Interview de Philippe Thirault, Marc Riou et Marc Vigouroux : Miss



Marc Riou
Marc Vigouroux
Philippe Thirault

Philippe Thirault, Marc Riou et Marc Vigouroux ont publié à trois la série "Miss" aux Humanoïdes Associés. Ils répondent aux questions de Thierry Bellefroid pour BD Paradisio.

Philippe Thirault, scénariste de Miss (Bloody Manhattan - Une chanson douce) mais aussi romancier...

Thirault : Oui, il y a Miss, mais il y a aussi deux livres qui sont paru au Cycliste, "Mes voisins sont formidables" et "Un bon plan de chez bon plan". Sinon, je suis aussi romancier, en effet, j'ai écrit 3 romans.

Lorsque les écrivains de série noire - ce qui est ton cas - font de la BD, ils n'arrivent généralement pas à se transformer totalement en scénaristes de BD. Es-tu d'accord ? Je ne pense pas seulement à toi, mais par exemple à des adaptations, celles de Daeninckx, Benacquista…

Thirault : On peut penser aussi à Jérome Charyn. En fait, dans les scénarios qu'écrivent les romanciers, il y a une grande place laissée à l'écriture, que ce soit dans le dialogue ou aussi dans la narration, dans les voix-off. Le texte n'a pas seulement un côté fonctionnel, il sert à mettre une ambiance, un rythme, une poésie et c'est, à mon avis, là qu'effectivement, peut-être, les romanciers peuvent se remarquer. En tout cas moi, ce que j'ai envie de faire en écrivant des scénarios de BD, c'est de garder la dimension littéraire de l'écriture en bandes dessinées.

Il y a des romanciers qui ont complètement loupé leur première BD. Si tu as réussi le passage de l'un à l'autre, n'est-ce pas aussi parce que la série noire que tu publies est, elle-même, assez proche du ton de la BD ?

Thirault : Oui. En fait, il faut que ce soit efficace, il faut qu'on rentre tout de suite dedans, que ce soit visuel ; assez simple finalement parce que c'est de la littérature populaire. Et la BD, c'est un art populaire. Donc, c'est peut-être pour ça que ce sont surtout des écrivains de polar ou de romans noirs qui ont réussi à faire le passage roman/bd.

Pour toi, la BD apporte forcément un "plus". Sinon tu ne te serais pas lancé. Ce "plus" c'est quoi ? C'est de voir les images, d'avoir le regard de quelqu'un d'autre en plus, le dessinateur ? C'est un public différent ?

Thirault : Il y a plein de choses. Mais avant tout, j'aimerais préciser que ce n'est pas un plus ou un moins. Je ne viens pas plus de la bd que du roman. En fait, je fais les deux en même temps exactement au même moment. Je ne sais pas pourquoi je choisis de raconter certaines histoires par le roman et d'autres par le dessin. Mais pour moi ce sont deux arts majeurs, à égalité. On développe des choses différentes dans l'un et dans l'autre. On peut faire de grandes choses en BD comme en roman.

Miss a été remarqué par la critique. Est-ce qu'on peut parler d'un succès ?

Thirault : Non

Bon, on ne va pas insister, alors ! En tout cas, l'engouement de la critique, comment l'expliques-tu ? Parce que c'est quand même un album un peu hors normes ?

Thirault : Je pense qu'on a étonné. Je pense que les lecteurs qui ont vu la couverture se sont dit : c'est encore un polar, c'est encore les Etas-Unis, c'est encore les années trente… Et que cela me concerne pour le scénario ou les deux dessinateurs, on a essayé de renouveler le genre, de renverser les clichés, de proposer autre chose. Tout en faisant quelque chose de lisible ; c'est pas de la BD d'avant-garde. On a voulu renouveler un art jeune mais déjà un peu poussiéreux.

Ca passe notamment par le personnage central, un personnage de femme assez violente finalement, sans scrupules, sans états d'âmes que tu voulais plutôt comme personnage masculin.

Thirault : Oui, tout a fait. C'est une sorte d'anti-héros. Ce sont des personnages qu'on n'a pas l'habitude de voir : une femme et un noir comme héros. Avec, entre eux, des rapports ambigus, des rapports d'estime, d'amour. Et je voulais effectivement une femme forte. En tout cas, je voulais échapper au cliché habituel. La référence, au départ c'est Torpedo, c'est clair, je l'ai avoué, je ne le renie pas. Ce que je voulais surtout, c'est que les personnages soient à égalité dans l'histoire, qu'il n'y en ait pas un qui soit plus fort ou plus intelligent que l'autre ; ce qui me gênait dans "Torpédo". En plus, le fait que Nola vienne du Sud de New-York et que Slim vienne d'Harlem permettait d'explorer plusieurs quartiers de la ville, chacun avec ses habitudes, etc.

