Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Le détective » par Goffaux, dans la collection « petits meurtres » des éditions du Masque.

Le Belge Gérard Goffaux a créé les aventures de Max Faccioni aux éditions Michel Deligne. Un petit éditeur bruxellois aujourd'hui disparu (Michel Deligne, en revanche, possède toujours une librairie qui a tout de la caverne d'Ali-Baba pour collectionneurs de BD !). Son personnage a ensuite connu des fortunes diverses (et des éditeurs tout aussi divers) pour finalement être publié... aux Etats-Unis. Les éditions du Masque ont eu l'idée d'en proposer une édition intégrale riche d'un peu plus de 120 pages (deux autres volumes s'y ajouteront) que ne devraient pas bouder les lecteurs de Torpedo et autres séries du genre. Le détective au nez d'aigle est un cliché sur pattes. Feutre mou sur la tête, imper sur le dos, ce boxeur de première classe évolue dans le New York et le Chicago des années qui suivent la prohibition. Il a sa morale à lui et c'est pour tenter de la comprendre qu'un journaliste se met en quête d'informations à son sujet. Il n'est pas le seul à s'intéresser au passé de Faccioni. Un mystérieux commanditaire le paye très cher pour en savoir toujours plus. Et le journaliste raconte ce qu'il trouve dans les carnets de l'ancien détective ou ce que lui narrent les quelques témoins de sa vie qui sont toujours vivants. Peu à peu, le lecteur retrouve toutes les pièces manquantes. Il découvre pourquoi Faccioni est un être à part et pourquoi ceux qui l'ont croisé se souviennent de lui. Marqué par le meurtre de ses parents, recueilli et élevé par le meurtrier de ceux-ci, sa vie entière sera vouée à l'exercice d'une vengeance trop longtemps attendue pour être parfaite. Les événements s'enchaînent avec un minimum de temps morts (rendus nécessaires par la structure de la narration obligeant de repasser de temps à autre par le journaliste enquêteur avant de replonger dans le passé de Faccioni). Les personnages, pour clichés qu'ils soient, tiennent la route. Et le récit, lui, tient en haleine jusqu'à la fin. C'est du polar à l'américaine au point qu'on jurerait qu'il s'agit d'une traduction d'un auteur ricain (fautes d'orthographe comprises, malheureusement...). Quant au dessin de Goffaux, son encrage et son découpage précis le rendent particulièrement efficace. D'autant que les clairs-obscurs sont maniés avec beaucoup de savoir-faire. Les amateurs de série noire apprécieront forcément ce modèle du genre.
« Je suis un vampire, tome 1 : La résurrection », par Trillo et Risso, chez Albin Michel.

Trillo retrouve Risso, délaissant un temps son complice habituel, Mandrafina (Les Spaghetti brothers, La grande arnaque, Vieilles canailles...) et nous propose une histoire de vampire comme on en a jamais lu. « Je suis un vampire » est le récit d'un garçon sans nom, fils de Pharaon, condamné à vivre éternellement dans son corps pré-pubère en vidant de leur sang les victimes que le hasard met sur sa route. Lassé de cette vie éternelle et surtout du combat millénaire que lui livre sa rivale de toujours, la belle Ahmasi, il s'était glissé au fond d'un trou et y avait somnolé durant cinquante ans. Mais un événement fortuit fait revenir la lumière du jour sur son corps, le réveillant immédiatement. Tout recommence. Mais le monde a bien changé depuis la dernière fois. Désormais, il est bien dangereux d'être un vampire. Un portrait-robot diffusé à la télévision, et les ennuis commencent. Sans compter que cela remet aussi Ahmasi sur sa piste.

L'originalité de cette histoire de vampire est de se situer aux antipodes des habituels récits du genre. D'abord, en choisissant un enfant pour héros. Ensuite, en situant son passé dans l'Egypte pharaonique et en laissant planer le mystère sur la cause de sa malédiction. Enfin, et c'est sans doute ce qui rend ce premier volume passionnant, en confrontant ce jeune vampire aux derniers descendants des indiens Oglalas, habitants ancestraux de l'île de Manhattan. La rencontre de l'enfant sans nom avec « Ours calme » fait basculer le récit, jusque là relativement traditionnel. « Ours calme » et sa petite-fille « Nuage du soir » vont devenir la véritable famille du vampire (qu'ils rebaptisent « Vent qui court ») et chacun va entraîner les autres dans son histoire. Le scénario est passionnant, plein de rebondissements et de petites trouvailles qui le rendent original. Seule l'éternelle rivalité entre les deux vampires sonne un peu « déjà vu » (on pense évidemment à des films comme Highlander) même si le personnage de la belle et vénéneuse Ahmasi est loin des classiques du genre.

