A la rencontre de Frédéric Peynet et Isabelle Plongeon :
jeunes auteurs de "Toran"



Créateurs de la série Toran chez Nucléa et Les Apatrides chez Pointe Noire, Frédéric Peynet et Isabelle Plongeon répondent aux questions de BD Paradisio.

Voir la bande annonce de l'album.

Frédéric Peynet

Vous êtes de jeunes auteurs. Il n'existe encore aucune biographie vous concernant. Pouvez-vous nous éclairer en quelques mots sur votre parcours vers la BD et votre rencontre ?

Frédéric Peynet : J'ai 23 ans. Comme beaucoup de dessinateurs, cette attirance vers la BD remonte à ma plus tendre enfance. J'ai suivi des études de dessin et ensuite d'arts plastiques près de Nantes. En fin d'études, pour ma thèse, j'ai réalisé seul une BD entière de 52 pages, avec pour but, de "manger" des planches et me prouver que j'étais capable de faire une BD entière. Ensuite seulement, j'ai été voir les éditeurs. Mais je n'étais pas du tout au point et ils m'ont encouragé à poursuivre. J'ai donc continué à travailler. C'est avec cette thèse-là que j'ai rencontré Isabelle.

Isabelle Plongeon : Mon parcours est très éloigné de la BD. J'ai fait des études de comptabilité puis j'ai passé un BTS ainsi que le concours pour devenir professeur. Je suis donc prof de compta. Passionnant n'est ce pas ! ? C'était un choix de bon sens et non de passion, vous vous en doutez.

Depuis toute petite, je passe mon temps à lire et à m'inventer des histoires. J'ai toujours voulu être scénariste, même si je n'ai pas de formation littéraire. Mon parcours ne me prédisposait donc pas du tout à cela. J'ai eu finalement beaucoup de chance.

Mon frère Jean-Charles Gaudin, scénariste aussi, chez Soleil m'a invité un jour à l'accompagner à une réunion de jeunes auteurs en Vendée (pays de mon enfance). J'y ai rencontré un tout jeune artiste qui voulait se lancer dans la BD et qui cherchait un scénariste. En voyant ses dessins, j'ai tout de suite compris qu'il avait un énorme potentiel. Je lui ai donné un synopsis, persuadée que ça n'irait pas très loin (j'habite à Paris et lui étant en Vendée). Je me disais que les scénaristes sur place, qui le verraient évoluer tous les mois au sein du groupe, allaient lui présenter des projets. Frédéric m'a recontactée au bout de 2 jours en me disant qu'il adorerait faire les Apatrides avec moi. Je ne vous explique pas ma joie. Depuis, en cherchant un éditeur qui voudrait bien nous éditer, j'ai rencontré d'autres dessinateurs mais il est vrai qu'entre Frédéric et moi, il y a plus qu'il n'y aura jamais avec mes autres collaborateurs, tout sympathiques qu'ils soient.

Vous avez donc réalisé ensemble le premier album des "Apatrides" chez Pointe Noire en mai 2000, ensuite le premier album de "Toran" chez Nucléa sorti en en février 2001 ; deux BD qui semblent avoir recueilli une bonne critique au niveau de la presse…

Frédéric : Oui, surtout par vous ! Les échos en effet étaient en général très positifs que ce soit sur Internet ou dans certaines autres presses spécialisées... Cela reste néanmoins assez surprenant parce que lorsque c'est notre propre "enfant", nous, on voit tous les défauts.. J'étais même assez catastrophé quand l'album est sorti… On voit le résultat final et on se prend toutes nos erreurs dans la figure. Voir que malgré cela, les gens apprécient le travail, c'est surprenant.

Vous êtes très jeunes dans le métier.. Pourquoi ce choix de débuter deux séries de front, et chez deux éditeurs différents. C'est très ambitieux et peut-être un peu risqué, non ?

