Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Le guide du zizi sexuel » par Zep et Hélène Bruller. Chez Glénat, dans la collection « Les trucs de Titeuf ».

Titeuf avait déjà son magazine (« Tchô »). Il a maintenant sa collection personnelle. Il le mérite bien. Au-delà d'un succès commercial grandissant, la renommée de ce personnage qui est ce que Gaston Lagaffe fut aux précédentes générations tient à l'universalité de son humour. Titeuf fait rire tout le monde. Parce qu'il parle du monde tel qu'il est et parce que Zep a un humour inné, qui s'exprime tant par le dessin que par les mots. Ces deux qualités se retrouvent dans ce « Guide du zizi sexuel », outil indispensable pour les 9-13 ans qui se posent des questions sur tout ce qui a un rapport au sexe. Les textes d'Hélène Bruller vont droit au but. Simples, efficaces, ils ne cachent rien et répondent aux questions les plus concrètes, en n'oubliant pas d'aborder la prévention, indispensable préalable lorsqu'on s'adresse aux jeunes adolescents d'aujourd'hui. Mais à côté de ces textes sérieux, l'humour de Zep désamorce ; il induit inévitablement le rire. Titeuf est le personnage idéal pour accompagner cette littérature directe mais intelligente destinée à vos enfants. Et les illustrations sont si drôles que vous ne résisterez pas à lire vous aussi ce « Guide du zizi sexuel » !
« Le pays des Larmes », tome 3 de la série Monsieur Mardi-Gras Descendres. Par Liberge. Chez Pointe Noire.

Un album magistral ! Rien qu'au plan graphique, Liberge livre dans ce troisième volume quelques-unes de ses plus belles planches. Des exemples ? La très belle scène des pages 18 à 20, avec la rencontre d'une très jolie femme aux confins de l'espace, ou les visions de Garenne dans le chapitre intitulé « Orgueil ». Mais il y en a bien d'autres. Chaque page apporte son lot de cases magnifiques de virtuosité et d'imagination. Eric Liberge donne à ce troisième album le souffle qui manquait au deuxième tome. Non seulement il poursuit son histoire, mais il lui donne une dimension onirique et mystique à travers les cinq premiers « Cercles de Larmes » visités par son héros. La profondeur de cette histoire est telle qu'il n'est pas inutile d'en refaire une seconde lecture. Liberge s'interroge sur les fantômes et les passions parfois inavouables que nous laissons derrière nous à l'heure de notre mort. Son purgatoire est de plus en plus menacé de révolution et d'anarchie. Et dans ce joyeux bordel de squelettes où il est parfois difficile de savoir qui est qui, chacun prend ce qu'il veut en fonction de son niveau de lecture.
Ralph Aparicio (Quarterback) par Thierry Bellefroid
« Ralph Aparicio », tome 2 de la série Quarterback, par Chauvel, Kerfriden et Araldi. Chez Delcourt.

Isabelle Cochet a cédé la place à Christophe Araldi. Résultat : dès la première page, on est frappé par le traitement différent de la couleur. Mais l'utilisation plus visuelle de l'informatique n'explique pas seule ce changement. Malo Kerfriden a travaillé son dessin entre les deux albums. Et le résultat est très encourageant. La plupart des gros défauts du premier tome ne sont plus qu'un souvenir. Le dessin est plus fluide, plus vif et surtout beaucoup mieux proportionné. Même la mise en page y a gagné. Quant au lettrage, qui laissait réellement à désirer dans le premier album, il a lui aussi subi un lifting complet. Toutes ces qualités viennent renforcer une histoire qui ne demandait qu'à accrocher le lecteur. Quarterback s'annonce comme un excellent thriller. Et même si la frustration est grande à la fin de ce deuxième tome qui ne nous permet encore que de deviner l'ampleur de la grande arnaque qui a conduit au meurtre de Wade Mantle, on prend beaucoup de plaisir à suivre Chauvel dans sa narration nerveuse et charpentée.
« L'étrange rendez-vous », une aventure de Blake et Mortimer, par Ted Benoît et Jean Van Hamme, aux éditions Blake et Mortimer.

Il est toujours difficile, pour le critique, d'aborder un tel album. D'un côté, un certain public de nostalgiques manque totalement de distance par rapport à ce type de nouveauté. Il est prêt à tout acheter et à tout aimer, pour autant que cela lui rappelle les délices de son enfance ou de son adolescence. De l'autre, quelques irréductibles ne supportent pas l'idée que l'on touche à l'univers de Jacobs, encouragés par le refus d'un Hergé de voir poursuivre son œuvre. Enfin, il y a le club de plus en plus affirmé des « anti-Van Hamme », qui grossit à mesure que le succès du scénariste s'affirme. Bref, ceci n'est qu'un avis noyé dans la masse des critiques d'internautes, forums de discussions et autres conversations de salon qui ne manqueront pas de se multiplier dès ce samedi 29 septembre, date officielle de la mise en vente de l'album (mais il y a eu tant de prépublications qu'on se demande qui ne s'est pas encore forgé un avis...)

