Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La théorie des gens seuls par Thierry Bellefroid
"La théorie des gens seuls", Monsieur Jean (HS) par Dupuy et Berbérian. Humanoïdes associés, collection Tohu Bohu.

Bonne idée que cette réédition aux Humanoïdes Associés de ce hors série de Monsieur Jean, ouvrage paru en 2000, situé chronologiquement entre le milieu de "Les femmes et les enfants d'abord" et le début de "Vivons heureux sans en avoir l'air". Une pièce supplémentaire du puzzle, de cette oeuvre forgée à quatre mains depuis maintenant plus de quinze ans par ces fabuleux conteurs modernes que sont Philippe Dupuy et Charles Berbérian. Cette édition en noir & blanc retrouve les bacs alors même que le titre est aujourd'hui passé chez Dupuis (collection Expresso). Que dire de cet album déjà ancien ? Que ces deux auteurs pleinement maîtres de leur oeuvre et de leurs personnages prouvent qu'ils sont à même de développer leur récit sur d'autres formats que le sempiternel 48 pages "cartonné couleur" (48CC). Et qu'ainsi, le fond n'est pas esclave de la forme. Un principe depuis longtemps intégré par les deux hommes dans leurs oeuvres respectives, avec le bonheur que l'on sait. Pour le reste, "La théorie du bonheur" est un Monsieur Jean pur jus, avec ce que cela suppose de justesse d'observation, de finesse et d'humour, errance des personnages d'anecdote en anecdote sans que l'ensemble ne perde sa cohérence.

Je viens de lire, de Philippe Belhache.


Avis de Thierry Bellefroid paru en mars 2000 lors de la première publication : « La théorie des gens seuls » par Dupuy et Berberian, dans la collection Tohu Bohu des Humanos.

On les a attendus. Longtemps. Enfin, c'est l'impression qu'on a eue. Plusieurs fois annoncée et retardée, la sortie de cet opus hors-série de Monsieur Jean vient confirmer tout le bien qu'on pensait déjà de Dupuy et Berberian. Les retrouver, qui plus est dans un format plus petit et en noir et blanc, rappelle le « Journal d'un album », l'un de leurs meilleurs opus parus à ce jour (à L'Association, pour ceux que ça intéresseraient). C'est aussi une façon pour eux de rejoindre une collection qui a de petits airs de famille avec leur oeuvre (on pense évidemment à « La vie est belle, malgré tout » de Seth qui doit à Charles Berberian d'avoir été publiée dans la collection Tohu Bohu ou plus récemment, à « Lucie s'en soucie » de Catel et Grisseaux qui apparaît comme un gentil clone de Monsieur Jean au féminin...)

Monsieur Jean revient donc ici pour une série de courts récits qui se placent entre le troisième et le quatrième album de la série. En quelque sorte, une plongée dans les coulisses de la vie de cet écrivain trentenaire, porte-flambeau de sa génération. Des anecdotes savoureuses, des histoires qui nous sont arrivées à tous, mais que le duo récompensé en 99 à Angoulême raconte avec un humour à nul autre pareil. Qui n'a pas été invité à un anniversaire ringard en pleine cambrousse, squatté par les parents de la « victime », un couple qui croit encore être dans le vent et se complait dans l'admiration de sa propre réussite ? (le fil rouge du couple qui rate l'arrêt de train ajoute d'ailleurs à cette histoire une petite touche caricaturale du meilleur aloi) Qui ne s'est pas fait casser un coup d'enfer par un copain en déprime ? Qui n'a pas disserté sur les filles et les garçons et élaboré quelque théorie fumeuse pour expliquer son manque de chance auprès de l'autre sexe, vexant au passage l'une ou l'autre personne dans l'assistance ? Qui ne s'est pas fait remettre à sa place par quelqu'un dont il avait pris la défense un peu trop hardiment, genre « de quoi je me mêle ? ! »...

La force de Dupuy et Berberian, c'est de retranscrire toutes ces petites choses de la vie avec légèreté. Et d'habiller tout cela d'un trait à quatre mains que l'on ne présente plus, tant il est partie intégrante du succès de la série. Aah, ce graphisme aux formes épurées, ce pinceau qui s'étire et épaissit les ombres par-ci, qui stylise les arbres par-là. Cette délicieuse façon qu'ils ont de ne livrer que le minimum dans la pureté des lignes et des courbes. Chaque vignette est un régal. Un modèle de sobriété et de goût. Bon, j'arrête là les compliments ! Quant à l'histoire, ou plutôt aux histoires, rien à dire. Ca sonne juste, comme toujours. Félix est l'emmerdeur parfait qu'on ne voudrait pas pour ami, Jean promène son spleen d'auteur raté avec une parfaite désinvolture (le coup de l'interview... excellent !) et prouve que pour une certaine génération aujourd'hui, l'amitié ainsi qu'une certaine idée de la vie passent avant la réussite sociale. Les yuppies sont déjà des fossiles. Place aux jouisseurs, aux épicuriens, aux esthètes... fussent-ils animés d'autant de doutes que de passion !
Kriss de Valnor (Thorgal) par Thierry Bellefroid
« Kriss de Valnor », tome 28 de la série Thorgal. Par Van Hamme et Rosinski. Au Lombard.

