Interview de Jean Roba
Papa de Boule et Bill



Jean Roba est l'heureux papa de "Boule et Bill". A l'occasion de la sortie du 28ème album de la série : "Les quatre saisons", ce grand monsieur accorde une interview à BD Paradisio. Moment très émouvant.

 

Boule et Bill est une bande dessinée qui nous a tous marqué étant enfant, et que beaucoup de monde connaît, bédéphile ou non. La série a 40 ans, compte 28 albums, c'est un beau parcours. Que retirez-vous aujourd'hui de cette longue fidélité à la série ?

Roba : Tout d'abord, j'ai bien fait de choisir ce métier ! Je ne me voyais pas faire autre chose. Pour moi, le dessin, c'est un don qu'on a dès la naissance. Il existe bien sûr des écoles de dessin etc… mais il y a tellement d'appelés pour si peu d'élus.. Je suis donc ravi d'avoir eu ce parcours là. Il m'a permis d'apprendre un tas de choses, de voyager, de rencontrer beaucoup de monde et de travailler avec des amis - même si beaucoup ont maintenant disparu… Mais je n'ai aucune nostalgie. J'ai passé tellement de bons moments… J'ai eu la possibilité de faire ce que j'avais envie de faire et pour cela, j'en remercie les lecteurs. Au départ, on ne sait jamais le succès qu'une série peut avoir. J'ai eu la chance de connaître un succès assez rapide.. et c'est ce qui m'a permis de continuer à dessiner. Ce que j'ai essayé de faire toute au long de ma carrière, et c'est là, je crois, ma réussite, c'est de tenter de partager le plaisir que j'avais à dessiner avec le lecteur. C'est un peu comme un musicien qui est heureux lorsque l'on écoute et apprécie sa musique.. Je ne peux pas dire mieux, c'est un ensemble, une vie de bonheur que de dessiner et de le partager !

Vous avez un large public - de 7 à 77 ans, comme le dit la formule consacrée - qui retrouve avec énormément de plaisir les personnages qu'ils ont connus étant enfants. Vous avez l'impression de vous adresser à un public particulier ?

Roba : Je m'adresse à la famille en général. Il est certain que je m'adresse moins aux étudiants, aux jeunes entre 19 et 25 ans, et encore ! Avec les sondages que l'on faisait à l'époque, je me souviens d'un net fléchissement chez les adolescents.. Après, lorsqu'ils se marient en général et deviennent pères de famille, c'est là que je les rattrape. Je peux comprendre qu'à cet âge-là, on ait autre chose à lire, de plus adulte, si je puis dire.

Boule et Bill, parle de la famille, du bonheur tranquille, de l'équilibre, de l'harmonie... Que pensez-vous de l'évolution de la bande dessinée actuelle ?

Roba : Je suis parfois effaré, mais je dois reconnaître que le monde est effarant… donc il est normal que les dessinateurs, selon leur sensibilité aux choses, ait une faculté énorme à dessiner leurs inquiétudes sur le plan politique, la pollution, les bombes etc. Chaque dessinateur a le droit de dessiner ce qu'il a envie de dessiner. Certains vont faire des dessins érotiques et d'autres politiques. Depuis le début, je suis dessinateur pour enfants, enfin pour journaux d'enfants. Il ne faut pas oublier ça. En Belgique, on était tout de même très fort dans les journaux, avec Tintin, Spirou… Spirou existe toujours même s'il a beaucoup changé. Mon premier public, c'était donc les enfants et leurs parents. J'étais dans une maison assez catholique, il faut le dire. Il ne s'agissait pas de faire des trucs comme on s'est permis de faire, et avec raison, dans Pilote, qui s'adressait déjà là à un autre public. Je suis donc resté fidèle à mon public et je crois que la fidélité est une bonne chose dans ce métier. Les lecteurs sont également très fidèles, fidélité que je leur rends avec grand plaisir. Pour ce qui est du reste, c'est au dessinateur à faire son choix dans un registre qui lui est propre.

Vous lisez des bandes dessinées en général ?

Roba : Très peu. Je me tourne davantage vers les vieilles bandes dessinées américaines que j'ai chez moi et que je relis de temps en temps.

