«De cette époque étrange où la vie s’arrêtait avec le sommeil et la fin du jour, je suis le souvenir obscur. Moi, je suis le mythe poussiéreux, drapé de mystère et d’angoisse. Je suis cette créature immonde qui vit accrochée à la vie des autres ou cet être troublant dont le baiser mortel est objet de désir…». Qui donc peut se définir de la sorte ? Ekklipse répond à cette lugubre devinette par un dossier fort riche et, comme à l’habitude, solidement documenté. Au centre de la question, vous l’aurez compris : les vampires.

Tout bon dossier qui se respecte commence par un large aperçu du sujet choisi, en guise d’entrée en matière. Dans ce cas-ci, Ekklipse ouvre sa «spéciale» par une chronologie déclinée sur le mode assez croustillant de l’autobiographie. Un vampire qui raconte sa longue vie à travers l’histoire et la littérature, c’est plutôt original. L’occasion également de (re)découvrir, grâce aux illustrations de cet article, les BD dont les personnages phares sont des vampires ou autres créatures démoniaques («Le Maître du Jeu», «Rapaces», «Je suis un Vampire», «Le Prince de la Nuit», «Garous» ou encore «Cybersix»).

Ekklipse passe ensuite en revue une série d’auteurs qui ont choisi de se consacrer aux vampires. Parmi les interviews réalisées par un certain Micéal Beausang (si ce n’est pas là une private joke, le détail ne manque pas de piquant !), on s’intéressera particulièrement aux entretiens avec Swolfs et Marini.

Swolfs, dessinateur et scénariste, explique tout d’abord comment il s’est affranchi en partie du genre «western» et de sa série phare Durango pour se plonger, en parallèle, dans l’univers ténébreux et romantico-gothique du « Prince de la Nuit». Cela a nécessité une grande implication personnelle, des heures de lectures ainsi qu’un travail conséquent sur son dessin et sa mise en page. Et Swolfs de procéder ensuite à une véritable analyse ou plutôt un décodage de sa série qui permet à l’amateur de mieux cerner certains points du récit et de procéder, pourquoi pas, à une lecture plus orientée.

Quant à Marini, il se sent bien dans un monde de Vampires revu et corrigé par Dufaux. L’univers de Rapaces ne ressemble pas vraiment à celui, plus classique, de Swolfs. Cela sent le polar, le fantastique, le thriller... «J’aime le polar noir un peu cru et sanglant, à la Coppola ou Scorcese», avoue le dessinateur suisse. «Et surtout, j’adore le Dracula de Coppola. Il est très érotique. La scène du jeune pris par les trois filles est si sensuelle…». L’érotisme, justement, Marini aime ça et ne se prive pas de le montrer : «Rapace est une BD pour adultes et le côté sexe, sang, chair et passion colle à l’image du vampire !».

Au delà des vampires, Ekklipse consacre de belles pages au dessinateur américain Tim Sale. Avec son comparse Jeph Loeb, il a entrepris de dévoiler le vrai visage des super-héros américains. Les auteurs partent à la recherche de ces fêlures qui ont fait de Batman, Superman et Daredevil des écorchés vifs, des mythes à dimension humaine, des colosses aux pieds d’argile. Parmi les lectures à conseiller : «Batman, the long Halloween» et «Superman for all Seasons», tous deux parus chez DC/Semic.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner la très longue et éclairante interview de Denis Bajram, auteur français de science-fiction, très en vue actuellement. Et puis, ne fermez pas ce numéro d’Ekklipse sans jeter un œil sur la rubrique du Bédéphile. L’archiviste de service s’est intéressé cette fois à la loi française du 16 juillet 1949 «sur les publications destinées à la jeunesse». Une loi qui interdit dans la BD la présentation sous un jour favorable du banditisme, du mensonge, de la paresse, du vol, de la haine ou de tous les actes (…) de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse. Des auteurs comme Peyo, Roba, Charlier ou Morris en ont fait les frais à plusieurs reprises. Plutôt édifiant et même décoiffant lorsque l’on sait que cette loi est toujours d’application dans l’hexagone à l’heure actuelle !