Je l'ai déjà écrit, je ne crois pas qu'il faille absolument conserver les récitatifs redondants pour coller à l'esprit de la série. Mais apparemment, c'est ce que certains attendent. Alors, soit. Acceptons cela comme un axiome de base et passons. Van Hamme nous propose une histoire qui rompt sur deux choses au moins, avec l'univers original de nos deux héros. Un, elle se déroule aux Etats-Unis. Deux, on y trouve des petits hommes verts, qui ont tout d'extraterrestres hideux. Bigre ! Y a-t-il déjà matière à envoyer le scénariste sur un bûcher ? Pour ma part, je ne le pense pas. Je crois que Van Hamme a réussi la meilleure des trois reprises tentées depuis la résurrection de la série. Même en confrontant ses héros à un nouvel univers, il arrive à se fondre dans l'esprit de Jacobs. Non seulement en s'inspirant du Secret de l'Espadon pour créer son histoire et ses personnages, ce qui est déjà habile. Mais en outre, en plaçant son récit entre deux récits de l'époque « jacobsienne », en 1954.

Au final, « L'étrange rendez-vous » n'est pas un album désagréable à lire, même s'il est truffé de petites choses énervantes, de grosses ficelles et de propos parfois très dispensables (genre : « Puis, tandis que Mrs Kaufman s'occupe de débarrasser la table... »). Le plus énervant est sans doute que tous les rebondissements sont annoncés avec gyrophare et sirène, au point qu'il est vraiment difficile d'être étonné par quoi que ce soit. En revanche, l'intrigue possède sa propre cohérence et renvoie bel et bien à l'univers de Jacobs (d'autant que les extra-terrestres ne sont finalement pas si extra-terrestres que ça). On s'étonnera de découvrir une femme dans cette nouvelle aventure, mais le temps de la censure étant révolu, les auteurs n'ont pas pu s'empêcher d'importer cette pièce d'origine indienne dans leur histoire. Soit, on n'en mourra pas. Mais on verrait volontiers un dépoussiérage général de la série, dans ce cas-là. Car à quoi bon faire des concessions à la modernité dans un sens et rester désespérément suranné pour le reste ?

Côté dessin, Ted Benoît ne sera jamais E.P. Jacobs, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on sent qu'il y travaille. Comme toujours, des imperfections parfois rudes pour l'œil du lecteur demeurent malgré les efforts du dessinateur, mais le plus gênant tient dans le choix de couleurs, dominées par un rouge d'assez mauvais goût. La couverture, elle, est très réussie. Evidemment, tous les admirateurs de Ted Benoît auront quand même l'impression qu'il gâche un peu son talent. Ce qui vaut d'ailleurs aussi pour Juillard. Mais la pérennité de la série est à ce prix.
Chas (Le Poisson-Clown) par Thierry Bellefroid
« Chas », tome 4 de la série « Le poisson-clown » par David Chauvel et Fred Simon. Chez Delcourt.

Après un ban d'essai tout à fait honorable (« Rails », paru sous forme d'intégrale en noir et blanc dans la collection Encrages), Chauvel et Simon ont entrepris une nouvelle saga américaine qui aura mis... six ans à trouver son épilogue. Avec « Chas », quatrième et dernier album de ce cycle d'aventures, « Le poisson-clown » entre de plein pied dans les classiques de la collection Sang-Froid. Dès le premier album, le climat et le personnage central de l'histoire, Happy Wimbush, avaient séduit. Restait à ne pas rater la fin. Chauvel se tire parfaitement de cet exercice en évitant l'écueil d'un album explicatif aux textes pesants et à l'action secondaire. Non seulement il se passe des choses dans ce « Chas », non seulement la narration est parfaite, emmenant le lecteur d'un bout à l'autre de l'histoire sans jamais le perdre ou l'ennuyer. Mais le tour de passe-passe final est parfait ; il rend l'intrigue plus solide encore. Bref, une bonne histoire que le dessin de Fred Simon habille à sa manière, faussement naïve mais d'une grande clarté. En témoignent les huit pages de cahier graphique de la première édition.
« Les amants décapités », tome 1 des « nouvelles aventures de Mic Mac Adam », par Luc Brunschwig et André Benn. Chez Dargaud.

