Jijé : bibliographie, photo, biographie
Né le 13 janvier 1914 à Gedinne (Belgique), le jeune Joseph Gillain manifeste très jeune des goûts pour le dessin. A l'époque, la bande dessinée européenne n'en était encore qu'aux limbes, simple dérivé de l'imagerie d'Epinal, mais il prend très vite l'habitude de se raconter des histoires à lui-même. Ses parents encouragent cette vocation, mais tentent de le diriger vers l'art "officiel", pouvant éventuellement permettre à l'époque de gagner sa vie. Il prend quelques cours chez un sculpteur dinantais, Daoust, puis son père l'envoie à l'école Saint Joseph de Maredsous. Il passe trois ans chez les moines à apprendre les métiers d'Art, notamment l'orfèvrerie, puis on lui conseille d'aller se perfectionner ailleurs. Il suit durant une année des cours du soir à l'Université du Travail de Charleroi, fief de la jeune maison d'éditions Dupuis, où le peintre Van den Houte lui apprend à dessiner d'instinct, sans regarder le papier, méthode à laquelle il restera attaché. Il monte ensuite à Bruxelles, étudiant les arts décoratifs pendant la journée, et suivant les cours de l'Académie le soir. A vingt-deux ans, il est temps de gagner sa vie et le démon du récit en images le saisit. On sent des craquements dans la vieille imagerie traditionnelle liée à d'indigestes pavés de texte sous les dessins. Les premiers pionniers européens, Saint-Ogan et Hergé, défrichent le terrain pour l'art nouveau. L'invasion des BD américaines à ballons incorporés se précise. Les petits éditeurs belges cherchent des auteurs à opposer à la vague qui commence à enfler en France. En mai 1936, il lance dans Le Croisé, hebdomadaire namurois de la Croisade Eucharistique, le personnage de Jojo. "Le dévouement de Jojo", puis "Les nouvelles aventures de Jojo" se succèdent de 1936 à 1939. Des scénarios frémissant d'aventures, sans cesse rebondissants. Une grande naïveté narrative : les auteurs ne s'embarrassaient pas encore d'une abondante documentation à l'époque et les lecteurs n'ayant guère quitté leur terroir ne se rendaient pas compte de l'invraisemblance des décors et personnages étrangers présentés. Kidnapping et gangsters américains d'opérette, naufrage, Indiens fanatiques, puis randonnée africaine avec simoun de rigueur, combat en compagnie de Méharistes contre les auteurs d'un rezzou, passage au Congo belge où l'intrépide Jojo va démanteler un réseau d'agitateurs communistes qui sabotent l'oeuvre missionnaire, c'est une vraie collection de clichés de l'époque et Gillain cherche avant tout à y développer une prodigieuse vitalité imaginative tout en rodant un dessin encore terribelement amateur. Tout reste à apprendre, mais il a le goût des études et du perfectionnement. Un autre hebdomadaire catholique, Petits Belges, va lui permettre de lancer le 16 juillet 1939 des personnages déjà plus construits : Blondin et Cirage. Trois aventures vont s'y échelonner : "En Amérique", "Contre les gansters" et "Jeunes ailes", avant la suppression de l'hebdomadaire par l'occupant au 19 septembre 1943. Les thèmes de Gillain se modernisent et témoignent déjà d'un grand courage créatif : animer comme héros aux côtés d'un Blanc blond un Noir frisé était une audace, les personnages de couleurs restant à l'époque le plus souvent limités à des seconds rôles caricaturaux ou quelque peu paternalistes. Blondin et Cirage seront les grandes vedettes du "Petits Belges" de guerre. Ils passeront à Spirou après la Libération, provisoirement sous la plume de Vic Hubinon en 1947-48, puis seront à nouveau animés par le pinceau de Jijé de 1951 à 1954 sous la forme de cinq épisodes qui feront date. Parallèlement au "Croisé" et à "Petits Belges", Gillain, qui signe désormais le plus souvent Jijé, a commencé à l'aube de la Drôle de Guerre une fructueuse carrière dans SPIROU, jeune hebdomadaire naissant. "Freddy Fred aux Indes" (ou "Le mystère de la Cité Indoue") y paraît du 6 avril au 9 novembre 1939. Cette série au personnage éphémère est un simple coup d'essai, se rattachant encore à ses débuts au Croisé, où elle sera du reste reprise peu après, et suivant de près le style d'aventures popularisées par TINTIN avant-guerre. Jeune reporter-détective, Freddy Fred ne laisse pas un souvenir inoubliable, mais ce furent les premiers pas de Jijé dans un journal où toutes les possibilités lui sont offertes. Une des constantes de l'esprit Dupuis s'impose à lui : créer des personnages qui puissent connaître de nombreux épisodes, voir éventuellement d'autres auteurs se pencher sur leur carrière de papier. Gillain a une prodigieuse vitalité créatrice, toujours tournée vers la nouveauté, la pari graphique à engager et à réussir. Sa générosité est immense. Il essaimera à tous vents ses propres créations, donnant