Thema BD :
Bande dessinée jeunesse, dénomination équivoque ?



"Bande dessinée jeunesse, dénomination équivoque ?" par Dimitri F.

 

Fait indéniable, la bande dessinée de langue française s'est principalement adressée pendant des années aux enfants. Les années '60 verront peu à peu l'émergence d'œuvres pour adultes. Encore aujourd'hui, une production "gargantuesque" ne cesse de voir le jour dans les librairies spécialisées. Mais depuis environ deux ans, la production de bandes dessinées dites "Jeunesse" refait surface et lorgne quelque peu la place des XIII et autres Innommables. Mais, si aujourd'hui, tous semblent d'accord pour constater ce changement, qu'est-ce qui caractérise une bande dessinée qu'un éditeur décide de classer dans le registre enfant ou jeunesse ? A quel(s) public(s) s'adresse telle ou telle BD enfantine ?

Certes, il existe encore aujourd'hui "Le journal de Mickey" et "Spirou" dans lesquels des générations d'enfants n'ont cessé et ne cesseront encore de se plonger avec plus ou moins de plaisir. Mais, ni l'un ni l'autre ne reflète réellement l'éclatement que subit le genre. Souvent, on me demande à partir de quel âge un enfant peut "lire" - le choix des guillemets est délibéré - Jojo ou encore Lanfeust de Troy ? Question piège s'il en est. Il est évident que l'éveil d'un enfant est du domaine personnel et dépend parfois de l'éducation que reçoit cette chère petite tête blonde. Tellement de choses changent en eux, et souvent en si peu de temps. "Qu'est-ce qu'il grandit vite ? Il marche déjà ? Alors, il a le bac ?" J'en passe et pas des moindres…

Autre paramètre à mettre en ligne de compte : "le vécu mosaïque". J'entends par là que les enfants d'aujourd'hui ont des attentes et des domaines de prédilection qui sont parfois diamétralement différents de nos aïeux ou même de leurs propres parents. Hé oui ! Les voyages, la télévision, Internet, …Tout cela forge aussi une identité, une personnalité et un bagage que nous-mêmes n'avions certainement pas à leur âge. Faut faire avec. Chaque enfant retire ce qui l'intéresse et jette le reste. Un ensemble de savoir, une somme de connaissances. Autrement dit : un infranchissable océan de "vécu mosaïque" sépare Les Schtroumpfs de Kid Paddle ?

Dès lors, on comprendra aisément qu'un classement n'est vraiment pas chose facile. Dieu sait que certaines maisons d'édition expérimentent. Peut-on dire pour autant que la collection "standard" de chez Dupuis s'adresse principalement aux enfants ? Et qu'en est-il de Delcourt Jeunesse ? Des tâtonnements, des essais, des débuts. Actuellement, un enfant d'environ 7 ans est capable de jongler avec la langue de La Fontaine et ce, avec plus ou moins de talent. Sait-il pour autant jongler avec le langage de Franquin ? Les codes de la bande dessinée ne sont pas ceux de la poésie, encore moins du langage parlé usuel - même si on trouve quelques similitudes entre les genres. Scott Mc Cloud nous le prouve avec talent dans son "Art Invisible", chez Vertige Graphic. Que de paramètres, que de paramètres…

Il est convenu maintenant que la bande dessinée est un mariage, parfois judicieux, parfois désastreux, entre le dessin et le texte. Parlons-en du texte ! Ou plus particulièrement des messages, des sentiments qui sont véhiculés dans ce support. Peut-on s'adresser aux enfants sans être second degré, référentiel voire vulgaire ? Qu'en est-il de la construction du récit ? Hop hop hop, je m'emporte. Prenons les choses une par une.

Comme dit précédemment, les messages et les sentiments que nos enfants attendent aujourd'hui ne sont pas (ou plus) ceux que nous, adultes, attendions à leur âge. Exemple horriblement banal, les divorces. Un autre : la violence à l'école. Sans parler de la sexualité ou de l'incontournable incompréhension parentale. Peut-être étions-nous confrontés aux mêmes problèmes, mais nous ne pouvions les exprimer de façon aussi libérale. Si l'aventure est toujours primordiale, elle ne se suffit plus à elle-même. Les tribulations de Johan & Pirlouit ont laissé la place à Henriette et ses questions existentielles, Astérix à Lanfeust de Troy. Même si, aujourd'hui encore, j'imagine mal Falbala en "soutif et string" ; la bande à Tarquin a reçu le prix enfants à Angoulême. Ce n'est pas rien non plus ! Par contre le cas du Petit Spirou suit une autre route. Celle des adultes libidineux. Le voyeurisme y prend une part de plus en plus importante. Vulgaire ? Vous avez dit vulgaire ? Disons simplement que le public cible n'est pas celui qu'on croit. A ne pas mettre entre toutes les mains…