Séduit par les propos tenus par Brunschwig dans une interview, André Benn s'est adressé à lui sans même avoir lu « Le pouvoir des Innocents » ou « L'esprit de Warren ». « C'est l'homme que je cherchais pour reprendre la série » avoue-t-il d'emblée. Et c'est vrai que la rencontre a porté ses fruits. Mic Mac Adam, abandonné par Desberg et Benn en 1987 après plus de trois cents pages d'aventures dans Spirou, connaît aujourd'hui davantage qu'une résurrection : une seconde naissance.

La force de Luc Brunschwig, on la connaît. A travers toutes les séries qu'il anime, on a pu découvrir deux constantes : l'épaisseur de ses personnages et sa maîtrise de la narration. Il en fait ici une nouvelle fois la preuve. Que savait-on de Mic Mac Adam, en 1987, après neuf ans d'existence ? Rien, ou presque. Le personnage était creux. Sans personnalité et presque sans passé (une vague cousine était apparue dans « La dernière chasse », une aventure de 1984 reprise dans « Les classiques du rire » consacrés à Mic Mac Adam par Dargaud en 96. Mais Phyllis, la cousine en question, s'était retrouvée assassinée au bout de... deux pages !) Brunschwig s'est donc attelé à construire un passé à son héros. Il le ramène sur les lieux de son enfance pour mieux nous plonger dans l'horreur : Mic doit identifier les corps de ses parents, disparus dix-huit ans plus tôt dans les marais d'Hillkirk. Le scénariste réussit le grand écart entre cette nouvelle approche plus psychologique et le respect du contexte de la série dans son ancienne mouture. Enquêteur de l'étrange en kilt (une sorte de Fox Mulder à l'écossaise avant la date, Mic Mac Adam ?...), Mic va se trouver confronter à un épais mystère dans lequel les différents protagonistes sont loin d'avoir tous levé leur masque. Brunschwig parvient à installer un climat de thriller à la Jean-Christophe Grangé avec corps momifiés et décapités sans pour autant sombrer dans l'horreur ou le glauque. Cela tient en partie au registre de l'émotion et de la tendresse dans lequel baigne le héros, plongé dans les souvenirs heureux et les lieux de son enfance. Cela tient aussi à la distance que Benn parvient à mettre dans son dessin. Une distance qui a toujours caractérisé la série mais qui, jadis, se doublait d'une bonne dose d'humour, aujourd'hui relégué au second plan. La noirceur de l'histoire et le trait « gros nez » de Benn se complètent admirablement pour nous faire retrouver ce qui faisait l'essence de la série, un mélange de mystère et de légèreté unique en son genre.

Que dire du dessin de Benn ? Ceux qui ont lu ses derniers albums (Woogee, chez Dargaud) retrouveront dans ce nouveau Mic Mac Adam toute l'évolution récente d'un travail devenu plus réaliste au fil des ans. Mais il est évident que Mic n'est pas Woogee pour autant. Benn s'est remis en question et il propose une fusion des genres qui lui réussit très bien. On regrettera parfois que les cases ne soient pas plus grandes, mais la profusion d'idées et la richesse du scénario ont amené les auteurs à faire le choix d'un album dense, afin de ne pas dépasser les 2X46 planches pour raconter leur histoire. A bien y regarder, on trouvera quelques ressemblances entre les personnages féminins de cette histoire et le trait de Dany, mais l'ensemble reste dans la lignée de ce que Benn a toujours fait : une ligne faussement « Marcinelle », proche d'un Wasterlain et d'un Mittéi et pourtant très personnelle. Il avoue avoir travaillé comme un fou. Ça se voit !
La théorie du chaos par Thierry Bellefroid
« La théorie du chaos », par Pierre Schelle. Dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Pauvre Pierre Schelle. Il y a fort à parier qu'on lui parle plus de sa couverture que du contenu de son album. Il faut dire que publier, après les événements du 11 septembre, un album au nom si évocateur avec une image de l'Empire State Building en couverture semble relever de la provocation ou de l'opportunisme. Bien entendu, il n'est est rien. Pierre Schelle a même mis cinq ans à concrétiser son projet. Le résultat est magnifique. En noir et blanc et sans phylactères -ou presque, puisque de rares bulles contenant elles-mêmes des dessins parsèment l'histoire- le coloriste de Nash, Travis et Golden City réussit à nous emmener de la Chine à New York et vice-versa avec une habileté étonnante. Sur la base de cette simple phrase : « D'un battement d'ailes en Chine, un papillon peut provoquer une tornade sur New York », Schelle a imaginé des enchaînements d'événements tout à fait fous. Dans un style nerveux et virevoltant, il nous propose d'être la caméra invisible assistant à l'enchevêtrement inévitable des choses dans le grand tout qu'est l'univers. C'est brillant, rythmé, inventif et très bien découpé.
Rififi à la Bastille ! (Beluga) par Thierry Bellefroid
« Rififi à la Bastille », tome 1 de Beluga, par Maury et Robberecht. Chez Casterman.

