L'actualit� de la presse BD comment�e



Pavillon Rouge N° 8 (Janvier 2002)
de Damien Perez

Si l’hiver reste saison où l’on ne s’effeuille guère, il sera de bon ton de feuilleter en ce mois de janvier 2002 « Pavillon Rouge » dont la double page centrale constitue un calendrier d’où regorge pléthore de pin-up vêtues juste comme il faut, et imaginées par Henriet, Vatine, Malfin, Yoann, Mazan et bien d’autres, autant d’auteurs que l’on bénira pour ces quelques instants de chaleur.

Coté chaleur, Michel Plessix (« Le vent dans les saules ») n’est pas en reste, pour une longue et très agréable interview (lire ci contre) accordée à Dominique Guillot, quant à David Chauvel (« Arthur », « Nuit noire »), il noircit comme à son habitude la « carte blanche » que lui confie Guy Delcourt de sa vision incisive et nerveuse du monde de la bande dessinée, avec pour ce numéro une critique acerbe mais réaliste du phénomène des dédicaces lors des festivals, « tristes ateliers d’abattage dénués de sens où l’alibi de la rencontre est mort et enterré. ».

Tout aussi mort mais bien vivant, le Petit vampire de Joann Sfar qui se découvre une nouvelle existence grâce à une série animée prévue en 52 épisodes sur France 3 sous la houlette de Bernard Deyriès, déjà présent sur quelques productions de qualité telles « Les mystérieuses cités d’or » ou « Ulysse 31 » - souvenirs !. Si l’on a pu s’interroger sur quelques libertés d’adaptation parfois inévitables lorsqu’il s’agit de formater des albums de bande dessinée à destination du petit écran il n’en ira sans doute pas de même pour « Petit Vampire » puisque Joann Sfar - qui a «la réputation d’être un monsieur difficile parce qu’il sait ce qu’il veut » - devrait « assurer toute l’écriture et toute la création des personnages », dans le plus pur respect de la série originelle.

Avec, côté prépublications la fin du régulateur » (Moreno, Corbeyran), la suite du très attendu « Golden City », (Tome 4, par Pecqueur, Malfin, Schelle et Rosa) - les amateurs peuvent d’ailleurs commander dans la nouvelle rubrique « La boutique » une montre sortie à l’occasion du dernier festival d’Angoulême – et « Koblenz » toujours magnifiquement animé par Thierry Robin. Et puis c’est devenu une habitude, diverses friandises de qualité : séries courtes, comme « Mauvais Aliens » (Vatine, Blanchard) pour un variation humoristique et réussie sur le thème de l’Extra-terrestre colonisateur, un récit en six planches poético-loufoque, « Les archives de la planète » (Corcal, Chevillard, Palenstijn ) où l’on retrouve la mythique Bibliothèque d’Alexandrie, rien de moins, un guide d’achat comprenant 7 livres-clés pour quiconque souhaiterait apprendre à faire de la bande dessinée, des critiques d’albums toujours nombreuses et souvent pertinentes, subjectives et fières de l’être, et la leçon de dessin de Joann Sfar, indispensable cours d’humour pédagogique et décalé. De quoi rester tranquillement au chaud en s’aérant l’esprit.

Pavillon Rouge - 54, rue d'Hauteville à 75010 Paris - France - Tel : + 33 1 56 03 92 40 - fax : + 33 1 56 03 92 30 - e-mail : pavillonrouge@editions-delcourt.fr

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Seul sous les saules

Au fil des années, l’œuvre et l’homme sont devenus indissociables tant Michel Plessix, avec son adaptation du roman « Le vent dans les saules » - un grand classique anglais de Kenneth Grahame – a su toucher à l’universalité. Et si la rondeur de son dessin animalier subtilement souligné d’aquarelle est régulièrement repris pour illustrer produits du terroir ou manifestations diverses, c’est que l’esthétisme champêtre des aventures de Taupe, Crapaud et Rat, en quête d’instants rares et choisis en communion avec la nature, parlent simplement d’une certaine conception du bonheur. L’impact visuel de ce petit monde fut tel qu’on en oublia finalement le dit Plessix, tellement discret derrière sa table à dessin. Et c’était sans doute lui rendre justice que de dépêcher Dominique Guillot jusqu’à la « tanière » de l’auteur afin de recueillir une judicieuse interview que les lecteurs de Pavillon Rouge ne manqueront pas d’apprécier.

