Interview de Bernard Cosey (suite)



C'est de la modestie, ça.

Bernard Cosey : Non, ce n'est pas de la modestie. Non justement, je vais rééquilibrer ce que je viens de dire. D'un point de vue sentiments, Cécile ne me touche pas particulièrement, au contraire.

Elle est plus plastique.

Bernard Cosey : Elle est superbe. Elle est très belle, elle a beaucoup de charme. Mais je n'en suis pas vraiment tombé amoureux comme je suis tombé amoureux de Pandora dans la Ballade de la Mer Salée ou de Changaï-Lï dans Corto en Sibérie ou de à peu près tous les personnages féminins de Jean-Claude Denis, par exemple dans Le Pélican ou dans L'Ombre au Tableau, Le Nain Jaune. Je le lui ai dit, d'ailleurs. Je lui ai dit « T'es un beau salaud. »

Pourtant ses femmes ne sont pas belles, en général, les femmes de Jean-Claude Denis.

Bernard Cosey : Elles sont belles sans être parfaites.

Esthétiquement elles ne sont pas parfaites.

Bernard Cosey : Oui, eh bien moi j'en tombe amoureux, chaque fois qu'il dessine une femme. Alors si on fait les comparaisons, évidemment Cécile est beaucoup plus belle. Ce sont des choix, tout est possible.

Les femmes en BD, c'est quelque chose d'important ?

Bernard Cosey : Pas seulement en BD !

Bien entendu. Mais il n'y en a pas tant que ça, des héroïnes donc...

Bernard Cosey : Mais c'est vrai qu'il y a tellement peu d'auteurs femmes. Il y a presque que des auteurs hommes. Ca veut dire qu'il y a un problème avec les personnages féminins parce que ce sont toujours nos projections qu'on raconte. Alors les auteurs féminins… Les plus célèbres sont des humoristes : Brétécher, Cestac, je suis sûr que j'en oublié plein... Il y a Annie Goetzinger.. J'aime beaucoup Chantal Montellier, ça je trouve superbe comme dessins et comme ambiance, c'est très fort. Brétecher comme Cestac, c'est bien sûr très intéressant mais il y a un regard cynique, satirique, qui fait qu'on ne sait pas vraiment ce qui se trouve derrière cet humour. D'une manière générale, il y a un manque de personnages féminins.

Vous n'avez pas envie d'avoir un autre personnage récurrent, …et qui pourrait être une femme, par exemple ?

Bernard Cosey : Récurent ? C'est-à-dire...

Lancer une nouvelle série.

Bernard Cosey : Non, je me sens quand même plus à l'aise dans le « one-shot », qui permet de tout dire en une fois, donc c'est un challenge, c'est un pari, parce qu'on aura pas de deuxième chance, contrairement à la série où le prochain album sera peut-être mieux. Mais en même temps, ça ne convient pas du tout à ce que je cherche à faire parce que je ne suis pas intéressé à raconter des histoires de « héros ». Or la série, c'est fait pour les héros, qui, à chaque album, risquent leur vie,.. ce qui est très bien, moi j'aime bien lire ça. Mais enfin j'ai rien à dire en tant qu'auteur là.

Ce n'est quand même pas la définition de Jonathan. Il n'était pas ça.

Bernard Cosey : Absolument. Il est à cheval. C'est pour ça que c'est difficile. C'est pour ça que j'ai arrêté dix ans. Il est vraiment à cheval entre le héros et le personnage de one-shot.

En fait, il assiste beaucoup à des choses tout en étant en partie acteur.

Bernard Cosey : Oui. Ca, c'est son problème. C'est le problème que j'ai avec lui, c'est que ce n'est pas un héros. Donc, comment raconter une treizième ou une quatorzième histoire ? Que ce soit en littérature ou au cinéma, lorsqu'on parle d'un personnage, en principe tout est dit, on a un récit. Ca peut être en 60 pages ou en 600 mais on ne va pas faire 15 bouquins sur ce même personnage. Et j'ai un peu la même façon de concevoir mes personnages. Donc Jonathan... spécial !

C'est un peu un OVNI ?

Bernard Cosey : L'OVNI, c'est dans Zeke. C'est un personnage qui est un petit peu à cheval entre deux catégories, entre deux chaises.

Vous avez commencé par mettre beaucoup de vous dans vos BD. Est-ce qu'aujourd'hui vous avez l'impression de mettre toujours autant ?

Bernard Cosey : Toujours autant mais d'une façon plus subtile, moins directe, moins « premier degré ».

Pour vous protéger ?