Que dire encore de cette série qui approche les trente albums ? Au menu, une non-surprise de taille : le retour de la méchante alliée, Kriss de Valnor. Le titre du livre ne laisse guère planer le suspense, pas plus que la couverture. On sait qu'on va retrouver la belle brune qui a fait le succès de la série à l'époque des Archers. Et qu'elle et Aaricia vont encore se crêper copieusement le chignon. Avec un peu de chance, elle parviendra même à lui voler une fois de plus son beau Thorgal laissé pour mort à la fin du tome 27 (mais qui y a cru une seconde ?). Raté. Kriss ne repartira pas avec Thorgal. Fidèle à son habitude, Van Hamme a choisi de le mettre en sommeil pour se centrer sur les aventures de sa petite famille. Petite famille qui s'agrandit, d'ailleurs, ce qui est l'une des surprises de ce nouvel album. Mais la plus grosse surprise à mes yeux est la violence crue qui y règne. Là où elle était souvent allusive, elle est cette fois bel et bien montrée. Thorgal égorgeant un soldat dans la nuit. Corrigez-moi ou c'est la première fois qu'il fait ça au vu et au su de tout le monde, notre viking... Sans parler de la scène finale... Bref, on dirait que Van Hamme avait envie de quitter le joli monde de l'héroïc fantasy où la magie remplace souvent la violence et la parole les poignards ensanglantés. Son histoire n'en est que plus « crédible ». Et même si elle passe pour la énième variation de l'aventure de la famille maudite des dieux, elle semble bien moins poussive que certaines des précédentes. Le dessin de Rosinski, en roue libre, ravira les fans (mais même avec les deux mains bandées, il les ravirait encore !). On lui doit en tout cas une certaine vitalité qui ne s'accompagne pas forcément de sens du détail mais qui appuie opportunément le récit musclé imaginé pour ce 28ème épisode.
« L'ivresse du poulpe », une aventure de Jeanne Picquigny, par Fred Bernard. Au Seuil.

Fred Bernard serait-il le fils spirituel de Hugo Pratt ? Plus encore dans ce deuxième volume des aventures de Jeanne Picquigny que dans « La tendresse du crocodile », on sent chez lui une véritable filiation avec le ton, les préoccupations et les personnages chers à Pratt. Sans faire du Corto de bas-étage pour autant, Fred Blanchard touche à l'aventure sur fond de politique, aux errances de l'esprit, au destin de protagonistes enfermés dans leurs interrogations sur le monde ou dans leur solitude quand ce n'est pas dans leurs contradictions. Il mêle révolutionnaires et aventuriers pragmatiques, vénalité et oisiveté, amour et rancœur, innocence et cynisme avec un talent étonnant. Son dessin en noir et blanc, toujours aussi surprenant de vitalité et de force est un enchantement, même si les expressions des visages pêchent parfois par un manque de maîtrise. Un manque largement compensé par la richesse des compositions et la poésie du trait. Ce gros livre est un pur régal, tant pour sa beauté graphique que pour sa maîtrise des dialogues, de la narration, de l'ellipse, de la confrontation des personnages. Voilà un auteur singulier, qui privilégie une époque -les années 20- sous un angle à la fois classique et novateur. Classique, car on y parle de prohibition, de croisières transatlantiques ou de cinéma muet. Novateur car ses héros nous entraînent à l'opposé des archétypes de l'époque. Une très belle réussite.
« Château de vampire à vendre », tome 1 de « L'affaire du siècle », par Beinex et De Dieuleveult. Chez Glénat.

C'est à se demander s'il est encore utile d'avoir un avis critique sur la question ! L'album de Beinex a déchaîné les passions dès avant sa sortie. Et le forum de bdp ne fut pas le dernier à se pencher sur la question. Que peut bien apporter un avis critique de plus ? Rien, sinon que j'aimerais juste qu'il serve de mise en garde aux lecteurs de ce site ne disposant pas de plus de vingt euros par mois pour acheter de la BD. Mettez ces vingt euros dans autre chose ! Ne faites pas de ce livre l'une des plus grosses ventes de l'année, vous ne rendriez pas service à la BD... pas plus qu'à votre bibliothèque.

Le réalisateur de cinéma Jean-Jacques Beinex a toujours confessé son amour pour la Bande Dessinée, il n'est donc pas totalement étonnant qu'il y vienne enfin. Souvenons-nous que « Diva » doit beaucoup à Jean Van Hamme... Mais le fait que Beinex ne déconsidère pas ce medium l'autorise-t-il à brader son talent de cette manière ? On peut se poser la question, ne fût-ce qu'en feuilletant ce livre aux couleurs criardes et aux effets informatiques tapageurs, pour ne pas dire vulgaires. Invitant le story-boarder Bruno De Dieuleveult à se lancer dans le projet avec lui, Beinex prend un risque : celui de faire n'importe quoi graphiquement. On peut être l'un des plus grands story-boarders du cinéma français, lorsqu'on s'attaque à la BD, cela n'a plus grand chose à voir. Il faut que les personnages vivent, il faut leur donner une âme à voir. Et cette âme, c'est précisément ce qui fait défaut d'un bout à l'autre à ce livre, dont la pagination est pourtant généreuse (combien d'auteurs rêveraient de disposer de 90 pages pour le premier tome de leur première histoire !). Les visages changent d'une case à l'autre, De Dieuleveult est incapable de les fixer une fois pour toutes, de les décliner sous tous les angles sans les trahir. Les émotions sont tuées dans l'œuf. Les imperfections graphiques si nombreuses que les détailler est inutile. Et le montage des planches souvent trop influencé par le cinéma.