Tu faisais référence à "Torpédo", on peut aussi parler de "Vieilles Canailles", par exemple, où il y a aussi des personnages féminins particuliers. Cet univers qui est finalement commun à pas mal de dessinateurs mais qui est souvent caractérisé par le noir et blanc. Ici, vous avez voulu une couleur mais c'est aussi une couleur très définie. Est-ce que toi, tu as eu des exigences en la matière ?

Thirault : Non, aucune. Je ne suis absolument pas dessinateur, c'est clair. Donc, j'écris et j'ai un regard sur le dessin. Je fais tout d'abord confiance à mes dessinateurs, à mon éditeur. Il faudra leur poser la question, mais je pense qu'ils préféreraient travailler en noir et blanc. La couleur, c'est l'impératif commercial actuel pour tous les albums ou presque chez un éditeur de taille respectable. Le coup de chance, c'est d'avoir trouvé une super coloriste : Scarlett Smulkowsky. Elle a fait un travail fabuleux, quelque chose de personnel, qui homogénéise bien les dessins, les deux dessins - puisqu'ils sont deux, même s'ils ont les mêmes influences, ils dessinent un peu différemment - et c'est une des réussites de la série.

Comment vous êtes-vous rencontrés tous les trois ? Je ne vous demande pas si c'était au bar de truc ou de machin mais comment est-ce que vous avez décidé de travailler ensemble ? Et de travailler à trois surtout ?

Thirault : Non, ce n'était pas à une soirée arrosée.. C'est Sébastien Gnaedig (passé depuis chez Dupuis, ndlr) qui nous a fait nous rencontrer parce que les Marc Rioux et Vigouroux avaient proposé un projet aux Humanoïdes - qui n'avait pas été retenu - mais Sébastien considérait que le dessin pouvait correspondre. C'est là qu'on voit que le métier d'éditeur, c'est un vrai métier. C'est trouver, pas forcément "plaquer" une dessin sur une histoire. Même si, pris séparément, on peut dire que l'histoire est bien, que le dessin est bien ; c'est trouver l'alchimie entre eux. Après, on s'est rencontré. Ils ont fait des essais, on a beaucoup discuté sur le premier album et maintenant, ça roule tout seul, c'est-à-dire que je leur livre le scénario et il n'y a quasiment plus de discussion de travail entre nous, les choses sont calées. Je leur fais confiance. Là, le deuxième, je le trouve meilleur que le premier en dessin, c'est beaucoup mieux.

Il y a une importance assez grande donnée au récitatif, parce que forcément c'est là que se situe l'écriture polar, l'écriture série noire. Comment choisit-on ce qu'on va laisser dans un récitatif quand on a par ailleurs l'habitude de travailler dans le roman où on a de la place, de l'ampleur. Tu sais ici qu'il y a la case qui : 1/ donne une information, c'est le dessin - il ne faut pas être redondant - et 2/ occupe beaucoup de place. Il y a un travail de réécriture, d'élagage à posteriori ?

Thirault : Cela peut arriver, c'est assez rare. Une chose dont j'étais convaincu en écrivant le scénario, c'était effectivement qu'il fallait que le texte ne soit absolument pas redondant. C'est une chose que je déteste dans la BD très classique. C'est une chose que j'ai faite en écrivant. En outre, dans "Miss", il y a le décalage régulier entre ce que l'on montre et ce que l'on dit ; ça aussi c'est une autre dynamique de récit. Quant à la taille des textes dans les cases, effectivement, c'est un problème dont j'avais conscience mais que j'ai, je pense, amélioré au fil des deux albums. Donc, je fais tout ça en pensant à eux, en pensant à mes dessinateurs, c'est-à-dire en leur laissant plus de place, en essayant de raccourcir certains dialogues et d'enlever tout ce qui pourrait être inutile. Pour les "voix off", c'est pareil. J'essaie de trouver la phrase juste, la substance de la phrase pour que le texte ne soit pas imposant sur la page et surtout pour que, eux, aient quand même - c'est fondamental - la possibilité de s'exprimer.

Y a-t-il eu des répercussions sur ton travail de romancier ? Tu écris différemment aussi maintenant, quand tu es devant ton ordinateur ?

Thirault : J'écris différemment mais je ne sais pas si c'est lié à ça. Simplement, je vieillis et j'espère que je m'améliore. Je pense que je vais plus rapidement au cœur des choses mais je ne sais pas si l'écriture de bande dessinée a une influence. Ce sont deux écritures très différentes, deux modes de pensées différents et je n'arrive pas à avoir d'interférences entre les deux.

Marc Riou, pourquoi avez-vous dessiné "Miss" à quatre mains ?

Marc Riou : Est-ce qu'il y a un pourquoi ? Parce que ça s'est trouvé comme ça.

