Interview de David Chauvel



David Chauvel répond aux questions de Thierry Bellefroid pour BD Paradisio

A part deux albums que j'avoue ne pas avoir lus, toute ta production est chez un seul éditeur et elle est relativement grande. Pas mal d'albums, pas mal de séries aussi. Pourquoi le choix de Delcourt ?

David Chauvel : C'est pas un choix au départ. Guy a été là pratiquement dès le début. Après la sortie de mon premier album, j'ai écrit, cherché, essayé de devenir un scénariste professionnel, j'ai eu du mal. Guy n'était pas toujours très intéressé par ce que je faisais jusqu'au jour où je lui ai amené les six premières pages des "Enragés". Où je pense, et je le dis honnêtement, il s'aperçoit que j'existe en tant que scénariste. On a alors décidé de faire le chemin ensemble, je suis bien chez lui, il est bien avec moi. Alors, pourquoi se compliquer l'existence ?

Beaucoup de scénaristes aussi prolifiques que toi mettent en général leurs œufs dans plusieurs paniers. Toi, tu ne l'as pas souhaité.

David Chauvel : Non, parce que j'avais le souhait de faire des albums qui n'ont pas forcément une légitimité commerciale, c'est à dire des choses avec lesquelles l'éditeur n'est pas assuré qu'il va gagner de l'argent ; il n'est pas assuré d'en perdre mais enfin il est assuré de ne pas en gagner ou bien très peu. Et à partir du moment où ces albums n'ont pas de légitimité commerciale, il est difficile de prendre le rôle de mercenaire, c'est à dire d'aller au plus offrant. D'autres règles du jeu jouent à ce moment là. C'est la règle de la confiance, c'est la règle de l'intérêt "intellectuel" c'est à dire l'éditeur qui veut faire un livre parce qu'il y croit, parce qu'il pense que ce livre il faut le proposer aux gens et pas parce qu'il va en retirer de l'argent. Sachant cela, et uniquement pour ça, - enfin, en grande partie -, comme j'ai vu que Guy m'offrait cette possibilité, je suis resté. Mais il y a des gens qui ne me comprennent pas ! Ils disent que ce n'est pas une stratégie, que c'est pas intelligent parce que je ne joue pas la règle du jeu, c'est la critique principale. Ce à quoi je réponds que moi j'ai envie de faire des choses "populaires" comme "Arthur", mais aussi des livres comme "3 allumettes", et je sais que si je change de stratégie , les "3 allumettes" en question je ne les ferai pas ailleurs.

Justement, tu viens de parler de « 3 allumettes » , c'est l'occasion d'évoquer le fait que tu as mis 6-7 ans minimum avant de faire ton premier one shot .

David Chauvel : Oui, parce que les éditeurs ne favorisent vraiment pas l'écriture du one shot, c'est à dire que les livres sont rentables surtout quand ce sont des séries. Une série de 6 albums commence à se rentabiliser vers le tome 3, la plupart du temps. Ou alors, il faut accepter des conditions difficiles financièrement. Pour moi, pour le dessinateur, c'est souvent pas possible. Bon là, je tombe sur quelqu'un par exemple, Hervé Boivin, qui fait son premier livre, qui est encore étudiant donc qui n'a pas encore une famille à nourrir etc.. On peut se permettre la bohème et on travaille un peu pour l'amour de l'art. Ca donne "3 allumettes". On ne pourra pas faire ça pendant des années.

Mais pourtant ces « one shot », c'était quelque chose que tu caressais déjà depuis longtemps, non ?