Que lisiez-vous lorsque vous étiez petit ou bien adolescent ?

Roba : Robinson, Mickey, enfin… on est de son époque. Actuellement, les enfants sont de leurs enfances à eux.. Ce qui m'étonne, c'est que malgré tous les choix qu'ils ont à faire sur tout ce qui les entourent, Boule et Bill marche toujours bien. Donc, quelque part, j'ai eu raison. Vous dire pourquoi, c'est impossible. J'ai bien connu Goscinny et Uderzo. Ils ignoraient complètement le succès qu'Astérix allait avoir, et Dieu sait que c'en est un de succès ! Ils avaient d'abord commencé par Oumpah-Pah dans Tintin, qui n'a pas eu beaucoup de succès, ensuite Pistolin, qui n'avait pas marché non plus… Et puis Astérix le Gaulois est arrivé… Pourquoi ce succès là ? C'est arrivé au bon moment, ça représentait quelque chose.. C'est assez inexplicable !

C'est la raison pour laquelle vous avez souhaité, mis à part la Ribambelle, vous concentrer sur une seule série et y consacrer toute votre énergie ?

Roba : Il est difficile de s'occuper de plusieurs séries. On se divise trop et c'est au détriment de l'énergie et du soin que l'on peut apporter à la série. C'est vrai que cela m'avait beaucoup amusé de faire La Ribambelle. Mais c'était des histoires complètes. Il aurait fallu travailler avec un scénariste. Dessiner la Ribambelle, que j'appelle un "personnage" en soi, me prenait un temps fou. Dans chaque case, il y a six personnages ! Avec Boule et Bill, je m'en sors mieux. (rires) En outre, je préfère les histoires courtes en une planche plutôt qu'un travail de longue haleine où je sais déjà à la quinzième page où je vais aller puisque je connais déjà la fin… Avec Boule et Bill, je ne connais pas la fin...

Vous prenez autant de plaisir dans vos dessins que dans vos scénarios ?

Roba : En fait, je ne fais pas de scénario. Je fais des petits brouillons très succincts.. un petit film et boum, voilà le gag.. ! Le tout sur un petit crayonné .. ! Je crois que Fellini travaillait également ainsi. Il faisait un peu de BD. Beaucoup de cinéastes travaillent ainsi et s'inspirent de la bande dessinée pour faire leur scénario. C'est beaucoup plus simple et cela leur permet de visualiser immédiatement les scènes. D'autres le font faire. Spielberg, par exemple, a fait dessiner tous les plans de son film "Il faut sauver le soldat Ryan". C'est prodigieux à voir, c'est carrément une BD, chaque plan, avant-plan, les progressions des scènes… C'est un peu ce que je fais mais en un petit embryon, je serai gêné de vous le montrer, il n'y a que moi qui le comprend.

Après avoir longtemps travailler en solo, vous n'avez jamais été tenté de collaborer avec quelqu'un ?

Roba : C'est difficile, c'est trop personnel. Franquin et Gaston, c'était la même chose. Je me souviens avoir passé deux ou trois idées pour Gaston à Franquin, mais je sentais bien qu'il refaisait tout. Moi de même, lorsque je recevais une idée , je ne pouvais pas m'empêcher de tout refaire. C'est curieux mais c'est son monde à soi, on ne peut pas y entrer. C'est vraiment moi en fait, je suis tout à la fois, je suis Boule, la maman, le cocker aussi.. Je pense que je suis surtout le cocker, c'est le personnage dans lequel je me retrouve le plus.

Dans quelle partie du dessin prenez-vous le plus de plaisir ?

Roba : Dans les dessins au crayon, dans les recherches d'attitudes, qui souvent, me font rire. Je suis très souvent déçu quand je passe à l'encre.

Vous n'avez jamais eu peur de la page blanche ?