Robberecht a dû lire Gil Jourdan dans sa jeunesse. Il y a dans ce Beluga une tentative de renouer avec le mélange d'action, d'intrigue policière et d'humour dont Tillieux était le champion absolu. Mais Robberecht, lui, choisit de se placer du côté des « méchants ». Oh, ils ne le sont pas vraiment. Ils sont juste du mauvais côté de la loi. Ils volent, ils arnaquent, ils trafiquent dans le quartier de la Bastille. Beluga, le héros, en fait partie. Et pour cette première histoire, cette sympathique petite bande de « gentils voleurs » se fait mettre au pas par la maffia russe. L'histoire est bien menée, surtout grâce à de bons dialogues. On se demande en revanche si le dessin d'Alain Maury était le meilleur pour la mettre en valeur. Le repreneur de Johan et Pirlouit semble avoir du mal à trouver ses marques en dehors de l'univers de Peyo auquel il est rivé depuis une quinzaine d'années. Le résultat est donc mitigé. Et le succès a peu de chances d'être à la clé, du moins pour ce premier opus.
Emma (Police by night) par Thierry Bellefroid
« Police by night 2 ». Par Alex Varenne. Aux éditions du Balcon.

Retour express pour Kris Laser. A peine le premier album de Police By Night a-t-il quitté les présentoirs que voici le second. Il faut dire que la matière est là, Varenne ayant imaginé ces histoires pour le magazine japonais Morning. Il n'y a plus qu'à les éditer en français. Et les éditions du Balcon s'y emploient.

Plus noir et plus glauque encore que le premier tome, ce second Police By Night est composé de deux histoires destinées à mettre en avant la plastique de victimes féminines plus désirables les unes que les autres et les comportements sadiques de criminel(le)s sans scrupules. L'inspecteur Kris Laser arrache parfois les petites culottes avec les dents, c'est dire si ces récits politico-policiers sont plus érotico que policiers ! Reste la manière Varenne, une signature faite de vivacité, de noir et blanc tranché et de sourde angoisse. Mais il a quand même fait mieux !
Esta (Finkel) par Thierry Bellefroid
« Esta », tome 6 de la série Finkel, par Gine et Convard, chez Delcourt.

Si comme moi vous avez beaucoup aimé le premier cycle de Finkel, vous ne pourrez pas vous empêcher de craindre une déception au moment d'ouvrir cet album. Pourtant, après quelques pages, vous serez si parfaitement replongé dans l'univers imaginé par Convard et magistralement rendu par le dessin de Gine, que vous en oublierez vos craintes. « Esta » démarre fort. Comment faire à nouveau de Finkel un héros à part entière, alors qu'il nage à peu près dans le bonheur ? En le privant de sa fille et en menaçant sa compagne ! Convard y est allé fort ! Et grâce à un scénario riche en événements dramatiques (mais parsemé de scènes d'amour plus nombreuses que jamais), il relance une quête pleine de suspense et de nouveauté. Assurément une excellente surprise !
Tartines de Courant d'Air par Thierry Bellefroid
« Tartines de courant d'air » par Bibeur Lu et Rabaté. Chez Vents d'Ouest.

Voilà un titre qui ne trompe pas sur la marchandise. Au contraire. Si vous ne connaissez de Rabaté que sa très sérieuse adaptation d'Alexis Tolstoï (Ibicus, trois albums parus), vous serez particulièrement désappointé à la lecture de ce livre, paru dans la même collection, « Intégra ». En revanche, si vous avez lu « Les pieds dedans », « Un ver dans le fruit » et « Les yeux dans le bouillon » pour ne citer que les plus connus, vous retrouverez avec plaisir le Rabaté léger, fin observateur des petites gens et des misères de la vie quotidienne.

