Histoire sans Héros : 20 ans après
Interview de Dany par BD Paradisio


L'album : "Vingt ans après"

Petite histoire d’une suite qui n’en est pas une !


En mars 77 apparaît dans les rayons des libraires une espèce d’ovni éditorial : un album, paru dans le journal "Tintin" et signé par un jeune scénariste, presque inconnu et par le dessinateur plus affirmé des aventures d’Olivier Rameau. Une "Histoire sans Héros", un "one-shot" comme on dit aujourd’hui, un canard sans collection où l’abriter…

Aujourd’hui, après quatre rééditions, dont la dernière dans la collection Signé, cet album isolé est devenu un album mythique coulant des jours tranquilles.
Mais c’était sans compter avec cette petite envie qui démange les scénaristes d’ajouter du pourquoi et du comment et d’imaginer des enfants devenus grands.

Vingt ans plus tard, Jean Van Hamme et Dany s’offrent le plus beau lifting qui soit : le grand plongeon dans le temps, les retrouvailles avec tous ces personnages cernés par la forêt et dont on sait que certains ont pu prendre la voie des airs pour retrouver leur milieu habituel.
"Vingt ans après", ils ont vieilli, Maria moins que les autres (Dany aiment trop les femmes !)…
Chacun d’entre eux s’est refait une place dans la société, s’est reconstruit un équilibre ; le plus jeune d’entre eux à l’époque, Laurent Draillac, est devenu un jeune homme d’affaires aujourd’hui père de deux enfants.
Mais Jean Van Hamme va dynamiter cet apparent retour à la normale par une épidémie de morts inexplicables parmi les survivants du vol CR 512.

Laurent Draillac, fil conducteur de ce nouvel album néanmoins sans héros prédominant, réalise très vite que mouvements néo-nazis, services secrets français et israëliens, organisations internationales sont les chorégraphes d’un ballet où nos rescapés sont condamnés à faire de la figuration.
De Bangkok au Surinam, du sud de la France au Mato Grosso, "Vingt ans après" revient au terme de péripéties mêlant adroitement espionnage et intrigues politiques sur les lieux du drame et conclut définitivement cette histoire sans héros mais si humaine….

 

Interview de Dany par BD Paradisio

BD Paradisio : S’agit-il d’une reprise de l’histoire de "Histoire sans héros", d’une suite ou d’une histoire complètement différente mais sur un scénario assez semblable ?

Dany : On peut considérer que c’est une suite dans le sens où l’on retrouve certains des personnages qui existaient déjà dans le premier album, mais avec 20 ans de plus…
Beaucoup de gens pensaient qu’on allait faire une suite beaucoup plus tôt et s’imaginaient que ça allait être la suite du premier étant donné qu’un des personnages était resté là-bas, et donc que l’on montait une expédition pour aller à sa recherche. Cela aurait pu constituer une histoire d’aventures "attendue" mais sans trop de surprises.

En fait, Jean Van Hamme et moi n’avions pas envisagé de faire une suite à cet album pendant très longtemps. C’est Jean qui a eu l’idée il y a environ 4 ans d’écrire quelque chose qui aurait un rapport avec ce premier album, qui était un peu devenu mythique avec le temps.
Je n’en voyais pas vraiment la nécessité. Je ne trouvais pas ça vraiment opportun. Je trouvais que c’était un des premiers "one shot" et qu’il fallait le laisser tel qu’il était. Mais Jean a écrit un scénario d’histoire qui, en fait, n’a rien à voir avec celle à laquelle tout le monde s’attendait et je l’ai trouvée très intéressante. Cela a éveillé quelque chose en moi mais je n’étais pas encore réellement convaincu.
Mais l’éditeur (les éditions du Lombard) en avait entendu parlé et a trouvé l’idée excellente. Ils nous ont encouragé à la réaliser et je ne le regrette pas du tout ; même s’il est vrai que je n’avais plus tellement envie de dessiner de manière "réaliste classique".

J’ai dû reprendre ce style pour cet album. Je m’en étais un peu éloigné avec les histoires coquines (P & T Productions) et surtout avec "Equator" (éditions du Lombard) qui est plutôt un style semi-humoristique, semi-réaliste. Dans ce registre, quand j’ai envie de dessiner des "trognes", des caricatures de véhicules ou de personnages, je ne me gêne pas pour forcer certains traits. Tandis qu’ici, je devais rester dans des normes et un code plus réalistes. J’étais donc un peu gêné dans mon travail à tel point que j’ai commencé à dessiner cette histoire et, à un certain moment, je me suis littéralement bloqué. Ca ne me plaisait plus et je ne me sentais plus capable de le faire. Je me disais à tout moment qu’il y avait 150 autres dessinateurs qui étaient capables de faire mieux que moi. Je me demandais pourquoi je faisais cela alors qu’il y avait des domaines dans lesquels je sentais pouvoir me défendre beaucoup mieux, où je savais ce que je valais.
Dans le domaine "réaliste pur", j’avais vraiment une sorte de complexe. J’étais bloqué et je me suis arrêté pendant environ un an alors que je n’avais dessiné que 7 planches.
C’est Jean qui m’a soutenu et beaucoup encouragé, relayé de temps à autre par Yves Sente (Lombard) et Monsieur Robiefroy (Lombard), qui m’ont également fortement encouragé.

