L'exécution (Dethorey)


L'Exécution
Jean-Paul Dethorey


Petit résumé :

1870. Elève des Beaux-Arts en Avignon, Antoine monte à Paris pour se placer sous la protection d'Emile Renier, son oncle.
Mais ce peintre reconnu et apprécié de toute la bourgeoisie d'Empire cache un lourd secret et vit dans la crainte d'être découvert.
Au début insouciant, le jeune homme s'affirme peu à peu et découvre la vie, l'amour et la fièvre de l'art, ignorant que la faute de son oncle ne va pas tarder à le rattraper.
Tandis que les Prussiens encerclent Paris, le peuple gronde, prêt à laisser éclater sa colère.... et à proclamer la Commune.

Interview de Dethorey :

Cet album présente une galerie de personnages enflammés.
En schématisant, on pourrait dire que chaque personnage de L'Exécution représente une partie de la société qui va s'affronter ou se retrouver au moment de la Commune : le bourgeois, l'artiste, le révolutionnaire, la fille du peuple, l'idéaliste...

Antoine est le jeune provincial, orphelin, qui monte à la capitale avec de grandes ambitions de peintre. J'ai essayé de retrouver mes dix-sept ans et de me mettre à sa place.
En fait, à son arrivée à Paris, il n'est pas grand chose, il manque encore de confiance en lui. C'est au cours du récit qu'il acquerra sa maturité, après avoir été un moment sous la coupe de son ami Simovitch.
On pourrait faire un parallèle entre son destin et celui de la Commune.
S'il croit un moment s'être libéré du joug de son oncle, l'artiste bourgeois, c'est pour mieux être écrasé par le système, comme le peuple qui a cru à sa victoire avant de se faire massacrer.

Emile, son oncle, représente toute la bourgeoisie d'Empire. Il est le symbole des peintres pompiers et, de façon plus générale, des artistes cajolés par le pouvoir, aux carnets de commande toujours remplis, au grand train de vie.
C'est un peintre officiel, non-dénué de talent, mais totalement prisonnier de cette peinture faussement réaliste, faussement allégorique, faussement mythologique, qui sacrifiait au culte de la Grèce antique.
Tout l'intérêt du personnage et son ressort dramatique résident dans le crime qu'il a commis en temps de guerre, et pour lequel il n'a pas été inquiété grâce à sa condition sociale.

Simovitch, à l'opposé, est l'artiste rebelle. Il est de ceux qui vont déclencher cette révolution artistique qu'on appellera l'impressionnisme.
Parisien, amoureux de la capitale et de ses milieux interlopes, on le sent plus mûr, plus dégourdi qu'Antoine, plus ambitieux aussi.

Momo, lui, représente l'engagé politique. Bruant ou Ferré avant l'heure, il est le chanteur de rue pamphlétaire, une sorte d'intellectuel qui a déjà connu bien des révoltes et toujours prêt à reprendre l'étendard.

Léopoldine est la cocotte dans toute sa splendeur. Femme entretenue, mariée à un homme riche et puissant, opiomane par désoeuvrement - la drogue circulait très librement dans son milieu -, elle collectionne les tableaux comme passe-temps et entretient toute une cour de peintres.

Jeanne, enfin, est la fille du peuple qui ne veut pas rester une simple lessiveuse et qui garde foi en l'avenir.
Grâce à Antoine et à Simovitch, elle s'élèvera et verra la Commune comme une formidable aventure vers l'espoir.

La petite histoire comme la grande rattraperont ces personnages et changeront leur destinée.


Pour en finir avec l'hypocrisie artistique du XIXème siècle.

Cette histoire est née de ma grande passion pour la peinture et de mon regret d'avoir dû abandonner ce métier, faute de temps, pour me consacrer entièrement à la bande dessinée. J'ai essayé de lier cette passion à mon intérêt pour l'histoire et la sociologie, le destin des hommes et des sociétés.

Une suite d'anecdotes authentiques m'ont servi de point de départ, dont celle de Chabbas qui aimait peindre des jeunes filles nues se baignant dans des rivières.
Comme dans L'Exécution, sa femme faisait le guet, armée d'un sifflet. Mais le danger était venu du fleuve. Un petit matin, des pêcheurs qui remontaient le courant les avaient surpris en train d'organiser une ronde de naïades dénudées.