« Tartines de courant d'air » s'intéresse à une bande de copains mi-squatteurs mi-fainéants mi-jouisseurs (je sais, ça fait déjà trois moitiés, un peu beaucoup pour une seule unité...) qui regardent le temps passer en poursuivant quelques rêves aux contours plus ou moins flous, comme faire voler des maquettes d'avion, se retrouver pour des barbecues dans un terrain vague, draguer à la foire ou faire l'amour à la voisine de pallier. Il y a quelques moments d'une grande tendresse dans cet album qui est peut-être l'un des scénarios les moins caustiques livrés par Rabaté dans le domaine de la « chronique sociale » où il excelle. Il y a des moments très drôles aussi (la course de poubelles nocturne, l'entretien d'embauche, etc...). Mais l'ensemble est tout de même un peu inégal. Sans doute ne fallait-il pas 126 pages pour raconter cette jolie histoire d'amitié et de jeunesse insouciante. Evidemment, on le pardonne facilement aux auteurs. Bibeur Lu propose un dessin réjouissant, très aéré, tantôt inspiré par Jijé et Tillieux, tantôt proche d'un Thierry Culliford (« Germain et nous... ») ou même d'un Cabu. Et les expressions argotiques ainsi que la galerie de personnages truculente de Rabaté vont font très vite oublier les quelques longueurs de l'album.
La dette (Le tueur) par Thierry Bellefroid
« La dette », troisième tome de la série « Le Tueur », par Jacamon et Matz. Chez Casterman.

On peut dire ce qu'on veut des idées peu reluisantes « charriées » par cette série qui fait finalement l'apologie de la violence et de l'argent et place dans la bouche de son héros pas mal de propos qu'on pourrait qualifier de « réac », elle s'impose de plus en plus comme un succès public. Cela n'a rien d'étonnant. Le Tueur est un bon personnage, Matz parvient à faire rebondir son histoire et à relancer l'attention du lecteur à chaque album tout en ne négligeant pas de clore ses histoires avant de passer à la suivante. Il évite ainsi le principal défaut des séries : la frustration liée à une fin continuellement différée. On ne peut dire d'aucun des albums parus à ce jour qu'il est un album de transition. Chacun a son histoire, explore son monde propre et propose une résolution qui n'empêche pas la trame principale de rester en suspens.

Mais le succès rencontré par le Tueur ne tient pas qu'à ses scénarios bien ficelés, pas plus qu'à ses voix-off bien travaillées. S'il est une BD qui doit presque tout à son dessin, c'est sans doute celle-ci. Jacamon a réussi à imposer un style fort, d'une grande clarté, dominé par le travail sur la lumière. Ses gros plans sont brillants d'efficacité et ses découpages sont irréprochables. On entre dans les albums de Jacamon comme dans une salle de cinéma. Les ambiances s'imposent à vous, vous plongent dans une réalité reconstituée à l'identique. Pourtant, le réalisme de Jacamon ne s'apparente -sauf en de très rares occasions presque expérimentales- que de très loin à la photo. C'est bien de la BD, c'est bien du dessin, mais maîtrisé dans tout ce qu'il a de suggestif et de signifiant. Jamais un détail inutile, un travail extrêmement rigoureux sur les couleurs, des décors admirablement suggérés sans débauche d'effets... C'est tout ça Jacamon. Sans compter les jolis minois de ses demoiselles. Seul défaut, un peu agaçant à la longue, la façon de marcher comme des ballerines, sur la pointe des pieds, qu'ont presque tous les personnages (l'exemple du type qui sort de la piscine à la planche 10 est assez symptomatique...). Mais c'est vraiment pour dire qu'il peut encore faire mieux...
« JF Charles, esquisses et toiles » par Paul Herman. Chez Glénat.

Il manquerait quelqu'un chez Glénat si le Belge Paul Herman n'allait pas compiler des tonnes de documentation et de souvenirs pour concevoir des ouvrages essentiels à la mémoire de la maison d'édition grenobloise. Il n'est que de voir la couverture de ce magnifique album pour se convaincre de son intérêt. Oui, Jean-François Charles est un grand dessinateur, injustement méconnu aurait-on envie d'ajouter. Bien sûr, Charles est l'heureux père de plusieurs séries à succès, à commencer par les « Pionniers du Nouveau Monde » dont il a abandonné le dessin il y a déjà plusieurs années. Mais en dehors des quelques très belles couvertures qu'il a réalisées à la peinture à l'huile -notamment pour les Pionniers- peu de gens soupçonnent un tel talent graphique. Le livre de Paul Herman vous ouvre les portes d'un atelier magique qui sent bon l'Orient et les parfums capiteux. On y retrouve tous les travaux de couverture et les esquisses préparatoires de séries qui l'ont mené d'Ostende (Le Bal du rat mort) à la Grèce (Le décalogue). Le tout divisé en six chapitres (cinq surtout, le dernier est très bref) dont les plus intéressants (les chapitres 3, 4 et 5) nous emmènent sur les traces de femmes magnifiques. Les esquisses contenues dans la section « Fleurs d'Orient » sont d'une beauté incroyable. En parallèle à un texte intéressant, elles montrent le travail du dessinateur et du peintre en vis-à-vis. Je ne sais lequel des deux m'impressionne le plus. Peut-être le dessinateur. Charles a un coup de crayon d'une rare sensualité et d'une précision étonnante. Une très belle leçon de dessin, d'érotisme artistique et de dépaysement.
« La forêt suspendue » tome 1 de la série Finn, par Arnaud et Stambecco. Chez Pointe Noire.

