Interview de Frank et Bonifay


L'univers de Zoo selon Frank

Ce 25 janvier, non loin du musée des sciences naturelles, Frank a la gentillesse de nous accueillir dans son appartement, dans un décor très "nature", qui colle parfaitement au personnage qu'on imagine derrière le dessinateur (pour être plus précis, une dizaine d'aquariums de toute taille entourent sa table de travail).

BDP : Nous connaissons votre parcours BD. Aujourd'hui, nous aimerions nous attarder sur Zoo, dont le deuxième album vient de sortir en librairie.

Frank : En effet, c'est davantange d'actualité. Il n'y a plus eu de Broussaille depuis environ 8-10 ans, je pense... même si les albums continuent à se vendre, que la série est toujours bien vivante et qu'elle sera d'ailleurs de nouveau alimentée dans peu de temps.

BDP : Question à notre avis assez courante dans vos interviews : Comment vous est venue l'idée du scénario ? Le zoo, les animaux, la légende du nez,... ?

Frank : J'avais rencontré Philippe Bonifay quelques années auparavant et nous étions devenus amis. Quand j'ai eu envie de réaliser cette histoire "dans un zoo", j'ai pensé à lui parce qu'il me semblait être le complice idéal pour cela. J'ai été le trouver et je lui ai demandé s'il pouvait me faire, en interaction forte - que l'on ferait donc à deux - une histoire qui se déroulerait dans un zoo ; un zoo comme un lieu d'une transformation intérieure, le lieu d'une initiation.

Un zoo est un lieu à fort caractère physique, où il y a des sensations très claires. C'est un lieu animal, donc proche de l'instinct, de la nature et des choses ancestrales profondes. Cela m'intéressait d'insérer dans tout cela un ingrédient opposé, c'est-à-dire une élévation, quelque chose qui se rattache plutôt au ciel, à des interrogations sur l'identité, pourquoi pas sur la mort, sur la vie.. et toutes ces choses là.. et trouver le lien. Et de là, très très vite, en quelques heures, Philippe m'a fait une proposition de quatre personnages, avec leurs définitions, il avait écrit les deux premières séquences. Et c'était tout bon, il avait tout de suite tout compris. Bien sûr, il a repris cela à son compte, il y a insufflé tous ses sujets personnels, toutes ses préoccupations importantes également. On s'est bien retrouvé sur cette histoire, on y est vraiment tous les deux très impliqués et, j'ai envie de dire, dans tout ce qu'il y a derrière cette histoire, le contenu, là où on va.

BDP : Cette légende relatant la présence de l'âme dans le nez, elle existe vraiment ?

Frank : On avait donc cette préoccupation qui tournait autour de l'âme, on avait une référence qui était un bouquin qui nous avait plu à tous les deux ; c'est Le Parfum (Suskind). Et justement, dans Le Parfum, il y a cette approche d'un sens physique et d'un questionnement plus profond. L'odorat nous semblait un sens très intéressant parce que, sans doute secret, le moins travaillé, en tout cas dans notre société. Philippe est tombé par hasard, dans un bouquin d'ethnologie, sur cette notion tout à fait réelle, présente chez les peuples anémistes, non seulement de la Sibérie, mais aussi chez les amérindiens, dans toute la couronne jusqu'en Terre de Feu, croyant en différentes formes toujours liées au nez, à l'importance du nez, de l'odorat, du souffle par rapport à l'âme, à l'intériorité. Quand il a trouvé ça, on s'est dit qu'on tenait le fil rouge de notre histoire ; un personnage est persuadé que l'âme se trouve dans le nez.. et elle va perdre son nez...

Le choix de la Sibérie, de la Russie, était assez clair aussi, parce que j'étais fasciné par certains cinéastes russes, par une biographie d'une femme qui avait travaillé dans un zoo en Russie. Pour Philippe Bonifay, le caractère russe, la culture russe étaient très intéressants parce qu'il y a une sorte d'exacerbation de l'émotion, du sentiment, qui, pour un scénario, est vraiment très intéressante.