Quant à l'histoire, adaptée du roman « La vierge de glace » de Marc Behm, elle pourrait fonctionner. A condition d'être bien racontée. Or, tout montre qu'il n'en est rien et que si Beinex maîtrise parfaitement l'adaptation cinématographique sur une durée définie, il perd les pédales lorsqu'il n'a ni support musical ni enchaînement de séquences. Les personnages surgissent n'importe comment de n'importe où, dans des situations confuses. Rien ne vient naturellement. Pourtant, l'idée de ces jeunes vampires qui ont perdu leur pouvoir a bel et bien sa place dans la BD où les histoires « vampiresques » sont loin d'être passées de mode et peuvent, le cas échéant, être de loin meilleures qu'au cinéma (je pense à l'excellent « Je suis un vampire » de Trillo et Risso chez Albin Michel). Bref, plus le livre avance, plus sa pauvreté saute aux yeux. A la manière d'un Beigbeder qui, qu'on l'aime ou non, reste un excellent auteur de roman mais un piètre scénariste de bande dessinée, Beinex, qui plus est secondé par un mauvais dessinateur, ne parvient pas à faire prendre la sauce. Le résultat est d'une indigence affligeante pour ne pas dire abyssale.
« La providence », tome 3 de la série « Le marquis d'Anaon », par Bonhomme et Vehlmann. Chez Dargaud.

Le Hollandais Volant a déjà largement inspiré les auteurs de bande dessinée. Mais la nouvelle aventure du Marquis d'Anaon se distingue des autres par son point de vue en décalage. D'abord, Vehlmann a l'intelligence de ne pas convoquer le Hollandais Volant lui-même. L'épave que croise le navire à bord duquel se trouve Jean-Baptiste Poulain n'est pas une épave emplie de fantômes errants surgissant des flots dans des bancs de brumes vertes. C'est un navire à la dérive, victime d'une épidémie foudroyante. L'histoire se passe à la fin des années 1700, en plein siècle des Lumières, après une entrée en matière où l'on découvre une nouvelle facette du Marquis des Ames en peine. Dans la haute société où le verbe a remplacé le fleuret, Jean-Baptiste Poulain évolue avec une assurance et un esprit d'à propos inattendus. Et le voilà qui s'embarque pour l'Espagne. Cela permet à Vehlmann de changer radicalement son personnage de décor. Et de l'inviter à participer à une aventure maritime où son humanisme et sa connaissance de la médecine ne feront pas toujours l'unanimité, loin de là. Servi par un Matthieu Bonhomme toujours irréprochable, le récit louvoie entre Barbe-Rouge et Isaac le Pirate sans être ni l'un ni l'autre. Il nous permet de laisser pour un temps certains côtés « sulfureux » du personnage pour nous attacher à ses aspects les plus humains. Et Vehlmann parvient à nous toucher. A nous faire aimer Poulain. A nous porter d'une traite jusqu'à la scène finale où le dessin de Bonhomme fait le reste. Sans doute le meilleur album de cette jeune série.
« Say hello to black Jack », tome 2. Par Syuho Sato. Chez Glénat.

La version manga du feuilleton « Urgences ». Encore que. Si la série télé américaine fonctionne avant tout comme un cadre quasi théâtral pour décrire les relations humaines, le manga de Sato, lui, s'attache uniquement à la vie d'un jeune interne idéaliste, confronté au système des soins de santé japonais. Disons-le d'emblée, ce système n'a pas grand chose en commun avec celui de nos sociétés d'Europe Occidentale. Pas besoin d'aller y chercher une description de ce qui se passe dans nos cliniques, l'exemple est trop différent. En cela, le premier volume de la série était particulièrement édifiant, puisqu'il décrivait les vices et les limites de l'hôpital nippon sans aucune complaisance. Le second tome est un peu différent. Il poursuit l'histoire d'un malade pris en charge par le jeune Saito à la fin du premier volume. Tout le tome 2 lui est consacré. Bien sûr, on continue de découvrir, parfois avec stupeur, à quel point le système est rigide et gangrené par les luttes de pouvoir, les codes, les appartenances aux Bureaux Médicaux. Mais l'intérêt de ce deuxième tome est surtout de parvenir à créer un véritable suspense à partir d'un cas d'opération d'angine de poitrine ! Là, il faut reconnaître que Sato possède un réel talent ! En revanche, comme dans la plupart des mangas, il est souvent énervant de constater le manichéisme des situations et des personnages. A commencer par le portrait du jeune médecin Saito, dont le « jusquauboutisme » ne devrait guère trouver d'équivalent dans la réalité... A part cette petite réserve, "Say hello to black Jack" n'usurpe pas son excellente réputation.
D.R.H. par Thierry Bellefroid
« D.R.H. », de Chauzy et Jonquet. Chez Casterman.