Roba : Oh oui. Si quelqu'un dit qu'il ne l'a jamais connue, c'est faux ou alors il n'est pas bon (rires). C'est la même chose pour l'écrivain ou le peintre devant sa toile… Il faut réfléchir.. Il m'arrive de mettre de côté des idées, que je crois bonnes, et d'y revenir plus tard… et avec le recul, je m'aperçois que ce n'était pas bon du tout…

Le créneau de la BD d'humour - et plus encore dans la BD jeunesse - n'est pas nécessairement le plus facile. Vous n'avez jamais eu peur de vous essouffler ou de vous répéter ?

Roba : Oui, bien sûr. Trouver sans cesse de nouvelles idées, c'est parfois très difficile. Et puis, subitement, que ce soit quelques heures ou quelques jours plus tard, une idée surgit, et je me dis que ça peut être amusant… et je me mets au travail.

Est-ce que c'est la vie de tous les jours qui vous sert d'inspiration ?

Roba : C'est effectivement la vie de tous les jours qui m'inspire le plus. Pas les fusées ou les avions, mais plutôt la rue, le cinéma de quartier…

L'univers de Boule et Bill est un univers relativement clos. On assiste rarement à l'arrivée de nouveaux intervenants. C'est un choix de rester dans cette dimension du cocon familial ?

Roba : Je m'y sens plus à l'aise. En fait, de nos jours, je n'aime pas trop sortir, je préfère rester chez moi. Ce qui ne m'empêche pas de réaliser des gags où je dénonce le racisme, la violence, le fascisme, …

La famille est relativement classique dans sa description. Vous avez un public féminin, entre autre, relativement étendu… La place de la femme à la cuisine pendant que le mari regarde la TV ne vous a jamais valu certaines remarques ?

Roba : Cette notion de la famille est de mon époque (rires). Il m'est arrivé, assez rarement d'ailleurs, notamment dans un article du Ligueur écrit par une sociologue assez vindicative - d'avoir certaines remarques sur ma vision de la famille. Mais dans l'ensemble, le public ne s'y trompe pas et, souvent, c'est le public qui prend ma défense, face à ces journalistes (rires).

Boule et Bill n'ont jamais grandi…?

Roba : On fait rarement vieillir le héros d'une série BD, c'est triste et c'est un peu scier la branche sur laquelle on est installé. En plus, si on les fait trop vieillir, on est confronté à la mort ensuite… Si Bill avait vieilli, plusieurs chiens se seraient succédés dans la série… Non, ce n'était pas possible.

Boule et Bill, c'est donc l'équilibre dans cette petite famille, le bonheur de tous les jours….

Roba : Oui, avec les petits tracas de tous les jours aussi… Mais c'est vrai qu'ils n'en sont pas à se taper sur la figure toute la journée. Je n'aimerais pas dessiner ce genre de choses. Boule et Bill, c'est un monde qui me plaît, j'aime bien dessiner des choses marrantes, les petits oiseaux… Je crois que chaque dessinateur est dans son petit monde. Je suis peut-être un naïf mais j'aime mon rêve et cette naïveté en moi. Je trouve qu'il manque des gens naïfs, le monde manque de gens gentils !

"Les quatre saisons", votre dernier album, vient de sortir. Il est dédié à Cerise. Qui est Cerise ?

Roba : Cerise est un personnage que j'ai inventé. J'avais imaginé qu'à ma naissance, des petites fées s'étaient penchées sur mon berceau, et étaient assez inquiètes pour mon avenir ; du genre "Oh, là là, ce bébé là ne fera jamais rien de bon,.. il sera nul en math,..nul en bricolage..." Jusqu'au moment où une autre petite fée est arrivée, mignonne comme tout. Elle a fait le constat qu'effectivement, je ne serais pas très doué dans plein de domaines... mais elle décida de me donner le don du dessin. Je l'ai appelée Cerise parce qu'étant né à Scharbeek (commune de Bruxelles, ndlr), c'était la commune des cerisiers.

De quoi rêviez-vous quand vous étiez petit ? Lorsque l'on vous demandait ce que vous vouliez devenir quand vous seriez grand ?

Roba : Comme tous les enfants de cet âge-là, je voulais conduire un tram.. mais c'est loin, tout ça. Sinon, très vite, c'était le dessin. Je n'étais pas très brillant à l'école, particulièrement en math.. mais très doué pour le dessin (rires). Je voulais devenir dessinateur. La comédie m'aurai bien tenté aussi et la musique reste le grand regret de ma vie, mais on ne peut pas tout faire.

