Blueberry au bord du Nervous break-down...
(Ombres sur Tombstone.).


La minute de Killiann. (décembre 1997)

Voilà un bien étrange virage amorcé par cette grande série Western datant déjà de 1963, et qui nous avait offert, outre de longues heures de plaisirs, son quota de surprises.

Voilà que de bande dessinée d'aventures pures au héros souverain et agissant, nous nous retrouvons actuellement face à un personnage cloisonné dans un rôle de spectateur et devenant subitement plus réaliste et par la force des choses, plus humain...

Le ton général avait déjà été donné par l'album précédent qui offrait la particularité de se dérouler pendant une interminable partie de poker qui s'étendait sur les 48 pages et qui se terminait par l'agression subite du héros titre...
" Blueberry est-il mort comme un vulgaire quidam, lâchement abattu dans le dos ? " (il faut bien avouer, sois dit en passant, que cette dernière planche était loin, très loin, de rendre justice à la qualité graphique auquel Giraud nous avait habitué par le passé...)

Blueberry mort ? La belle affaire! Personne n'avait été vraiment dupe!

Tout d'abord, il est des plus rares que l'on assassine une poule aux oeufs d'or, ensuite, plus réalistes, les amateurs de cette saga se sont sans nulle doute remémoré la biographie de Blueberry offerte en préface à l'album " Ballade pour un cercueil"...

Biographie rédigée à l'époque par J-M Charlier qui dresse un panorama complet de la vie du personnage et qui affirme à qui veut bien l'entendre que celui-ci décédera dans son lit pendant la Prohibition.

Donc, le suspense ouvert par l'ultime planche de Mister Blueberry n'était en fait qu'un secret de polichinelle, et le dit suspense se voit refermé avec l'album...

La suite est dés lors évidente, Blueberry n'est donc pas plus mort que vous ou moi, sévèrement touché il est vrai et il doit rester alité...(on le serait à moins!)

Blueberry est déprimé et en proie au doute. Il est désormais un héros fatigué prenant conscience de la fragilité de l'existence. Un homme blessé reposant dans le creux de la vague, éprouvant le besoin de confier un évènement de sa vie à un Pied tendre, écrivaillon de surcroit.

Les acteurs de ces deux épisodes, au grand dam des fans amateurs d'actions avec un A majuscule, seront pour une fois les personnages secondaires (si l'on peut dire car inutile de rappeler que dans le titre du second album, nous trouvons l'évocation d'un haut lieu de légende de l'Ouest maintes et maintes fois évoqué(et rabâché...) par le cinéma : Tombstone. Ce qui permet à Giraud de donner la vedette à des gens aussi célèbres que les frères Earp, Doc Holliday, le gang des Clayton... OK Corral se profile à l'horizon et le règlement n'est pas loin! Et tout ça sans même évoquer l'ombre inquiétante de Géronimo qui plane sur toute la région.)

Jean Giraud n'est pas Charlier... Fallait-il vraiment le préciser ?

Personne n'est Charlier. Il suffit de jeter un regard tristounet sur les avatars éthérés voire même indigestes que l'on nous sert depuis sa disparition survenue en 1989. Tout comme dans le cas de Goscinny, nous ne pouvons que constater la dénaturation inévitable des séries survivant au décès d'un scénariste de grande personnalité. Il est vain de croire que les univers scénaristiques sont interchangeables. Prendre au débotté les commandes d'une série tout en gardant l'esprit d'origine et en conservant la marque de fabrique qui a fait sa renommée, s'avère un exercice des plus difficiles dont il résulte généralement un affadissement.(sans oublier que tout un chacun attend l'iconoclaste présumé au tournant. La nostalgie alliée à un puissant chauvinisme envers le Père fondateur sont des sentiments profondément ancrés chez les bédéphiles...)

Mais dans le chef de Blueberry, la donne est à mon sens tout autre...

Car si Giraud n'est pas Charlier, il n'en reste pas moins Giraud.(et ce n'est pas le premier venu...)