Décidément, Chauzy et Jonquet se sont trouvés. Après « La vie de ma mère », Jean-Christophe s'attaque à « La leçon de management », rebaptisée « D.R.H. » pour cette édition chez Casterman. Une histoire en huis-clos, d'abord limitée au buffet de la gare, puis au TGV filant vers Paris où les trois groupes de personnages qui composent cette histoire se rencontrent. D'une part, deux Directeurs des Ressources Humaines, le jeune super coincé et son mentor un peu vicieux. De l'autre, trois jeunes types partis assister au mariage d'un quatrième. Enfin, un taulard à peine sorti de prison et sa belle. Rencontre improbable entre ces gens que tout sépare. Et drame inévitable. On sent venir. De loin. Mais même si le dérapage paraît très vite inéluctable, on ne se doute pas de la conclusion que donnera Jonquet à son récit, et qui en justifiera le titre. C'est rudement bien raconté, par un Chauzy qui reste une des valeurs sûres de la BD, jonglant avec les couleurs, les ambiances, les images, parfois expressionnistes, parfois caricaturales. Adaptateur doué, Chauzy donne aux dialogues ciselés de Jonquet toute leur saveur, les servant comme dans un écrin. Le résultat est certes peu surprenant, parfois même prévisible, mais emprunt d'une force, d'une intelligence et d'une efficacité graphique qui vous emmènent d'un bout à l'autre du livre sans jamais éprouver un poil d'ennui. Moins singulier que « La vie de ma mère », plus facile d'approche mais aussi beaucoup moins tendre pour les personnages, ce « D.R.H. » est une des bonnes surprises de l'automne qui s'annonce.
« Dead end street », tome 1 de "Swinging London", par Benet et De Metter. Chez Soleil.

Au moins, le contexte de cette nouvelle série nous entraîne-t-il dans un univers jusque là peu exploré par la BD. Celui de la fin des années soixante, à Londres, dans le milieu du rock psychédélique et largement décadent. Dans ces années où tout bascule -les repères et les mœurs, la morale et les tabous-, Thomas Benet plante son action, entre polar et peinture de société désabusée. De ce côté-là, l'album est une évidente réussite. Tout comme l'est le traitement graphique de l'excellent dessinateur Christian De Metter qui parvient à allier ses envies picturales à une plongée dans l'univers du rock qui oblige le recours à des couleurs violentes, suggestives, psychédéliques elles-mêmes. De Metter renouvelle sa gamme chromatique, joue sur les textures du papier, recourant souvent au papier journal (comme sur la couverture, par exemple), jette les couleurs avec une fausse désinvolture. Tout cela est brillant, excitant parfois, mais de temps à autre un rien exagéré. Le problème de l'album est ailleurs. Coincé par le format, « Swinging London » effleure son sujet, laissant des zones d'ombre de la taille de l'Empire State Building. On ne peut pas jeter la pierre aux auteurs. Mais force est de constater que ce premier livre est tout juste une mise en place. Le lecteur est donc très frustré quand vient la dernière page et se demande combien de temps il devra attendre la suite. Problème classique, récurrent dans la BD franco-belge d'aujourd'hui. Mais que certains contournent mieux que d'autres. Ici, malheureusement, on ne retient qu'une chose : c'était trop court pour entrer dedans.
Télémaque par Thierry Bellefroid
« Telemaque », par Azuelos et Calvo. Chez Carabas.

On ne voit pas ça tous les jours. Derrière une couverture intrigante en noir et rose, un album totalement improbable, aux choix artistiques radicaux, chez un éditeur qui n'est pas précisément spécialisé dans la BD indépendante. Tout vous déroute, dans ce livre. D'abord le dessin de Thomas Azuelos. Il évoque par certains de ses aspects le traitement de Baudouin. L'encre de Chine, les contours des personnages, leur physionomie même, renvoient à certains ouvrages du dessinateur niçois, voire parfois au travail en noir et blanc de Mattoti (on pense tout particulièrement à « Stigmates »). Mais la mise en couleur, elle, est réellement personnelle, novatrice, souvent fascinante, toujours déroutante. Ce n'est rien en comparaison de l'histoire. David Calvo a choisi de nous balader entre passé et présent, entre rêve, fantasme et réalité presque nihiliste, dans les méandres d'un cerveau malade. Ce cerveau, c'est celui d'un autiste, abruti de médicaments. Mais on est ici à cent lieues de « L'ascension du Haut Mal ». Calvo épouse la folie de son personnage principal, sa relation avec son frère, sa recherche de la mère. Télémaque, fils de Pénélope et d'Ulysse, éduqué par le célèbre Mentor, n'a pas grand chose à voir avec ce désoeuvré perdu dans une Marseille contemporaine et pourtant méconnaissable. Calvo raconte à plusieurs voix et en plusieurs temps, mêlant mythologie, psychanalyse et fiction. Ça part dans tous les sens, à tel point que le lecteur s'y perd très vite, cherchant désespérément un fil d'Ariane auquel s'accrocher. A la fin du livre, chacun s'interrogera sur ce qu'il a compris, ce qu'il a perçu, ce qu'il a vécu à la lecture de cette singulière BD. Certains ne retiendront que la beauté sauvage et indomptée du dessin. D'autres apprécieront le parallèle entre l'Odyssée et le destin de ce Télémaque moderne. Et quelques-uns se demanderont ce que ce drôle d'album a bien voulu leur dire...
« Arrivederci Amore » tome 1 : Histoire d'une canaille, par Carlotto, Crovi et Mutti. Chez Vents d'Ouest.

