L'actualit� de la presse BD comment�e



Pavillon Rouge N° 12 (Juin 2002)
de Damien Perez

Après s’être fiché sur le monument « Seigneur des anneaux » Pavillon Rouge se plante dans la nébuleuse « Star Wars » avec un numéro 12 (joyeux anniversaire !) largement consacré à l’imposante saga de Georges Lucas. Au menu des réjouissances un très intéressant dossier relatant une saga parallèle et complémentaire au cycle cinématographique : celle de la bande dessinée bien sûr. Du Comics au Manga, Star Wars a en effet suscité de nombreux avatars de papier (voir le catalogue Delcourt…) qui parfois même prolongèrent le mythe en s’attachant aux destins de personnages secondaires (Boba Fett ou autres)… situation diamétralement différente de celle du Seigneur des Anneaux dont les ayant-droits, rappelons-le, empêchent toute adaptation en bande dessinée - à l’exception notable d’un Bilbo réédité depuis peu chez Vents d’Ouest.

Et puis par delà cette intéressante étude signée Philippe François on découvre, outre quelques illustrations croquignolettes, divers encarts où les auteurs Delcourt racontent « leur » premier Star Wars. Et le moins que l’on puisse dire et que l’exercice vaut le détour, puisque les textes débordant de nostalgie ou d’humour font appel, rien à faire, à quelque chose d’essentiel, qui parlera à tout cinéphile « lucasien »… avec une mention spéciale à Philippe Buchet. Jugez plutôt : « Je me souviens bien de Star Wars, car lorsque je sortais du cinéma, un truand s’est rué sur nous, a arraché le collier de perles de ma maman, avant de tuer mes parents ; depuis je suis devenu un justicier masqué »…

Inversement futuriste mais finalement très culte et tout aussi cinématographique, l’inspecteur Issac O’Toole, justicier seventies très second degré, se détend un brin - ben oui plus personne à flinguer avec la fin de la prépublication de « Chewing gun » - et nous dévoile quelques-unes de ses influences, entre Bad Lieutenant, Starsky et Hutch et l’inspecteur Harry. Cette large interview d’Ozanam et Lannoy - les créateurs du seul flic irlandais coiffé comme Shaft - est résolument à l’image de leur série, faussement légère et pailletée, constitutive d’un nouveau genre finalement, qu’on pourrait qualifier de dark-seventies. Car force est d’avouer qu’il est parfois bon de s’aérer des héros musculeux, lisses et vertueux. D’ailleurs Lannoy ne s’y est pas trompé : « Les gentils vous trouvez ça vendeur, vous ? ».

Avec bien sûr beaucoup de bande dessinée : la fin de « Chewing gun », la suite du dernier « Aquablue » (« Le totem des cynos » par Cailleteau et Tota), le nouveau « Donjon Parade » (« Le jour des crapauds » par Sfar, Trondheim et Larcenet), « Y’a du monde au portillon », récit court réalisé par François Duprat et Aris et puis plein d’autres choses encore, des critiques d’albums et de romans, l’humeur de David Chauvel, quelques zoom sur diverses séries (« Petit verglas » et « Ring Circus » entre autres) et puis un papier très sympa, fidèle à la volonté de la rédaction de faire pénétrer le lecteur dans les coulisses du mag, et qui à l’occasion du premier anniversaire de Pavillon Rouge, offre quelques brèves souvent marrantes sur les aléas du métier.

Pavillon Rouge - 54, rue d'Hauteville à 75010 Paris - France - Tel : + 33 1 56 03 92 40 - fax : + 33 1 56 03 92 30 - e-mail : pavillonrouge@editions-delcourt.fr

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La guerre des mags aura-t-elle lieu ?

(A suivre) disait-on à l’époque, sans vraiment y croire, après la disparition d’un des derniers grands titres de la presse BD. C’est bien simple, on n’y croyait plus au renouveau du secteur, à cette presse qui prenait des risques, favorisait les expérimentations. On en n’imaginait plus d’autres qui comme les Sokal, Schuiten ou Bourgeon s’investiraient par pur plaisir dans une aventure éditoriale unique. Et du coup le très opportuniste Bo Doï rafla la mise, endossant sa cape impériale de maître du désert, parfaitement seul sur un marché désormais ouvert… où l’on ne voyait poindre nulle concurrence : Vécu restait fidèle à sa formule très professionnelle, réservée aux aficionados Glénat pur jus, Fluide et le Psikopat se partageaient les cartes de l’humour sans autre visée que de vous chatouiller le sourire, et Lanfeust Mag sans aucune prétention cherchait à donner au lecteur autant de plaisir que l’équipe en avait eu à le réaliser.

