Bien sûr pour vendre du Bo Doï vous prendrez soin d’y apposer en couverture une illustration accrocheuse. Bien sûr, pour un dossier regroupant quelques magnifiques inédits de Grzegorz Rosinski on n’évitera pas Thorgal en Une. Logique. Mais quelle meilleure manière de desservir l’ensemble que d’avoir utilisé cet étrange portrait où le fier viking-atlante semble avoir abusé de cervoise éventée ou de drogue extra-terrestre ? L’adage populaire prétendant qu’on ne saurait juger un livre à sa couverture prend toutefois tout son sens passé le premier choc. Car non seulement l’artiste polonais - que l’on dépeint volontiers avare de parole - se dilapide au cours d’une riche interview recueillie par Jean-Pierre Fueri, mais il se montre en outre tout aussi généreux quand il s’exprime pinceaux en mains, que ce soit par une savoureuse parodie d’héroïc fantasy - page 41 - ou cette magnifique composition page 37 où plane l’ombre du grand Goya. Avec en prime beaucoup d’humilité et une réflexion fine et souvent inspirée quant aux finalités de son métier, qu’il pourrait être intéressant de comparer au dernier édito du magazine slovène Stripburek (à lire par ailleurs dans cette même rubrique).

Un autre qui ne parle généralement pas beaucoup c’est Jean-Jacques Goldmann - mais lui au moins chante me rétorquerez-vous – et même s’il avoue ne s’intéresser que de loin à la bande dessinée, c’est en feuilletant Bo Doï que le chanteur, séduit par les carnets de voyages de Zep (BD n°33), lui a demandé d’illustrer le récent « Chansons pour les pieds ». D’où satisfaction de l’équipe du dit magazine. Car cette collaboration, en plus d’un livret très réussi, accouche d’un excellent article offrant à Zep l’écrin propre à au-moins deux des facettes de son talent : celle du croqueur réaliste d’instantanés de studio et celle d’amuseur patenté, pour un strip irrésistible (et inédit) ou le créateur de Titeuf, exploitant le concept de « Chansons pour les pieds » – ou chaque morceau est inspiré d’un style musical différent - s’est imaginé le sobre Goldmann se déchirant sur des airs Disco, de Jerk ou de Rumba.

Sans oublier un dossier spécial Angoulême, où l’on notera que Bo Doï - qui pour des motifs restés obscurs n’avait pas eu de stand lors de la dernière édition – fait son retour en force au festival en récupérant l’animation du Forum Leclerc, espace de discussion et théorisation du neuvième art animé jusque-là par Jean Auquier, un article consacré à Gérard Lauzier, à l’occasion de la sortie chez Dargaud du recueil « Le meilleur des années 70 », complété d’une interview de son préfacier Frédéric Beigbeder qu’on n’en finit plus de lire dans la presse spécialisée BD (voir la Lettre), un entretien avec Majrane Satrapi, dont la série autobiographique « Persepolis » - chroniques d’une jeune iranienne des années 80 en butte à l’intégrisme – résonne encore plus fort à la récente lumière des attentats américains, et la foultitude habituelle de prépublications, avec la suite des aventures du justicier médium James Healer (De Vita et Swolfs), la fin de Bloodline tome 4 (Varanda, Valton et Ange), une nouvelle série : « Du grunge en génétique » (Zalozabal et Bayeto) joyeux fourre-tout futuriste où l’on croise à l’envi prédicateurs d’Etat façon « Yiu » (Téhy, Guenet, Renéaume, Vee)ou créatures mamelues et branchées genre « La Bombe » (Stan, Vince et Delepine) sans oublier le pinailleur, les critiques d’albums – ou l’on descend le jeune Blueberry – « Claire de Nuit » et les bulles croisées de Roger Brunel. De quoi refermer Bo Doï repu et satisfait, jusqu’à ce que aaaargh, non tout de même cette couverture..