Avec son sticker « N°1 en Italie » et sa couverture accrocheuse, voilà un album qu'on a envie d'ouvrir, d'autant qu'il s'inscrit dans une collection qui ne manque pas de bons albums, malgré son apparition récente sur le marché. Le dessin d'Andrea Mutti évoque, au moins dans les premières planches, celui de Jacamon dans « Le Tueur ». Couleur directe (assurée par Angelo Bussacchini) et ambiance de mangrove plongent d'emblée le lecteur dans l'Amérique Latine que s'est choisi le héros pour fuir son passé. Mais la lecture de ce premier volume ne tient pas toutes ses promesses. Malgré un scénario charpenté, puisant dans l'histoire des années de plomb qu'a connu l'Italie, on ne s'attache guère au destin de Giorgio Pellegrini. Tout va trop vite. Qu'il s'agisse de la narration, des années qui filent comme un TGV en pleine campagne ou des conquêtes féminines du héros. Là où un roman peut installer une galerie de personnages, fouiller leur personnalité et leurs émotions, la BD, elle, ne s'embarrasse guère de détails et enfile les situations comme des perles sur un collier. Le résultat est une sorte de caricature sans âme qui n'a rien du « récit cynique et hallucinant d'une descente aux enfers » comme le promet la quatrième de couverture. Bien sûr, au terme de ce premier volume, on peut dire que l'on a tenu jusqu'au bout, que le livre n'est ni ennuyeux ni fondamentalement raté. Mais il n'est pas réussi non plus et ne laisse en tout cas que peu de souvenir au lecteur. Un bon roman ne fait pas forcément une bonne BD...
Anna par Thierry Bellefroid
« Anna », de Betbeder et Bec, à La Boîte à Bulles.

Ceux qui, comme moi, se souviennent de l'ovni qu'avait été « Hôtel particulier » chez Soleil il y a quatre ans auront le sentiment d'un petit côté déjà vu en ouvrant « Anna ». Expérimental, développé dans un noir et blanc très obscur à partir de sources vidéo, « Hôtel particulier » était un album atypique dans le catalogue de l'éditeur toulonnais. A tel point qu'il était paru habillé d'une jaquette noire, soulignant un côté plus classieux qui devait le distinguer de la grande majorité de titres héroïc fantasy édités à l'époque chez Soleil. Plus petit, mais lui aussi muni d'une jaquette, « Anna » repose sur le même principe. Et au bout d'une ou deux pages, le lecteur s'aperçoit qu'il exploite les mêmes personnages. Normal. Il ne s'agit pas d'une réédition. Mais d'un remontage de l'histoire prévue initialement en deux tomes et qui n'avait jamais connu de suite chez Soleil. Cette fois, Oscar, Anna, Barbara et les autres vont au bout de leur histoire, dans une version remaniée particulièrement glauque, qui en choquera plus d'un. Non par l'image, car Bec travaille sur la suggestion, l'ombre, le hors-champ. Mais à travers le discours de ces jeunes gens sous l'emprise de leur « gourou », réunis autour d'un projet d'exposition artistique provocateur. Tout le propos du livre tourne autour du rapport de pouvoir qui unit les dominateurs et les dominés. En choisissant plusieurs points de vue de narration, Stéphane Betbeder implique le lecteur, l'intrigue, le mène vers un dénouement qui a toutes les allures du drame... et qui n'en est pas un. Intelligent, mais malsain jusqu'au bout des ongles car il laisse à ses personnages le loisir d'être aussi odieux qu'ils le souhaitent, Betbeder traite peut-être mieux que quiconque du sado-masochisme dans cet essai au rasoir. Sans rien montrer. En suggérant. En intellectualisant, parfois. Mais toujours, en collant au profil de chacun de ses personnages, tous plus ou moins impliqués dans un rapport de force maladif avec Oscar, leur mentor détesté. Et même si Bec, très loin de « Sanctuaire », traite parfois son sujet avec tant de noir que ses personnages en deviennent difficilement reconnaissables, ce livre vaut la peine qu'on s'accroche jusqu'au bout.
Fils de l'enfer par Thierry Bellefroid
« Fils de l'enfer », par Catachio et Accardi. Chez Albin Michel.

Prague, début du 17ème siècle. Un assassin rôde dans les rues, qui ressemble étrangement à une préfiguration de Jack L'Eventreur. Il écorche vives ses victimes. Et sème la terreur dans la communauté, provoquant une fracture entre la plèbe de la ville et le ghetto juif. Intrigues de pouvoir, personnages en marge de l'Histoire -rabbins, alchimistes, astronomes et autres bouffons- sont les protagonistes principaux de ce thriller sulfureux. La face cachée de Prague, ses ruelles peu éclairées la nuit, les souterrains de l'empereur en forment le décor. Grâce à une importante pagination, un dessin largement dominé par les aplats noirs très influencé par les dessinateurs américains comme Mignola, et des cadrages souvent audacieux (parfois trop systématiquement penchés, d'ailleurs, galvaudant la valeur de certains effets), ce « Fils de l'enfer » réserve un moment de lecture agréable. Mais le dénouement tombe comme un soufflé. Après avoir joué sur les ambiances de sorcellerie, sur les faciès inquiétants de personnages tous plus bizarres les uns que les autres, après avoir confié l'enquête à un alchimiste italien au profil intéressant, les auteurs doivent bien conclure. Et ils le font de manière fort classique, déjà vue. Dommage. Car il y a, tant dans le dessin que dans le scénario de ce duo italien, un talent certain. Il manque donc la touche de plaisir finale.
« Paris Sous-Seine », Spirou et Fantasio N°47. Par Morvan et Munuera. Chez Dupuis.