Frédéric : Ce n'était pas vraiment prévu ainsi. A l'origine, on travaillait sur les Apatrides, dont Isabelle avait déjà écrit le scénario des trois albums. Parallèlement, elle avait également écrit l'histoire de Toran pour un autre dessinateur. Mais ce dernier, pour des raisons personnelles, n'a pas pu prendre le projet. Cette histoire m'a plu dès le départ, et j'ai très vite dit à Isabelle que j'étais partant pour la dessiner, si elle était d'accord. Par contre, je lui ai proposé de la retravailler pour que j'arrive à m'intégrer dans l'histoire.

Je devais donc travailler sur Toran après avoir fini les Apatrides… mais le désir de réaliser cette histoire était plus fort,… On était peut-être un peu inconscient à ce moment… et maintenant, on essaie de travailler les deux séries de front. C'est vrai qu'on légitime davantage "Toran" qui nous plaît un peu plus, enfin surtout à moi. C'est davantage mon univers.

Le choix de deux maisons d'éditions différentes ?

Frédéric : A l'époque, Isabelle avait déjà un autre projet qui s'appelait "Darkan" chez Nucléa. Elle s'entendait bien avec l'éditeur et c'était pour moi l'occasion de trouver d'autres manières de travailler.

D'où vient l'idée originale de "Toran" ? Sur quels axes principaux souhaitiez-vous la développer ?

Isabelle : Tout au départ, j'ai eu l'idée d'une aventure qui aurait lieu sur une planète envahie par une immense végétation. Les arbres seraient tellement grands que les hommes vivraient dessus sans même voir le sol. J'ai ensuite développé. Je trouvais intéressant de créer des personnages mi-homme mi-animal. Je ne faisais en fait que me servir de la richesse du monde végétal et animal. C'est fascinant de voir les espèces dingues qui existent. Si vous regardez le règne des insectes, il y en a qui sont tellement horribles que les monstres qu'on invente dans nos fictions fantastiques sont bien sympathiques à côté. Pour l'intrigue, j'ai voulu faire intervenir un peu de science-fiction, le domaine que j'aime le plus traiter, mais Toran doit garder un côté très nature et j'essaie de lui conserver cet esprit.

Frédéric : L'idée de départ d'un peuple ailé, d'un peuple papillon, dont la vie se déroulait dans la jungle me plaisait beaucoup. On est parti de là, et on ne s'est rien refusé. On a ensuite trouvé l'idée de départ (le combat entre Toran et le "monstre"), et c'est ainsi que l'histoire a commencé. On ouvre des pistes…

Quelles sont vos sources d'inspiration ? Votre propre imagination ? La littérature, le cinéma ?

Isabelle : Mes sources d'inspiration sont diverses mais principalement littéraires. J'adore les livres de science-fiction, surtout ceux des années 60 et la SF américaine. J'aime aussi beaucoup le fantastique. Certains films m'inspirent également, mais moins dans les idées que dans la façon de découper mes histoires. Je lis encore de la BD, mais davantage pour voir ce qui se fait, ce qui marche et ce qu'attend le public. Je n'éprouve plus le même plaisir que lorsque je lisais de la BD étant plus jeune.

Frédéric : Pour "Toran", on s'est beaucoup laissé aller au gré de notre imagination. Par exemple, cela peut paraître assez aberrant pour certains, le tome 2 est né d'une affiche. On m'avait passé une commande d'affiche pour un festival de BD dont je tairai le thème pour ne pas dévoiler l'univers du second album… Je me suis tellement amusé à réaliser cette affiche, je voyais tellement bien cet univers lié à celui de "Toran" que j'en ai parlé à Isabelle. Du coup, on a complètement dévié de ce qu'on avait prévu et on est vraiment parti pour l'inconnu. Le but de cette série est de se faire plaisir au maximum. Je pense que cela s'est ressenti dans le tome 1.

Monde imaginaire où la nature quasi-tropicale est omniprésente et où l'on rencontre de nouvelles races, un peuple isolé, des animaux gigantesques... Ainsi que le "Monstre" que l'on retrouve au début et à la fin du récit... et qui a des réactions finalement presque "humaines"... Ces mondes font un peu penser aux mondes de Léo (Aldébaran & Betelgeuse) ? D'où vous viennent ces "images", comme l'idée des chrysalides, par exemple ?

