Spécial Donjon : Interview de
Lewis Trondheim, Joann Sfar et Manu Larcenet (suite 2)



Spécial Donjon (suite) : Interview Manu Larcenet

 

Comment travaille-t-on avec deux fous comme Lewis et Joann ?

Larcenet : D'une manière assez simple. En fait, ils sont moins fous que d'autres.

Fous de travail, au moins…

Larcenet : Oui, mais moi aussi, j'aime le travail. Du coup, c'est plutôt facile et plus simple de bosser avec eux qu'avec d'autres. Et ce qu'ils font est drôle, donc ça tombe bien.

Qu'est-ce qui t'a plu dans cette association ?

Larcenet : Je travaillais déjà avec Lewis, ce qui était en soi plutôt plaisant. Ici, il y a l'imaginaire de Joann qui revient par dessus, ce qui est très agréable. Et puis surtout, j'aimais bien Donjon. Je ne connaissais pas encore les auteurs que je les lisais déjà et j'aimais ça ! Donc, quand on te propose de faire une série que tu aimes et que tu lis déjà, c'est vachement flatteur !

C'est très différent de ce que tu peux faire par ailleurs, notamment dans Fluide ?

Larcenet : C'est très différent de tout ce que je fais. C'est à peu près le seul projet où je ne participe absolument pas à l'écriture. Au début, c'était un peu déstabilisant. Mais comme ce sont de bons scénaristes, je n'ai pas à me plaindre ; il n'y a rien à retoucher… C'est intéressant de tenter l'expérience d'un travail qui n'est que graphique.

Ce travail, justement, tu l'abordes différemment ?

Larcenet : Forcément, puisque tout existe déjà.

Tout et rien n'existe, en fait. Si tu veux, tout peut être réinventé, non ?

Larcenet : Non, les monstres existent déjà, puisque Joann me les faxe. J'ai juste à mettre en forme des choses préexistantes. Que ce soit dans les autres séries ou que ce soit à travers les fax qu'il m'envoie avec ses idées de décors ou de personnages, l'univers est largement balisé.

Mais pour les décors, par exemple, tu as une liberté, tu peux inventer ce que tu veux, j'imagine…

Larcenet :Je peux, mais mon imagination ne colle pas nécessairement à leur univers. Alors, je préfère qu'ils m'indiquent comment ils ont pensé tel lieu ou telle pièce, ou la tronche que doit avoir tel personnage. C'est un univers tellement particulier, qui leur appartient.

Quand ils disent "cela nous dépasse", tu es d'accord avec eux ?

Larcenet :Je ne me pose pas ce genre de question. Je me contente de dessiner l'album qui m'échoit chaque année. Ca m'intéresse de faire ça, mais le reste, je m'en fous.

Tu continues à lire les Donjon des autres ?

Larcenet : Oui, bien sûr. Il n'y a que des bons pour le moment, ce serait dommage de s'en priver.

Tu travailles en partie sur les couleurs ?

Larcenet : Non, Walter fait ça très bien. Et il possède les clés qui permettent de donner un ton unique à l'univers de Donjon. D'autant que ma série est proche de celle de Lewis. Je découvre tout doucement la couleur sur d'autres choses que je fais en ce moment.

Mais tu es essentiellement un dessinateur noir et blanc.

Larcenet :Oui, mais ce n'est pas très différent de la couleur, dans la mesure où je passe mes pages noir et blanc au lavis. De toute façon, pour commencer, je ne me considère pas comme un dessinateur. Mais comme un auteur.

L'esprit Donjon, pour toi, c'est quoi ?

Larcenet :Je refuse de me poser ce genre de question. Je me pose des questions case par case, c'est tout. Je n'ai aucune prétention de me mêler du "concept", quel qu'il soit.

Pourtant, Lewis disait par exemple que tu avais eu du mal avec ce fameux concours de pets…

Larcenet :Oui, c'est vrai. Il y a des choses que je n'aurais pas faites comme eux, c'est évident. Mais au-delà des scènes qui me plaisent moins ou que je n'aurais pas traitées de la même manière, si on accepte de jouer le jeu, on le joue jusqu'au bout et on dessine.

Ils arrivent toujours à te convaincre ?

Larcenet : Ce n'est pas la question. Je suis déjà convaincu. Quand quelque chose ne me plaît pas, je leur en parle, et si ça devenait vraiment important, j'arrêterais. Mais je ne m'autorise pas à leur dire "ça c'est bien et ça c'est pas bien". De toute façon, pour l'instant, il y a bien plus de joie que de "douleur", donc c'est nickel.

Quelle est la grosse différence entre "Les cosmonautes du futur" et Donjon ?

Larcenet : La différence, c'est Joann. Ils écrivent vraiment à deux, donc c'est différent. D'ailleurs, je me sens plus "important", on va dire, quand je travaille avec Lewis seul sur les "cosmonautes" que quand je fais un Donjon. Mais c'est autre chose…

Tu fais partie de ces auteurs qui aiment le travail en équipe.

Larcenet : Oui, je ne me pose même pas la question. J'aime le travail en solitaire et celui en équipe. Ce sont les gens qui m'intéressent, des rencontres ou des envies d'univers qui constituent le complément idéal au boulot en solo. Ce qui est intéressant pour moi, en tant qu'auteur, c'est de compléter de cette manière ce que je ne sais pas bien faire en dessin. Quand Lewis me fait dessiner le retour des cosmonautes où il y a une ville détruite, je me dis que si je l'avais fait seul, je ne l'aurais pas dessinée, ça m'aurait fait trop peur, tu vois ? Et là, je suis obligé. Tu te mets au défi pour progresser, c'est un apprentissage d'auteur comme un autre.

Merci

Interview réalisée par Thierry Bellefroid
Dossier réalisé par Catherine Henry

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