Faut-il encore écrire sur ce nouveau Spirou et Fantasio qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, y compris au sein même des éditions Dupuis, partagées en deux camps, les pour et les résolument contre (qui ont failli gagner, soit dit en passant, puisqu'on s'est quand même sérieusement demandé si l'album verrait le jour, malgré sa prépublication dans les pages du magazine) ? Oui, sans aucun doute, on ne parle jamais assez de ce qui est résolument neuf. Et ce Spirou, nouvelle mouture, est résolument neuf. On aura beau dire qu'il s'inscrit dans la tradition établie par les précédents créateurs, le groom a pris un sérieux coup de jeune qui ne laisse personne indifférent. La faute à Morvan ou la faute à Munuera ? Il faut bien le dire, la faute à un peu des deux, mais surtout à Munuera. Le dessin de l'Espagnol est en rupture avec celui de Janry. Ce qui, en soi, n'est pas forcément un mal. Au contraire. Quoiqu'en disent les nostalgiques, deux constatations s'imposent. 1°Spirou a connu bien pire. 2°Grâce à son nouveau dessinateur, il risque de plaire à un lectorat plus jeune qui le considérait peut-être un peu vite comme un héros ringard. Car l'école Munuera, c'est celle du manga, de l'action, de la BD spectaculaire. Et ça marche. Surtout quand Morvan lui donne à dessiner ce qui l'amuse ! Ce qui nous amène au scénario. Là aussi, il y a rupture. Le Comte de Champignac sous le charme d'une ancienne condisciple, c'est troublant. Mais il y a plus. D'une part, le choix d'ancrer la série dans des décors ultra-réels, ceux de Paris, alors qu'un des génies des créateurs a été de réinventer un monde à l'échelle de leurs héros (et cela, même si Tome et Janry ont ouvert la brèche en leur temps, que ce soit en Australie ou à New York...), de l'autre, des contre-emplois dont le plus étrange est ce rôle de presque potiche joué par une Seccotine quasi subliminale (tant qu'à faire, elle pouvait être tout simplement absente de cette aventure... ) qui a d'ailleurs changé de look entre sa première apparition dans les pages de Spirou et son rôle de « guest star » dans celles de l'album. Ce qui nous amène à parler des retouches opérées entre le premier jet et le livre. Elles n'ont pas toujours été faites avec délicatesse. Ainsi, à la page 10, la case 1 promet « un moment d'exception à notre bord » et la case suivante, faisant référence à ce moment d'exception commence par « Elle débutera dès que ». Une confusion des genres qui s'explique manifestement par l'empressement de l'éditeur à revoir certains passages de cette première aventure. Mais ne jetons pas tout en vrac. Morvan a senti qu'il ne pourrait pas se contenter d'une aventure spectaculaire et technologique. Il a trouvé un héros parfait pour jouer les médiateurs : Spip. L'écureuil redevient un héros de premier plan et sauve tout simplement certaines scènes. Dommage, en revanche, qu'il ait cédé à son tic de vouloir trop remplir les planches, multipliant les cases, quitte à en faire de minuscules vignettes.
Au final, ce « Paris Sous-Seine » laisse perplexe, et c'est bien normal. Il marque la énième reprise d'une galerie de personnages qui font partie de l'inconscient collectif et qui ont connu l'une des plus grandes signatures, inoubliable, celle de Franquin. Inimitable, bien sûr. Mais faut-il condamner par avance toute nouvelle tentative ?

La Malle Sanderson par Thierry Bellefroid
« La malle Sanderson », par Jean-Claude Götting. Chez Delcourt.

Pour un retour attendu, c'est un retour réussi. Douze ans d'absence à la bande dessinée. Douze ans pendant lesquels « l'enfant chéri » de Futuropolis s'est adonné à la peinture et à l'illustration, délaissant totalement la bande dessinée dont il fut durant les années 80 l'un des plus brillants représentants. Avec « La malle Sanderson », il revient par la grande porte, celle des auteurs qui ont à la fois le talent graphique -qui en doutait ?- et celui du conteur. Intéressé depuis toujours par l'univers de la magie, Götting a imaginé une histoire mêlant le destin d'un illusionniste des années 30 à un tragique chassé-croisé amoureux. Ses personnages sont fouillés, crédibles, prenants. Sanderson, le héros de ce récit, est à la fois ambitieux, presque prétentieux et fragile. En témoigne l'issue de l'histoire. Inspiré du très fameux roi de l'évasion Houdini, il n'a d'autre passion que son métier. Même si, dès les premières pages de ce livre, on se doute qu'une femme va faire basculer ses certitudes. Le point de vue de Götting, jusqu'ici inédit en BD, est de se placer du côté du « magicien », de nous révéler ses secrets, ses tours, voire de jouer sur son cynisme et son absence totale de mystère. Gagné. On est subjugué par ce personnage arriviste et intelligent, on jubile de se trouver de l'autre côté du décor... et on vit par conséquent avec lui cette passion dangereuse qui va l'amener à perdre le contrôle d'une vie jusque-là parfaitement planifiée. Magistral. Sans compter un découpage, une économie de moyens qui passe parfois par des silences salvateurs et un dessin qui n'a rien perdu de sa grâce. Rien à dire, l'illustrateur des romans de Harry Potter nous a manqué. Et on espère que son retour à la BD ne s'arrêtera pas à ce très beau livre !
« Echec à la gestapo », une aventure de Rock Mastard, par Boucq et Belkrouf. Au Lombard.

