Interview de Guarnido et Canales : le phénomène Blacksad (suite)



Revenons au scénario. Puisque vous avez lu mon billet, vous savez que j'ai effectivement été un peu dur avec le scénario.. Jouons carte sur table. C'est vrai que ce qui frappe au premier abord, et c'est une chose que tout le monde relève : c'est le dessin qui est effectivement assez spectaculaire. Par contre, au niveau du scénario, vous avez voulu faire quelque chose de très classique, de très référentiel par rapport à ce que vous aimiez dans la littérature et dans le cinéma. Vous pensez que c'est le scénario qu'il fallait faire sur "Blacksad", que c'était ça qui convenait ; de coller à cette ambiance-là ?

Canales : Une BD, c'est déjà quelque chose de très condensé (46 ou 50 planches). Le nombre de planches conditionne le type de mise en scène qu'on voulait faire, plus cinématographique, plus spectaculaire et qui pouvait nous permettre également de faire des planches avec une seule case à fond perdu. Ca nous conditionnait dans une certaine mesure à faire une trame qui ne devait pas être trop compliquée et qui soit bien plongée dans le genre du roman noir, donc bourrée de clichés. Dès le départ, il nous a semblé que le mélange entre les fables - quelque chose de très ancien et de traditionnel - et le cinéma ou le roman noir - davantage de notre temps, du 20ème siècle et plus moderne - était déjà un mélange assez intéressant et spectaculaire pour un premier album.

Guarnido : J'ajouterais que je conçois aussi cette vision du premier album comme une présentation et une mise en place des personnages qu'on va retrouver au fur et à mesure dans la série.

Canales: On est très satisfait aussi dans le sens où l'album marche en tant que galerie de personnages et présentation d'un univers que beaucoup de gens nous ont dit adorer, notamment dans le forum du site. D'après eux, les auteurs sont arrivés à les faire entrer "tête en avant" dans leur univers et ça, ce n'est déjà pas facile. Je pense modestement qu'écrire une histoire classique n'est pas si facile qu'on veut le dire ou qu'on ne pourrait le penser.

Connaissez-vous Canardo tous les deux ? Qu'est-ce qui vous différencie de Canardo ? Moi, je pourrais répondre mais je préfère que ce soit vous qui le disiez.

Canales : Ce que je connais de Canardo, en Espagne, ce sont des histoires courtes. Je ne connais pas assez bien.

Guarnido : J'ai lu quelques albums de Canardo, ce sont des histories plus longues. Je ne pense pas que ce soit la même approche, ni au niveau du récit comme Juan, ni au niveau de l'approche et de l'usage du langage de la bande dessinée. Ce n'est pas non plus la même approche du polar, ni de l'animalier ni même du dessin. La comparaison avec Canardo s'arrête au fait que ce soit un polar animalier. Mais finalement, c'est très différent. En fait, je n'ai découvert Canardo qu'il y a peu de temps.. Je pense que, volontairement ou involontairement, le fait d'avoir un dessin si réaliste, ajoute encore des codes malsains à l'histoire, parce que voir des animaux qui s'éclatent la tête etc, c'est trop réaliste… Il y a un côté malsain un peu fort poussé.

Canales : La différence principale relève peut-être du fait que l'univers de Canardo comporte des touches surréalistes. Il y a des éléments fantastiques…

Raspoutine par exemple..

Guarnido : Oui, totalement… Raspoutine avec les animaux et toute cette mystique des US, etc... Blacksad, c'est tout le contraire, c'est une approche risquée dans l'animalier mais très réaliste, très documentée, avec une époque très précise, un lien très précis aussi avec les endroits où cela se passe…

Est-ce qu'on vous a déjà parlé de Bilal ? Il y a des personnages qui font penser à la trilogie Nikopol. On vous a déjà parlé de ça ?

Guarnido : Oui, j'ai lu ça quelque part… On disait :"On pense à Canardo et puis on pense aux animaux de Bilal". La foire aux Immortels est un de mes livres de chevet. Ce n'est pas une initiative animalière de la part de Bilal ; c'est la récupération de la pure mythologie égyptienne ; travaillée avec un humour et une utilisation fabuleuse, une intégration décalée dans ce milieu de la science-fiction qui est absolument crapuleux. C'est un des rares récits qui allient et mélangent autant de sources différentes tout en donnant un résultat final aussi réussi.

