En mars, Astérix prend toute la place ; en avril, Tintin squatte la couv’ tranquille. Et puisqu’en mai fait ce qu’il te plait, daignons consacrer enfin un dossier à Patrick Cothias (« le Saumon », « Le lièvre de Mars ») à l’occasion de la sortie de « Plume au vents » tome 3, les aventures indiennes d’Ariane de Troil dont Bo Doï publie déjà mine de rien l’avant-dernier épisode. Ouf. Il était temps. Mais pour se faire pardonner d’avoir fait prévaloir la hiérarchie officieuse de la profession sur sa ligne éditoriale, Bo Doi chausse les mocassins de gala et range un peu le tipi afin d’offrir à un auteur plus prolixe en albums (à peu près 300 dont 52 pour le cycle des « 7 vies de l’Epervier ») qu’en interviews une tribune digne de ce nom.

Force est d’avouer que malgré les nombreuses amabilités récoltées de ci de là au sujet de la misanthropie présumée de Cothias - l’auteur qui faxe au goutte à goutte leur travail à ses nombreux dessinateurs parfois réduits au simple rôle d’exécutants – le personnage apparaît ici faillible, très humain, semblant parfois ne pas connaître lui-même toutes les clés de son trousseau. S’il sait d’où part la saga des 7 vies, on pourrait penser qu’il ne sait pas toujours lui-même où elle va le mener tant l’auteur et son oeuvre paraissent indissociable, tant Cothias ressent « l’angoisse totale de couper le cordon ombilical » avec l’une des fresques les plus ambitieuses de la bande dessinée. Une large interview à lire, donc, pour découvrir ce qu’un interview se doit d’être : documentée, fluide, avec son lot de questions parfois vachardes, bien loin de certains récents cirage de pompes. Une (re)découverte de Patrick Cothias, pour apprendre entre autres qu’il aurait souhaité clore sa saga par la jeunesse de Germain Grandpin (un personnage emblématique des « 7 vies » et de « Cœur Brûlé ») aurait « adoré être bisexuel » et sortira 7 grands romans retraçant l’ensemble de ses intrigues en une version chronologique définitive.

Et parce qu’on ne saurait dissocier Patrick Cothias d’André Juillard, le dessinateur emblématique de ce monument du neuvième art répond lui aussi aux questions de Jean Pierre Fueri sur fond d’illustrations se passant de commentaires. Et pour rester dans la note indienne, Bo Doi nous propose un entretien avec Laurence Harle, qui partagea avec Michel Crespin (« Armalite 16 ») un projet de fresque Cheyenne avant que ne disparaisse le « prince de l’aquarelle »ainsi que les carnets de route de Baudoin (« Quatre Fleuves » avec Fred Vargas) à l’occasion de la sortie d’un collectif « Innuat » (Editions Paquet, avec Boucq, Dumontheuil, Derib Hermann etc) consacré à la tribu québecqoise des Innus. Rien que de l’indispensable, en somme

Tout aussi indispensable, le résumé des 4 premiers épisodes de la saga « Edena » dont le cinquième tome (« Sra ») sera prépublié à partir de ce numéro de Mai. Edena – pensé et illustré par Moebius (« L’incal ») – c’est une réflexion personnelle sur le monde et l’homme à travers la construction identitaire de deux entités vierges, Stel et Atan. C’est une science-fiction introspective, un rien kitsch parfois dans sa mise en couleurs, mais c’est aussi l’occasion de piocher quelques petites perles d’illustration comme la seconde planche que l’ou croirait sortie d’un Blueberry post-atomique, car pour qui l’ignorerait, Jean Giraud, quand le colt le pèse, dépose les armes pour endosser les lunettes futuristes de son avatar Moebius, preuve s’il en est que l’on peut rester inclassable malgré le succès.

Tout aussi inclassable, Alexandro Jodorowsky (scénariste de « L’Incal » ou des « Technopères ») présente sa pièce de théâtre « Opéra Panique » parmi d’autres articles de qualité - « Touche pas à mes spots », présentation du hors série de Charlie Hebdo consacré au « monde fumant et fumeux » de la publicité - complétés des rubriques habituelles : critiques d’albums, le pinailleur, l’actualité Manga et Comics, Claire de Nuit. Un instantané du monde foisonnant du neuvième art où chacun devrait trouver son compte. Parce qu’il n’y a quand même pas que Tintin et Astérix dans la vie.