Rock Mastard avait disparu de l'affiche depuis quinze ans. Il est de retour aux côtés de Jérôme Moucherot pour une aventure aux délires savamment pimentés signée Boucq et Belkrouf qui inaugure l'arrivée de François Boucq dans l'écurie du Lombard (si l'on excepte les dossiers de presse ultra-collectors que le Lillois a réalisés pour le lancement et pour certaines sorties de la collection Troisième degré »). « Echec à la gestapo » apparaît d'emblée comme un de ces albums qu'affectionne Boucq car ils lui permettent de donner libre cours à sa folie graphique. On l'a déjà dit, redisons-le encore, ce garçon sait tout faire. Son talent s'exprime une fois de plus à chaque case, avec une apparente aisance qui en est presque exaspérante. Boucq est un génie, une énergie graphique pure, impossible à canaliser. Et il ne le montre jamais si bien que quand il a le champ libre. Mais c'est peut-être là aussi le défaut de ce genre de livre. Comme dans les aventures de Jérôme Moucherot, le délire est gros, très gros, et ne sert que de catalyseur aux envies de se faire plaisir. En même temps, il correspond réellement à ce qui fait François Boucq ; ce mélange d'ironie tendre et de nostalgie. L'hommage au cinéma d'Hollywood des années 40-50 est appuyé ; il correspond à ce qui fait rire le dessinateur et son complice idéal, Karim Belkrouf. On a donc droit à de la grosse, de la très grosse artillerie, avec SS décidés à tout faire pour récupérer la semence du Fuhrer, super-héros braves et plein d'abnégation, caravanes tractées par des avions et autres siphons amazoniens délirants (je vous en laisse la surprise) qui font que sans cela, Boucq ne serait pas Boucq et qu'il manquerait quelque chose dans le paysage. Le résultat ravira ses fans -j'en suis- et déroutera les autres. Le making of réservé au premier tirage ajoutera au plaisir des amateurs d'absurde, d'hommage appuyé au septième art et d'humour décalé. Il y a du Gotlib dans tout ça. Et du Séverin. Il y a surtout du Boucq, du Boucq, du Boucq...
Le gardien de la tour par Thierry Bellefroid
« Le gardien de la tour », par Bast et Matyo. Au Cycliste.

En voilà un album qu'il est drôle et qu'il est frais ! Un peu comme les livres de Nicolas Poupon (« Le fond du bocal ») parus dans la même collection. Un univers restreint, une bête tour de guet avec son planton planté en plein sommet. Et pan. Des gags qui se suivent et se ressemblent sans se ressembler. Des situations burlesques. Parfois gentiment absurdes. Souvent très simples. On prend de la hauteur pour voir tout ce beau monde du ciel. Et le gag suivant vous ramène... à hauteur de regard. On utilise tout : les références qui vont jusqu'au visuel pur, les personnages secondaires qui servent de fil conducteur aux running gags, etc... On va à l'économie, le décor est toujours sommaire, limité à ce qui est nécessaire à la compréhension du gag, on ne tire pas en longueur. Bref, la lecture de ce livre est un vrai bonheur. On s'aperçoit que l'humour est une savante alchimie et que deux créateurs inspirés peuvent en remontrer à quelques soi-disant maîtres en la matière. Ne boudez pas ce livre, même s'il est petit et vite lu : vous y reviendrez très vite.
Journal d'un défaitiste par Thierry Bellefroid
« Journal d'un défaitiste », par Joe Sacco. Chez Rackham.

Un album de Joe Sacco n'est jamais un livre anodin. Ou une BD de plus dans le paysage. Avec Crumb (le père des undergroud US !), Adrian Tomine, Joe Matt ou Chester Brown, il incarne les auteurs de la scène « off » Outre-Atlantique. Mais il y a quelque chose d'unique chez Sacco, qui le rapproche peut-être davantage de Spiegelman que des précédents : sa vision politique du monde. Dans « Journal d'un défaitiste », le reporter BD qui s'est rendu célèbre à travers ses journaux dessinés en reportage à Gorazde et en Palestine passe au second plan. Mais pas autant que dans « Le rock et moi », son précédent ouvrage traduit en français chez Rackham. Ici, on est presque constamment dans la sphère de l'engagement politique, très à gauche, pour ne pas dire radical, de l'auteur. Avec un ton sardonique, volontiers second degré, plein d'ironie sur lui-même et sur le monde, ces petites histoires glanées au fil des ans constituent en quelque sorte la vision de Sacco sur ses contemporains. On est surpris par l'humour qu'il met dans le désespoir, par l'émotion qu'il peut distiller parfois (comme dans « Plus de femmes, plus d'enfants, plus vite », un long récit inspiré des souvenirs de sa mère, à Malte, durant la deuxième guerre) et par le côté fouillis, voire fourre-tout de ses histoires. Bavard, parfois jusqu'à l'écoeurement, le reporter dessinant est ici davantage un artiste engagé, tourmenté et en continuel questionnement graphique. On conseillera plutôt « Gorazde » ou « Palestine » pour pénétrer son univers et ce « Journal d'un défaitiste » à l'humour souvent noir pour aller plus loin.
« Où le regard ne porte pas », d'Abolin et Pont. Tome 2. Chez Dargaud.