De façon plus générale, j'ai aussi voulu illustrer toute l'hypocrisie de la morale du XIXème siècle. L'érotisme et la sexualité passaient par le filtre des symboles de l'amour et du devoir.
Le tableau mis en cause dans l'album existe vraiment !
Elève d'un peintre assez connu, Jean Bertholle, j'avais découvert dans sa documentation des toiles incroyables signées de peintres pompiers, dont une intitulée précisément « L'Amour et le Devoir », et sur laquelle une jeune femme était représentée dans une position plus qu'équivoque.

Plus largement, j'ai également souhaité évoquer la situation de l'art dans son contexte politique et sociologique. L'Exécution évoque l'éclosion de l'impressionisme grâce à la Commune, tout comme le surréalisme est né de la tragédie de 14-18.
Tous les deux expriment un mouvement de révolte contre le rationalisme.
Il est intéressant de noter que, dans le cadre de la Commune, la révolution a été beaucoup plus plasticienne qu'intellectuelle.
Ce sont les artistes et les artisans qui se sont battus contre la tutelle du pouvoir sur l'art, pour une expression libre face aux pressions et à la censure.
La plupart des intellectuels, y compris des gens aussi engagés que Théophile Gautier et George Sand, étaient contre la Commune, qu'ils considéraient comme une utopie, un mouvement beaucoup trop en avance sur son temps. L'Histoire leur donnera raison. Mais je tenais à montrer qu'un mouvement révolutionnaire peut être porteur de grandes choses pour l'art.

La Commune : une page violente, dramatique et méconnue de l'histoire de France.

L'autre moteur pour cette histoire a été ma fascination pour la Commune, un épisode tragique et méconnu de l'histoire de France. C'est une période courte mais forte, durant laquelle les gens se sont soulevés et battus pour un idéal.
Malgré son échec, et sa conséquence indirecte, la première guerre mondiale, cette espérance fantastique mènera bien plus tard au Front populaire.

Avant d'écrire L'Exécution, je n'avais que de vagues notions de ce morceau d'histoire, peu, voire jamais abordé en bande dessinée.
Depuis, j'ai lu beaucoup d'ouvrages de référence, dont la passionnante « Histoire de la Commune de Paris », de Lissagaray, qui a personnellement vécu tous ces événements.
Je me suis aussi basé sur les travaux dessinés de Bertall, rédacteur en chef du Petit Journal, qui se trouve être l'arrière grand-père de ma femme. C'était l'époque des dessins et des gravures façon Granville, et son livre « Les Communeux » s'est révélé comme une vraie mine.

J'avoue avoir beaucoup souffert au moment de l'écriture? C'avait déjà été le cas pour l'Oiseau Noir, une histoire basée sur mes propres souvenirs d'enfance. J'avais donc demandé à Serge Le Tendre de m'aider.
Cette fois, j'ai travaillé seule et sans filet, même si j'ai beaucoup tâtonné. Mon principal problème était d'intégrer de façon cohérente tous les éléments qui devaient composer mon récit : une histoire de famille, une histoire d'amitié, une histoire politique, une histoire artistique, trois histoires d'amour....
Si le cadre ou le contexte peuvent faire penser à Zola, que j'ai lu il y a longtemps, je ne me suis absolument pas inspiré de ses romans ni de ceux d'aucun autre écrivain. Le plus difficile a été de réduire et de concentrer les événements en les articulant pour ne jamais m'éloigner du fil conducteur du récit.

De plus, et sans vouloir paraître prétentieux, je crois qu'un auteur règle toujours ses comptes, consciemment ou pas, au moment de l'écriture. C'est une façon d'affronter des problèmes psychologiques, principalement par rapport aux parents. C'est très freudien, mais dans mon cas, je me suis aperçu, après coup, que j'avais fait beaucoup de références indirectes à mon père dans cet album. Ou, de façon plus directe, à une ancienne histoire d'amour : moi aussi j'ai connu une relation triangulaire amour-amitié, comme dans le film de Truffaut, Jules et Jim.
Il m'a semblé naturel d'en nourrir l'histoire.
Cela fait partie du jeu de la création.

© Dupuis


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