Entre horreur et massacres, l'auteur s'en prend violemment à la société colonisatrice de l'époque, évoquant le sort des minorités, dénonçant le rejet de la différence en même temps que l'extermination d'un peuple, les Indiens. Un épisode néanmoins plus optimiste que les précédents.
Tiburce Oger : C'est en effet la seule apparition magique des pierres. Le reste de l'histoire relève du réalisme. Je me suis amusé à mettre du fantastique dans un western. Mais attention, pas n'importe comment : je me suis basé sur des légendes indiennes, sur ces démons protecteurs qu'on ne nomme pas. Cependant, je pense qu'il ne faut pas trop en faire, question de vraisemblance. Dès lors que les pierres atterrissent à ses pieds, Natanael les range dans sa poche et essaie de les oublier, de changer de vie. Par cette seule apparition des pierres, vous laissez entendre que Natanael et les pierres sont liés au vieil Indien Oldchuck ?
Après avoir vécu des mois dans la solitude, frôlant la folie, Natanael est embauché par un chasseur de bisons en qualité d'"écorcheur". Il va alors partager l'horreur et l'absurdité des massacres. Mais paradoxalement, il va retrouver le courage de vivre. Drôle de rédemption… Tiburce Oger : Pendant plusieurs mois, Natanael vit seul, errant comme un mort-vivant. En rencontrant le chasseur, il revit ; il est content même s'il s'agit de la pire racaille. Ne supportant plus sa solitude, il est prêt à accepter le travail le plus horrible. Tiburce Oger : Il se fait couper les cheveux courts, bien kitsch, avec la raie au milieu ce qui le vieillit déjà un peu, mais on voit effectivement ses traits se durcir. Rien d'anormal. À cette époque, les jeunes de vingt ans, qui ont commencé à travailler à quatorze ans, paraissent souvent plus âgés, montrant à la fois un côté bambin et viril. Quel était exactement le métier des écorcheurs ?
Le chasseur de bisons, les écorcheurs… Vous décrivez ces gars comme la lie de l'humanité. Tiburce Oger : Les chasseurs étaient souvent des types qui voulaient se recycler tout en gagnant de l'argent en peu de temps. Ici, le personnage du chasseur est un vieux tireur d'élite de la guerre de Sécession qui a gardé son goût pour le tir. Mais comme il n'a plus le droit officiellement de tuer des hommes, il tue des bêtes. Mais lui ce qu'il aime, c'est le sang. Pas une once d'humanité. Son seul plaisir, c'est de savoir combien de bisons il a tués en une journée. Tiburce Oger : Ce qui me révolte, c'est qu'en tuant des milliers de bisons - parfois seulement pour leur langue -, ces chasseurs blancs ont massacré tout le peuple indien, qui lui, chassait le bison pour se nourrir. Mais la dénonciation n'est pas le thème central de mon histoire, à la différence par exemple de la BD de Marc-Renier et Swolfs, La Danse des fantômes, qui retrace le dernier massacre des Indiens. Les deux écorcheurs avec lesquels fraternise Natanael sont en fait des êtres très sensibles. En apparence écorcheurs de bisons, ils s'avèrent être des écorchés de la vie - d'où le titre de l'album - comme Natanael, Betty et son frère.
Des homosexuels dans un western. C'est inattendu… Tiburce Oger: On n'a même jamais vu ça dans aucun western. Dans tous les films à la John Wayne, tout le monde ou presque est beau, bien rasé. Pourtant l'homosexualité existait déjà à l'époque. Mais c'était un sujet tabou, même si dans certains textes, on retrouve quelques rares allusions, mais si peu. Des homosexuels, un Natanael maudit, une prostituée et son frère atteint du syndrome de la Tourette (graves tics nerveux et tics de langage). Vous vous faites le chantre des exclus ?
Le retour à la civilisation de Natanael n'est pas très réjouissant. Vous en donnez même une vision plutôt amère. Tiburce Oger : Cette société était
composée de gens "bien pensants", sûrs d'avoir raison et venant dans l'Est
dans l'idée de défricher un pays inexploré. Un peu comme Christophe Colomb
qui a déclaré aux peuples d'Amérique : "Je suis content de vous avoir
découverts". Comme si ces derniers avaient attendu son arrivée pour vivre.