David Chauvel : Oui bien sûr. Mais dans l'idéal, la plus grande partie des séries que j'ai faites à ce jour, c'est à dire des choses comme "Rails", « Les enragés », « Black Mary »... Ce sont des histoires complètes, saucissonnées plus ou moins adroitement en trois ou quatre morceaux. "Nuit noire" par exemple, je l'avais écrit comme un one shot mais je n'ai pas pu le publier comme tel. Enfin, il y a eu un essai chez Vents d'Ouest, ça ne s'est pas bien passé. Guy Delcourt est venu récupérer l'affaire mais il ne nous a pas offert cette possibilité. Il n'y avait pas de collection « Encrage », donc, il nous a fait faire trois tomes mais c'était une hérésie. Donc pour moi, la plupart de ces séries-là c'étaient des one shot qui ont été coupés en morceaux. Ceci étant, je pense qu'il faut dépasser ça parce que c'est mon métier d'écrire de la bd, il faut que j'en accepte les contraintes. La contrainte, c'est la série, le 46 pages, donc à moi de repenser les projets que j'ai développés de façon à ce qu'ils s'inscrivent dans cette logique-là. Aller à contre-courant, de toute façon, c'est un combat perdu.

Mais si je reprends par exemple "Ce qui est à nous", tu as l'ambition de ne pas faire dans les 5-6 tomes, mais au moins 10 ! Et à ce moment-là, de jouer pleinement le jeu de la série.

David Chauvel : Pas dix, vingt ! C'est une série à épisodes , c'est à dire que l'ambition - et ce n'est pas facile - c'est de former un tout et de faire des albums qui soient lisibles séparément. Chaque album raconte une petite histoire, je dis petite parce que les albums font 32 pages. C'est pour ça que nous avons proposé ce système là à Guy. On a proposé cette pagination parce que on s'est dit : la série est longue, on ne veut pas lasser les gens. Donc, on veut faire 32 pages par livre et comme Le Saëc a une bonne capacité de production on va en faire deux par an, ça va tomber plus régulièrement. Je pense que c'est plus digeste. En plus de cela, la série est découpée en cycles a priori de six tomes dont chacun, je pense, sera compilé en un recueil. A mon avis, quelqu'un pourra prendre le tome 12, le lire et se dire "tiens j'ai lu une histoire". Une histoire dont, peut être, il ne possèdera pas toutes les subtilités.

Alors, tu es très éclectique dans tes choix de thèmes, de thématiques, mais il y a des choses qu'on retrouve d'un album à l'autre. Sauf, peut-être, un projet qui est tout à fait à part, Arthur ; on va en reparler après. Mais donc, il y a une presque constante, c'est le road-movie. C'est vraiment quelque chose que tu adores, l'histoire de personnages qui sont soit en fuite soit en recherche de quelque chose et qu'on suit de très près, avec une caméra assez proche.

David Chauvel : En fait c'est inconscient, la plupart des gens qui viennent me voir et qui arrivent a dégager des thèmes récurrents dans ce que je fais, je les regarde toujours avec des grands yeux parce que moi je n'ai pas du tout cette réflexion sur mon travail, j'ai du mal à le voir comme un tout. Ils ont souvent raison, c'est juste, en général, et ce que tu me dis est juste. Il y a quelqu'un qui me disait hier que ça parlait souvent de dérapages. On prend une situation et puis ziiiiiiiiiiiiiiiP, ça part complètement, tout dérape et à partir de là, les choses s'enchaînent . Je crois que ça doit être mon mode de fonctionnement inconscient d'une histoire, c'est à dire que je dois penser quelque part que l'histoire devient intéressante au moment où elle dérape. Comme dans le road-movie -"Les enragés", ou "Nuit noire"- où tout commence normalement, on se lève un matin et puis tout « part en couille ». Et puis il y a "3 allumettes", c'est vrai que ça a un côté systématique. Faut peut-être que je réfléchisse un peu à tout ça. Mais du moment qu'on a pas l'impression de revoir les mêmes choses… C'est vrai que "Station Debout" s'inscrit aussi dans ce domaine là.

Et "Le poisson clown"....

David Chauvel : Oui, mais là ; c'est plus lent, quand même. Je le classerais un petit peu à part... Ca dérape parce que forcément une histoire de braquage qui se passe bien, c'est, ma foi, tout à fait inintéressant ! Donc, forcément, ça dérape. Mais dans ce registre là, c'est vrai que « Station debout », c'est une histoire de dérapage total.