Des constantes s'échappent tout de même en ce qui concerne la bande dessinée enfantine. Tout d'abord, la construction du récit. Linéaire est le qualificatif, l'histoire est linéaire. Une quête que le protagoniste se doit de remplir. Le héros, confronté à un problème, se doit de trouver la solution afin de repartir vers de nouvelles aventures. Que cette quête se déroule avec comme toile de fond le réalisme ou qu'elle soit baignée de merveilleux - tous les genres sont représentés - cette dernière n'interfère nullement dans la linéarité scénaristique. Ceci n'interdisant nullement les multiples rebondissements.

Autre similitude, la pagination. Les histoires se présentent sous forme de one-shot, voire de courts récits. Toto l'ornithorynque est un récit de 32 pages. Les Zorilles suit le gag en une seule page. Une page, une histoire (délibérément je fais l'impasse sur le strip, propre à une culture plutôt anglo-saxonne ou américaine). Mais si la narration de Toto semble d'un même tenant, le découpage talentueux de nos deux auteurs permet toujours à l'enfant de s'arrêter en cours de lecture. Entre ces deux impératifs se logent tout naturellement de courts récits de deux ou trois pages. Ce sera le cas de Sardine de l'espace. Le temps d'attention que porte un gamin est bien moindre qu'un adulte. Il faut savoir favoriser ces "arrêts de lecture". Apparemment, c'est chose acquise pour beaucoup d'éditeurs.

Le graphisme, quant à lui, est plutôt libre. Il est clair que la couleur se taille la part du lion. Mais on trouvera tantôt un dessin réaliste, tantôt schématique. Le crayon versus l'acrylique. N'épiloguons pas sur le sujet, tout n'est qu'affaire de goût et suit la courbe de la subjectivité la plus totale. C'est le "j'aime ou j'aime pas" qui prévaut.

Maintenant, si on peut entrevoir un essai de classification en ce qui concerne la question : A partir de quel moment mon bout de chou peut-il lire cette bande dessinée ? Il n'en est certainement pas de même pour la question : Est-il normal qu'à 35 ans, il lisent toujours l'Elève Ducobu ? Soit il est professeur, soit nostalgique de ses années scolaires. Quoi qu'il en soit, la question reste posée. A quel moment une bande dessinée enfant est-elle abandonnée pour laisser la part adolescente de notre toujours chère tête moins blonde s'exprimer ?

La seule réponse que j'aperçois, c'est qu'il n'y a pas de bande dessinée pour adolescent. Cette catégorie n'a pas d'existence réelle. Tout d'abord, je vous rappelle qu'on "déteste ses parents". Ensuite, on a l'art de se remettre en question pour tout et surtout en ce qui nous concerne. Cela va du "je-suis-certain-que-c'est-pas-mes-parents" au "comprennent-que-dalle". Dès lors, la réaction - je devrais dire contre-réaction - naît. "Je vais puiser dans Manara, Serpieri, Liberatore et autres récits tout aussi bucoliques afin de me démarquer et de montrer ainsi ma personnalité. Qu'ils viennent seulement m'interdire cette "saine" lecture". J'y vais un peu fort me direz-vous ? Et vous avez sans doute raison. Si le passage n'est certes pas obligé, il m'est difficile de nier son existence. Se promener en rue avec un bon Ranx sous le bras, ça en jette. Heureusement, un passage plus "politiquement correct" se traduirait par Thorgal, Hans ou encore, par un large éventail du catalogue Delcourt. Pas commode de chercher à classer par états d'âmes, surtout s'ils sont sans cesse changeants. Non, franchement, une bande dessinée pour ados, c'est une réelle sinécure. La marge est trop grande, trop indécise. Il ne faut pas croire pour autant que le lecteur passe directement de la bande dessinée jeunesse à celle pour adulte. Tout n'est qu'affaire privée, qu'envie instantanée. Faut-il pour autant se limiter à la célèbre phrase lombardienne "de 7 à 77 ans" ? D'un point de vue purement sémantique, elle est des plus large et regroupe sans conteste une quantité importante du lectorat. Locution devenue quelque peu désuète, elle n'en est pas moins pertinente et met l'accent sur un problème qui reste d'actualité. Si vous avez une réponse…

 

Par Dimitri F.

Images Copyrights © Geerts - Editions Dupuis 2001
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