Un grand Monsieur qui a été très important dans votre vie, c'est Franquin…

Roba : Ha, ça oui ! Et avec Joseph Gillain (Jijé, ndlr.) aussi ! C'est avec Franquin que j'ai tout appris. Je venais de la publicité, j'étais ce qu'on appelait un bon dessinateur mais j'avais encore tellement de choses à apprendre par rapport à la bande dessinée. Il y a des règles à observer pour que le lecteur puisse rapidement comprendre ce qu'on essaie de dire. Avec lui, j'ai appris la clarté, le mouvement, la compréhension d'une scène,… On s'est bien entendu tous les deux. J'ai ensuite fait Boule et Bill. J'ai donc travaillé 3 ou 4 ans chez lui, dans son studio. C'est une chance unique que j'ai eue. Il faut quand même de la chance dans la vie, et surtout, ne pas la laisser passer !

Avez-vous cette impression d'être l'un des derniers représentants ou "défenseurs" de l'école belge de la bande dessinée ?

Roba : A l'heure où l'Europe se crée, je crois qu'on n'a plus à défendre un petit esprit de clocher… Je crains que la bande dessinée belge laisse son passé derrière elle.. Mais d'autres viennent, comme la France, par exemple… L'école belge, qui a connu le succès grâce à des auteurs tels qu'Hergé, Franquin, Jijé, etc, se transforme. Les dessins changent, les lecteurs changent, les goûts changent… Alors cette école-là… - je vais devenir nostalgique - je crois qu'elle est derrière. On ressort les "Blake et Mortimer" qui datent de cette époque-là parce que les lecteurs deviennent nostalgiques aussi. Pas les enfants, mais le public d'un certain âge… Moi aussi, j'ai un peu cette nostalgie. De toute façon, la renommée de l'école belge est historique, on ne pourra pas la lui enlever, c'est certain ! La Belgique a connu ce phénomène extraordinaire….

Qu'en est-il de l'avenir de la série ? On parle de l'éventualité de la création d'un studio pour poursuivre la série…?

Roba : C'est effectivement une question que je me pose. Je ne veux pas qu'après ma disparition - que je souhaite le plus tard possible (rires) - Boule et Bill s'arrête, comme ce fut le cas après la disparition de certains auteurs. Je souhaite que la série continue. Ils devront naturellement évoluer.. Le problème est de trouver des collaborateurs, des créateurs, des scénaristes, des dessinateurs,.. Il faut faire un choix et ça, c'est le plus difficile….

Vous en resteriez le maître d'œuvre de toute façon.

Roba : Oui, de loin comme ça mais il ne faut pas non plus que je sois un boulet à leurs pieds.

Vous arriveriez à laisser la série aux mains de quelqu'un d'autre ?

Roba : Très difficilement (rires). Mais il n'y a rien à faire, si je veux que la série continue, il n'y a pas d'autres choix ou alors, cela signifierait que la série s'arrête.. Et là, j'aurais un peu l'impression de jouer un mauvais tour aux lecteurs…

Qu'avez-vous envie de faire maintenant ?

Roba : Je ne sais pas, j'ai des hobbies mais je ne sais pas encore très bien ; voyager, dessiner…

La peinture ?

Roba : La peinture non. Mais plutôt des aquarelles, l'illustration, dessiner la nature, les oiseaux… Et puis, il m'arrive encore d'avoir des idées pour Boule et Bill… Mais en tout cas, je ne me vois pas jouer aux cartes ou à la belote au bistro du coin - d'abord, j'ai horreur des cartes (rires) - mais faire de la photo, dessiner encore, voyager un peu, vivre…

Un tout grand merci.

Pour le plaisir des yeux, et parce que nous n'avons pas souvent l'occasion de découvrir les crayonnés et dessins préparatifs de Roba, voici quelques uns de ses dessins. A savourer sans modération.

Cliquez sur les thumbs pour agrandir les dessins.

Interview et dossier réalisé par Catherine Henry

Images Copyrights © Roba - Editions Dargaud 2001


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