Une énième histoire d'héroïc fantasy pur jus. Monde imaginaire issu des légendes celtiques, arbres vivants, univers merveilleux détruit par une malédiction, quête... tout y est. Les héros ont la gueule de l'emploi, les méchants aussi. Casting et scénario sans surprise, quoi. A tel point qu'on se demande si tout cela est bien utile. Evidemment, on ne peut pas empêcher des auteurs de raconter les histoires auxquelles ils croient ni les éditeurs de les publier. Mais tout cela est si convenu. Les quelques belles choses qui parsèment l'histoire (la page 31 est assez réussie, par exemple) ne suffiront pas à ôter l'impression de déjà vu déjà lu déjà oublié qui prévaut en refermant cette BD honnête mais laborieuse.
A la recherche du non-emploi par Thierry Bellefroid
« A la recherche du non-emploi » par Ness. A l'Echo des Savanes/Albin Michel.

Livre réjouissant qui célèbre le culte du RMI comme aucun autre ne l'a fait avant lui, ce « A la recherche du non-emploi » est une succession d'histoires loufoques sur fond de bistrot tenu par un dingue de la gâchette. Le trait est gros, que l'on parle du dessin ou des scénarios, mais cette caricature de l'éloge de la paresse est rudement bien tapée. On s'amuse avec Ness à observer comment deux copains finalement plutôt pas con font tout pour rester sans emploi. Tout est bon, y compris le recours à un improbable justicier du nom de « Super Remi Man ». On pense à Vuillemin, à Max et Dodo/Ben Radis, à Reiser et à quelques autres encore. Bref, à toute cette bande d'humoristes grinçants sans lesquels la France serait orpheline de quelque chose...
Las Vegas (Pin-up) par Thierry Bellefroid
« Las Vegas », tome 7 de la série Pin Up. Par Berthet et Yann, chez Dargaud.

De plus en plus glamour, la petite Dottie. Il faut dire que c'est ce qui plaît au public nombreux et passionné de la série. Pourquoi Yann et Berthet se priveraient-ils de cultiver ce qu'ils font le mieux ? Alors, tant qu'à faire, ils ont rangé la guerre -la vraie- et la guerre froide -la suivante- au vestiaire. Et ils « attaquent » les sixties de plein fouet. Parce que c'est la période rêvée pour faire de leur héroïne une créature définitivement mythique. Ils transportent donc la jolie Dottie (c'est fou ce qu'elle supporte bien le poids des ans...) à Las Vegas et lui trouvent un métier original, celui de « physionomiste ». De quoi s'agit-il ? De repérer les gueules des mauvais clients dans les casinos pour prévenir les ennuis, tout simplement. Et à cet exercice, personne ne peut rivaliser avec celle qui fut jadis l'égérie des GI sur le front. L'idée est excellente, l'ambiance polar convient parfaitement à Berthet et pour couronner le tout, nos compères plongent Dottie dans les bras du fondateur de Playboy. Les « Bunnies » fleurissent à toutes les pages, plus belles les unes que les autres, ça va encore fantasmer sec chez les lecteurs -essentiellement masculins, faut-il le dire ?- de la série. Bref, tout ça roule comme sur du papier à musique et le bellâtre Frank Sinatra ajoute encore un grain de sel amusant à l'ensemble. Pin Up, un produit parfait ? Si l'on se place au plan du marketing (et des produits dérivés, de la statuette à l'ex-libris en passant par les objets à effigie et autres sérigraphies), on ne peut que le penser. Certains diront que tout ça n'a pas d'âme et ils n'auront pas forcément tort, mais en bon mercenaire, Yann devrait assumer sans trop de mal cette « petite » tare. Pour ma part, je reconnais que ce nouveau cycle brille tout autant par son efficacité que par son côté convenu. Mais il y a tout de même une chose qui a attiré mon attention, la qualité du dessin et des couleurs. Le coloriste « officiel » de la série, Topaze, a quitté le projet. Bertrand Denoulet l'a remplacé et on ne peut que s'en réjouir. Si les couleurs de Topaze n'avaient rien de raté, celles de Denoulet apportent une touche vivante, un relief nouveau au dessin. D'autant que Berthet a cessé de livrer des crayonnés publiables tels quels pour les besoins des tirages de tête et qu'il encre ses planches avec plus de souplesse. Le résultat est magnifique ; la texture de la couleur se caractérise par une chaleur et une densité qui lui manquaient. C'est LA bonne surprise de ce nouveau cycle. Ah oui, avant que les puristes créent un forum de discussion sur les erreurs historiques de cet album, Yann a explicitement reconnu avoir pris des libertés avec la chronologie de certains événements. Pas la peine de vous étrangler en découvrant que Sinatra chante « Strangers ni the night » quelques années trop tôt ou que Dottie monte dans un avion qui n'existe pas encore... A bon entendeur...