à la Libération Spirou à Franquin, Valhardi à Paape, Blondin et Cirage à Hubinon. En attendant, en cette époque troublée où la Belgique neutre craint de se faire dévorer par ses voisins, il se rode et cherche à créer des héros plus durables qui puissent atteindre le succès des jeunes Blondin et Cirage. Une première aventure promène Trinet et Trinette dans l'Himalaya (SPIROU 1939-41). Le seconde ("Du sang sur la neige", 1941) reste inachevée, mais l'idée de base de cette énigme policière et le découpage déjà réalisé seront réutilisés ultérieurement dans Blondin et Cirage ("Kamiliola", 1952). Martel, l'oncle de Trinet et Trinette, est une timide préfiguration graphique de Valhardi. La guerre va saborder cette série. La carrière polyvalente de Gillain va s'amorcer sous l'impulsion des événements. Rob-Vel est un moment coupé de la rédaction, Jijé va le remplacer quelques mois dans le dessin de Spirou à la fin 1940, banc d'essai à sa future grande reprise du personnage. Il va devenir l'homme orchestre du journal en cette période troublée. Seul dessinateur au style variable sous la main des éditeurs, il va les dépanner chaque fois que des planches d'agence manquent et réalise de nombreux dessins de transition dans "Cavalier Rouge" et "Superman", témoignant ainsi qu'il n'est pas seulement comico-aventureux de style Hergéien. Le premier grand dessinateur réaliste belge se précise. Les séries américaines disparaissent des publications sous la botte de l'occupant. Les lecteurs sont pourtant friands de bonne bande dessinée réaliste et chaque éditeur tente d'en découvrir parmi les dessinateurs encore disponibles. La misère quotidienne intensifie le sentiment religieux et un des éditeurs, René Matthews, met toute sa persuasion à convaincre le jeune auteur que la biographie de Don Bosco, ami des pauvres et malheureux, vaut bien une bande dessinée grand public. Gillain dévore un ouvrage sur le sujet conseillé, se passionne pour cette vie pleine de rebondissements et de chaleureuse humanité. Il se lance début 1941 dans ce qui va être un des grands succès album de ces années-là. Réédité plusieurs fois de 1944 à 1949 sous un format à l'italienne, d'abord en sépia, puis en noir, l'album Don Bosco fut une bénédiction pour la petite Maison d'Editions et l'aida à survivre durant l'année difficile où, SPIROU étant interdit, il ne restait plus aux éditeurs qu'un maigre fond littéraire à exploiter : collections policières ou d'aventures, romans sentimentaux et premiers albums de BD. Gillain y découvre le style réaliste et ses propres puissantes facultés d'adaptation. Lorsque Jean Doisy, rédacteur en chef de SPIROU à l'époque, lui propose d'illustrer une série d'aventures policières, il saute sur l'occasion. Doisy imagine un héros qui serait inspecteur au service d'une compagnie d'assurances. Il lui découvre un nom sonnant clair, Jean Valhardi, et le gratifie dès le départ d'un personnage secondaire qui deviendra son comparse, Jacquot. Un collaboration, parfois homérique, s'engage. Ecrivain, Doisy fournissait des textes suivis, des romans à rebondissements en quelque sorte, qu'adaptait le dessinateur, provoquant parfois l'ire du « scénariste ». Mais le succès rencontré donnera raison à Jijé et Valhardi deviendra le héros de plusieurs générations, changeant de scénaristes et même de dessinateur. Créé le 2 octobre 1941, Valhardi vivra jusqu'en 1946 deux bonnes centaines de planches sous le pinceau de Jijé. Deux gros albums en seront tirés. A la Libération, les possibilités de voyager se trouvant à nouveau ouvertes, Jijé va souhaiter voir le monde et confiera Valhardi pour une dizaine d'années à Eddy Paape. Il le reprendra de 1956 à 1965, accumulant neuf splendides albums. A la fin de l'Occupation, les éditions Dupuis rachètent à Rob-Vel le personnage de Spirou, qu'il n'était plus en mesure de produire régulièrement, et Jijé hérita de la tâche difficile de faire revivre le personnage vedette du journal. Il lui fit vivre durant deux ans des aventures à l'humour débridé : "Spirou et l'aventure", "La jeep", "L'agence Fantasio et des fantômes" et le début de l'épisode de "La maison préfabriquée" que Franquin repris en cours de route. Dans le fond SPIROU, Fantasio est une création de Jijé basée sur un personnage de doux ahuri rédactionnel mis en texte par Jean Doisy durant la guerre. Là aussi, Doisy ne reconnut guère son enfant lorsqu'il le vit mis en images, mais c'est le lot des scénaristes et cette création haute en couleurs donna un nouveau souffle à Spirou et Spip, créatures de Rob-Vel devenues plus réfléchies et vivant de gentilles aventures fortement teintées de poésie. Jijé puisait volontiers dans le gros comique destructeur américain : son influence sera particulièrement forte sur