Je m'en voudrais de conclure sans dire un mot du très bon dessin de Risso. Son noir et blanc est tout simplement magnifique. Il rend aussi bien les scènes de désert de l'époque pharaonique que les gratte-ciel de Manhattan, la nuit. Le découpage et le sens du mouvement ajoutent une touche de réalisme qui rend cet album captivant d'un bout à l'autre. Les dessins en pleine page (exemples planches 13, 23, 24 ou 68) sont vraiment superbes et confirment la maîtrise qu'a Trillo du noir et blanc. Cerise sur le gâteau : Albin Michel nous promet le deuxième album dans les quelques mois à venir, puisqu'il s'agit d'une traduction d'une œuvre déjà existante. Personnellement, j'en redemande !
« Histoire de Lisbonne, Volume Un (1er siècle avant JC - 1580), par Filipe Abranches et A.H. de Oliveira Marques. Chez Amok.

Album hors collection et hors format (24X33 cm, c'est grand !), ce premier volume de l'histoire de Lisbonne est un livre ardu que le dessin de Filipe Abranches sauve d'emblée de tout ennui. Privilégiant le brun et l'ocre sur fond de couleur sable, il installe un climat magnifique et se permet en outre de revisiter l'iconographie des siècles traversés en adoptant par exemple une mise en page fluctuante, apparemment dénuée de règles précises. Ouvrir cet album, c'est se plonger dans ce dessin au graphisme soigné qui se plaît à mettre les personnages fort en avant grâce à un encrage appuyé, sur des décors parfois à peine esquissés au pinceau, mais saisissants d'apparente authenticité. C'est la performance de Filipe Abranches qui fait réellement de cet ouvrage une BD et non un livre d'histoire.

L'histoire de Lisbonne est passionnante et A.H. de Oliveira Marques est sans doute l'un des historiens qui la connaît le mieux (il a publié « l'histoire du Portugal et de son empire » en langue française aux éditions Karthala). Il en tire parti pour nous raconter cette destinée à travers des tableaux de quelques pages s'attachant à chacune des grandes époques de la ville. Anecdotes et Histoire se côtoient, personnages fictifs se donnant la réplique dans une case, Rois et dignitaires que l'Histoire a retenus se parlant dans la suivante. Tout cela est certes passionnant mais d'une lecture difficile et on ne saurait que trop conseiller au lecteur de se pencher sur la chronologie d'un peu plus de deux pages qui ouvre l'album avant d'aborder la BD elle-même. Sans quoi ils risquent de ne pas savoir qui est qui et de perdre le fil en cours de route. Bien sûr, la formule a ses limites. Principalement le manque de place accordé aux personnages qui ne permet guère de développer leurs humeurs, leurs caractères, voire de s'habituer à leur physique avant qu'ils disparaissent de la scène. Mais pour ceux qui continuent de croire que la BD est un genre mineur, cette « Histoire de Lisbonne » est à elle seule une preuve qu'ils sont dans l'erreur.
Le feuilleton du siècle par Thierry Bellefroid
« Le feuilleton du siècle » par Willem. Chez Cornélius.

Le Hollandais Willem qui a émergé à la faveur des années soixante dans la mouvance underground de son pays est depuis longtemps devenu une «signature française ». Prolifique, il a collaboré à de nombreuses revues parmi lesquelles, bien sûr, Charlie Hebdo, où sont parues ces 200 planches aujourd'hui réunies en album. Le titre est sans équivoque, Willem nous propose -comme tant d'autres serait-on tenté de dire- de feuilleter avec lui l'album du siècle. Mais sa vision est totalement libérée de tout carcan. En deux pages par année, il tire à boulets rouge sur la grande Histoire et réécrit à sa façon, souvent polissonne, toujours irrévérencieuse, ces événements qui ont fait les guerres, les révolutions sociales et politiques, les courants de pensée du vingtième siècle. A la manière d'un Oncle Paul qui aurait pété les plombs, il nous raconte cent ans de décadence en se choisissant quelques personnages récurrents dont la plupart sont totalement imaginaires (mais pas tous, puisque Hitler, Mao ou Charlie Parker font partie de la galerie...). Il y a le terroriste Barnstein, Iqbal, le journaliste Réginald Cox (qui adore sauter les épouses d'hommes célèbres pour obtenir leur interview ensuite), Heidi Prack, la petite juive au père SS devenue plus communiste qu'un membre du Soviet Suprême, la princesse Margaret, Li l'ex-garde rouge, etc...