Si je vous pose la question, c'est parce que je me dis que c'est peut-être vers là que vous iriez un jour. Pensez-vous rester dans le polar noir pendant des années ou aurez-vous un jour envie de créer des univers qui soient vraiment des univers hors références, avec vos propres codes, quitte à rester dans un faciès animalier ?

Guarnido : Pour Blacksad, c'est clair qu'on va continuer dans la même veine puisque c'est parti comme ça. On y ajoutera peut-être d'autres ambiances qui pourront surprendre.. On essayera en tout cas de ne pas lasser le public et de ne pas nous lasser non plus. Et pour l'avenir… qui sait ? Cela dépendra des disponibilités de chacun. Si on entame d'autres séries, si on fait d'autres choses chacun de son côté.. Juan (Canales) voudrait bien faire une BD dessinée par lui-même. Moi, j'aimerais bien aussi scénariser une BD ou collaborer avec d'autres scénaristes, pourquoi pas ? Mais pour le moment, l'accouchement de Blacksad est tellement éprouvant qu'on se limite à ça et qu'on ne pense pas à autre chose. Je n'envisage pas pour l'instant à un autre projet de bande dessinée. On m'en a proposé mais j'ai dû refuser ; c'est vraiment impossible pour l'instant.

Deux mots du prochain Blacksad. Il y a des ours polaires et puis c'est la continuité…

Guarnido : C'est une autre enquête. Ce n'est pas exactement dans la continuité de la première. C'est une autre enquête de Blacksad qui va le faire bouger.

Canales : On va introduire de nouveaux personnages qui feront sûrement partie de la quadrille qu'on reverra certainement dans d'autres épisodes puisque l'univers et l'entourage de Blacksad va s'enrichir, il va continuer à avoir des contacts…

Guarnido : Dès le départ, Blacksad - et cela se reflète d'ailleurs déjà un peu dans son nom - est un personnage solitaire. Il y a eu cette petite complicité qui s'est établie avec le commissaire dans le premier album, et dans le second, il y aura une autre complicité avec un petit personnage très drôle, que j'aime beaucoup et que j'ai vraiment hâte de commencer à dessiner et puis… et bien voilà, ça va s'enrichir …

Alors un dernier mot. Dargaud est en fait le dernier éditeur qui vous a répondu lorsque vous avez soumis votre projet.

Guarnido : Vous êtes bien renseigné !

Hé, c'est mon métier… Comment vous êtes-vous finalement décidés ? Puisque, si je suis bien renseigné, il y avait au moins 3 éditeurs qui étaient sur le coup, si pas 4... Comment et pourquoi vous êtes-vous décidés pour Dargaud ? On ne va pas dire que c'est parce que c'était eux qui payaient le mieux, ce ne serait pas drôle. Qu'est ce qui vous a motivé d'aller chez eux en dernière minute ?

Guarnido : On avait un bon feeling. Notre interlocuteur chez Dargaud est François Lebescon et le contact passait à merveille dès le début. La négociation a traîné parce qu'il y avait d'autres propositions effectivement, toutes très intéressantes et pour lesquelles nous remercions les éditeurs. On a essayé d'être le plus poli possible pour qu'ils ne se vexent pas quand on a donné notre refus. En général, ils l'ont très mal pris parce qu'ils croyaient que j'étais cynique dans mes lettres alors que j'essayais absolument d'être poli et sincère. Je disais sincèrement : "J'espère vraiment dans l'avenir "bosser" avec vous parce que j'admire votre maison d'édition.. Mais pour le moment, nous avions retenu une autre proposition..." Avec François, on s'entend toujours à merveille… Economiquement, ce n'était pas la proposition la plus intéressante mais on a fait notre choix et on en est ravi. C.: On remercie vraiment beaucoup notre éditeur parce qu'il a parié sur nous et a eu confiance en nous dès le début, alors que nous étions deux auteurs absolument inconnus. C'était un risque pour eux et nous en sommes très reconnaissants.

Nous, on vous remercie de cet entretien mais également de la connaissance que vous avez de BD Paradisio qui semble apparemment encyclopédique…

Interview réalisée par Thierry Bellefroid
Dossier réalisé par Catherine Henry

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