A cette époque, on assiste aussi à l'émergence de gens riches qui deviennent
encore plus riches et de pauvres qui deviennent de plus en plus pauvres.
Et il y avait une majorité de gens incultes ou qui n'avaient pour seules
connaissances que les préceptes de la Bible. Pour ces gens-là, tout non-chrétien
est forcément païen. Et ce discours - le colt et la Bible, les Etats-Unis
l'ont tenu jusque dans les années 50. Dans leur fuite, les cinq protagonistes s'improvisent braqueurs de banques. Pourquoi les faire basculer du mauvais côté ? Tiburce Oger : Ils essaient simplement de vivre au-dessus de leurs moyens. Quitte à être bannis, autant l'être pour quelque chose. Sur la fin, les deux écorcheurs se font tuer par le chasseur. Leur mort était-elle vraiment nécessaire ? Tiburce Oger : Je ne voulais pas
les faire mourrir. Je m'étais tellement attaché à eux à force de les dessiner,
de leur donner des expressions. Par l'entremise d'une case, d'un gros
plan et d'un regard, j'arrivais à leur donner vie. Mais j'étais obligé
de les tuer. Non pas parce qu'ils étaient homos, mais pour montrer l'intolérance
de la société de l'époque incarnée par le chasseur, les massacres de bisons…
La fin de cet épisode n'est décidément pas très optimiste non plus… Tiburce Oger : Au contraire, il est plein d'espoir. Dans la relation entre Natanael et Betty par exemple, il y a énormément d'affection et de respect entre ces deux personnages très sensibles. Natanael tombe même amoureux de la jeune fille, mais il se sent coupable vis-à-vis de sa dernière compagne, morte récemment. Contrairement au précédent tome, trois personnages sur cinq s'en sortent. Brun, ocre, gris… Les couleurs ne sont pas très gaies non plus.
A la fin de l'épisode, les Indiens interviennent. Ni méchants, ni gentils. Vous êtes loin des poncifs du western. Tiburce Oger : Jusqu'aux années 50,
tous les Indiens étaient représentés comme des méchants. A partir des
années 70, ce fut l'inverse : ils sont devenus victimes et gentils. Ce
manichéisme m'énerve. Il y a eu des Indiens sanguinaires tout comme il
y a eu des Indiens pacifistes. C'est comme dire que tous les Blancs étaient
foncièrement méchants. Je me suis énormément documenté sur le Far West
et j'ai rencontré beaucoup de stéréotypes, notamment sur la guerre de
Sécession (avec les gentils Nordistes et les méchants Sudistes). Quelles sont vos inspirations ? Tiburce Oger : La série Red Rider - l'histoire d'un gentil cowboy accompagné d'un Indien rigolo - de Fred Herman, . Illustration de couverture extraite du tirage de tête paru chez Ciné-Flash. dans les années 40-50 m'a beaucoup influencé. Elle a aussi inspiré Morris, le créateur de Lucky Luke. Les Tuniques Bleues aussi et bien évidemment Blueberry, même si le côté froid de la narration de Charlier m'énervait quelque peu. En règle générale, ce qui m'a le plus influencé, ce sont les hommes et la façon dont ils vivaient. La grande aventure, ça peut-être bien à condition que l'aventure humaine soit touchante. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne dessine jamais de scènes panoramiques de batailles ; je privilégie les plans rapprochés dans les grandes batailles, une case pour décrire le combat d'un homme, ses expressions. Combien d'épisodes de La Piste des ombres sont prévus ? Tiburce Oger : C'est comme pour Gorn, j'avais signé pour trois et j'en ai déjà fait sept. Je repars pour trois. La Piste des ombres, je la vois en cinq tomes. Chaque album bouclant une aventure, avec un fil conducteur qui fait que ça peut durer. Peut-être y aura-t-il un second cycle…
Interview réalisée
par Alexandra Chaignon Images Copyright © Tiburce Oger - Editions Vents d'Ouest 2002 Retrouvez toute l'actualité des éditions Vents d'Ouest sur leur site Internet : http://www.ventsdouest.fr/ CONCOURS : 5 albums "Les écorchés" dédicacés par Tiburce Oger à gagner ! |
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