L'actualit� de la presse BD comment�e



Bo Doï n° 35 (Novembre 2000)
de Damien Perez

Bo Doï nous ouvre ses pages sur une couverture signée William Vance, et flanquée de l'inévitable (et incontournable) numéro XIII, à l'occasion de la sortie de Secret défense, tome 14 de la série, dont le scénariste, Jean Van Hamme, fait l'objet d'un dossier.
JVH dans Bo Doï, ça pourrait à priori surprendre tout autant que Céline Dion dans Voici, mais l'éclairage est ici particulier puisque Jean-François Courtille a eu l'excellente idée de confier le soin à l'entourage intime du créateur de Thorgal de camper la personnalité d'un auteur connu de tous mais finalement très discret.
Après nous avoir mené par les méandres des arbres généalogiques de XIII ou des Steenfort (Les Maîtres de l'orge), il était temps pour JVH de nous laisser monter au sien, où chaque branche amène sa part de vérité. De son épouse (qui avoue que XIII ou Largo Winch ne l'"intéressent pas follement") à Tibet ("Jean est un homme sur lequel on peut compter"- Ses éditeurs sont d'accord), la variété des témoignages dépeint une personnalité contrastée, tour à tour sensible et humaine, ou cynique et distante, mais une personnalité forte et talentueuse, assurément.

Si XIII parade en couverture sac à l'épaule et Michelin en main, c'est parce qu'il sait qu'il n'est que de passage. Après avoir entr'aperçu JVH tout en haut de sa pyramide, venez rencontrer un auteur qui partage avec son aîné le goût du nomadisme éditorial et dont le luxe est de papillonner d'un éditeur à l'autre. S'il ne restait que quelques analyses périphériques et résiduelles à effectuer au sujet de Van Hamme dont on a tout dit, il reste à explorer toute la richesse tourmentée de Manu Larcenet dont les diverses productions (participation à la série Donjon, Presque, Les cosmonautes du futur etc) sont aussi dissemblables que les facettes de leur auteur qui se livre sans fard sur les pentes glissantes d'une interview sans concessions.

Côté prépublications, Théodore Poussin (Le Gall), toujours à la recherche du mystérieux Requin, dangereux criminel embarqué à bord du Cap Padaran, restreint son cercle de suspects en assistant à la représentation sanguinolente d'une troupe de théâtre dont fait partie l'inquiétant M. Novembre, aux motivations plus que jamais mystérieuses. Epilogue de ce tome 11 (Novembre toute l'année) dans le prochain Bo Doï.

Albino, Technopère suprême au faîte de sa puissance, poursuit l'enregistrement de ses mémoires et nous narre son ascension vers le pouvoir ultime. La fin de ce troisième tome des Technopères laisse le jeune Albino, assassin de ses gardiens de Planeta-Games, où il devait apprendre à créer des jeux vidéos, en route vers Halkattraz, domaine des bourreaux, où il doit parfaire sa force et sa cruauté, mais aussi noyer son innocence et sa bonté.
L'amateur de Science-fiction savourera comme à l'accoutumée la douce alchimie d'un dessin sublimé par une mise en couleurs distanciée autant que par un scénario retors et riche en rebondissements. L'histoire parallèle de la famille d'Albino, qui échappe aux griffes de Thark le pirate pour tomber entre celles du peuple des Hyperbatones en est l'illustration parfaite.

Bo Doï reflète, avec la prépublication du Décalogue tome 1 (Béhé et Giroud) la volonté des éditions Glénat d'enrichir la BD d'une dimension ésotérique grâce à des séries à l'ancrage religieux puissant telle que le Triangle secret (voir Vécu n°24).
Ce cycle du décalogue qui nous narre, de Mahomet à nos jours, le parcours d'un manuscrit mystérieux, le Naïk, s'étendra sur dix albums, chacun dessiné par un auteur différent et prenant place dans une époque particulière.
Chaque tome pourra se lire séparément et l'ambition affichée du scénariste est de clore la série en moins de trois ans...
Ce premier tome, réalisé par Giroud (Louis la Guigne, Azrayen) et par Béhé (Minuit à Rhodes, Péché mortel), s'est choisi la ville de Glasgow comme écrin et met en scène la crise existentielle d'un éditeur, écrivain raté et alcoolique repenti, qui un jour reçoit le fameux Naïk.

A noter également l'incursion d'un justicier à peine moins efficace que XIII, Jack Palmer, le privé le plus lymphatique de sa génération, qui traîne son imper et son gros nez en Corse à l'occasion de la sortie du douzième tome de ses aventures, L'occasion pour Petillon, son créateur, de recevoir Bo Doï dans sa paillotte pour un interview exclusive. Mais que fait la police ?

La police ? Elle est mise en scène sans complaisance au gré des quatre planches réalisées par Alfred (Abraxas) à l'occasion de la sortie des textes d'Higelin illustrés par de jeunes auteurs (Ed. Petit à petit). Au moins elle n'aura pas le temps de flasher Margerin au 64ème Bol d'Or ni de faire des tracasseries à Claire de Nuit (Bernet, Trillo, Maïca), ce dont personne ne se plaindra.

