L'actualit� de la presse BD comment�e



Bo Doï N° 43 (Juillet 2001)
de Damien Perez

Bo Doï sous le signe du « Scorpion », dans un grand dossier consacré à son dessinateur, Enrico Marini (« Gipsy », « Rapaces »), pour amorcer en fanfare la prépublication du second tome de cette bouillonnante série de cape et d’épée teintée de fantastique. L’interview menée par Jean-Pierre Fueri est excellente. On y découvre la personnalité rassurante d’un artiste déjà essentiel – « le gros problème serait d’avoir trop de succès […] Dès […] les 400 000 [exemplaires] la qualité n’est plus la même » - ainsi que le parcours d’un des rares auteurs à favoriser la lecture muette, celle où l’œil s’attarde - sans plus ses soucier du scénario - pour le seul plaisir d’un arrière-plan ou des courbes vallonnées d’une belle bohémienne. Rien de contemplatif dans tout cela. Car Marini reste un maître du mouvement – « Je suis un visuel. Je n’ai pas envie de me retenir » - un dessinateur complet qui ne sacrifie pas l’ambiance à l’action ni l’action à l’ambiance. Ce qui fait sans doute la réussite de ce « Scorpion », d’autant que l’histoire imaginée par Desberg (Les immortels) - dont tout l’art est de remettre au goût du jour une certaine forme de divertissement populaire un rien surannée – est elle-même bien plaisante à suivre.

Si certains mythes ont parfois besoin d’être rafraîchis, d’autres défient les modes et les passades. La réédition – victorieuse – des « Idées noires » de Franquin (chez Fluide Glacial) le prouve de belle manière. Et ravive l’intérêt pour un auteur emblématique qui mérite encore et toujours que l’on publie et republie des ouvrages de fond à son sujet, tel l’excellent « Comment on devient créateur de bande dessinée » (Niffle éd.). Chez Bo Doï, Franquin, on aime, et l’on ne se prive pas de sortir des cartons de larges extraits d’une interview accordée en 1996 au journaliste Hugues Dayez. Histoire de (re)partir à la rencontre d’un personnage modeste – « La star c’est Gaston ! » - et tout à fait lucide sur son statut de créateur.

Et parce que certains mythes s’exportent toujours bien, Jean-Marc Vidal – décidément jamais en retard d’un scoop concernant l’actualité d’Uderzo - nous annonce sur un air de folklore armoricain la traduction russe d’«Astérix et les Goths». Pour un premier tirage de 5000 exemplaires dont les quelques 150 millions de lecteurs potentiels devront bien se contenter. Pour l’instant. Pas comme ça qu’on va freiner le marché noir à Moscou. Il est à noter que le président Chirac devrait offrir lors d’une prochaine visite officielle au pays de Gogol un Astérix à son homologue soviétique. C’est dire l’importance de l’événement.

Avec au sommaire de ce numéro de juillet la suite de « Thorinth » (Fructus), la fin de « Sra » (« Edena » tome 5 - Moebius), « Claire de nuit » (Bernet-Trillo- Maïcas), une interview de Benoit Peeters (« Les Cités obscures ») à l’occasion de son arrivée en tant que « conseiller » dans l’équipe Casterman «pour apporter un sang neuf à son catalogue BD », un « entretien éclair » avec Giraud/Moebius à l’occasion de la réédition chez Soleil du « Surfer d’Argent » - figure emblématique du comics américain en son temps dessiné par Moebius – les critiques d’albums et le pinailleur. De quoi tenir sans trop de douleur jusqu’au Hors-série n°2 (parution le 6 juillet) que l’on nous annonce « plein d’humour drôle » avec le meilleur de Franquin, Dany, Margerin, Loustal, Ptiluc, Vicomte etc etc.

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____________ Pour ce que j'en pense ... ____________

Amours volatiles

Mine de rien Ptiluc n’est pas content. On ne présente plus l’auteur des « Pacush blues », ces chroniques très amères sur le monde et les individus qui le peuplent, commodément transposés dans une décharge peuplée de rats lubriques, cruels, touchants et… bavards. A travers ses rongeurs Ptiluc s’interroge, commente, engage moult réflexions sur tout et n’importe quoi – souvent n’importe quoi diront les médisants – mais l’artiste s’est également fait connaître –dans un style bien moins contemplatif - comme une redoutable dédicaceur.

Quiconque a mis un jour les pieds dans un festival BD n’a pu rater Ptiluc. Ou alors c ‘est qu’il n’était pas invité. La dédicace à coups de mégots incandescents, de semelles ou de pneus boueux, ça marque les esprits comme les pages de garde. Qu’on approuve ou pas, le spectacle vaut le déplacement. Certains bédéphiles analysent cette attitude comme celle d’un rebelle de salon faisant dans la provoc facile. D’autres au contraire y voient la critique goguenarde du consumérisme littéraire, une désacralisation de l’auteur et du support livre, une remise à plat des relations parfois tronquées entre l’artiste et son public.

Ptiluc est un cynique. Il n’est pas assez naïf pour ignorer que bien souvent les files d’attentes des festivals sont parasitées par des « spéculateurs » organisés – d’ailleurs souvent dénoncés dans le forum - des chasseurs d’illustrations qui s’en iront revendre sitôt la dédicace achevée leur précieux dessin à quelque commerçant indélicat. Ptiluc s’en fout : « C’est pas le gribouillis vite fait sur la feuille pourrie et revendu cent balles la semaine d’après qui va précipiter toute la profession dans la clochardisation ». L’homme n’est pas toujours des plus raffinés, sa table à dédicacer tient souvent plus du terrain vague que de la table à dessin, mais les planches originales, les scénarios, les illustrations inédites, passent en toute confiance, comme un énorme joint dans la communauté labyrinthique de la grande famille des fans.

Et si Ptiluc se fend d’un billet dans le dernier Bo Doï, c’est qu’il vient de découvrir à ses dépents que le propre du labyrinthe est finalement de perdre en son entrailles les imprudents, comme ce fut malheureusement le cas pour quatre planches imprudemment déballées au festival d’Amiens et subtilisées par un « petit connard ».

A lire toute la noirceur ironique qu’il développe dans ses scénarios, on imaginait guère Ptiluc à ce point surpris d’être rattrapé par la cupidité imbécile, la noirceur de l’homme dont il devrait être conscient, puisqu’il la dépeint à travers ses avatars animaliers. Ces quatre planches ont de la valeur, sans nul doute, mais simplement parce qu’il n’en existe aucune sur le marché, Ptiluc les conservant religieusement, puisque, comme il le dit lui-même « mes originaux, c’est mes éditions à moi, reliées à un exemplaire comme quand j’étais petit, ils font partie de ma vie ».

Cette perte le touche manifestement, mais moins que l’attitude qu’il se sentira dorénavant obligé d’adopter en dédicace : Ptiluc ne pourra plus regarder ses lecteurs de la même manière, sans avoir à l’esprit la menace du traître « caché derrière son sourire de fan ». Il interpelle son voleur sans équivoque : « Tu as à jamais pourri une relation que je croyais privilégiée ».

Je n’apprécie pas spécialement Ptiluc, mais à la lecture de ce billet, je crois comprendre un peu mieux sa démarche. Et discerner derrière la frime et le bagou de cet auteur cultivant sa marginalité une humanité propre, rassurante. Et touchante.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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