L'actualit� de la presse BD comment�e



Bo Doï N° 46 (Novembre 2001)
de Damien Perez

Un Bo Doï à la Une très accrocheuse et qui reprend la couverture forcément déjà polémique du futur UW1 ou Denis Bajram a représenté un New York en décomposition dans l’espace. Racoleur ? Pas vraiment si l’on considère que le plat de résistance de ce numéro de novembre est constitué d’un dossier plutôt inattendu où des grands noms de la BD, dont le point commun est d’avoir un jour détruit New York ou d’autres édifices à coup d’avions, réagissent face aux attentats américains (lire à ce sujet le « Pour ce que j’en pense » ci-contre).

Autre rencontre, plus légère celle-là, entre deux Philippe, Vuillemin et Geluck, deux humoristes gracieux et primesautiers, le premier, chantre de la ligne crade, officiant dans l’Echo des savanes pour ses fameuses « Sales blagues », le second officiant un peu partout (Drucker, Ruquier sans compter les fameux albums du « Chat »). Curieuse rencontre finalement, où ni l’un ni l’autre ne se lâche vraiment. Si l’on est maintenant habitué à ce que Geluck musèle sa prodigieuse propension à la cruauté pour ne pas choquer son très large public, on attendait de Vuillemin bien mieux qu’un verbiage poli. Une discussion mondaine et privée sans grand intérêt.

Plus intéressantes les prépublications du mois, avec en particulier la suite de Bloodline (Ange et Varanda), série plutôt violente mais inspirée qui fit les beaux jours de feu Gotham, la revue estampillée Vents d’Ouest. Publiée à l’origine en noir et blanc, puis mise en couleurs et reformatée pour impératifs commerciaux, Bloodline en plus de son charme originel a perdu son dessinateur, retenu par ailleurs sur Paradis Perdu – toujours avec Ange – à paraître chez Soleil et prépublié dans Lanfeust Mag. Et c’est donc Louis-Xavier Valton qui reprend le flambeau pour ce tome 4 fort attendu et qui ne devrait pas décevoir les fans au vu des premières planches, manifestement réalisées dans un souci de continuité graphique.
Avec la suite d’ «Anges», par Dieter et Boiscommun, un bel happy end pour « Chinaman » tome 5 (Ta Duc et Le Tendre), une interview datant de 1996 du créateur de « Barbarella », Jean-Claude Forest à l’occasion de la réédition trois ans après sa mort d’une série de strips « Hypocrite et le monstre du Loch Ness » à L’Association, un entretien avec Alex Varenne (« Police by night »), les premières images de l’adaptation cinématographique du « From Hell » d’Alan Moore, avec Johnny Depp devant la caméra et les frères Hugues derrière (sortie le 14 novembre), les rubriques Comics et Manga, des critiques à la pelle, le pinailleur et un courrier des lecteurs à ce point « dithyrambique » que l’équipe de Bo Doï réclame le retour des « mauvais coucheurs, [des] culs-serrés, [des] nazes et autres scrogneugneux de basse fosse qui [leur] remontaient les bretelles du temps où c’était le bon temps]. Sont jamais contents ces gens-là.

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____________ Pour ce que j'en pense ... ____________

Une de guerre

Jean-Pierre Fueri, le maître es-dossiers de l’équipe Bo Doï relève un sacré défi en confrontant l’image de légèreté qui colle aux bulles du neuvième art à la sanglante actualité des attentats américains. C’est pourquoi il prend la peine de mettre les choses au point en guise de prologue à sa compilation de réactions d’auteurs : « Leurs réflexions valent bien par leur richesse et leur humanité celles de nos faiseurs d’opinion patentés ». Certains pourront objecter que le rôle d’une publication spécialisé BD n’est pas de commenter la situation géopolitique du monde. Mais Bo Doï, par cet éclairage novateur et pertinent – les auteurs invités à s’exprimer ont tous détruit New York dans leurs productions respectives – offre un document inattaquable d’honnêteté et d’intelligence, à mon sens le reflet d’une politique éditoriale inspirée et responsable. Le mensuel prouve ici qu’il est capable de dépasser son confortable statut de publication anarco-libertaire grande gueule en traitant à bras le corps un sujet diablement délicat.

Et Dieu sait que certains n’y vont pas de main morte ! Au propos fataliste et raisonné d’un Pierre Christin - « c’est horrible à dire, nombre de ceux qui n’ont rien ne peuvent que se réjouir de voir ceux qui ont tout en prendre plein la gueule » - répond la prose énervée et polémique d’un Denis Bajram : « On entend parler de victimes innocentes […] Peut-on parler d’innocence en démocratie alors que le gouvernement est élu par les citoyens ? Les afghans qui ne votent pas, subissent la tyrannie des maîtres de Kaboul, sont encore plus innocentes que les victimes de New York » Bajram qui, s’il ne changera rien au contenu du prochain UW1 – une scène d’atterrissage sur un building de Manhattan a été perçue comme une mauvaise farce lors de sa prépublication dans Lanfeust Mag- l’accompagnera tout de même d’une préface explicative propre à le dédouaner de toute tentative de récupération de ces tristes événements. Cothias pour sa part – qui fait tout de même du Président américain un… tyrannosaure dans le dernier lièvre de Mars – condamne la vision manichéenne de l’Amérique flamboyante face au « barbichu saoudien » qu’il ponctue d’un God bless(e) America qui risque là aussi de faire parler. Tout aussi gonflé, Froideval qui relativise sa débauche de violence scénaristique - une flotte d’avions suicidaires fonçant sur New York dans « 666 » – en arguant qu’il a fait «pire en balançant trois bombes à neutrons sur Rome ». Tout aussi polémique mais plus réducteur, le propos de Denis Lapière (« Charly »), qui sous-entend que les auteurs cédant à la représentation racoleuse de la violence contribuent en définitive à la brutalité quotidienne du monde. « Je suis très content de n’avoir jamais donné dans la violence gratuite […] On croit raconter une histoire et on se retrouve comme un mac qui vit du trottoir ». Pas sûr que les terroristes aient fomentés leur sinistres projets à la lecture d’une BD…et quand on a lu le dernier cycle de « Luka » – où une starlette dénudée se caresse avec son flingue avant de se tirer une balle dans la bouche - on est tenté de faire remarquer qu’il convient sans doute de faire le ménage devant sa porte avant de l’ouvrir…

Mais qu’importe ces quelques écarts. Car ce dossier dépasse très largement le cadre qu’il s’était donné justement grâce à la diversité des intervenants. D’une simple réaction à chaud face à des événements qui ne le sont pas moins, ces auteurs - qui en arrivent pour la plupart à réagir en tant qu’hommes tout simplement – dressent un portrait magnifiquement contrasté des Etats-Unis. Tour à tour forteresse délabrée pour Leturgie (« Spoon and White »), terre séduisante mais cruelle pour l’ «Anti-gringo » Christin (qui du coup a du réécrire son prochain volume des Correspondances consacré aux States), « rêve démocratique » pour Tome (« Soda »), cette Amérique qu’ils dessinent là est nécessaire. Car elle vient à point contrebalancer, compléter peut-être, les images et les analyses formulées par des médias dont le traitement de l’information n’admet pas forcément cette réflexion parfois distancée et propre aux artistes.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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