La situation, depuis, évolue, chacun l’aura remarqué. Qu’il s’agisse d’initiatives éphémères - KOG ou Eklipse – ou maintenant bien implantées – comme Pavillon Rouge - la presse BD généraliste connaît clairement une sorte de renouveau quantitatif, qui ne va d’ailleurs pas sans une certaine qualité rédactionnelle, quoi qu’on en dise.

En tant que lecteur assidu (évidemment !) de la plupart des titres du paysage presse, découvrir dans le dernier « DBD mag », grâce aux cogitations éclairées de Jean-Marc et Frédéric Vidal que « Pavillon rouge », je cite, « ne possède pas jusqu’à ce jour de rédacteur en chef » a donc de quoi surprendre… Bien sûr l’Ours du magazine ne mentionne, il est vrai, aucun rédacteur en chef. Mais de là à insinuer que Pavillon rouge, puisqu’il n’a pas de rédacteur en chef, n’aurait pas d’identité propre… le raccourci est un peu raide. Et la perfidie un rien étonnante. Messieurs, nous n’avons pas lu le même Pavillon Rouge manifestement. Car diantre, malgré quelques erreurs de jeunesse, n’assistons-nous pas à l’éclosion d’une ligne éditoriale sérieuse, inspirée, idéalement ludique et technique, où les prépublications n’oublient pas de céder le pas à une certaine forme de pédagogie ?

Et si ces débordements malhabiles des comparses de Bo Doï n’étaient que les premiers fruits d’une crispation concurrentielle en devenir ? Le problème, justement, ne se situe-t-il pas à ce niveau de ressemblance progressif entre les deux magazines ? A l’instar de son aîné, Pavillon Rouge me semble en effet tendre à une certaine forme d’exhaustivité informative. L’esprit régnant toutefois dans les deux rédactions semble ne pas être le même… On le sait les limites éditoriales de Pavillon Rouge sont celles du catalogue Delcourt - assez riche pour que l’on ne s’y sente pas à l’étroit il est vrai – et le titre reste de facto une locomotive publicitaire même si quelques wagons du convoi n’oublient pas de s’ouvrir au reste de la profession (critiques d’albums, le billet mensuel de David Chauvel, la leçon de dessin de Sfar ou d’autres encore). Ajoutons à cela quelques collaborations inédites entre auteurs maisons, plusieurs expérimentations de séries, et l’on découvre qu’il règne sur Pavillon Rouge une énergie, un plaisir participatif – communicatif – qui nous renvoie directement à l’image que véhiculait feu (A suivre).

Bo Doï, dégagé qu’il est de toute mainmise d’un éditeur, a beau jeu de revendiquer sa totale liberté. Argument qu’il est aisé de battre en brèche en se basant sur quelques pitoyables épisodes qui à mon sens entachèrent sa crédibilité. La défense d’Uderzo en particulier, en fut très emblématique, puisque qu’au delà d’un positionnement curieux où l’on défendait un album relativement indéfendable, tout fut bien plus clair lorsque le père d’Astérix accorda une belle bordée d’entretiens exclusifs à son mensuel préféré. Ce qui dénotait une certaine part de diplomatie nécessaire et de silence consenti - à visées purement commerciales - qui s’opposait curieusement au ton soi-disant grande gueule et libertaire de l’organe.

Surtout ne nous y trompons pas. Aucun manichéisme de ma part. Bo Doï reste un titre incontournable, que je lis toujours avec grand plaisir. Mais ce ton parfois terriblement hypocrite d’anarchiste gentil – sans parler d’articles régulièrement people et inutiles - nuit au reste du rédactionnel. Et ne constitue sans doute pas un vecteur par lequel un lectorat forcément éclaté pourrait s’identifier au seul magazine généraliste du neuvième art. Pour combien de temps ?

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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