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Ekllipse n° 5 (Septembre - Octobre 2000)
de Damien Perez

Ekllipse part en campagne à la découverte d’un phénomène éditorial et littéraire, l'Héroic Fantasy, avec ce ton décalé, parfois obscur et migraineux qui caractérise cette excellente publication. Comparer Ekklipse à bon nombre de ses concurrents, c’est comparer le câble au satellite. Le satellite gagne dans un fauteuil. Dommage qu’on tombe parfois sur des émissions en codé. Mais cette belle exhaustivité dans la difficulté de bien traiter un sujet tel que l'Heroic Fantasy, originale tant sur la forme (une impressionnante palette d’illustrations) que sur le fond (présentation rythmée des séries Lodoss et Tellos, interview d’Arleston), agacera tous ceux qui ne seront pas séduits et ravira les autres. On trouve dans ce numéro, outre ce dossier unique dans son approche, un hommage à Will, un entretien avec Sergio Toppi, le sculpteur de papier, et un article consacré à l'orfèvre méticuleux de la terreur dessinée, Monsieur Berni Wrightson.

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____________ Pour ce que j'en pense ... ____________

Codifiée, l'Heroic Fantasy ?

Jamais en retard d'un défi, Ekllipse met en lumière dans son numéro de septembre-octobre la respectable bâtardise de ce genre qui n'en est qu'à peine un : l'Heroic Fantasy. Nulle dépréciation de ma part dans cette affirmation-là : à l'inverse du polar, du western, du récit historique ou des diverses composantes du fantastique, l'Heroic Fantasy n'est pour sa part qu'à peine codifiée, voilà tout.

Hurlements et postillons sur les écrans. Pas codifiée l'Heroic Fantasy ? Et les poncifs, me direz-vous, quid des barbares ruisselants de bestialité, des magiciens longilignes et barbus, des donzelles avenantes et mamelues, des elfes cérébraux ? Quid du mythe de l'élu que l'on arrache à sa cambrousse, des ennemis manichéens, de l’infâme sorcier chantre du mal, des nains bougons, de la cité des voleurs et du temple oublié ? Poncifs certes, mais qui ne constituent que les éléments de base à intégrer dans toute intrigue se réclamant de l’appellation Heroic Fantasy.

Car l'intérêt est ailleurs. Il réside dans ce que l'on fait d'un genre qui englobe plus qu'il ne rassemble.

De Burrougs en Howard, de Tolkien en Moorcock, puis de Buscema en Loisel, l'univers imaginatif et visuel de tout amateur d’Heroic Fantasy s'est enrichi d'un panthéon de héros toujours inédits, mais aux origines parfois criantes. Qu' Oger nous mâtine son Elric d'amour et d'humanité bienveillante, ou que Chauvel rhabille le cycle arthurien des origines, dans l'Heroic Fantasy, rien ne se perd mais tout se (re)crée. La liberté d’expression est infinie pourvu qu’elle prenne place au départ dans un univers aux constantes bien connues du lecteur. L'exercice n'est pas si simple qu'il y parait. En BD comme ailleurs il est plus souvent facile de construire à partir de rien que d'étonner sur du déjà lu.

Faire l'historique de l'Héroic Fantasy semblait donc relever du surhumain, d'une sorte de fantaisie... héroïque, tant les légendes à compiler semblaient innombrables. Avoir la prétention de la replacer dans un contexte littéraire pouvait sembler hallucinant. Mais Aude Ettori ne se sert pas de sa plume comme d'un silex laborieux duquel naîtrait l'étincelle au prix de plusieurs heures d'effort. Son verbe est léger, précis, parfois même poétique, avec ce qu'il faut d'académisme épique pour susciter le goût de la légende et crédibiliser le sujet. Et les rubriques périphériques autant que l’impressionnante palette d’illustrations choisies ne viennent pas démentir la qualité de l’ensemble.

Du vrai bon boulot de passionné. Merci.

PS : Au sujet du Seigneur des Anneaux, Stéphanie Benson, écrivain bien connu des amateurs de Polar m'a assuré, lors d'un festival où elle s'ennuyait, que l’œuvre maîtresse de Tolkien dans sa version française n'était qu'un vaste gâchis. Lire le Seigneur en anglais, c'est découvrir un mythe dans le mythe, de subtiles déformations historiques, une compilation de private jokes érudits en somme, et absolument savoureux autant qu'intraduisibles. En tout cas bien loin du conte parfois gentillet dont bon nombre d'entre nous se sont pourtant délectés. J'oubliais : le Seigneur des anneaux version anglaise est absolument illisible et incompréhensible pour le non anglophone de souche. Y'a des jours comme ça. Ou vous avez presque l'impression d'être passé à côté de quelque chose.


Jamais sans mon Scotch

L'humilité éditoriale autant que le bon sens commercial ont invité l'équipe d'Ekllipse à compléter sa réflexion théorique sur l’Heroic Fantasy d'un enrobage sucré-salé. Côté sucré, la délectable présentation en textes et en images de séries réputées autant que dissemblables (Lodoss et Tellos). Côté salé, l'interview-vérité d'un scénariste, Scotch Arleston, l'homme qui ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.

Présenter tout en images les différentes séries du bon Scotch, c'est lui rendre cette majesté presque historique que la sortie d'une énième série estampillée Arleston avait fissurée. Eh oui, à jouer les stakhanovistes, on finit par se constituer une œuvre, rien de moins.

Si le seul talent de l'homme devait être de convaincre ses pairs qu'il n'en possède aucun, Scotch Arleston trônerait sur la plus haute marche de l'improbable podium des auteurs modestes. Mais Scotch qui nous dévoile ses trucs, c'est un peu Gérard Majax qui offre un million à quiconque lui présentera une phénomène surnaturel inexplicable, ça tourne au non sens, à la déception. C'est un peu le serpent qui se mord la queue.

Une lecture attentive de l'interview de Scotch peut suffire. Ligne après ligne, la recette est là. Évidente. Pour faire une bonne série d'Heroic Fantasy, partez d'un héritage imaginatif universel, dépoussiérez-le par un léger décalage, mettez-y de belles couleurs, des décors baroques et décadents, quelques bestioles à poils ou à écailles, ancrez la réalité de votre présent dans un passé à ce point détaillé qu'il en deviendra historique, plongez-y quelques individus armés et laissez prendre la sauce pendant quelques cycles en n'oubliant pas de touiller tous les deux tomes.

Scotch n'invente rien. Il le sait. Et le dit "Tout le principe, c'est de faire du neuf avec les mêmes choses". Scotch se contente de réchauffer les restes, ce qui est déjà une forme d'expression artistique des plus subtile et compliquée, mais il n'hésite pas à reconnaître dans le même temps que lorsqu'il "invente fait plein de recherches quand même imagine toute la recherche".

Eh le modeste ! Si ça ce n'est pas une très belle définition de ce merveilleux talent qu'est l'imagination...

Peu d'aventures, hors l'Heroic Fantasy, ont le don de vous faire naître aux oreilles des musiques aux accords aventureux. Alors voir Thorgal sortir son CD (à quand la tournée ?) prouve malheureusement que la magie peut parfois s'en aller pour qu'on veuille ainsi la recréer artificiellement, cette merveilleuse musique.

Arleston n’a manifestement pas ce problème. Et comme il est toujours plus facile de commenter que de créer, je n'en dirai pas plus de peur d'en faire trop. N'empêche, laissez-moi vous dire que malgré la profusion de ses productions, abuser du Scotch ne m'a pour l'instant pas fait le moindre mal. Bien au contraire.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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