Interview de Cecil : Le Réseau Bombyce (suite)



Combien de temps as-tu travaillé sur l'étude des deux personnages qui, en exagérant un peu, ont un petit côté Laurel et Hardy, l'un est court, l'autre long…. Tu les a sentis tout de suite ou est ce qu'il y a eu beaucoup de tâtonnements et d'hésitations ?

Cécil : Le grand, je l'avais déjà. C'était un personnage qui me suivait depuis pas mal d'années… sauf qu'il avait le nez busqué au lieu d'avoir le nez à la « retroussette »….

C'est le prototype du grand intello sympa ?

Cécil : Un peu naïf quand même. C'est vrai qu'au début -et ça prouve qu'Eric est vraiment partie prenante- pour moi, ce personnage était plus ambigu…. Il pouvait inquiéter Luna… c'est à dire qu'il avait un coté un peu « soupe au lait », plus prononcé que maintenant, il n'a pas du tout ce coté-là dans l'album. Graphiquement, il est venu très simplement avec son précédent et en rencontrant Richard Gering aussi. Quand on connaît un peu Richard.. même lui, quand il avait vu mes croquis préparatoires du personnage, il avait dit a Eric : « Mais c'est moi ! » C'est vrai que le visage de Richard m'a inspiré aussi pour ce personnage… Quant au nain...

Il a un faciès extraordinaire, il n'a pas un faciès de nain, il a un faciès de boxeur.

Cécil : J'avais un très lointain souvenir d'un premier album de Beltran dont je ne me souviens plus du titre, où se trouvait un personnage avec un nez très large… C'est comme ça que le personnage du nain est venu progressivement, je cherchais un personnage avec un nez très large, très écrasé… et je voulais qu'il ait un atout séducteur : c'étaient les yeux. Je voulais qu'il ait de grands yeux bleus… On va le découvrir jeune, on va s'apercevoir que le physique qu'il a s'est détérioré avec l'alcool. On ne le dit pas explicitement mais ce personnage a des choses à oublier. On verra que plus jeune, même avec un physique particulier, il avait quelque chose d'attachant, de charmant…

Il a encore ce côté. Ce qui est bien c'est qu'il n'est pas détestable. Il est quelque part très laid. Il a un physique disgracieux. Et, en même temps, ce n'est pas une bête de cirque. Il a un côté presque sympathique…

Cécil : Je ne l'ai pas voulu monstrueux. En plus, c'est le personnage envers lequel je me sens le plus proche. D'ailleurs, il a tous mes tics (mauvais)… C'est lui qui remplit le « Réseau », l'endroit où il est, où il y a toutes les œuvres, les sculptures… C'est lui qui cumule les bouquins, les objets… Eustache est plus léger, c'est un bricoleur dans l'âme. Mouche est un personnage qui aime l'art, qui est né dans ce milieu - enfin, on va l'apprendre : qui vient de ce milieu - et qui aime le beau. C'est pour ça aussi qu'il est si fragile, et qu'il est lié à l'alcool… Il n'est pas voleur dans l'âme. C'est Eustache qui a été formé comme ça… D'ailleurs, ils sont tellement perdus tout les deux,… ils se rencontrent, ils sont ensembles parce qu'ils sont incapables de communiquer avec qui que ce soit, ils ont le même « mal-être ». Ils ne se sont jamais vraiment dit les choses… On va s'apercevoir qu'Eustache masque son enfance, il ne dit pas vraiment la vérité tout le temps, il y va par étape, il la pose. Même si Mouche est son alter-ego, même s'il se sent proche, il a un vécu qui fait qu'il ne peut pas se dévoiler comme ca. Chacun a sa pudeur. Le nain, lui, ne se dévoilera jamais. Il sera dans sa pensée, on va connaître son passé mais il s'ouvre rarement à Eustache. Et, en plus, il y a Zibeline maintenant, qui vient mettre du sel dans le bouillon et qui va aussi peser et souligner certains aspects des relations qu'il y a entre Eustache et Mouche.

Et qui, elle, t'est venue, physiquement, comment ? Elle a un physique un peu particulier aussi, elle est ni pulpeuse ni plate.. Elle est un peu entre les deux….

Cécil : Je ne voulais pas faire une « super-nana » parce que c'est une prostituée, c'est une femme qui a une vie très dure, qui est représentative d'une condition sociale hyper basse. Déjà, je me suis limité, je ne l'ai pas édentée, je ne l'ai pas trop marquée au niveau du visage… Parce qu'au début, quand j'ai commencé à dessiner ce personnage, elle était très marquée, elle avait des valises en dessous des yeux, la bouche beaucoup entamée… Mais bon, c'est la fiancée d'Eustache. On s'est dit qu'il fallait qu'elle soit un minimum attrayante. Donc, j'ai essayé de taper entre les deux, d'en faire une femme ordinaire. Je voulais quelle soit plus attachante par ces prises de position, ce qu'elle dit, mais qu'elle ne soit pas d'emblée la femme pulpeuse de suite alors que, dans sa journée, c'est quelqu'un qui est usé jusqu'à la corde, dans tous les domaines.

Ces fiches, qui sont vraiment la base de travail des personnages, sont vraiment assez complètes, on dirait…

Cécil : Oui. On va les développer tous au fur et a mesure. On va se rendre compte de ce qu'ils sont. Ce n'est pas leur statut de cambrioleur qu'on veut développer, c'est ce qu'ils sont en tant qu'humains. Et ils vont être confrontés à de tas de choses qui vont les révéler au fur et à mesure. On a envie que les gens aiment les personnages pour ce qu'ils sont et non pas pour ce qu'ils font. C'est la « politique » qu'on a choisie de développer pour la série.

Alors c'est un premier album de série donc le verdict est toujours important… Qu'est ce que tu as comme retour pour l'instant ? Est-ce que tu es satisfait ?

Cécil : Le problème, c'est que je ne suis pas objectif sur mon travail. A priori, les gens ont apprécié… Il y avait des choses sur le plan du déroulement même du scénario du premier tome qui me gênaient un peu, qui n'ont pas eu l'air de gêner le lecteur, ce qui me rassure… A priori, l'album est bien apprécié… Et moi déjà, j'ai du mal à l'ouvrir !

Pourquoi, parce que tu lui trouves tous les défauts du monde ?

Cécil : Et bien, je crois qu'on est tous comme ça, c'est irrémédiable, on ne peut pas y échapper. En plus, comme ça se produit sur une distance assez importante, même moi mes premières pages, j'en avais un souvenir… et au fur et à mesure, on embellit ce dont on se rappelle… et quand j'ai revu ces premières pages, j'étais catastrophé ! Mais bon, on est tous comme ca. C'est pour ca qu'on a toujours du mal à parler de son travail.

Tu as d'autres projets que le réseau Bombyce ou bien, pour l'instant, c'est amplement suffisant pour meubler tes journées et tes nuits ?

Cécil : Oui, ça me prend du temps… J'ai fait de la publicité tout en faisant le « Réseau » mais j'ai d'autres envies, d'autres projets, qui, pour l'instant, ne sont pas assurées ni confirmées mais que j'envisage de faire, à un autre rythme, plus tranquillement… Mais j'attends que cela soit un peu plus concret pour en parler.

Merci

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