Château Montrachet par Thierry Bellefroid
Château Montrachet, par Clarke, chez Fluide Glacial.

Pour son troisième album chez Fluide, Clarke nous a mitonné une série d'histoires courtes du meilleur tonneau. Ce tonneau, il est allé le chercher dans la cave d'un vieux château encore habité par une famille de nobles français comme on n'en fait plus. Lui, Harald, le sourcil que l'on devine légèrement levé derrière les verres de ses lunettes, ne perd presque jamais son flegme. Elle, Honorine, la bouche pincée et le chignon toujours impeccable, brille par son éducation, même si ça doit parfois lui coûter un peu de son amour-propre. A eux deux, ils incarnent la parfaite caricature de la « fin de race » encore accrochée à quelques-uns de ses rites : la chasse à courre, l'escrime ou les oeuvres de bienfaisance. Les huit récits regroupés dans ce livre sont souvent gentiment délirants. Tant qu'à pousser la caricature en question, Clarke s'en donne à coeur joie et ne respecte rien. C'est évidemment très drôle. Et même quand une histoire est un peu lourde comme c'est le cas de « Chasse à courre et Mastercard », il y a toujours le petit quelque chose qui sauve tout, en l'occurrence, lorsque Harald s'adresse dans la dernière case aux parents d'un petit louveteau abattu et leur balance : comment ça, vous n'avez pas de sabot Mastercard ? Une lecture rafraîchissante qui rappelle parfois la cruauté tranquille d'un Tronchet, mais avec un côté plus délirant et parfois volontiers « nonsense ». Un bon cru, dirait-on, si on ne craignait pas que ça fasse un peu jeu de mots facile.
« Torticolis et deltoïdes », tome 1 de Ocean City, par Chauvel, Komorowski et Barroux. Chez Delcourt, dans la collection Sang Froid.

Chauvel est sur tous les fronts. Ce prolifique scénariste nous gratifie en septembre d'une intégrale noir et blanc et de trois albums, dont la fin d'un cycle attendu (Le poisson-clown) et le début d'un diptyque, cet « Ocean City » créé avec le dessinateur Vincent Komorowski. Une telle activité ne peut être totalement exempte de redites. En lisant le premier tome de « Ocean City », on a forcément une impression de déjà-lu. Très proche d'autres récits (notamment de ceux de la série « Ce qui est à nous »), on y retrouve son goût pour le cinéma policier américain et pour les grains de sable qui gâchent irrémédiablement des vies de toute façon assez médiocres. Spécialiste de « l'engrenage », Chauvel a monté une nouvelle machine efficace qui repose comme il l'écrit lui-même dans les récitatifs de cet album sur les « mauvaises décisions » prises par ses personnages. Tout s'emboîte inexorablement et la descente aux enfers peut commencer. C'est d'une efficacité parfaite, le lecteur se laisse entraîner en sachant pertinemment dans quel jeu il joue et le rythme est bien soutenu. Mais comme la plupart des récits de Chauvel, c'est du cinéma en BD, que ce soit dans le mode narratif ou dans le choix des gueules des héros. A la longue, cette impression de faire du cinoche du pauvre en BD finirait par devenir lassante. L'histoire a beau être parfaitement huilée, elle n'est « que » délassante, presque un exercice de style pour élève doué.
« L'académie des Beaux-Arts », tome 1 de la série « Le minuscule mousquetaire », par Joann Sfar. Dans la collection Poisson Pilote de Dargaud.

« Le minuscule mousquetaire » est une auberge espagnole. On y trouve de tout. De l'érudition sans prétention, de la littérature au sens le plus noble du terme, du fantastique et du fantasque, du merveilleux et de l'hilarant, des leçons de dessin et une leçon de vie. On y entre comme on lirait les aventures de Gulliver ou celles de Gargantua et Pantagruel. Et c'est bien de cette tradition rabelaisienne que Joann Sfar peut se revendiquer avec ce nouvel opus.