La grosse différence entre les deux albums qui sont assez proches dans l'idée -il y a un braquage dans les deux-, c'est que l'un est un one shot et l'autre une série. Donc, forcément, on a pas le même type de rapport aux personnages. Dans le poisson-clown, tu te sers du braquage foireux pour explorer les personnages sur un mode mi humour , mi sérieux... et dans l'autre, ça vire au tragique, c'est le polar noir. Tu aimes explorer des univers différents ou des choses différentes à partir d'une thématique presque semblable ?

David Chauvel : C'est pas conscient, ce sont des choses qui se font avec une certaine longueur dans le temps. C'est pas un plan de guerre pré établi. « Station debout » est sorti pour Angoulême 2000, je l'ai écrit 4 ans avant. Ça, les gens qui le lisent ne le savent pas -à la limite ils s'en foutent. Mais pour moi, c'est une réalité. A ce moment-là, je n'avais pas encore commencé "Le poisson clown". Par contre, pour de ce qui est des différences de ton, ça vient tout simplement d'une demande des dessinateurs et d'une adaptation à leur travail. Quand on a terminé « Rails » avec Frédéric Simon, je lui ai demandé : est-ce que tu veux qu'on retravaille ensemble ? Il m'a dit oui. Je ne lui ai pas demandé : qu'est-ce que tu veux que je raconte comme histoire ? Ce n'est pas le genre de la maison. Mais je lui ai dit : quels sont les points importants pour toi ? Alors, il m'a dit « les années 50 » et il a ajouté « je veux un héros positif ».

Ce qui est devenu carrément un imbécile ?

David Chauvel : Non non non ! ! ! Ce n'est pas un imbécile. C'est vrai que c' était pas ma spécialité. Je lui ai pondu ce personnage qui lui plaît bien et qui me plaît bien aussi, mais il m'a poussé à faire des choses que je n'aurais pas faites de manière spontanée. Alors qu'a côté de ça, « station debout » c'est en effet une tentative de faire quelque chose qui se rapproche vraiment du roman noir.

Quand je dis un imbécile, ce n'est pas nécessairement sur le mode péjoratif, c'est le brave type, niais, naïf, vraiment incroyablement facile à manipuler. Mais on se prend d'affection pour lui.

David Chauvel : La voix de Happy qui raconte le tome 1 a beaucoup manqué à des gens dans le tome 2 et 3 parce qu'elle donnait un ton spécial à la série mais la série a été conçue autrement, on n'a pas pu la rattraper. J'ai appris plein de choses avec ce personnage positif. C'est vrai qu'avant, j'avais des personnages de méchants, des mecs mal dans leur peau, qui avaient tout le temps les sourcils froncés, qui n'était jamais contents, qui ne souriaient jamais. Donc là, ça m'a changé, ça ma déconstipé !

Et donc c'est pour ça aussi -comme tu me dis toi-même que Fred Simon t'avait demandé un personnage positif-, qu'il traite la série avec ce dessin qui est un dessin pratiquement humoristique à certains moments. C'est ce qu'il avait envie de faire ?

David Chauvel : C'est son style, Fred a un style unique qui rappelle Dupuis, et qui n'en est pas non plus. C'est très à part et donc ça permet en effet -et ce n'est pas facile- d'être en équilibre entre l'humour et le sérieux. C'est quelque chose que je n'ai pas perçu par exemple -parce que son dessin n'était pas vraiment le même- quand on a fait "Rails". Je lui avais apporté quelque chose d'extrêmement sérieux , qui, en fait, ne correspondait pas à sa personnalité. Donc, Rails, on l'a fait du mieux qu'on pouvait. Là, sur "Le poisson clown", je crois qu'on est plus justes par rapport à son dessin. Au sein des éditions Delcourt, on peut dire, c'est vrai, qu'il a un dessin pas banal. Il n'y a rien qui ressemble à ça chez nous et c'est intéressant, c'est un exercice.