Voilà pourquoi l'histoire a débuté comme cela, et qu'ensuite, on l'a entièrement développée, après l'introduction, entièrement dans le zoo, presque en huis-clos, pour essayer de donner un souffle à cette transformation intérieure d'Anna, et voir ce qui se passait dans ce petit quatuor de personnages.

En gros, on a une vision un peu différente. Pour Bonifay, c'est l'histoire d'un groupe, avec ce que l'on appelle une dynamique de groupe ; un groupe est plus fort que des individus séparés. Moi, je suis davantage attaché au parcours d'Anna. Mais on arrive très bien à s'entendre et à développer nos deux points de vue dans ce scénario.

BDP : Votre passion pour les animaux remonte à votre plus tendre enfance ?

Frank : J'ai toujours tourné autour de ces sujets-là, de manière très variée d'ailleurs. Je n'ai jamais réussi à m'en détacher. A un moment, j'ai eu des reptiles. Puis je m'en suis séparé. Maintenant, j'ai des poissons... J'ai eu un seul chat dans ma vie, on est arrivé à en faire un bouquin de BD, d'illustration. Ca me colle à la peau. Je me sens bien avec ce sujet-là. Simplement peut-être parce que j'ai besoin de bases naturelles, d'ancrage de ce type-là. Mais je suis citadin.

BDP : C'est assez sympa et détonnant de trouver ce genre de décor, en pleine ville, et en face du musée d'histoire naturelle. C'est un choix ? C'est le hasard ?

Frank : Non, quand je cherchais un appartement, et que j'ai trouvé celui-ci dans ce quartier, je me suis dis qu'il serait agréable de revivre dans le quartier de mon enfance, où je venais rêver au musée. C'est là que je venais dessiner les animaux empaillés et que j'apprenais les mots en latin. Depuis, j'ai gardé une certaine sympathie pour le musée, mais il s'est fort transformé. A choisir, je préfère quand même les animaux vivants à ceux qui sont empaillés.

BDP : Comment vous inspirez-vous pour dessiner les animaux ? C'est plutôt de mémoire, par rapport à vos diverses connaissances et expériences ? Ou cela nécessite beaucoup de documentation ?

Frank : C'est la fameuse réponse habituelle... cela prend 3 minutes et trente ans... ;-) Comme c'est un sujet qui me passionne depuis longtemps, et que je voyage beaucoup, très régulièrement pour voir les animaux, un peu dans tous les environnements, parfois dans des zoo, parfois dans des réserves naturelles...dans la nature, je finis par bien les connaître et un peu les avoir en moi. Comme je me passionne pour eux, j'apprends, j'apprends sans arrêt. J'apprends les espèces.. les mammifères, ça va, je commence à bien les connaître.. je me passionne régulièrement pour des groupes précis. Là, je m'intéresse tout particulièrement aux pigeons frigivores de Nouvelle Guinée. Je découvre.. Je ne savais pas qu'il y avait 300 espèces extraordinairement colorées de pigeons. Demain, je ne sais pas ce que ce sera, peut-être les araignées, ... Petit à petit, on accumule beaucoup de ressenti et puis, quand je dessine un animal, je n'ai qu'à me brancher là-dessus et aller chercher un peu de doc - j'en ai quand même assez bien - je filme et je photographie beaucoup également. Je peux m'entourer de beaucoup de sources qui m'aident à ne pas faire trop d'erreurs. Cela dit, je regrette parfois de ne pas pouvoir faire un vrai travail d'animalier. J'ai l'impression que je bricole toujours un petit peu. J'aimerais bien consacrer une vie à travailler uniquement le dessin animalier. C'est vraiment une matière énorme. Chaque espèce est un nouveau défi.

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Toutes les images et dessins © Dupuis - Frank, 1999
(http://www.BDParadisio.com) - © 1999