Isabelle : Je ne connais pas l'œuvre de Léo mais je vais la lire. Je vous l'ai déjà dit, j'avais envie de grands espaces, de nature sans doute parce que, pour moi, la BD, ça a commencé avec Rahan.

J'avais sans doute envie de retrouver la nature sauvage qui m'a tant fait rêver, enfant. Pour l'idée de chrysalides je me suis inspirée du monde des insectes. Rien de plus fantastique qu'une chenille qui devient un majestueux papillon et rien de plus cruel que la mante religieuse qui tue le mâle qui l'a fécondée. Vraiment la nature va bien plus loin que ce qu'osent écrire les auteurs.

Le clan de Toran est un peuple aux traits très "humanoïdes", sans pour autant provenir de la Terre. Les races semblent à la fois très proches et très éloignées. Le fossé est très net, les hommes semblent être les "méchants" et Toran ainsi que le peuple ailé, les "gentils". C'est volontaire d'afficher une cassure si nette ?

Isabelle : Je n'ai pas voulu faire du peuple des ailés des "gentils", pas plus d'ailleurs que les hommes ne sont des "méchants". Je pense simplement que les hommes ont de tous temps asservi les plus faibles, contrôlé le destin des peuples les moins évolués. L'Histoire en atteste. La possibilité de parcourir l'univers ne fait que changer le décor. Si l'homme découvrait une terre comme celle de Toran, je n'ose penser ce qu'il en ferait. C'est différent avec les animaux. Il n'a qu'un instinct de survie, il n'y a pas de passion dans le fait de détruire l'autre, seulement un besoin de survie. Toran est proche du règne animal mais il a un côté humain, je lui donne donc des réactions voisines des peuples primitifs. Il n'a pas ce besoin de coloniser, de s'approprier les autres. En fait, mon propos est de parler du problème de colonisation ; seulement au lieu de le traiter du point de vue historique, j'en parle d'une manière plus légère.

Pour revenir sur le personnage du monstre, j'ai voulu montrer que nous avons parfois la notion du bon ou du mauvais par rapport à un concept. Le monstre paraît monstrueux par rapport à Toran mais finalement, il se sacrifie pour que ce dernier vive. Il est donc plus évolué et même meilleur que beaucoup d'hommes.

Le beau et le laid sont très subjectifs et liés à notre propre apparence. Il est clair que si nous étions fait de quatre tentacules, nos critères de beauté ne seraient pas les mêmes. C'est un sujet souvent abordé dans les livres d'anticipation.

BDP : Commencé sur le ton du "conte" - quelque part, "Toran" tient un peu de l'univers de Peter Pan où les enfants aînés s'occupent des plus petits et les défendent contre les agressions extérieures - on y trouve ensuite l'introduction brutale de technologie de pointe et d'un récit plus "futuriste". Comment voyez-vous évoluer la série ?

Isabelle : La série va naviguer entre S.F et aventure dans des décors très proches de la nature sauvage. Comme je vous le disais, la S.F des années 60 m'inspirait beaucoup. Dans ces bouquins, qui sont plus de l'anticipation que des space opéra, on retrouve souvent des planètes très primitives, et donc très proches de la nature.

Frédéric : Je suis personnellement plus proche de l'univers de "Peter Pan" et de la nature, tandis qu'Isabelle est plus orienté vers la technologie et vers l'apocalypse. C'est effectivement une grande amatrice de science fiction… Le mélange peut être intéressant.

Mais je reste avant tout très attaché à la nature. Personnellement, je suis très mal à l'aise en ville. J'habite la campagne, près de la mer.. et j'ai vraiment besoin de la nature, et j'ai donc besoin de la traiter dans la série.

Isabelle, en tant que scénariste, comment construis-tu tes récits et quelle collaboration instaures-tu avec ton dessinateur ?

