'en finissent pas de trouver leur nouvelle jeunesse. Ce huitième tome qui clôt le cycle coréen m'a semblé à la fois l'un des plus drôles, l'un des plus cyniques et surtout, l'un des plus irrévérencieux d'une série dont l'irrévérence a pourtant toujours été une sorte de marque de fabrique.

Au lieu de « Pas-de-mâchoire », il est vrai que cet album aurait pu s'appeler « Le col de l'utérus », mais ça aurait sans doute fait plus désordre au sein du catalogue Dargaud. Yann -qui ne manque jamais d'idées pour faire souffrir ses personnages ou leur faire expérimenter des situations ridicules, voire humiliantes- nous invente une cruelle sorcière Midang chargée de restituer une âme à cette pauvre Alix, réduite depuis un album à jouer les « ani », les corps sans âme. La « désenvoûteuse » envoie Mac explorer l'utérus de la belle Alix à la recherche de l'ani. Le voyage est long, inattendu, totalement fou et tout y est permis. Du jeu de mots « yannesque » à l'anecdote historico-religieuse détournée. Du Yann de la meilleure veine, quoi. D'une cruauté si parfaite (le sang gicle méchamment dans les dix-douze dernières pages) qu'elle en devient le principal moteur humoristique. Avec, comme toujours, juste ce qu'il faut de faits historiques inattendus pour rendre l'ensemble crédible et pour attiser la curiosité du lecteur. Tout cela, mis en image par un Conrad au sommet de son art. La routine, quoi. Mais une routine qui affiche une sacrée santé !
L'Engrenage (Mandrill) par Thierry Bellefroid
« L'engrenage », tome 3 de la série Mandrill, par Barly Baruti et Frank Giroud, dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Barly Baruti n'est pas seulement le chef de file de la BD africaine (ou à tout le moins congolaise), multipliant les initiatives pour faire connaître les auteurs et les réalisations de ce vaste continent. C'est aussi -c'est surtout- l'un de ces dessinateurs désarmants de gentillesse, de simplicité, de jovialité aussi. Musicien (en trio puis en quatuor), dessinateur, scénariste à ses débuts, il a trouvé avec Frank Giroud le complice qui lui convenait. D'abord, ils ont conçu Eva K chez Soleil. Puis Mandrill chez Glénat. Dans les deux premiers tomes, on avait l'impression que la série se cherchait encore ; le climat et l'époque (l'immédiat après-guerre 40-45) y étaient, mais les personnages manquaient d'un petit quelque chose pour être attachants, les scénarios aussi. Et voilà qu'arrive cet « engrenage », un album au rythme haletant basé sur une mécanique d'horlogerie implacable comme le sont les bons récits policiers. Mandrill est dans de sales draps. On pense à Blueberry en le voyant se débattre pour prouver son innocence alors que les éléments prennent un malin plaisir à s'accumuler pour le confondre. Mandrill n'est plus seulement un avocat ancien résistant, il devient lui-même le cerveau d'une évasion et le complice d'un truand, il apprend à mentir, à tromper la justice. Un anti-héros comme la BD en foisonnait dans les années 70 ? Pas tout à fait. Cet avocat a quelque chose de plus. Ou de moins. Toujours est-il que ce premier album d'une histoire en deux tomes parvient à nous faire oublier que l'auteur s'appuie sur une documentation solide. Bien huilée, la machine vous entraîne pendant 46 planches sans jamais faiblir. Et cela, même si, à certains moments, on sait pertinemment ce qui va advenir dans la case ou la page suivante.
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