L'actualit� de la presse BD comment�e



Delcourt Planète N° 16 (Avril-Juin 2001)
de Damien Perez

C’est le printemps, l’imagination bourgeonne et les éditions Delcourt (qui fêtent leurs quinze ans d’existence) ne sont pas en reste avec pas moins de 33 nouveautés chamarrées dont se régaleront les amateurs avides de neuvième art et d’expériences visuelles gratifiantes.

Printemps oblige, c’est le retour à la nature, à « la vraie BD vraie » sous la plume d’Etienne Davodeau (La gloire d’Albert), au service d’une histoire comme seule en dessine parfois le quotidien de nos campagnes benoîtes. Jugez plutôt : un agriculteur bien décidé à se reconvertir dans le bio voit ses projets contrariés par un tracé d’autoroute qui va couper sa ferme en deux… Le postulat est savoureux : il ne restait au dessinateur qu’à chausser ses bottes pour s’en faire le conteur au fil des 144 pages de « Rural ! », à paraître en mai dans la collection « Encrages ».

Si les hirondelles ne font pas le printemps, les Stryges encore moins. En des contrées certes moins terre à terre que celles de Davodeau, Richard Corbeyran fait le point sur les univers parallèles dont il s’est fait l’architecte : « L’as de Pique » (Dessin de Guérineau, réédition en intégrale de trois tomes précédemment parus chez Dargaud), le très remarqué « Petit Verglas » (Dessin de Riad Satouf), Kid Korrigan (dessin de Lejonc), dont le trait volontairement naïf n’empêche pas « l’humour absurde et le propos vaguement philosophique », «Le phalanstère du bout du monde » (dessin de Bouillez), un « truc énorme » que le scénariste avait besoin d’exorciser et enfin « Le chant des Stryges » (Dessin de Guérineau, parution du tome 5 en mai), série fantastico-policière peuplée de mystérieuses entités sanguinaires dont on n’ose penser qu’elles soient réelles. Le tirage spécial édité par l’ALBD, très justement agrémenté d’extraits de monographies ayant servi de point de départ au projet devrait conforter le mythe dans son assise et rendre les Stryges plus inquiétants encore, alors même qu’ils n’apparaissent visuellement que très peu dans cette série, cette économie étant à mon sens la véritable marque de fabrique des grands auteurs de littérature fantastique.

Ce printemps verra, et c’est tant mieux, le retour d’un grand auteur, Franz (« Lester Cockney ») qui vient ici prouver qu’un dessin ne prend d’autres rides que celles que veux bien lui dessiner la plume sur du papier. « Compagnons de Fortune » relate les aventures exotiques d’un comptable embarqué à bord d’un navire pirate qui a bien voulu le tirer d’une île déserte où on l’avait abandonné pour de sombre histoires de coucheries. Ca sent bon l’air du large tout ça.

L’air, justement, voilà sans doute ce qui manquera au « Spectre » si la volonté qu’a le peuple parisien de la voir à « L’ombre de l’échafaud » devait se concrétiser. Paris, 21 septembre 1907, l’inspecteur Parisi cède au Commissaire Elmer Picon épaulé par le Criminologue Ernest Renoir le dossier criminel le plus brûlant de ce siècle balbutiant, celui du « Spectre », le criminel invisible qui dépouille la France et les français multipliant les coups d’éclats criminels et les insolences meurtrières. On ne saurait sans doute deviner qui se cache derrière le sinistre individu. Mais ce que l’on sait c’est que Jean-Luc Masbou (« De cape et de crocs ») se cache derrière cette nouvelle série, épaulé par le trait coloré de Cerqueira, et ça c’est plutôt rassurant, car si la terreur sera bien au rendez-vous, l’humour et l’ironie ne seront guère en reste.