Le minuscule mousquetaire est un album jouissif où un auteur se fait plaisir jusqu'à ciseler un texte irréprochable sur un support -la BD- où le mot est généralement le parent pauvre. Sfar est sans doute le premier auteur de bande dessinée que je connaisse à faire l'usage du « ; » dans les textes de ses phylactères. Cela en dit long sur la vocation littéraire de son oeuvre dessinée. Mais Sfar, c'est aussi une virtuosité graphique qui donne parfois le tournis. Des personnages aux contours d'une apparente simplicité, voire parfois d'une réelle naïveté, qui existent sur le papier dès que le regard du lecteur s'est posé sur eux. Le minuscule mousquetaire doit tout à une certaine France, celle des plaisirs de la table et de la chair, celle de Dumas et de Molière aussi. Mais il doit par ailleurs beaucoup à la tendresse de Sfar pour ses personnages, gigantesque famille de substitution que l'auteur aime choyer d'album en album, au gré de séries qui s'entrecroisent.

A la lecture de cet album magnifique, vous découvrirez aussi la véritable passion dévorante de Joann Sfar pour le dessin (ceux qui en douteraient peuvent s'en convaincre en lisant les cinq premiers tomes d'une gigantesque biographie imaginaire qu'il consacre au peintre Pascin, ami de Soutine et Chagall, des albums parus à L'Association). Ses cours de dessin imaginaires donnés à l'Académie des Beaux Arts de la minuscule France à partir de l'anatomie du minuscule mousquetaire sont à la fois étourdissants de drôlerie et rafraîchissants d'audace. (« ... Mais que vous l'aimiez ou pas, ce sexe, il faut tout de même le dessiner. Or que vois-je sur vos chevalets en cet emplacement ? Du vide... de vagues formes... des oiseaux, des nuages... parfois des interprétations scabreuses... mais de vrais dessins, point. C'est pourtant un corps physique, soumis aux lois de la pesanteur et sculpté par la lumière, qu'il vous faut dessiner. Regardez sur notre modèle : la verge évoque une tête de canard allant à l'abreuvoir. ») Sfar sera quand même le premier à avoir osé disserter aussi librement -dessin à l'appui- sur les parties génitales de l'homme aux éditions Dargaud. Rien que pour avoir fait avancer ce débat et tomber les tabous, l'auteur mérite notre respect.
« Tintin, le rêve et la réalité », par Michael Farr, et « J'apprends à raconter une histoire », tome 2 de « L'atelier de la bande dessinée avec Hergé ». Aux éditions Moulinsart.

A l'heure où la polémique continue de diviser les héritiers spirituels d'Hergé et la toute puissance de l'organisation Rodwell, les éditions Moulinsart multiplient les ouvrages de référence autour de l'oeuvre de Tintin ; de quoi calmer, peut-être, certaines des inquiétudes formulées par les tintinophiles. Au rang des nouveautés, outre le set complet des agendas et calendriers au design irréprochable mais qui n'apportent guère de contribution à la pérennité de l'oeuvre, deux livres se distinguent. Le premier est remarquablement documenté. « Tintin, le rêve et la réalité », sous-titré « L'histoire de la création des aventures de Tintin » nous propose d'entrer pour ainsi dire dans la bibliothèque de Hergé. L'auteur, Michael Farr, analyse album par album les coulisses de la création ainsi que les sources de documentation employées par Hergé, et consciencieusement conservées par lui d'abord, par la Fondation ensuite. C'est passionnant, éclairant, et même si on n'y trouve guère de scoops, c'est le genre de livre qu'on ne regrette pas d'avoir lu.
L'autre nouveauté, est destinée aux enfants de plus de dix ans. Il s'agit du deuxième tome de « L'atelier de la BD avec Hergé ». Dans le premier, les plus jeunes apprenaient si l'on peut dire à tenir un crayon. Ils apprennent cette fois le langage et les subtilités du neuvième art. Qu'est-ce qu'un synopsis, un scénario, une ellipse ? Comment créer le mouvement, comment doter un phylactère de caractères spécifiques pour renforcer le texte qui y est placé, comment camper des personnages bien typés ?... Les questions abordées donnent des clés indispensables aux auteurs en herbe. Elles sont illustrées par des exemples tirés de l'oeuvre de Hergé qui apparaît aussitôt comme un modèle pédagogique ! Le tout est mis en page avec beaucoup de soin. Résultat, ce livre devient presque un objet de collection. Ce magnifique ouvrage (qui plaira aussi aux adultes amoureux de Hergé, sans doute) est vendu aux environs de 15 euros, ce qui n'est pas gratuit. Peut-être qu'au terme de la collection, l'éditeur serait bien inspiré de rééditer l'ensemble de ces livres en intégrale dans une version moins onéreuse. Il y a évidemment peu de chances que cela arrive un jour, lorsqu'on connaît la philosophie de la maison Moulinsart... mais on peut rêver !
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