L'Impératrice Rouge : la glace et le sang



L'Impératrice Rouge : Le sang de Saint Bothrace
Nouvelle série de Jean Dufaux et Philippe Adamov
Editions Glénat (sortie : septembre 99)

 

L’impératrice Catherine, reine de toutes les Russies, n’est qu’une étrangère, tout le monde le sait.. Et elle est bien trop fière pour accepter l’idée d’un partage du pouvoir avec son mari, l’empereur Pierre. Entre ces deux époux ennemis, la guerre est déclarée, chacun rivalisant dans la cruauté et cherchant à s’allier des forces présumées indomptables. La lutte qui débute dans les couloirs du palais va bientôt s’étendre sur toutes les steppes, et le conflit entre un homme et une femme engagera la vie de tout un peuple.

Comme un échiquier, Jean Dufaux et Philippe Adamov disposent les pièces de cette formidable bataille et entament les premiers mouvements. La reine prendra-t-elle le roi ? Qui, du fou ou du cavalier, mènera à la victoire ? Une seule chose est sûre : les stratégies des deux adversaires conduiront au sacrifice de nombreux pions...

Un palais impérial où l’or remplace la pierre, où le sacré est représenté par une étoile rouge tombée dans la boue. Des cavaliers cosaques chargent au sabre pour s'emparer d’une ogive nucléaire, et une limousine circule entre des calèches. Où sommes-nous ? Le Moyen Age côtoie le futur dans un mélange des siècles déroutant et fascinant. Mais ce téléscopage du temps n'est-il pas propre à la Russie, ce pays qui a toujours marché à contretemps par rapport au reste du monde et qui, constamment, court dans plusieurs directions opposées ? Philippe Adamov et Jean Dufaux ont parfaitement saisi ce paradoxe pour en faire le décor de leur nouvel album L'Impératrice Rouge. S'agit il d'une BD historique (l'héroïne n'est autre que Catherine II), d'une série de science-fiction ou d'anticipation ? Elle relève à la fois des trois catégories mais s'impose avant tout dans son originalité et sa personnalité.

Interviews de Jean Dufaux et Philippe Adamov

Jean Dufaux : " Adamov avait souvent exploité la chaleur et le sable.
Je lui ai proposé le froid et la glace.."

Comment a eu lieu votre rencontre avec Philippe Adamov ?

Jean Dufaux : C'est Jean Claude Camano, éditeur aux éditions Glénat, qui a eu l'idée d'associer nos deux noms. Et cette rencontre, c'est d'abord celle de deux hommes avant d'être celle de deux styles. Quand je passe une heure au téléphone avec Philippe, nous parlons de la vie pendant cinquante minutes et de travail pendant dix minutes ! Nous avons, lui et moi, une complémentarité dans la sensibilité et dans l'imaginaire. Du coup, tout est très simple et notre collaboration devient évidente, même si elle n'exclut pas une masse considérable de travail.

Au vu des premières planches de Philippe Adamov, on se rend compte à quel point ce décor et cette ambiance lui conviennent. Avez-vous adapté son histoire à son style ?

Jean Dufaux : D'abord, si un scénariste ne fait pas son histoire mais celle d'un autre, elle est ratée ! Mais le travail de scénariste, c'est aussi de constamment visualiser son histoire en s'imprégnant du graphisme du dessinateur. Depuis le moment où je me lève jusqu'à celui où je me couche, je suis imprégné du dessin d'Adamov. Cependant, j'ai effectivement réfléchi à quelque chose qui pourrait nous convenir, à lui comme à moi. Philippe avait souvent exploité la chaleur et le sable ; je lui ai proposé le froid et la glace. Mais comme je l'ai déjà dit, nos affinités sont si fortes que tout cela a fonctionné tout de suite et avec évidence.

Le côté historique de la série coexiste dans votre récit avec des éléments contemporains, voire futuristes. Les deux se téléscopent, se mélangent, au point que nous ne savons pas à quelle époque l'action se déroule, ni si nous nous trouvons dans l'Histoire ou dans un univers de fiction créé de toute pièces.

Jean Dufaux : C'est une démarche tout-à-fait intentionnelle. Je souhaitais que le lecteur perde très vite ses repères, qu'il ne sache pas se situer dans le temps, qu'il ne puisse pas se référer à une époque précise. C'est la force de l'imaginaire, cette possibilité de se faire téléscoper les temps comme les paysages et les territoires. Ce téléscopage des temps doit normallement brouiller le système logique du lecteur qui se retrouve, si tout se passe bien, à la merci totale du récit. Le seul fil rouge dont il dispose pour s'en sortir dans l'Impératrice Rouge, c'est le récit lui-même : il ne peut s'appuyer sur d'autres repères, car toutes les cartes sont brouillées.

Quels sont les points communs entre la période de Catherine II et la situation actuelle de la Russie ?

Jean Dufaux : A l'époque de Catherine II, le pays baignait dans une très grande composante mystique. Or, on assiste actuellement au retour du mysticisme en Russie : des collectes énormes sont réalisées pour bâtir de nouvelles églises (Cette présence oppressante de l'Eglise aura une place importante dans la série dès le premier volume). Quant aux luttes pour conquérir le pouvoir, si vous comparez les guerres de clan larvées au Kremlin aux jeux d'influence sous les lambris dorés au temps de Catherine II, vous verrez qu'il n'y a pas tellement de différence. Et puis, il existe un troisième élément commun : le peuple russe, sacrifié hier comme aujourd'hui à l'ambition de quelques-uns. Par sa culture énorme, par la richesse et l'immensité de son territoire (le lac Baïkal représente la surface de toute la Belgique), la Russie est un pays d'or et de sang soumis à la convoitise des ambitieux. Et le peuple a toujours assisté aux luttes de pouvoir avec un sens de la fatalité qui me fascine. Il a toujours été ainsi et demeure égal à lui-même : il a souffert du système tsariste comme du système bolchévique, et ne parvient pas à trouver ses marques aujourd'hui.

Doit-on voir dans votre série une réflexion politique sur ce pays ?

Jean Dufaux : L'Impératrice Rouge constitue plutôt une réflexion sur deux sujets qui m'ont toujours beaucoup intéressé : le pouvoir, et la folie de ceux qui le pratiquent. Dans ce domaine, la Russie a apporté à l'Histoire un sujet d'étude inépuisable, tant dans les siècles passés (pensez à Ivan le Terrible ou à la Grande Catherine) que dans celui qui se termine (bolchévisme, stalinisme). Même si le pays se démembre aujourd'hui complètement, les jeux de pouvoir et la folie de ses dirigeants sont plus que jamais flagrants.

A la vue de ces affirmations, comment devons-nous considérer L'Impératrice Rouge ? S'agit-il d'une série d'anticipation ? de science-fiction ? ou bien d'une série historique ?

Jean Dufaux : Je la définirai plutôt comme une série personnelle, car elle n'est pas susceptible de supporter la moindre étiquette. Elle participe à la fois du récit historique dissimulé et de l'aventure de science-fiction truquée. J'ai voulu condenser dans cette série trois siècles d'histoire russe : traiter la Russie actuelle par le prisme du passé, et le passé par le prisme actuel. J'ai choisi ce personnage de Catherine II à cause de son destin fabuleux et aussi parce que, dans sa démarche d'ascension vers le pouvoir, je vois une projection du passé dans ce que vit la Russie actuellement.

Suite Interview Adamov

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