Certains des ces albums ont été édités sous forme d'intégrale. Celle de "Rails" est peut être un peu particulière parce que c'est dans la collection "Encrages" en noir et blanc alors que les albums étaient en grand format couleurs avant, mais il y a "Nuit Noire" qui a été édité en intégrale. Tu parlais tout a l'heure de cette envie de faire un tout avec tes albums et de ne pas les découper, est-ce que ces éditions intégrales te plaisent ?

David Chauvel : Oui, elles me plaisent beaucoup quand c'est "Rails" et "Les enragés", parce que les "Enragés" est aussi paru chez "Encrages". J'aime ces albums en noir et blanc, c'est à dire un livre différent pour une lecture différente . Je pense et j'espère que les gens qui ont acheté la série en couleurs ne vont pas l'acheter en noir et blanc. Donc, les gens qui vont l'acheter en noir et blanc sont des gens qui ne la connaissent pas et qui vont la lire différemment. On fait de la même série deux objets...moi je trouve ça très bien. L'intégrale couleur qui est une compilation des trois albums, franchement je trouve pas ça très intéressant. En même temps j'ai rien contre, s'il y a des gens qui ne la connaissaient pas et qui ont envie de l'acheter à un moment ou un autre...tant mieux, mais moi en tant qu'auteur elle ne m'apporte rien.

Non mais ceux qui vont arriver à l'histoire par cette intégrale et qui vont la lire en une fois seront peut-être le plus proches de l'idée que tu voulais en avoir au départ.

David Chauvel :c'est clair, ces gens lisent l'histoire telle que je l'ai imaginée -même si je ne fais pas un procès à l'éditeur. (Ces histoires, on les a découpées en albums, mais on avait pas le revolver sur la tempe, hein.) Pour ce qui est de "Nuit Noire", j'aimerais bien aussi une intégrale en noir et blanc. Sans minimiser le travail du coloriste, il y a un tel de travail sur les lumières réalisé par Jérôme (Lereculey) sur les pages que je pense que ça serait bien que les gens la voient. Ca arrivera peut-être un jour.

Alors, parlons un peu d'Arthur, c'est ton projet le plus personnel ?

David Chauvel : Non, pas du tout. En fait, on était en train de terminer "Nuit Noire" avec Jérôme - qui n'était pas vraiment un projet que Jérôme portait en lui. Je le connais depuis très longtemps, il a toujours dessiné des dragons, des types avec des épées, barbus, musclés… et non des voitures, des gars qui discutent dans une cuisine.. Il l'a fait, et ça l'a intéressé beaucoup, c'était un véritable exercice de dessinateur pour lui. Il a été content que ça se termine.. et on s'est demandé ce qu'on allait faire ensuite. Il y a très longtemps, je lui avais parlé de faire quelque chose autour d'Arthur.. Je trouvais que dans tout ce que j'avais vu d'Arthur, il manquait cette dimension archaïque, qu'on ne voyait jamais. On voyait toujours la même histoire médiévale de ces hommes avec des armures en fer blanc, avec le Graal etc.. J'avais un peu oublié tout cela, mais pas Jérôme. Il m'en a reparlé, je n'étais pas très chaud. A priori, je suis davantage attiré par le polar, le contemporain.. Ca ne fait pas partie de ce que j'ai envie de faire. D'une manière générale, ce qui se fait en héroïc-fantasy, je n'aime pas. Pas forcément parce que c'est mauvais, mais parce que je pense que c'est très dur à faire, à faire bien et d'une manière intéressante en tout cas. Ceci étant, j'avais quand même envie de travailler avec Jérôme, il n'était pas question de se séparer. J'ai repris mes bouquins, je les ai relus, j'ai trouvé ça vraiment passionnant et je me suis dit qu'il fallait qu'on le fasse. Avec le souci de m'attaquer à quelque chose d'énorme - parce que le mythe arthurien, on dira ce qu'on voudra, ce n'est pas rien - mais je suis assez inconscient pour faire ce genre de chose.