A noter également l'interviewer interviewé, Numa Sadoul, l'ami des stars, qui plutôt que de théoriser la BD (qu'il ne considère pas comme un art) la livre brute dans des ouvrages d'entretiens réputés où se livrèrent des auteurs incontournables comme Hergé, Gotlib ou Franquin. Cette plume de référence, après 10 ans d'absence, nous revient avec un ouvrage consacré à Vuillemin et plusieurs de ses ouvrages réactualisés (notamment celui consacré à Tardi).

Et pour terminer, toutes vos rubriques habituelles, les critiques d'albums, les pinailleurs, le courrier etc. Merci Bo Doï pour ta générosité.

Bo Doï - 13, rue de l'Ancienne Comédie à 75006 Paris - France - Tel : + 33 1 44 41 00 58 - e-mail : lz.bd@wanadoo.fr / Belgique : BoDoï - Partner Press - 11, rue CH. Parenté à 1070 Bruxelles

____________ Pour ce que j'en pense ... ____________

XIII IS BUSINESS

Depuis le vendredi 13 octobre, XIII n'est plus seulement la série culte des éditions Dargaud, mais également un jeu de grattage lancé à grandes rafales publicitaires par la Française des jeux à l'occasion de la sortie des nouvelles aventures du héros amnésique (Secret défense - sortie le 4 novembre).

Votre buraliste attitré vous invitera donc à flatter Dame Fortune pour tenter votre chance d'un index gratteur. Les deux bulle-mystére apparaissant sur chacune des dix cartes à l'effigie d'un personnage de la série renferment sous leur surface argentée deux chiffres. Si leur somme est égale à… XIII, vous gagnerez la somme annoncée : 10, 30, 130, 1300, 13 000, 130 000F ou… (ce qui reste à envisager) 0 F. Ce jeu, qui aura une durée de vie de 6 mois, célèbre des noces d'argent pour le moins inattendues : celles de XIII (7 millions d'exemplaires vendus) et de la Française des jeux (33 millions de joueurs).

Ceux qui n'aiment pas XIII (ils deviennent rares) seront XIII énervés. Les autres adoreront. L'opération sera en tout cas un succès. D'ici quelques semaines, le plus célèbre des héros à mèche depuis Tintin restera le seul à ne plus savoir qui il est.

XIII, qu'on ne présente plus, est une série efficace, nerveuse et inventive, que la longévité (et le succès) finissent forcément par rendre suspecte. Le matraquage commercial dont elle fait l'objet, ventes promotionnelles, rééditions intégrales en noir et blanc, T-shirts (inévitables !), chaussettes (indispensables !), et bonnet (abominable !), ne contribuèrent pas peu à noyer les qualités réelles de la série sous la déferlante commerciale dont elle fit l'objet.

Mais rendons à César ce qui lui appartient. Vance et Van Hamme n'ont ici rien inventé. Les produits dérivés Astérix ou Tintin puis Gaston, Garfield ou Corto (aaah les pantoufles Corto ! N'importe quoi, pourquoi pas une Harley Bidochon ?) inondent depuis bien longtemps le marché para-BD. Les deux compères auraient même plutôt contribué au renouveau démocratique de la Bande Dessinée en s'imposant par leur succès comme incontournables dans des quotidiens à fort tirage (par exemple Libération, qui prépublia Le Jugement).

Mais quand on associe à une opération commerciale d'une telle envergure le nom de Jean Van Hamme dont on sait qu'il a vulgarisé la haute finance et le machiavélisme multinational grâce aux scénarios finement ciselés du non moins célèbre Largo Winch, on se dit que ce plan média en collaboration avec la française des Jeux est un petit bijou de cynisme commercial.

Comment s'assurer d'une confortable rentrée financière par un plan média ? Tel fut probablement le défi à relever. Le partenariat classique avec quelque grand partenaire culturel était une solution, mais il n'en reste pas moins que la publicité, quelque soit son support, est habituellement un gouffre financier dont la rentabilité, de toutes façons différée, n'est pas toujours assurée. Alors mettre en place une loterie payante faisant office d'annonce publicitaire, surfer sur la popularité d'une série réputée que l'on conjugue à l'engouement du quidam pour les jeux de hasard tout en clignant de l'œil vers les collectionneurs bédéphiles (les 10 tickets sont forcément différents), ça tient du prodige, c'est un plan marketing absolument inédit, j'en tombe assis et je suis heureux.

L'inventivité humaine n'était donc pas morte. Le mercantilisme, quand il est à ce point raisonné en deviendrait presque artistique.

J'avais déjà noté l'existence de la mèche en plastique " Titeuf ", dans le Bo-Doi de septembre, à quand la mèche blanche XIII autocollante ? Moi qui suis pour ainsi dire coiffé comme la Mangouste, je ne me sentirai guère passionné par ce débat. Aussi vais-je me prendre un instant pour XIII, et faire dans l'amnésie sélective pour oublier, même pour quelques minutes, que l'on essaye parfois de me prendre pour un con…sommateur, histoire de me replonger une fois encore dans les aventures de XIII, qui se suffisent décidément à elles-mêmes.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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