Isabelle : Au départ d'une série, une idée d'intrigue ou une envie de faire passer une idée forte. J'aime beaucoup l'anticipation, j'aime donc par conséquent que mes histoires montrent un devenir possible de l'espèce humaine. Ensuite, je développe mon concept de façon différente selon le dessinateur avec qui je travaille. Frédéric participe activement à la série. Je raconte mon histoire, il me pose des questions, me fait des propositions. Cela me permet de remettre en cause certaines choses. On rebondit mutuellement sur ce qu'apporte l'autre, on se complète. Parfois même, il me demande une séquence particulière comme une scène qui se déroulerait dans l'eau. Cependant on travaille quand même de façon très classique : je découpe l'histoire et je lui écris toutes les scènes, page par page. Si une page lui pose problème dans la manière dont je l'ai écrite, il me téléphone et on en discute.

Au niveau du récit général, tu sais donc plus ou moins où tu vas dans les albums suivants, ou bien cela évolue très fort au fur et à mesure de leurs réalisations ?

Isabelle : En général, je sais où je vais. Je connais l'intrigue générale et où je veux emmener le lecteur. Mais la série évolue cependant en cours de route, soit parce que finalement je ne suis pas si contente que ça, soit parce que j'ai trouvé une meilleure idée. En ce qui concerne Toran, j'ai radicalement changé l'histoire pour coller plus à ce qu'aime faire Frédéric.

Que peut-on dire sur l'évolution de l'histoire, sans trop en dévoiler ?

Frédéric : Comme l'annonce le premier album, Toran va être coupé de son milieu et emmené sur la Terre. C'est l"extraterrestre" qui va découvrir ce qu'est la Terre. Il est donc séparé de Laona et des enfants et va essayer de les retrouver. Lui-même, à un certain moment, va se transformer… mais je n'ai pas encore réussi à lui trouver une paire d'ailes qui lui aille bien (rires).. Il se transformera au plus mauvais moment, bien entendu - avec Isabelle, cela tombe toujours très mal - et donc, pour moi, cela va compliquer un peu les choses. Ce n'est pas évident de faire balader un personnage avec une paire d'ailes. Par exemple, les personnages ne peuvent pas s'asseoir. Parfois, Isabelle imagine une scène, pleine d'actions... et je l'arrête en lui disant "Au secours, comment veux-tu que je lui fasse faire tout ça avec ses ailes… ". C'est une complication supplémentaire à gérer au niveau du dessin.

Pour en revenir à l'histoire, Toran va effectivement devoir retrouver Laona et les petits avant de retrouver sa propre planète, sachant que le monde dans lequel ils sont actuellement leur est inconnu, et même plus hostile que la jungle dans laquelle ils vivaient. On ne sait pas encore comment ils vont se retrouver.. ce sera davantage pour le troisième album.

On a parlé des éventuelles influences de Léo, d'Aquablue…

Frédéric : Bien involontaires…

Si l'on revient un instant sur ton dessin dans Les Apatrides, il est assez proche de Loisel et un peu de Rosinski.. Encore un savant mélange ?

Frédéric : Là, c'est tout à fait juste. J'ai découvert "Thorgal" à 8 ans avec "Alinoë" qui m'a flanqué une frousse pas possible. J'ai vraiment grandi avec "Thorgal". Graphiquement parlant, j'ai donc beaucoup été inspiré par ce que faisait Rosinski.

Vers 15-16 ans, je me suis ouvert à d'autres bandes dessinées. Il fallait quand même que je regarde un peu ce qui se faisait ailleurs, mais Rosinski restait très présent dans mon style. J'essaie vraiment de m'en détacher pour trouver ma propre patte, mais ce n'est pas évident.

C'est le cas dans "Toran", le dessin a beaucoup évolué !

Frédéric : Il a beaucoup évolué, c'est vrai. Entre temps, j'ai rencontré Régis Loisel qui m'a énormément conseillé. Il m'avait déjà donné ses conseils à l'époque des "Apatrides" mais je ne comprenais pas tout. J'étais encore dans mon dessin, dans mes erreurs. C'est en voyant les "Apatrides" publié que j'ai réalisé tout ce qu'il me disait. Et c'étaient vraiment de bons conseils.

J'ai essayé d'appliquer tout cela dans "Toran". C'est ce qui fait que mon style a, tout d'un coup, vraiment mûri. J'ai enfin compris plein de choses, plein d'erreurs. Régis était là pour me répéter chaque fois de travailler dans telle ou telle direction. Il m'a fait gagner un temps fou.