Et tu l'as fait avec la volonté, en plus, de revenir aux sources ; c'est à dire de quitter les clichés connus et habituels de l'évocation du mythe d'Arthur..

David Chauvel : C'est ce qui m'a séduit. J'ai eu la chance de tomber sur un livre qui en parlait. J'aurais pris les livres des Chrétiens de Troyes, j'aurais trouvé les choses que l'on connaît et je ne m'y serais pas intéressé. Là, je prends des livres qui s'appuient sur des légendes galloises, à priori très anciennes, archaïques voire pré-chrétiennes qui ont été retranscrites, donc malheureusement modifiées, par des moines aux alentours du IX-Xème siècle, mais qui ont gardé un côté archaïque très étrange. Et ces légendes galloises qui sont très complètes font pour moi partie de notre patrimoine culturel, au même titre, voire plus, que la mythologie grecque ou latine…

Tu dis ça parce que tu es Breton ou parce que tu es Français ?

David Chauvel : Non, non, parce que je suis Français, parce que je suis Européen de l'Ouest.. Il y a des explications historiques et militaires au fait qu'on ait été colonisés par les romains, qui nous ont imposé leur culture, mais je pense que 2000 ans après (ou 1.500 voire 1.000), on peut aujourd'hui reprendre et rechercher nos vraies racines. Et il y a là une mythologie riche, intéressante -qui est quand même notre passé- et qui n'est ni connue ni enseignée dans les écoles, à mon grand désarroi. Je pense aussi que ça vient du fait que les gens qui s'intéressent à ça - les universitaires, les "bretonnants", les "celtisants", etc.. - sont des gens qui sont à la fois revendicateurs sur leur culture, mais en même temps, qui veulent la garder pour eux. Ca expliquerait le fait que cela soit très peu diffusé et très peu connu. Et moi, je suis content, parce que j'ai beaucoup de réactions de gens qui veulent savoir, connaître… et c'était aussi le but.

Il y a également une part d'écriture plus importante dans ces albums-là que dans certains autres, peut-être justement parce que c'est quelque chose de plus historique, de moins évident, notamment dans le récitatif… donc, comment as-tu abordé ça ?

David Chauvel : Ah, ça m'a beaucoup angoissé. Du côté de l'histoire, ça s'est très bien passé. Le ton et l'écriture, eux, m'ont posé beaucoup de problèmes. Je ne voulais pas être didactique, pas trop en tout cas, je ne voulais pas non plus me passer de ce "texte off", de ce récitatif qui explique et qui aide, sans lequel, je pense qu'on aurait vraiment été perdu. Mais c'est vrai qu'il y a des choses difficiles. Arthur, ce n'est pas un livre qu'il faut lire quand on a envie de dormir le soir. Il y a des noms imprononçables, il y a beaucoup de textes, donc il faut vraiment avoir envie de rentrer dans cet univers. Les lecteurs ont l'air d'apprécier et de dire que cela se passe très bien. Ils comprennent, n'ont pas de problèmes avec les noms, les textes, ils semblent contents de cette richesse. Tout le monde ne partage pas nécessairement mon avis, mais je pense qu'un auteur de BD ne doit pas hésiter à proposer des choses riches parce que les gens n'ont pas nécessairement envie de ne lire que trois bulles par page.

Le fait d'être Breton a quelle importance, pour toi ? On voit que la plupart des gens qui travaillent avec toi le sont aussi donc il y a forcément quelque chose qui compte.. ou alors c'est juste des amis ?