Vous êtes amis, vous étiez amis ?

Marc Riou : On s'est rencontré aux Beaux-Arts d'Angoulême, ça fait déjà 5 ou 6 ans et on a commencé à travailler ensemble. On avait des références communes et donc, ça crée une bonne dynamique, je crois, une bonne émulation.

Vous aviez des références communes manifestement. Ces références, quelles sont-elles ?

Marc Riou : Ce sont les Américains en majorité, toute la nouvelle graphique qu'il y a eu dans les années 80, avec Miller, les équipes qui ont fait Watchman, Kevin O'Neil, les Anglais aussi pour l'esprit qu'ils dégagent, cet esprit un peu brutal, en fait.

Un peu "trash" ?

Marc Riou : Un peu "trash".

Alors justement, au moment de traiter le premier scénario de Philippe Thirault, le côté trash n'était pas vraiment ce qui s'imposait d'office. Ce n'est pas vraiment ce que l'on retient en premier dans votre dessin. Donc, ce sont des influences que vous avez su digérer et oublier ou oublier et digérer ?

Marc Riou : Qu'on a dû oublier, en fait. On a pris cela comme une contrainte et cela a été bénéfique pour nous puisque graphiquement, on a dû s'obliger à changer, à travailler dans une autre optique. On continue à faire ce qu'on aime parallèlement. Dans nos carnets de croquis, par-ci, par-là… Mais en s'obligeant, dans la BD, à être rigoureux avec le style qu'il faut adopter pour ça.

Alors, le style c'est quoi ? Vous avez des consignes de l'éditeur ? Parce que vous êtes quand même assez en marge des autres BD du genre. Donc, il y a quand même un style qui, semble-t-il, est libre.

Marc Riou : En fait, ce style a quand même été européanisé. Notamment dans les cadrages. On a travaillé assez étroitement avec Sébastien Gnaedig, qui était le directeur artistique de l'album, notre éditeur, et il se trouve que notre style a subi une évolution européenne. Ce ne sont pas vraiment des concessions, mais dans une certaine mesure, on a été vers un profil plus européen.

Philippe dit que l'album n° 2 est nettement meilleur. Alors j'imagine que vu sa modestie naturelle, il ne parle pas du scénario, vous êtes donc forcément concernés . Alors ?

Marc Riou : Oui, moi aussi je trouve que ça évolue énormément. Mais je pense qu'on a encore une bonne marge, on évolue bien et tout se passe très bien.

Vous vous remettez en question ?

Marc Riou : Oui, comme la plupart des gars qui font ce métier. Justement, on vit aussi… de faire évoluer l'encrage, de recherche de lumière. Tout change, quoi. Et la technique de dessin progresse aussi. Oui, j'espère que cela se verra, enfin que les gens apprécieront.

J'imagine que vous auriez voulu tous les deux que ce soit du noir et blanc ?

Marc Vigouroux : Non

Marc Riou : C'est vrai qu'on a aussi l'influence des dessinateurs comme Milton Caniff, des dessinateurs des années 30 qui eux, justement, travaillaient dans la presse et donc utilisaient uniquement le noir et blanc à l'époque. Cela a donné des codes assez forts dont on s'est inspiré. Nous aussi, on renforce encore ces effets de clair/obscur avec la couleur et tant mieux, je crois que ça prend encore un peu de profondeur, en tout cas en ce qui concerne notre boulot.

Vous travaillez avec un scénariste qui fait aussi du roman. Est-ce parfois difficile pour vous, faut-il parfois lui dire : "Attends, on fait de la BD, on ne fait pas du roman, il y a trop de texte, il faut supprimer ceci ou cela" ?

Marc Vigouroux : Non, en général, on s'adapte à ce qu'il nous a donné et pour en revenir au fait qu'il vient du roman, c'est presque bénéfique. Moi, je trouve cela plutôt bien. En même temps, de toute façon, on n'a pas eu à se forcer à quoi que ce soit puisque avant, on n'avait eu aucune expérience et forcément, on s'est habitué tout de suite à la manière de faire.

Marc Riou : Moi, je suis plutôt ravi. Au niveau de l'écriture, il faut que cela se ressente, c'est un type qui a une facilité d'écriture. Il a compris le média de la bande dessinée, même si ce n'est pas un grand lecteur de bandes dessinées, c'est un littéraire. Mais je crois qu'il aime ça aussi et cela se voit. Il y a cette touche d'écriture. Moi, j'étais plutôt rassuré de savoir que c'était un type qui venait de l'extérieur, je trouve ça bien. D'ailleurs, je me demande si pour ma part, je suis vraiment un grand fan de bande dessinée. Je ne lis pas trop de BD non plus…

Merci à tous les trois.

Interview réalisée par Thierry Bellefroid
Dossier réalisé par Catherine Henry

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