Il te suit encore maintenant ?

Frédéric : Oui, un peu. Je continue à lui envoyer mes planches. Il me dit qu'il n'a plus grand chose à me dire. Je sais que je me répète encore un peu dans mes erreurs mais je sais ce que je dois corriger maintenant, et donc, je sais ce que je dois améliorer. Cela se fera avec le temps et l'expérience, ça viendra tout seul.

Quelques mots sur tes techniques de travail ?

Frédéric : Sur le tome 1, j'ai travaillé avec des bleus - mise en couleur sur bleus (donc la planche en noir et blanc) et les mises en couleur séparément. J'ai réussi à convaincre mon éditeur de pouvoir faire le tome 2 en couleurs directes. Je peine un peu par l'encrage, le dessin en lui même ; ce qui fait que la couleur me permet de palier ces défauts-là. Cela me permet d'apporter beaucoup plus de profondeur aux décors, à l'album. Sur les Apatrides, j'ai vraiment été déçu par ma mise en couleur. Je démarrais, j'apprenais… et j'ai tiré des conclusions de mes erreurs sur la couleur de cet album. J'essaie de passer un cap dans "Toran".

Tu te sers un peu de l'ordinateur dans ton dessin ?

Frédéric : Un peu, mais cela ne se voit pas. Ce n'est pas directement lié aux planches, mais plutôt aux dessins : des perspectives, des choses que je construis moi-même en 3D sur ordinateur et qui me permettent de les orienter comme je veux… ou même pour faire des croquis de certaines cases quand je ne suis pas sûr de moi. Je les fais séparément, mais sur des grands formats.

Je me moque éperdument du format. Si je suis content du dessin, je le scanne et je le mets à la bonne taille, en rectifiant, si nécessaire, des bras, des jambes.. Ensuite, j'imprime et je décalque.

Faire de la mise en couleur sur ordinateur, cela viendra peut-être un jour. Je suis un touche à tout, j'essaie de trouver vraiment ce qui peut me convenir le mieux.. mais pas sur Toran. Ce projet est fait pour être vraiment chaud, pour être fait manuellement.

Les découpages de Toran sont somme toute assez classiques pour la BD actuelle. Or les scènes (hormis la double pleine page) permettent davantage de liberté à ce niveau ?

Frédéric : C'est vrai que ma mise en scène est classique. J'essaie de toujours rester narratif par rapport à l'histoire, de ne pas montrer trop de choses à la fois tout en appuyant sur les éléments d'une case qui me paraissent essentiels. Le fait de conserver un découpage simple me permet de focaliser davantage le lecteur sur l'histoire en elle même. Si je compliquais le dessin en éclatant mes cases, je pense que j'aurais quelques difficultés à rester narratif. Par ailleurs, avec du recul, je ne suis pas satisfait de la double page. Une seule page aurait suffit, j'ai l'impression que ça sort le lecteur de l'histoire, car cela crée une rupture avec la mise en scène plus traditionnelle qui était en place auparavant. Mon objectif n'est pas de faire de belles planches où j'étalerais mon dessin de tous les côtés, mais de rester efficace. Certains auteurs arrivent à allier les deux, j'ai déjà plus de mal.

Combien d'albums prévus pour Toran ?

Frédéric : 3 ou 4 tomes au total pour Toran et 3 pour Les Apatrides. Le deuxième tome des Apatrides est déjà commencé mais on avance à un rythme plus calme. On travaille les deux en parallèle donc, avec une petite tendance à privilégier l'univers de "Toran". Le prochain Toran devrait sortir pour le festival d'Angoulême.

Combien de temps pour travailler un album ?

Frédéric : J'ai mis 7 mois pour réaliser Toran. Pour le second, je pense que je mettrai beaucoup plus de temps, étant donné que c'est de la couleur directe, le temps de me faire la main… Mon éditeur m'a également fait énormément tourner pour la promo de l'album, donc j'ai pris un peu de retard.

Isabelle a déjà plusieurs collaborations chez Nucléa sur différents projets. Frédéric, tu as également d'autres projets ou pour l'instant cela te suffit ?