J’ai finalement repris et me suis, petit à petit, senti beaucoup plus à l’aise.
Actuellement, je n’ai aucun regret. Je suis très content de l’avoir fait. Toutes les critiques d’ailleurs jursqu’à présent sont excellentes.

C’est une histoire d’aventures mais pas vraiment classique. Il n’y a pas de bagarres à toutes les pages, ni d’accidents ou de violence sans arrêt…
Ca bouge beaucoup, ça voyage beaucoup mais ça reste, comme dans le premier album, avec un même souci d’authenticité des personnages, d’approche psychologique, peut-être même un peu plus fouillée.

BD Paradisio : Envisagez-vous de faire une suite ?

Dany : Ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour actuellement. Vous m’auriez dit, il y a cinq ans qu’il y aurait une suite à "Histoire sans héros", j’aurais répondu non.
Maintenant, on n’en parle pas. Cela dit, je sais que l’éditeur souhaite nous rencontrer, Jean et moi. J’ignore de quoi il veut nous parler…

BD Paradisio : Si on prend l’exemple de Blake et Mortimer, la reprise de la série 10 ans après la disparition de Jacobs a fait beaucoup de bruit. Et on apprend qu’il y a déjà un ou deux autres albums prévus dans l’avenir…..

Dany : On ne peut vraiment pas comparer. Blake et Mortimer est déjà une série. Ils ont tout intérêt à continuer. De plus, ils ont déjà eu beaucoup de succès et je pense qu’ils peuvent encore faire beaucoup mieux. C’était le premier album que Ted Benoit et Jean Van Hamme faisaient ensemble. La reprise d’un monument tel que Blake et Mortimer était un pari très difficile. Ils ont osé le faire. C’est remarquable compte tenu du cahier de charges et des paramètres à respecter.
Entre autres choses, ils devaient courir le risque de se faire "descendre" par la critique parce qu’ils allaient être comparés à l’oeuvre de Jacobs.
J’avais vécu un climat un peu similaire à l’époque lorsque j’ai repris Bernard Prince de Hermann. Pour reprendre quelque chose de Hermann, il faut être un peu fou. C’est un des dessinateurs réalistes qui m’impressionnent le plus. J’ai une admiration sans bornes pour Hermann mais il y avait un peu ce côté défi. Là aussi, à l’époque, j’étais très catalogué comme "dessinateur gentil, poète" de la BD, ce qui m’énervait d’ailleurs assez. Alors faire une histoire beaucoup plus musclée, plus dure comme Bernard Prince, ça me tentait très fort.

BD Paradisio : Chez vous, c’est aussi une sorte de défi, cette "Histoire sans héros, 20 ans après". Une suite, 20 ans après, c’est toujours un peu risqué. C’est comme au cinéma, on se dit toujours que le numéro 2 ne sera jamais aussi bien que le premier.

Dany : Oui, mais vraiment, ça n’a rien à voir avec "Histoire sans héros, le retour…". Ce n’est vraiment pas la revanche du fils de Histoire sans héros. Je dirais que c’est une histoire politico-policière dont la clef de l’énigme se trouve dans le premier album.

BD Paradisio : Comment se sont passées vos retrouvailles professionnelles avec Jean Van Hamme ?

Dany : On ne s’est jamais vraiment quittés. C’est un copain. On s’aime bien. C’est vrai qu’on n’avait plus travaillé ensemble. Il y avait quelques temps qu’il me parlait de ça. On avait même essayé une série qui s’appelait Arlequin où on s’est relativement planté. Cette série nous mettait un peu mal à l’aise. C’était un dessin réaliste sur un scénario humoristique. Jean n’est pas très à l’aise dans le style humoristique et moi, pas tellement non plus dans le style réaliste. Ce n’était donc peut-être pas exactement ce qu’il fallait faire. Jean ne savait plus très bien dans quelle BD il était. Il avait l’impression d’être dans une BD réaliste à cause du dessin. C’était en fait assez loufoque avec des inventions abracadabrantes. Ca ne tenait pas la route sérieusement. Donc le public ne s’y retrouvait pas et on n’a pas eu des scores très impressionnants. On était environ à 15.000 exemplaires par titre. On trouvait ça insuffisant, surtout à l’époque.

BD Paradisio : Pour en revenir à "Vingt ans après", cela vous tenterait une adaptation de l’album au cinéma ?

Dany : Ca doit être la cinquième fois que des gens achètent les droits d "Histoire sans héros" pour en faire une adaptation au cinéma. Mais ça n’a jamais été plus loin. Ce serait évidemment tentant mais ça ne dépend pas de moi. Il y a tellement d’argent en jeu. Il faut des financiers qui y croient…
Ca part toujours d’un fan qui connaît des studios, des "gens dans le monde du cinéma",…Je sais que le projet a déjà été jusqu’à Hollywood mais cela n’a jamais abouti.

Suite ...



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