Bernard Cosey : Non mais pour me sentir plus libre de raconter ce que j'ai envie de raconter à propos de mes personnages parce que, lorsque j'ai créé Jonathan, je lui ai donné des caractéristiques physiques qui sont comparables aux miennes, du style même genre de cheveux, même genre d'yeux, mais c'est tout, ce n'est pas un autoportrait. Mais n'empêche que le lecteur l'a souvent pris comme un autoportrait avec l'éternelle question : est-ce autobiographique ?

…Que je ne vous poserai pas.

Bernard Cosey : J'y répondrai quand même (rire)...Donc ça devient un peu lourd parce que si par hasard... il y a un aspect presque de supercherie…. j'ai l'impression de me vanter. J'ai fait ci, j'ai fait ça… alors que ce n'est pas du tout le but. C'est un peu crispant. Donc ce n'est pas une autobiographie au premier degré, dans le sens que je n'ai pas vécu ce qu'il a vécu mais, oui, je parle de moi dans tous mes personnages, comme tout le monde, et c'est peut-être plus évident.

Il y a une chose qui reste aussi de cette période-là, c'est la mise en page, qui était particulièrement différente de ce qu'on pouvait voir à ce moment-là, vraiment le traitement graphique des cases elles-mêmes mises en une seule planche qui elle-même était une oeuvre d'art, un dessin. Et puis il y avait ce qu'on pourrait appeler les B.O.. Vous n'étiez pas le seul à le faire, mais c'était une spécialité chez vous. C'est quelque chose qui a pris quelle importance à l'époque dans votre vie ?

Bernard Cosey : Ah c'était très important.

Cette musique qui était associée apparemment à la création, pas tellement à l'histoire, mais à la création.

Bernard Cosey : A la création, tout à fait. Et je continuerai à le faire pour les Jonathan. Je ne vais pas le systématiser pour tout ce que je fais. C'est vraiment comme ça que je travaille, en écoutant - pour le scénario - certaines musiques d'une façon un peu répétitive et je trouvais marrant de communiquer ça au lecteur. Pour l'anecdote, j'avais essayé avec un ami de faire - c'était en 1976 - des mouvements de caméra, donc pas du dessin animé, de faire seulement des mouvements de caméra sur les images avec une bande son, parce que je pensais - je pense toujours - que ce qui manque le plus à la bande dessinée, c'est pas tellement le mouvement, mais la musique. Enfin il me semblait qu'il y avait quelque chose à faire. Puis on a fait une espèce de petite maquette dans laquelle il y avait Mike Oldfield, Pink Floyd, c'était ces années-là. C'était avant même que l'album ne soit édité. Au moment de l'édition en album,… Je trouvais marrant de communiquer ça aux lecteurs.

Vous avez eu des retours, des avis de lecteurs disant « J'ai découvert telle musique grâce à vous » ?

Bernard Cosey : Oui, oui. Absolument.

C'est un plaisir, ça, pour vous ?

Bernard Cosey : Oui, oui, c'est très sympa. Ca a un côté marrant. Et puis d'autres qui m'ont même envoyé des titres en disant « Ecoutez ça, il faut mettre ça pour le prochain Jonathan. » J'ai rencontré Mike Oldfield, que j'avais cité deux ou trois fois au dos des albums. Je lui ai offert les albums, bien sûr, dédicacés et puis je lui ai demandé de mettre deux de ses disques à écouter en lisant les albums de Jonathan. Mais...

Il ne l'a pas fait ?

Bernard Cosey : Non.

C'est une grande période quand même. Une période qui était d'une totale liberté. On parlait justement à l'instant de vos planches qui étaient quand même particulièrement différentes de ce qu'on voyait dans Tintin ; vous pouviez tout faire ?

Bernard Cosey : Oui, il n'y a jamais eu de censure.

De l'autocensure ?

Bernard Cosey : Non, pas d'autocensure par rapport au public. Au début, j'avais des conseils de l'éditeur, du style « Mets un petit peu plus d'action, fais un peu plus comme cela, ce sera plus commercial. » Honnêtement, je n'ai pas écouté ses conseils parce que ça ne me paraissait pas intéressant. Et puis quand Tintin a commencé à marcher, alors l'éditeur a dit « Surtout ne change rien. » Puis je me suis empressé de changer, ou presque. Je ne crois pas à cette espèce de politique qui fait que, si on lui obéit, il n'y aura jamais rien de nouveau. On va tous faire de l'Astérix, on va tous faire du Schtroumpf. Je ne suis pas en train de critiquer Astérix et les Schtroumpfs, ils sont supers, mais il faut apporter du nouveau. Si on avait pensé comme ça, Uderzo et Goscinny seraient restés sur Oumpah Pah, qui se vendait bien, ce n'était pas un échec. Donc il faut faire ce qu'on a envie de faire.

OK, merci.

Bernard Cosey : Merci.

Images Copyrights © Bernard Cosey - Editions Le Lombard
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