Et dans Giraud, tel la seconde face d'une médaille, se cache son double Moebius... (quoi qu'on en pense, c'est loin de constituer une tare!)

Plagier, imiter le style de Charlier aurait été certes désastreux mais par contre présenter une autre vision du personnage peut s'avérer fort heureux.

Surtout si on prend en compte que depuis "la Mine de l'Allemand perdu"(1972), le sieur Giraud intervenait régulièrement au stade de l'écriture des scenarii. S'il est ardu de faire la part de son apport dans les albums postérieurs à " la Mine", force est de reconnaître que ceux-ci constituent la quintessence de la série.

De plus, Giraud possède sur le bout des doigts l'Univers de Blueberry, le contraire serait malheureux après les 35 années passées à illustrer les tribulations du célèbre lieutenant. Et pour couronner le tout, Giraud est de ces auteurs à forte personnalité qui savent trousser une histoire(ce qui ne gâche rien, vous en conviendrez avec moi!).

Dés lors les puristes aurait bien tort de bouder leur plaisir...

Et rappelons également que comme tout bon serial qui se respecte, Blueberry n'échappe pas à la règle : les albums gagnent toujours à être lu groupés! Il ne faut donc surtout pas hésiter à relire le début du cycle avant d'aborder le nouvel épisode...

Par contre, Le dessin de Ombre sur Tombstone semble au premier abord, étrange et parfois un peu déroutant. Si "Mister Blueberry" était dans l'ensemble du plus pur Giraud, on est face ici à un dessinateur plus hybride, oscillant constamment entre une inspiration plus libre de type Moebius, et la précision du trait chère à Giraud.
Après quelques pages d'adaptation, dans le feu de l'action, l'oeil ne se heurte plus à ces petites disparités graphiques et l'histoire reprend tous ses droits.

Un bon album sans l'ombre d'un doute... Dont on ne peut attendre la suite qu'avec impatience (deux ans au bas mot...) Il est si rare qu'une série change de style avec autant de brio. De bande dessinée tout public, Blueberry rentre de plein pied dans le cercle très fermé des bandes dessinées adultes de qualité pouvant être lu par tout public et offrant autre chose que des cavalcades à se mettre sous la dent...(qu'on se rassure, bien que plus calme, l'action n'a pas été oubliée pour autant...)

D'accord, la phraséologie propre à Charlier nous manque, son humour parfois tarte à la crème aussi... (heureusement qu'il nous reste plein et plein d'albums de sa main pour se consoler. Le deuil n'est pas constructif, il faut aller de l'avant, que diable!)

Mais avouons que Blueberry y a gagné en profondeur. Il déprime. Il prend subitement conscience de sa mortalité. En un mot comme en cent, il s'écarte des archétypes immuables et étriqués. Il évolue et devient un héros s'incluant parfaitement dans la conception amorcée par la production BD des années 90.

Et bien que le personnage ne vieillisse, une nouvelle jeunesse s'ouvre à lui. (le prochain album devrait sortir au alentours de l'an 2000...)

Nous ne pouvons que lui souhaiter encore une longue vie jusqu'à la prohibition, il en reste des histoires à nous raconter!) et gageons qu'il nous réserve encore bien des surprises!

Pour en savoir plus et pour briller en société... :
Blueberry is back - Jean Giraud & le nouveau western. Interview in la Lettre de Dargaud N°48, novembre/décembre 97, pages 16 à 19.

  • Il était une fois Blueberry. F. Pizzoli. E° Dargaud 1995.
  • Moebius . Entretiens avec Numa Sadoul. E° Casterman 1991.
  • Schtroumpf. Les Cahiers de la Bande Dessinée N° 25- Spécial Jean Giraud, E° Glénat 1974.
  • Jean-Michel Charlier- Un réacteur sous la plume. Guy Vidal. E° Dargaud 1995.
  • Schtroumpf. Les Cahiers de la Bande Dessinée N° 37- Jean-Michel Charlier, E° Glénat 1978.


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