La publication des quatre tomes du «Vent dans les Saules » - dont le dernier « Foutoir au manoir » vient de sortir - s’est déroulé sur 6 ans, ce qui pour un dessinateur se qualifiant lui-même de « l.e.n.t. » est relativement plutôt raisonnable. Car Plessix, qui avoue « être d’un tempérament solitaire, indépendant et pas très souple* » semble s’être jeté à bras le corps dans cette entreprise qui lui a permis de retrouver son « plaisir de gamin à faire de la BD *» en s’affranchissant des « contraintes de documentation exacte, de matériel technique compliqué* ». L’auteur avouait, dans une interview accordée au premier numéro de Delcourt Planète, travailler de « manière beaucoup plus décontractée *»… même s’il concède ici être un « auteur étonnamment insatisfait », éprouvant « le sentiment de passer à coté du rêve initial », ce qui du point de vue du lecteur égoïste constitue l’assurance de délais parfois importants entre deux tomes mais aussi d’avoir in fine la satisfaction d’ouvrir un album soigné.

Car on est bien loin, chez Michel Plessix, du dépouillement graphique et textuel souvent préconisé lorsque l’on vise un jeune public. Plessix qui avait « de grandes théories sur la manière dont on doit s’adresser aux enfants : peu de cases par planche, un dessin très simple, des décors suggérés* » a rapidement compris que l’adaptation d’un « roman où le décor est l’un des personnages principaux* » imposait une sorte de charte graphique irréprochable, entre « naturalisme et impressionnisme *». D’autant que « Le vent dans les Saules » comporte par delà son apparente candeur, la profondeur de ces contes de veillée à « plusieurs niveaux de lecture pour intéresser tous les âges ». Il aurait été simple de gommer cet aspect familial pour réduire l’œuvre de Grahame à une simple historiette enfantine. C’était compter sans le respect de Plessix pour l’œuvre source. Sans son respect pour les enfants également, lecteurs sensibles et attentifs - « S’ils ne comprennent pas, ils ressentent » - et c’est peut-être là la clé de l’harmonie de cette série : l’enfance, les souvenirs qu’en a l’auteur, conjugués à son talent mature. Son goût pour le dessin, Plessix l’a cultivé pendant ses jeunes années - il réalisa son premier « album » à … 6 ans pour une adaptation des Fables de La Fontaine – le nourrissant d’un imaginaire emprunté entre autres à certaines productions Disney passées à l’époque inaperçues dont … « Le vent dans les saules »…

Et l’on découvre que cette adaptation, aboutissement d’un long cheminement créatif, méritait à bien y réfléchir ce genre d’épilogue, cette interview-mise au point. Et l’on se demande finalement si Michel Plessix n’avait pas lui-même besoin de cet exercice pour faire le point avant de poursuivre un parcours ayant plus à voir avec une réalisation personnelle qu’une carrière professionnelle, même si, succès aidant, l’auteur envisage de donner une suite à sa série fétiche, utilisant comme point de départ un chapitre digressif de L’œuvre de Grahame non utilisé dans la série dessinée.

Puisqu’il semble donc que la série continuera, on pourrait considérer cet entretien comme celui d’une forme de consécration, recherchée depuis l’école primaire, à l’époque où Plessix, conscient de ses limites d’enfant, dessinait pour « jouir d’un domaine dans lequel on [le ] respectait », souvenirs malicieusement mis en scène dans le recueil « La fabrique Delcourt a dix ans » pour une touchante et savoureuse histoire courte dont sont extraites les cases ci-contre.

Entre un vibrant plaidoyer pour les « petits instants qui font que, si l’on sait bien les goûter, les saisir, on se sent en communion avec le reste du monde » et son amour pour le cinéma - qui d’après lui influence beaucoup ses cadrages, en particulier par un recours massif au plan américain – cet entretien avec Michel Plessix nous raconte tout ce que l’on s’était imaginé du personnage à la lecture de « Julien Boisvert » ou du « Vent dans les Saules », même s’il n’en est pas le scénariste : l’histoire d’un auteur solitaire mais très humain, vaguement rêveur et insatisfait. Quelqu’un d’authentique.

* Delcourt Planète N° 1

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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