Frédéric : J'ai d'autres idées dans la tête et certains projets avec des amis scénaristes qui habitent ma région. Mais rien de très précis.

On s'entend bien, on a envie de travailler ensemble, mais on ne sait pas trop quand ni comment…, notamment avec Jean-Charles Gaudin, scénariste de Marlysa, frère d'Isabelle et également voisin. Eventuellement aussi avec Serge Perrotin, scénariste de Lance Crow Dog chez Soleil.

Tu t'imagines un jour travailler seul ?

Frédéric : Oui, mais je n'ai pas encore assez de recul par rapport au scénario. Je ne me sens pas prêt. J'ai une idée qui verra le jour forcément car j'ai besoin de la réaliser, mais pas tout de suite. Peut-être d'ici une dizaine d'année.. Et puis, avec Isabelle, on a d'autres idées, d'autres envies, qui viendront après ces deux séries-là. Pour le moment, c'est encore flou..

Le projet idéal, hors amitié, ce serait de travailler avec qui ?

Frédéric : Mais même par amitié, ce serait avec Régis Loisel. J'adorerais qu'il m'écrive un scénario. Je ne lui en ai jamais parlé ! De toute façon, je ne me sens pas encore au niveau pour, moi, pouvoir lui offrir quelque chose qui puisse éventuellement lui convenir. Il est déjà tellement exigeant avec lui même… Pour l'instant, je poursuis mon chemin.. On verra, peut-être qu'un jour je lui proposerai… mais ça, ce serait un rêve !

Isabelle, qu'est ce que la bande dessinée pour toi actuellement ?

Isabelle : C'est une question difficile. Je n'aime pas toujours le ton qu'elle prend. Un peu trop axée sur le visuel et l'action au détriment des sentiments. J'aime quand les personnages sont complexes. Bien souvent, cela reste trop superficiel. Il est vrai que c'est difficile de développer des histoires réellement passionnantes en 46 pages.

Le lecteur devant attendre un an avant d'avoir la suite, on doit donc construire une histoire en chapitres suffisamment intéressants en eux même, et ce n'est pas toujours très facile. Mais heureusement il existe de bon auteurs qui parviennent a passionner leurs lecteurs.

Il y a beaucoup de jeunes auteurs, dessinateurs, scénaristes, notamment sur BD Paradisio, qui cherchent à se faire éditer, à entrer dans le monde professionnel. Selon votre expérience, que pourriez-vous leur conseiller ?

Frédéric : Ma propre expérience, c'était simple : frapper à la porte des éditeurs. Ce que je vais dire va faire grincer les dents de certains, mais je pense que lorsqu'on est dessinateur, on est souvent mieux accueilli qu'un scénariste. Pour entrer chez un éditeur, le scénariste a besoin d'avoir un dessinateur avec lui. Maintenant, trouver un dessinateur, je ne pense pas que cela soit très compliqué… Ensuite, c'est vraiment une question de feeling et d'amitié. Avec Isabelle, c'est une profonde histoire d'amitié, ce n'est pas un rapport de "collègues", davantage frère-soeur. C'est important de bien s'entendre. Avoir un projet et trouver la personne idéale pour le réaliser.. c'est possible en faisant des salons, en rencontrant des gens. Il ne faut pas attendre que l'on vienne vous chercher. Il faut ouvrir les portes et rencontrer les éditeurs et les autres auteurs.

Isabelle : Le meilleur conseil que je peux donner à de jeunes auteurs, c'est peut-être d'être très à l'écoute des dessinateurs. Les faire participer au projet de telle manière qu'ils s'impliquent plus qu'ils ne le feraient autrement. Il faut que l'un et l'autre se complètent et aient envie de donner le meilleur d'eux même. Et c'est vrai, lorsqu'on présente un projet, on regarde d'abord le dessin puis éventuellement l'histoire, si le dessin a plu. En conséquence, s'ils veulent être remarqués par un éditeur : bien choisir ses collaborateurs. Et surtout qu'ils aient toujours beaucoup de courage et de patience.

Un tout grand merci à tous les deux.

Interview et dossier réalisés par Catherine Henry

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