le premier épisode réalisé en solo par Franquin ("Le tank"). Ce côté populiste et bon enfant revitalisera Spirou, mais, déjà, des doutes s'imposaient à Jijé. N'était-il pas plus doué pour le réaliste que pour le comique ? Le succès de Valhardi et de ses grandes biographies telles que Christophe Colomb (1942-1945) l'incitait à se poser sérieusement la question. Problème résolu par une tendance de plus en plus prononcée à se consacrer essentiellement au réaliste, excepté l'éphémère retour de Blondin et Cirage au début des années cinquante et quelques brèves fantaisies au hasard de l'inspiration dans SPIROU, PILOTE, LE TROMBONE ILLUSTRE, etc.., l'humour cédant la place à la grande aventure. Se dégageant des oeuvres contraignantes, Jijé se lance à corps perdu dans la découverte du Mexique et de l'Amérique. Autour de lui, d'abord dans l'atelier loué par les éditions Dupuis à Bruxelles, puis en voyage commun ou au hasard des rencontres, une équipe de jeunes bourrés de talent apprennent leur métier dans le sillage de la « vedette » : Will, Franquin, Morris, Paape. A tous, il apporte bénévolement conseil, livre des trucs personnels, leur en emprunte et les aide finalement à se lancer dans un métier déjà difficile car les dessinateurs abondent en ce lendemain de guerre. Franquin reprend Spirou, Paape Valhardi. Morris lance son Lucky Luke. Introduit chez Dupuis, Will assurera un jour proche la reprise de Tif et Tondu. Jijé est avant tout un merveilleux professeur qui aide les amateurs talentueux à dégager ce qui someille au fond d'eux. Toute sa vie, il recevra à bras ouverts des jeunes venus prendre conseil chez lui et s'efforcera de leur inculquer les secrets de sa formidable habilité. Parmi les auteurs célèbres de western qui trouveront ainsi chez lui conseil, signalons Jean Giraux et Daniel Dubois. De 1948 à 1950, il conçoit et réalise une superbe biographie de Baden Powell qu'il fignole au hasard de ses étapes itinérantes. Jijé est désormais au meilleur de sa forme réaliste et va pouvoir envisager une grande oeuvre personnelle. Blondin et Cirage reviennent en courte entracte au début des années cinquante, mais son goût pour le western va l'inciter à lancer dès 1954 Jerry Spring qui sera une des premières grandes bandes européennes axées sur l'Ouest américain. Une petite vingtaine d'épisodes vont se succéder jusqu'en 1967, avec , à la fin des années septante, trois nouveaux récits qui feront regretter la relative courte existence de ce personnage. Toujours axé sur des problèmes humains, pratiquant le western psychologique avant que le cinéma américain ne le découvre, se refusant à la violence et glissant de nombreuses touches d'humour dans ses récits, Jijé a fait office de défricheur. Il a balayé le western traditionnel peuplé de mauvais indiens à abattre et de bons cow-boys sympathiques pour chercher à approcher de plus près le fond des choses. Las, auteur d'une prodigieuse vitalité, Jijé n'a jamais tout-à-fait su construire une carrière basée sur une personnalité unique que l'on anime jusqu'à épuisement des dizaines d'années durant, en une collection réellement commerciale de 30, 40 ou 50 titres. La BD lui était avant tout manière de s'exprimer et de s'amuser. Lorsqu'un personnage lui pesait trop, il en changeait. Jijé aimait se surprendre lui-même et changer de style. En 1967, Uderzo, dessinateur doué comme lui dans le domaine réaliste et humoristique, dut choisir entre deux succès : Astérix et Tanguy. Il opta pour l'humour et confia à son second scénariste, Jean-Michel Charlier, le soin de trouver le talent prodigieux qui arriverait à maintenir en vie sa série aéronautique. Jijé sauta sur l'occasion. Pour un auteur adorant la nature sauvage et la vie au grand air, le vrombissement des moteurs et la recherche de la perfection technique était une manière de se surprendre à nouveau.... et de se surpasser ! Il sut redonner une nouvelle vie à Tanguy et Laverdure, d'abord dans Pilote, puis, plus récemment, dans Super-As. Pour la même raison, ce prodigieux goût du changement l'animant, il reprit plus récemment avec son fils Laurent (Lorg) le « Barbe-Rouge » abandonné par Vic Hubinon. Jijé, c'était cela : l'ami chaleureux prêt à s'embarquer dans toutes les aventures parce qu'un copain venait de la lui proposer, l'ariste soucieux de se surpasser, qui, régulièrement, faisait table rase de son passé et de ses personnages imposés au public pour s'embarquer à la recherche d'un nouvel Eldorado qu'il abandonnerait sitôt atteint. S'il ne laisse pas une bibliographie tracée au cordeau autour d'un héros central, c'est qu'il anima dix séries diverses et cent albums qui, tous, resteront comme autant de monuments de la BD européenne.
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