David Chauvel : Disons que la plupart des gens avec qui j'ai commencé sont quand même des gens que j'ai rencontrés au tout début, au studio Atchoum !, Erwan Fagès, Jérôme Lereculey, Erwan Le Saëc… La proximité géographique joue beaucoup, j'adore travailler avec des gens, j'aime cette partie-là de mon métier, le côté humain.. mais j'adore quand je les connais bien ou que je les découvre au fur et à mesure du travail, et qu'ils deviennent des amis… sinon ce n'est pas possible. Et il se trouve que la proximité géographique a « fait que ». A côté de ça, je travaille aussi maintenant avec d'autres gens. C'est toujours différent et toujours passionnant.

Il y a certains dessinateurs et scénaristes qui disent qu'on refait toujours les mêmes BD, une espèce de rêve ou d'utopie qu'on a et qu'on essaie de créer toute sa vie. Tu as également cette impression, en ce qui te concerne, de tendre vers quelque chose et de toujours remettre sur le métier jusqu'à ce que tu y arrives ?

David Chauvel : Je suis peut-être un rêveur, mais pas un utopiste, ça j'en suis certain,.. je ne suis pas un théoricien. Je n'ai pas de grandes idées sur la bande dessinée, ni sur les scénarios,… Remettre le métier sur l'ouvrage, ça c'est clair. Je trace un sillon, je poursuis un chemin. Les séries que je fais sont des jalons et aucune n'est un but final. Il y a mon aventure personnelle d'écriture qui m'amène vers des choses et il y a chaque aventure avec un dessinateur qui est aussi un chemin de vie ensemble. On tend vers quelque chose, mais jamais je ne dirais d'une BD que c'est mon aboutissement, parce qu'après, j'arrêterais ! Donc, j'avance, je ne sais pas vers quoi… mais j'avance. C'est aussi pourquoi j'explore des pistes, je fais parfois des albums "expérimentaux" (entre gros guillemets). J'ai fait "Flag" avec la narration qu'il avait parce que j'avais envie d'essayer de faire une BD issue du reportage, mais avec une narration différente. Et tout ça dans le but de m'enrichir et d'aller vers des choses qui marquent… Maintenant, au bout de dix ans, je commence à avoir envie de faire des choses qui restent un peu. Donc "Arthur" et "Ce qui est à nous" sont deux tentatives de faire des choses importantes, qui vont rester ; même si elles ne se vendent pas commercialement, mais elles formeront un tout qui aura, je l'espère, une relative importance.

Parlons de l'influence du cinéma. Visuellement, tu es très marqué par le cinéma manifestement dans tes découpages, dans la manière dont tu conçois tes scénarios.

David Chauvel : Quand on m'a dit ça la première fois, il y a dix ans, j'avais répondu non. Maintenant, je suis bien obligé de dire oui, parce que c'est la vérité. Je crois que l'explication est toute simple. J'ai lu de la bande dessinée lorsque j'étais tout jeune, mais sans plus. J'ai lu Astérix, Les Tuniques Bleues et d'autres choses.. il y a par contre beaucoup de choses que je n'ai pas lues. Je n'ai jamais lu un Blueberry, un Blake et Mortimer, je n'aimais pas Tintin… Et je me suis intéressé à la BD à l'âge de 20 ans, lorsque j'ai découvert V pour Vendetta d'Alan Moore, ça a changé ma vie. A ce moment-là, j'ai eu envie de faire ce métier. J'ai lu d'une beaucoup de BD américaines et j'ai continué à regarder des films, mais je n'ai pas cherché à me constituer une grosse culture BD. Je n'avais donc ni cette culture ni ce mode narratif inscrit en moi. Et donc, ce qui est venu probablement le plus naturellement comme influence, c'était le cinéma. On m'a toujours dis que je faisais du découpage cinématographique. Je ne faisais pas un dessin, je faisais du découpage, qui pour moi, était évident, le seul possible… Maintenant, je crois qu'effectivement cela fait partie de ma façon de raconter… Je ne l'ai jamais pris pour un compliment, ça m'a toujours gêné… je pense que « ça passe », maintenant, j'arrive à grandir dans l'écriture propre à la bande dessinée, mais ça prend du temps et c'est difficile.

Merci.

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