Attention coup de coeur !
"Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?"



"Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?" (Les olives noires T. 1) par Sfar et Guibert (Dupuis - Collection Repérages).

Personne n'a oublié "La fille du professeur", qui avait révélé l'immense talent graphique de Guibert et l'imaginaire débridé de Joann Sfar au grand public. Aujourd'hui, tout le monde apprécie leur contribution essentielle au renouvellement de la BD française. En solo, en duo ou en association à géométrie variable, Joann multiplie les projets et ne cesse de surprendre. Plus discret mais tout aussi intéressé par le fait de travailler avec des partenaires qui sont avant tout des amis, Emmanuel a prouvé qu'il était l'un de ceux avec lesquels il faudrait compter dans les années à venir. "Le Capitaine écarlate" et "La guerre d'Alan" ont assis son talent.
Il manquait toutefois encore l'album où ces deux-là pourraient livrer ensemble le meilleur d'eux-mêmes. Et ce n'est pas avec cet album qu'ils arrivent mais carrément avec une série dont ce "Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?" n'est que le prologue. Un prologue magistral, touchant, drôle, caustique, magnifiquement mis en scène et "joué" par les personnages qu'Emmanuel a mis sur le papier.
"Les olives noires", c'est du Sfar pur jus. On y retrouve à la fois une prédilection pour l'histoire juive, un ton résolument moderne, un traitement mêlant parfaitement humour et émotion. Mais l'album ne serait pas le même sans l'intelligence et la sensibilité qu'apporte Emmanuel Guibert. Un gaufrier basique à six cases, un dessin qui s'approche des visages et nous fait partager émotions, frayeurs, interrogations et même… humour. Et tout ça sans le moindre artifice. C'est ça, Guibert. L'efficacité au service de l'histoire, la mise en scène confiée au seul crayon et non au tube de colle… Résultat, un album vibrant, vivant, léger et grave à la fois, qu'on a envie de relire aussitôt refermé.
Il y a dans le traitement des deux soldats déserteurs un humour désespérément salutaire. Pour nous faire « avaler » l'injustice de ces deux Gaulois enrôlés de force dans l'armée romaine et craintifs face au sort qui les attend, Sfar choisit la carte de l'humour (et de l'amour).
Cette légèreté dans le désespoir, cette façon de rire dans le malheur (ils se font quand même circoncire, les pauvres) est sans doute l'une des manifestations de l'humour juif qui caractérise Joann. S'y ajoute ici une volonté de traiter de l'Histoire antique avec un langage contemporain. Ce traitement amplifie encore le côté décalé, drôle mais aussi personnel de l'album. Emmanuel Guibert apporte sa pierre à l'édifice. Ses deux soldats sont terriblement expressifs, proches de nous aussi (l'un des deux est même une copie assez conforme de Christophe Blain).
Quant au héros, le petit garçon qui a perdu sa maman (comme Sfar, voir interview sur ce site !) et que le destin va à son tour séparer de son père, il prend des traits proches de ceux que l'on pourrait prêter à Sfar lui-même, enfant. Dans un jeu de zoom avant délicat et dosé, Guibert nous rapproche de ses yeux, de ce regard pur et triste à la fois, bouleversant d'humanité. Il n'y a qu'à lire les quatre cases reprises en quatrième de couverture pour voir à quel point ces deux-là ont du talent quand ils conjuguent leurs qualités respectives !

Thierry Bellefroid.

Images Copyrights © Guibert & Sfar - éditions Dupuis 2001


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