Cet album qui clôture cette deuxième fin de cycle (ah bon, il y aurait donc encore une suite ?) est l’un des meilleurs de la série. Je ne parle plus de la qualité des dessins et du choix approprié des couleurs, déjà évoqués pour d’autres épisodes, sinon que, pour une fois, Sophie Swolfs accorde, entre le jaune, le bleu et le rouge, une place au vert (principalement pour privilégier le rêve inspiré du héros) - simple coquetterie, au passage... Pour le scénario, cette fin (provisoire) réalise ses objectifs, au cours d’une lutte finale à mon sens très originale (le héros acceptant de rejoindre le Mal pour mieux le combattre). La présence des nazis est pertinente, même si l’on peut se dire que l’Allemagne ne détient pas le monopole des vampires. A mon avis, Swolfs a commencé par lire “Le matin des magiciens” de Bergier et Pauwels, et là, je dis “chapeau pour la documentation”, car il a apparemment lu (ou s’est renseigné) plus loin. En tout cas, il est bien question dans le livre du Vril et de Shambalah, repris par l’auteur. Le même livre se plaît à souligner les relations des nazis avec l’occultisme (la Société Thulé, l’Ordre Noir, l’Ahnenerbe, sans compter une parodie de l’Ordre Teutonique). On comprend mieux sous cet angle à quel point les S.S. et Kergan pouvaient se rejoindre, et l’évocation du nazisme n’est pas une facilité comme on pourrait le penser au premier abord. Plusieurs innovations viennent enrichir la série : Kergan cesse d’être un animal solitaire et aspire à des ambitions plus hautes en se cherchant des alliés ; il apparaît pour la première fois sous la forme de son maître, et abandonne un moment son statut de bellâtre cruel pour revêtir l’image du démon qu’il est (la conception médiévale que l’on se faisait du Diable, mais toute la série n’est elle pas fidèle à cette conception traditionnelle ?) ; Vincent de Rougemont, quant à lui, subit un rêve initiatique, ressent les effets d’une mémoire héréditaire (ou d’une vie antérieure ?) et la série devient définitivement une boucle joignant le 6° au 1° épisode ; les gitans (qui étaient les alliés de Bram Stoker dans “Dracula”) sont retournés pour servir le Bien (Politically Correctness oblige ?). Enfin, à la page 46, l’auteur nous dévoile enfin (un peu) la nature profonde de Kergan, vu comme un proscrit que l’humanité a rejeté parce qu’il s’est totalement abandonné à l’état de l’animal auquel tout homme est tenté de revenir, depuis que la civilisation a progressivement refoulé cette tendance naturelle en lui. Deux nuances tout au plus. D’abord, même si l’érotisme fait aussi la qualité du récit, j’avais été tenté dans un premier temps de qualifier la relation sexuelle du héros et de Léona d’incontournable scène de “baise” pour entretenir “tout porc qui sommeille en l’homme” (expression allemande). Mais comme je suppose que Swolfs prévoit une suite, et que les cendres de Kergan pourraient renaître, il était peut être indispensable que Rougemont entretienne sa propre descendance par le biais de Léona en la rendant enceinte pour que la lutte se poursuive ? A voir dans l’avenir.... Ensuite, là encore une réaction d’esthète : Swolfs qui, à l’évidence, ne maîtrise pas la langue allemande, aurait dû se montrer plus pointilleux lorsqu’il s’est risqué sur cette pente glissante : ainsi,les Allemand risquent moins de boire du Shnaps que du Schnaps. Les Reichführer ont eu moins de chance d’exister que les Reichsführer, les Haupstumrführer ont plus sévi que les Haupstrumführer. Enfin, Schweinehunden (au pluriel) est un terme insultant, même s’il fallait écrire Schweinehunde. C’est mesquin, je sais, mais pour les lecteurs germanophones (peu nombreux en France, heureusement), ça s’appelle une “coquille”. Arrêtons de chipoter. Cet album est excellent, et si je ne lui accorde pas la note d’excellence (le légendaire chiffre 5), c’est parce qu’il ne faut pas écarter l’hypothèse qu’il puisse apparaître une série encore meilleure que celle-ci.