Willem n 'a pas lésiné. Son « feuilleton du siècle » ne respecte rien ni personne. C'est drôle, politiquement incorrect, totalement fou tout en regorgeant d'éléments authentiques (parfois soulignés un peu lourdement, il est vrai). Dommage que ce soit écrit dans un pareil sabir. Un correcteur d'orthographe ne serait vraiment pas de trop !
Le Gant de l'Oubli (Galfalek) par Thierry Bellefroid
« Galfalek, tome 1 : Le gant de l'Oubli », par Gaudin et Biancarelli. Chez Soleil.

Le héros, Galfalek, a été banni de la Cité des Hauts Murs, la main tranchée en guise d'exemple, lors de la reprise du pouvoir par un nouveau souverain. Exilé, il vit de rapines et d'alcool, méditant sur ceux -et surtout celle- qui l'ont trahi. Jusqu'au jour où un homme vient à sa rencontre et lui propose le moyen de retourner à la Cité incognito et d'y retrouver la femme qu'il a aimée. Armé d'un gant qui empêche quiconque de reconnaître celui qui le porte (et qui lui rend sa seconde main au passage), Galfalek revient sur son passé et se retrouve très vite dans les ennuis jusqu'au cou. Yrisis, son ancienne compagne, semble appartenir à une société secrète dont l'ambition est apparemment de renverser le pouvoir en place. Elle est aussi très courtisée par Gordrom, l'ancien compagnon d'armes de Galfalek aujourd'hui à la tête de la garde rapprochée du roi.

Voilà, résumée en quelques phrases, l'intrigue de ce premier album riche en rebondissements. Jean-Charles Gaudin a campé d'emblée un héros et un univers crédibles, intéressants. A condition d'aimer les personnages sans peur et sans reproche, car Galfalek a le coeur aussi pur qu'une source de montagne ; il préfère mettre sa vie en danger plutôt que de laisser mourir un homme qu'il connaît à peine. Mais que voulez-vous, c'est comme ça quand on est un héros de BD...
Le scénario de Gaudin, ceci dit, est bien rythmé, lâchant quand il le faut les informations manquantes au début. J'ai craint que l'idée du gant n'évoque un peu trop facilement l'univers de Grimion Gant de Cuir mais il n'en est rien. Ce premier tome se lit très agréablement, nous entraînant de mystères en complots, puis en révélations (certaines sont un peu téléphonées, mais bon, je vous laisse quand même la surprise). Quant au dessin de Franck Biancarelli, il est d'un classicisme de bon ton et serre souvent les personnages au plus près. Le visage de Galfalek me rappelle juste un peu trop celui de Jack Forster (Dock 21) mais je suis certain que ce n'est pas voulu et que j'aurai oublié ce détail dès le prochain album. Si vous avez envie de lire une bonne BD d'aventure, ce « Galfalek » me semble donc tout indiqué.
« Les coulisses du pouvoir, tome 2 : Au service du parti ». Par Delitte et Richelle. Chez Casterman.

Voilà une série qui ne prend pas le lecteur pour un imbécile. Le scénario de ces « coulisses du pouvoir » est intelligent, bien charpenté et nous emmène dans un genre peu exploré par la BD : celui de la politique-fiction. Les protagonistes du premier volume reviennent plus crédibles que jamais, dans cette histoire de coup fourré de premier choix, prenant de l'épaisseur, vivant leurs vies dans ou en marge de l'histoire. Avec l'habituel corollaire de ce genre de situations, qui est une certaine dilution de l'intrigue. C'est vrai, il faut que les personnages ne se contentent pas d'exister par rapport à elle, il faut qu'ils aient une vie propre pour qu'on y croie, pour qu'on puisse s'identifier à eux, épouser leur univers. Mais le risque est grand de finir par ennuyer, ou à tout le moins, de ne pas avancer suffisamment vite dans ce qui doit toujours rester la préoccupation essentielle du scénariste : l'histoire. Et on est pas passé loin dans ce deuxième tome qui apparaît franchement comme un bon album, mais un album de transition. Dommage, car le premier avait justement passé avec succès l'écueil habituel de la mise en place pour offrir une histoire passionnante, pleine de rebondissements et surtout, d'interrogations. Inutile de dire que le lecteur repartira bredouille de sa chasse aux réponses, ce deuxième volume n'en apportant aucune (pas même un début de réponse à la question essentielle : qui a tué Lord Stuart Parkinson et pourquoi ? ) Mais ne voyons pas que le mauvais côté des choses. L'intrigue, même un peu diluée, reste captivante et il y a quelques surprises dans le scénario de ce nouvel album. (exemple : si l'on s'attend à ce que la petite amie de Clive utilise les informations obtenues sur l'oreiller à des fins journalistiques, la réaction de Watson est, elle, plus inattendue, ainsi que la suite des rapports entre la journaliste et Clive) Quant au dessin, aussi précis que minutieux, il sent bon le travail et les fiches photographiques, ce qui donne une touche de crédibilité supplémentaire à l'ouvrage.
Des méduses plein la tête par Thierry Bellefroid
« Des méduses plein la tête » par Pourquié et Pécherot, chez Casterman.