Incontestablement, « Où le regard ne porte pas » restera une des sorties phare de l'année 2004. En deux volumes d'une centaine de pages chacun, les auteurs ont réussi à camper des héros attachants, à trouver un ton tant graphique que narratif et à maintenir un suspense et une attente chez leur lecteur. Le tout, publié en moins de dix mois ! Après le premier album qui se présentait surtout comme la chronique d'un village de pêcheurs italien du début dix-neuvième, le second, lui, nous propulse vingt ans plus tard, sans nous ménager. Les trois garçons ont vieilli, mais ils vont se retrouver comme « un seul homme », à l'appel de Lisa. Les voilà partis pour une aventure costaricaine qui vient, on s'en doute, résoudre les mystères laissés béants à la fin du premier volume. Sans dévoiler le fond de l'histoire, disons que le second tome s'attaque au thème de la réincarnation avec autant de brio que le premier jouait sur un registre proche de « Jean de Florette ». Georges Abolin fait à nouveau preuve d'une belle maîtrise des dialogues, ciselant comme il le faut les silences et les réponses courtes, les envolées plus poétiques comme les questions que se posent naturellement ses personnages. Quant à Olivier Pont, son dessin reste magnifiquement épuré. Et même si l'on n'est pas tout à fait sûr qu'il soit allé un jour au Costa-Rica, ses décors sont suffisamment suggestifs pour emporter le lecteur. L'ensemble apparaît comme une histoire à la fois fantastique et humaine, d'une belle cohérence tout en étant très différente d'un volume à l'autre. Quant à la seconde couverture, elle n'a rien à envier à la première. S'il y avait un prix de la couverture à Angoulême, ce joli diptyque y aurait toutes ses chances...
"En attendant Hemingway", tome 1 de "Fishermen Story", par Konior. Chez Caravelle/Migration.

Konior a une patte, c'est certain. Même si elle est parfois là pour masquer les imperfections de son dessin, cet album est la preuve que l'auteur a un style. C'est déjà un bon point, car on ne dira jamais assez combien c'est ce qui manque aujourd'hui à de nombreux jeunes dessinateurs qui ont intégré l'apprentissage et les règles, mais dont le dessin ne vit pas. Dès les premières pages de « Fishermen story », en revanche, on sent que ça vit. Et on sent que Konior s'amuse à dessiner ces ambiances pluvio-brumeuses et ces visages de pêcheurs caricaturaux jusqu'à l'épure. Sans parler des poissons monstrueux -de plus en plus monstrueux, d'ailleurs- qui sont les héros de cette histoire. Le scénario est fantasque et ménage quelques bons dialogues. Mais plus on avance dans l'histoire, plus on risque de décrocher. Les hasards des rencontres semblent nés dans la seconde qui les précède, l'album paraît peu construit, peu scénarisé. Et la présence d'Hemingway n'apporte décidément pas grand chose au récit. « En attendant Hemingway » a les apparences d'une bonne BD, dessin jeté, personnages pris entre fantastique et onirique. Mais une fois lu, il ne reste rien de ce livre. A peine le souvenir d'une histoire de gros poissons et de sorts africains. Un peu comme si Greg (période Olivier Rameau), Ptiluc, Jean Dufaux et Rochette s'étaient rencontrés dans un bar et y avaient réalisé un cadavre exquis.
Jean Polpol par Thierry Bellefroid
« Jean-Polpol », par Cornette et Warnauts. Chez Glénat.

Jean-Luc Cornette délaisse de plus en plus le crayon. Mais on ne lui en veut pas. Ses scénarios, eux, sont de plus en plus nombreux. Et ses collaborations inattendues. La dernière en date nous vaut cet ovni très réussi dans la petite collection carrée des éditions Glénat. Derrière une couverture des plus sommaires, un recueil d'histoires qui commence de manière particulièrement originale. Le narrateur, un garçon du nom de Jean-Polpol, mélange les lieux et les époques, installant d'emblée un second degré et un climat quasi surréaliste. Quant au dessin de Warnauts, il est presque méconnaissable. Bien sûr, les habitués reconnaîtront certains traits, surtout dans les visages ou les contours des chevelures. Mais pour le reste, Warnauts a plongé à pieds joints dans l'univers décalé de Cornette et s'est dépouillé jusqu'à l'os. La surprise est presque aussi grande que lorsqu'on découvrit le premier album en dessin « enfantin » de Durieux ! D'autant que la mise en couleur, assurée par le disciple de Warnauts, Guy Raives, est elle aussi aux antipodes de ce qu'il réalise généralement. L'album condense des nouvelles au ton mi-fantastique mi-horrible, où l'humour grinçant de Jean-Luc Cornette s'exprime sans limite. Même l'incroyable violence de certaines scènes est désamorcée par un ton singulier, savoureux et une écriture absolument délicieuse. Une très belle surprise en cette rentrée BD parfois un peu outrageusement occupée par les blockbusters...
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