L'actualit� de la presse BD comment�e



La Lettre (de Dargaud) n° 55 (Septembre - Octobre 2000)
de Damien Perez

La Lettre profite de la rentrée pour recevoir les confessions existentielles des auteurs phares du moment. Entre Morvan qui confie ses envies de péplum, Margerin toujours à l'heure de l'éternelle question de la ringardise de Lucien, Godard qui s’interroge sur sa propre dualité de scénariste raffiné ou grossièrement commercial, Pesch qui revit non sans émotion la disparition de son ami Tillieux, sans oublier la paire Hermann qui nous la joue thérapie familiale, la Lettre est devenue le plus grand canapé du monde. Heureusement qu’il reste Druillet, qui n'a rien d'autre à confesser que son amour pour les côtes de porc-purée (Aaah le rebelle !), pour nous ramener fort heureusement dans les eaux plus calmes d'une réalité tangible et confortante.

La Lettre - 22, rue René Boulanger à 75472 Paris Cedex 10 - France - Tel : + 33 1 55 56 70 73

____________ Pour ce que j'en pense ... ____________

L'âge du capitaine

Hier, donc, me promenant parmi les pages d'une publication littéraire (Livres Hebdo pour ne pas la nommer), je croise en photo Maître Druillet que je venais d'abandonner quelques instants plus tôt dans le J'aime/J'aime pas de La Lettre Dargaud avec... quinze ans de moins.(voir couverture)

Un artiste a-t-il seulement son mot à dire quand au choix de l’illustration d’un article ? Malheureux détail, me direz-vous. Quoi qu’il en soit, c’est un jeune Druillet que nous présente la Lettre. Un jeune Druillet tout de noir vêtu, bagouzes aux doigts, regard rebelle et lunettes à la Jean Roucas destroy, figé dans la respectable rigidité d’une photographie dont j’aimerais personnellement connaître la première date de publication… Comme si Loane Sloane, par quelque sombre alchimie, avait à son tour ressuscité son propre créateur, ce qui, admettons-le, est un non-sens total.

Quel besoin pourrait avoir Druillet de se mettre en scène, de se poser en vitrine de son œuvre alors qu’il a la chance d’avoir un style qui se suffit à lui-même ?

Une telle manipulation d’image de la part d’Albin Michel (l’éditeur de “ Chaos ”) m’aurait sans nul doute conduit à dénoncer plus vertement cette manœuvre risible de grand écart éditorial consistant à rajeunir l’auteur pour rameuter la vieille garde tout en faisant de l’œil aux jeunes générations. Mais venant de la Lettre, il ne peut s’agir que d’une maladresse regrettable certes, mais pas très importante, surtout au vu de la qualité de l’interview.

Druillet aurait-il excellé dans une vulgaire tribune d'auto-promotion ? Sans doute pas. Le J'aime/J'aime pas de la Lettre lui permet bien au contraire de balancer quelques bonnes vérités bien senties sans même nous toucher un mot de sa dernière production.

Bon, l'exercice, dans ce qu'il a d'abrupt et d'instantané présente toujours un peu trop à mon goût les auteurs comme des bombardes à vérités premières et autres sentences axiomatiques, mais sa qualité principale est qu'il permet de les découvrir sous un jour plus intime. Surtout quand, comme Druillet, on nous sort le grand jeu : "J'aime pas l'art contemporain. Les tas de cailloux ça m’emmerde. [...] Nous sommes revenus à un système fasciste dans la culture. Impossible de critiquer l'art moderne sans se faire traiter de réac.". Fin de citation.

Là où d'autres créent des mondes, Druillet crée des galaxies. Il était donc normal qu'il ne veuille se contenter d'abattre une chapelle là où il pouvait démonter une basilique, celle de l'art contemporain (entre autres !), avec une hargne, un hermétisme, une logique et une sincérité qui font plaisir à lire. Surtout lorsque l'on devine que sa dimension de "technopère seventies anarco-mégalo-décalé" lui offrira l'indéfectible affection de ces même amateurs d'art de salon qu’il exècre.

Druillet ne théorise rien. Il goûte. Le bon goût c'est le sien et ça lui suffit. Il peut admettre qu'il en existe d'autres, mais pas que l'on cherche à les lui imposer. Sa vie, l’homme la dessine seul, le revendique, et c’est une forme de courage qui n’est peut-être plus si répandue.

La bande dessinée, au contraire de la littérature ou du cinéma ne se satisfait pour l'instant pas de la seule satisfaction d'exister. Et tant qu'il restera des Druillet pour lui garder les yeux ouverts, elle restera tournée vers l'innovation perpétuelle plutôt que de s’endormir dans le confort d’un académisme ronflant. Merci M. Druillet pour cette belle leçon de jeunesse.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


(http://www.BDParadisio.com) - © 2000, B. On The Net