Un brave garçon, finalement, ce Marco. D'accord, il a des méduses plein la tête depuis qu'une amnésie bienvenue l'a empêché de se souvenir de l'endroit où il avait caché le butin du casse pour lequel les flics étaient venus le serrer. D'accord, après six ans de tôle, il flingue plutôt facile et sans scrupule. Mais il a un bon fond. En fait, il a tout de l'imbécile heureux, jusqu'à la nana qu'il trimballe derrière lui en l'affublant d'un prénom qui n'est pas le sien. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'auteur n'est pas romancier à la Série Noire de Gallimard pour des prunes. Cette course apparemment absurde aux fétiches Arumbayas cache une entourloupe. On la voit venir, mais on s'y précipite tout de même joyeusement, grâce à la verve de Pécherot. Quant au dessinateur, Pourquié, il doit brûler des cierges à Saint Chauzy, le soir, quand il rentre à la maison après avoir livré ses planches. Parce que c'est vrai que le bon Jean-Christophe inspire largement le graphisme et même le choix des couleurs de Pourquié. Mais bon, même si le maître est plus doué, l'élève s'en sort honorablement et le scénariste, lui, glisse des bons mots un peu partout. Ce qui ne sauve pas totalement un album dont le problème essentiel est le rythme. Quelques bonnes idées (notamment celle de Saint Marco, l'ange gardien du héros) mais pas de la grande BD.
Les carnets de Barcelone par Thierry Bellefroid
« Carnets de Barcelone » par Dupuy et Berberian, chez Cornelius.

Quelques mots de cet album sorti il y a plusieurs mois et que j'ai découvert par hasard sur les présentoirs de mon libraire préféré. Ces carnets de Barcelone sont à prendre exactement comme les carnets de voyage de Loustal. Il s'agit d'instantanés, de polaroïds subjectifs, ramenés de la superbe ville espagnole qui ne se résume pas à la Sagrada Familia de Gaudi, contrairement à ce qu'en pensent parfois ceux qui n'y sont jamais allés.

Pas la peine de faire de longs discours. Juste attirer l'attention de ceux qui comme moi vénèrent le graphisme de Dupuy et Berberian afin qu'ils ne ratent pas le plaisir de tourner les pages de ce livre au format italien. L'ambiance des ces carnets est magnifique. Elle trahit un véritable amour des gens et des lieux qui vivent. La plupart des dessins représentent des endroits anonymes : restaurants, cafés, galeries. On y retrouve ce qui a frappé les auteurs, à travers le regard qu'ils posent. On sent que les petites choses de la vie ne leur échappent pas. Qu'une conversation à une terrasse de café est pour eux une source d'inspiration au même titre qu'une place vide en hiver. Ce regard sur les choses, c'est un peu la clé de ce qu'ils font en BD. Une acuité visuelle qui n'est jamais totalement gratuite, jamais seulement esthétique, mais au contraire guidée par une soif de rencontres et de saveurs multicolores. Quant au dessin, il est tout simplement stupéfiant de simplicité et d'efficacité. Le trait s'allonge, s'épaissit, se fait ligne fragile et croque les lumières, les visages, les mille petites choses qui font de chacun de ces dessins un petit tableau. Sur certains, un léger lavis rehausse l'opposition du noir et du blanc, venant ajouter du volume, du relief. On a beau être parfois tout proche du crobard (avec notes originales des auteurs sur le papier), cela reste de l'art, beau, personnel et créatif. Une Barcelone reconstruite et fragmentaire dans laquelle il fait bon se perdre.
Le Décaméron par Thierry Bellefroid
« Le Décaméron, un divertissement d'après Boccace », par Vincent Vanoli. Chez Ego Comme X.