Terreur toujours à la suite d’un orfèvre en la matière, un lovecraftien de la narration dessinée, Thomas Mosdi (« L’île des morts ») qui décrypte en compagnie de Freddy Martin l’une des pages de leur série commune « Serpenters », en un exercice pédagogique de vulgarisation constituant l’une des caractéristiques de « Pavillon Rouge » le nouveau mensuel des Editions Delcourt dont il est justement question dans le zoom de ce mois. A tout de suite.

Delcourt Planète - 54, rue d'Hauteville à 75010 Paris - France - Tel : + 33 1 56 03 92 20

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Pavillon rouge !

Et que flotte le « Pavillon rouge » sur la planète Delcourt, puisque tel sera le nom du mensuel que l’éditeur s’apprête à lancer en mai. Après 15 ans de bons et loyaux services pour la plus grande santé du neuvième art, l’ex-débarqué de chez Pilote se lance donc en ces terres de légendes périlleuses où de nombreux titres disparurent faute de lectorat. Mais à la différence qu’il s’agit ici d’une vitrine officielle, un tremplin vers le catalogue maison plus qu’une entreprise aléatoire de publication d’illustres inconnus, ce qui est plus sécurisant à la fois pour l’éditeur et pour le lecteur potentiel, convaincu quoi qu’il arrive de découvrir des séries - réputées ou non - mais toujours estampillées « Qualité Delcourt ».

Guy Delcourt fêterait-il l’âge de raison à se démultiplier ainsi ? 15 ans ça n’est pas rien, et le fait que cet anniversaire (doublé d’un grand festival à Bercy Village les 19 et 20 mai) coïncide avec le lancement d’un organe presse ne doit sans doute rien au hasard. Cette aventure-là semble en effet intervenir alors qu’une assise conséquente en termes d’impacts commercial et éditorial devrait promettre au magazine un succès prévisible. Car tout est réuni pour que l’accueil réservé au « Pavillon Rouge » soit proportionnel à l’importance de l’événement. La prépublication de « séries phares » (Garulfo, Finkel et Sillage) est un passage obligé qui constituera la locomotive publicitaire de l’ensemble, touchant à la fois un public acquis ou pas. Une partie plus expérimentale, véritable laboratoire créatif, permettra aux auteurs maison de s’essayer à de nouvelles séries aux narrations parfois décalées (« Mauvais Alien » par Vatine et Blanchard) voire à des gags alternatifs à de grands concepts chevronnés tels ceux qui seront proposés par Sfar et Trondheim pour enrichir l’univers Donjon. Ce qui ne manquera pas de séduire le lectorat habituel.

La partie rédactionnelle semble pour sa part très novatrice – et diablement intelligente – puisqu’elle a pour ambition avouée de « stimuler les vocations » en offrant au lecteur un volumineux trousseaux de clés professionnelles : visites d’ateliers (celui de Corbeyran pour le premier numéro) trucs, astuces, leçons de dessin (par Sfar pour le numéro 1) et méthodologie pour mener à bien la création d’un album de Bande Dessinée. La possibilité d’envoyer ses planches à la rédaction et d’être publié dans le mag doublant cette volonté pédagogique d’un excellent outil de découverte des jeunes talents chers à l’éditeur, emblématiques de la « BD nouvelle génération » annoncée en couverture.

Ce bel « étendard » n’est donc pas seulement une compilation commerciale de séries à succès, permettant à demi mot de lancer les nouveautés ou de doper les ventes du fond : il « fait partie intégrante [d’une] action éditoriale ». Les choses ont le mérite d’être claires. Il s’agit de séduire le lecteur, d’offrir à de grandes plumes une tribune expérimentale et de permettre à de jeunes artistes d’intégrer plus facilement la profession… chez Delcourt si possible. Sous le « Pavillon rouge » la passion reste au gouvernail, à n’en point douter, l’implication certaines des auteurs à ce projet semble en témoigner. Pas d’âge de raison donc, ni d’âge d’oraison. Et c’est tant mieux.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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