L'actualit� de la presse BD comment�e



Bo Doï N° 39 (Mars 2001)
de Damien Perez

14 mars au matin : potion magique, menhirs frais, trois millions d'albums dans plus de 10.000 points de vente ; "Astérix et Latraviata" débarquent en Gaule sur un air de folklore armoricain à l'occasion de la sortie de la 31ème aventure du petit gaulois à moustache, seul héros de bande dessinée garanti assurance tous risques contre la morosité.
14 mars au soir : c'est automatique. Les têtes de gondole sont vides, le monde entier se gondole, avec plus ou moins de conviction, du lecteur satisfait qui, de l'enfance à l'âge canonique ne boude pas son plaisir, jusqu'à l'auteur et l'éditeur qui font bonne mine devant un succès populaire annoncé. Rien que des gens heureux, en somme.
Et puisque le secret entourant l'intrigue de cette nouvelle aventure a été bien gardé, et qu'il ne reste plus grand chose à dire sur nos célèbres gaulois, Bo Doi préfère s'intéresser à l'effervescence planifiée de la sortie du nouvel album, à son créateur, Albert Uderzo (qui depuis la disparition de René Goscinny est seul aux commandes de la barque) qui se livre aux oreilles de Numa Sadoul, aux collectionneurs d'objets dérivés, ainsi qu'à la place de la femme dans ce monument culturel qu'est devenu Astérix.

Pour ne pas être en reste face à la concurrence gauloise, les prépublications sont légions. Ptiluc et ses rats font table rase des enchanteurs paysages d'Armorique pour traîner le lecteur vers la réalité plus contemporaine des décharges habituelles de Pacush Blues. Le tome 11 ("Quelques vérités sur le mensonge") a pour ambition de s'attaquer "à un problème éternel [...] les relations entre les garçons et les filles", sur le mode du polar, avec en vedette américaine "un serial killer [qui] tue les dragueurs à la chaîne". Une petite allégorie pour terminer ? Pour donner son vermifuge à un chien faut "lui acheter la meilleure pâtée et lui refiler le vermifuge bien planqué au milieu". Pour le public "je fais pareil ! Je me sers d'un contexte [qu'il] aime [...] pour glisser autre chose dedans". Bonne lecture. Bon appétit.

Odilon Verjus, quant à lui parcourt toujours les terres bretonnes à la poursuite du druide noir ("Breiz Atao" T5 des aventures d'Odilon Verjus - Par Yann et Verron). Le plus indépendant des missionnaires de l'Eglise navigue entre groupuscules indépendantistes, paganisme druidique et attentats à l'explosif, sans jamais se départir de sa bonne humeur ni de quelques jurons bien sentis. Suite et fin dans le prochain numéro.

Spoon and White, les deux flics les plus stupides de la police new yorkaises en rajoutent une louche dans le dernier épisode de "Niaq mic mac" (T3 par Letrurgie père et fils et Yann). Les yakuzas n'ont qu'à bien se tenir : le vilain nabot Spoon a l'outil (un magnum 44) qui le démange et le grand imbécile White (qui se fait passer pour Loco Sifledi, l'étalon jaune, afin de libérer la belle journaliste Courtney Balconi) n'est pas en reste. Une visite toujours plus déjantée des standards du film d'action (Dirty Harry, intervention de Jean Claude Van Damme) pour une série qui ne respecte rien, et surtout pas ses deux personnages titres. "Suppositoire blindés pour tout le monde !"

Egalement au sommaire de ce numéro de mars, une interview de Bernard Yslaire (Sambre) à l'occasion de la sortie du deuxième tome du "XXème ciel", qui permet de faire le point sur le rôle exact de l'éditeur dans le processus artistique. Yslaire, sans rancœur manifeste, explique pourquoi son projet inclassable (et parfois très durement critiqué) dans le monde du neuvième art se poursuit aux Humanoïdes associés plutôt que chez Delcourt et décrit son bonheur d'exercer son métier et de "raconter des histoires". Pour une présentation complète de la série, une visite sur le site XXeciel.com, véritable complément plus qu'une vitrine publicitaire, est indispensable.

Ce numéro se complète d'un article très enrichissant sur les chiffres de vente de la Bande Dessinée qui confirme son statut de locomotive de la production littéraire, des carnets de voyages de Lidwine, la dernière planche de Norma ( par Cuadrado), Claire de nuit (Trillo et Maïcas), du pinailleur (spécial Asterix), des bulles croisées mensuelles de Roger Brunel, d'une interview des auteurs du supersonique "Fox One", Renaud Garreta et Olivier Vidal, des critiques d'albums, du courrier des lecteurs et des strips de Nicolas Poupon ("Le fond du bocal"). C'est la fête au village. Que des gens heureux on vous dit.

