Bien sûr, il était impensable de ne pas offrir à Hugo Pratt son hors série, tant " La cour secrète des arcanes ", long métrage adapté de " Corto en Sibérie ", va relancer l'intérêt du grand public pour l'un des dessinateurs phare du roman graphique. Et le moins que l'on puisse dire c'est que l'équipe de Bo Doï a trouvé l'éclairage parfait, celui qui a su éviter l'écueil redoutable de la contemplation satisfaite d'une œuvre ou de la sanctification d'un auteur poétique et cérébral. Qu'on en juge plutôt. L'équipe de Bo Doï se tait. Pour laisser la parole aux intimes de Pratt, au gré d'un vingtaine d'entretiens non censurés, où le moins que l'on puisse dire est que Saint Hugo y perd un rien de son auréole. Pratt, on le sait, était une personnalité forte, qui ne laissait pas indifférent. Gouailleur, séducteur, jouisseur, pourri de talent, infernal érudit, rayant d'un trait de plume ses amitiés d'enfance, enchaînant les conquêtes, toujours à l'écoute de ses proches, sauf quand ils le lassaient, Pratt apparaît tour à tour comme un courtaud insatisfait, avide de projection vers un Corto sublimé, puis comme un amoureux romantique et généreux, comme un nouveau riche à la mémoire courte, comme un ami fidèle à la main sur le cœur, comme un voyageur invétéré enfin, à moins qu'il ne soit pantouflard maladif, bref comme un homme que personne n'a finalement appréhendé de manière globale.

Cet hors série est tout simplement indispensable. Les points de vues sont à ce point éclatés - citons Dominique Petitfaux, l'historien officiel de Pratt, Anne Frognier, l'ex-femme de Pratt ou encore Patrizia Zanotti, qui gère les droits du maître - qu'on a l'impression enfin, d'une analyse constructive, qui fuit le manichéisme comme Corto fuyait l'immobilité. Il s'agit donc d'une entreprise remarquable, qui fera grincer des dents, mais qui n'entache en rien, malgré la violence de certains, l'aura de Pratt. A l'heure où tous les médias, Télérama en tête, présentent l'auteur comme on le fit voilà quelques années dans le petit monde de la Bande Dessinée, d'une manière très lisse, convenue, dans le respect d'une légende travaillée, cette ode à l'humanité gargantuesque de Pratt constitue le plus bel et le plus intelligent des hommages. Bravo.