Bo Doï - 13, rue de l'Ancienne Comédie à 75006 Paris - France - Tel : + 33 1 44 41 00 58 - e-mail : lz.bd@wanadoo.fr / Belgique : BoDoï - Partner Press - 11, rue CH. Parenté à 1070 Bruxelles

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Polémix en Gaule

Petite réflexion sur le métier de journaliste à la lecture du copieux dossier Astérix de Bo Doï. Un constat s'impose : pas une faute note (on a ligoté tous les bardes du village). L'ambiance benoîte de fin d'album autour du banquet amical prévaut tout au long de ce dossier qui évite soigneusement de s'attacher à la teneur du nouvel album pour ne présenter qu'avec force amabilité Albert Uderzo. En tant que lecteur je m'interroge dès l'accroche : on y apprend que l'illustration de couverture provient d'une carte de vœux collector adressée à "quelques veinards" (dont Bo Doï), envoyée par le bon Albert 1er qui était déjà rentré dans les bonnes grâces de la rédaction par quelque petites attentions exquises, comme l'envoi inopiné d'un dessin inédit pour clore le cadavre exquis qui prenait encore place dans le fameux mensuel voilà quelques mois.

Il faut bien l'avouer, tout cela sent férocement le copinage. Certes Albert Uderzo n'a pas besoin de copinage. Certes Bo Doï ne peut se poser comme publication de référence sans se faire l'écho de cette sortie-là. De toutes façons, Albert Uderzo, même avec une critique unanimement désastreuse, se vendrait, et la légion d'albums (3 millions en langue française, 8 au total) trouveront preneur sans laisser la moindre petite cohorte ou centurie d'orphelins.

Bo Doï fustige gentiment la stratégie marketing du dernier Astérix, mais rien à faire, même après ce portrait logistico-commercial édifiant, Albert Uderzo n'en est pas moins sympathique, surtout après la lecture de l'interview de Numa Sadoul qui préfère nous conter la jeunesse gentiment misérabiliste du jeune Albert à l'époque des premières planches et de la vache enragée (elle n'était pas encore folle) plutôt que de poser les questions qui fâchent. Mais bon, il n'y a bien évidemment pas que des remarques désagréables à faire à Albert Uderzo, loin s'en faut, et sa carrière est assez riche et remarquable pour ne pas la cantonner aux quelques polémiques qui l'émaillent forcément. Un article sur les collectionneurs "Asterophiles" (tout le monde l'aime on vous dit) doublé d'une réflexion sur la place de la femme dans la série qui constitue la seule critique (plutôt bien sentie) de l'ère Uderzo seul aux commandes, laisse un peu sur sa faim, tranche avec l'indépendance de ton revendiquée par Bo Doï et ne constitue à mon sens pas le schéma thèse antithèse synthèse qui devrait prévaloir dans ce genre d'exercice, même s'il reste très agréable à lire.

Quoi qu'il en soit, Jean Van Hamme devrait appeler Uderzo pour quelques conseils média. En vendant moins, en assommant également ses lecteurs potentiels de marketing bon marché, Van Hamme apparaît cynique et calculateur*, là où Albert apparaît gentil voire désintéressé, mais XIII et Winch ne sont pour l'instant pas constitutifs du patrimoine culturel francophone comme peuvent l'être Astérix et Obélix.

On peut tout de même considérer que Bo Doï est à sa place. Dire du bien quand les critiques vont pleuvoir pourrait même être assez courageux, mais on ne sent pas d'engagement réel. C'est là la marque d'un journalisme adulte, me direz-vous, qui laisse à ses lecteurs le soin de tirer sa propre réflexion d'une masse informative. Tout peut se justifier. Et son contraire aussi. Le débat contradictoire reste la respiration essentielle d'un secteur culturel qui bouge. La polémique naissante quant au contenu du nouvel Astérix est donc une bonne chose en soi, puisqu'elle ne pourra conduire qu'à une réflexion jamais inintéressante sur le succès et l'art de bien s'en servir. Uderzo aurait pu arrêter Astérix à la mort de Goscinny. Peut-être aurait-il alors fait plus de malheureux qu'en continuant à faire vivre ses personnages, même avec moins de talent narratif qu'un scénariste comme on en fait plus. Comme les ombres doivent peser lourd parfois.


*A ce titre, JVH, dans le courrier des lecteurs Bo Doï, rassure Thierry Cailleteau (qui s'en inquiétait dans le numéro précédent) : il a "le cuir épais", les critiques, il a appris à vivre avec. Et c'est très bien comme ça.

Pour ce que j'en pense, de Damien Perez


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