L'air de rien, Vanoli s'installe dans le paysage de la BD avec son graphisme noir et blanc si particulier et ses personnages au nez d'insecte. L'an dernier, il a publié « Le contrôleur de vérité » à L'Association et « Ballade du Péloponèse », une petite histoire en format de poche aux Requins Marteaux. Et voilà qu'il entame 2000 avec ce qui est sans doute son meilleur album, paru chez l'éditeur alternatif d'Angoulême, Ego Comme X. On y retrouve les mêmes ambiances graphiques, adaptées cette fois au XIVème siècle italien, période dans laquelle s'inscrit le Décaméron original de Boccace. Les paysages et l'époque sont proches de ceux de Vasco mais la comparaison s'arrête là. La pousser plus loin serait s'exposer à comparer les mérites de l'autruche et de l'éléphant à la course au motif qu'ils sont tous les deux africains ! Bref, nous voilà dans la campagne toscane, aux heures les plus chaudes du jour, moment choisi par un petit groupe de Florentins (exilés pour cause de peste) pour se raconter des histoires. Et les dix histoires s'enchaînent, traitées différemment par l'auteur qui passe de la narration totalement muette à la BD classique (phylactères et cases en gaufrier) tout en empruntant une multitude de chemins de traverse. Le rythme du découpage est particulièrement intéressant. On peut passer d'une seule case par page (souvent magnifique et évoquant la perspective picturale de l'époque avec un mélange de caricature et de naïveté) à onze vignettes sur la page d'en face (exemple pages 24-25). Cela donne du rythme et dynamise les perspectives. Cela permet aussi à Vincent Vanoli d'exprimer tout son talent dans un noir et blanc qui s'adapte à tous les formats. (la page 24, justement, est un bel exemple de la beauté magistrale des dessins en pleine page ! ) Avec son encrage à la plume très visible, Vanoli fait davantage penser à la gravure ou l'eau-forte qu'à la BD. Mais le mélange des techniques et l'utilisation intelligente de la peinture blanche éclairent ses compositions de l'intérieur. Quant aux histoires, mes préférées sont la troisième et la quatrième. « Une saison au purgatoire » raconte l'enquête menée autour de la soi-disant résurrection d'un certain Ferondo. L'enquêteur et son fidèle disciple pistent l'Archange Gabriel pendant plusieurs mois et n'hésitent pas à lui taper dessus (ils ne sont pas les seuls) pour lui soutirer le fin mot de l'histoire. Et dans le récit suivant, « La chute d'un ange », on assiste à une relecture fort amusante de Roméo et Juliette avec un garçon affublé d'ailes d'ange dans le rôle de Roméo. Une très belle BD réalisée par un dessinateur dont la personnalité hors norme s'affirme avec de plus en plus de talent.
Sans issue par Thierry Bellefroid
« Sans issue » de Robert Crumb, aux éditions Cornélius.

Deuxième volume d'une encyclopédie crumbique entreprise par Cornélius, cet album réunit une vingtaine d'histoires réparties entre les années 67 et 92 (96 pour ce qui est des croquis issus des carnets de l'auteur). Autant dire qu'on couvre un très large spectre qui pourra en déconcerter plus d'un. Mais il ne s'agit ni d'un simple best of, ni d'un hommage vibrant au maître américain. Il s'agit d'un album thématique, explorant à travers divers travaux la vision profondément pessimiste qu'a Robert Crumb de notre monde moderne. On le sait, l'auteur est un grand nostalgique, il est aussi un homme hypersensible, qui préfère s'exprimer par la musique et par le dessin que par la parole. Renfermé, maladivement timide pour ne pas dire agoraphobe, Robert Crumb découvre dans les années de la révolution hippie le pouvoir du LSD... et ses abus. Sa vision du monde en sera changée et surtout, la célébrité viendra à peu près au même moment (vers 1967), avec son cortège de questions existentielles. Cela nous vaut quelques histoires choisies ici qui viennent comme des pièces de puzzle nous éclairer à la fois sur l'un des plus grands auteurs américains et sur une époque, une génération. Comme son nom l'indique, ce « Sans issue » est un album noir, ce qui n'empêche pas l'humour d'affleurer. Mais il recèle quelques moments vraiment exceptionnels, d'autant plus que l'auteur livre (en postface) ses propres commentaires sur les oeuvres retenues. A près de soixante ans, le Grand Prix de la Ville d'Angoulême 99 a encore bien des choses à apprendre à ceux qui n'auront pas peur de s'aventurer dans son monde névrotique.
Testament (Le maître de jeu) par Thierry Bellefroid
« Le maître de jeu, Tome 1 : Testament », par Corbeyran et Charlet, chez Delcourt.

Fort du succès du « Chant des Stryge », Eric Corbeyran élargit le spectre de l'univers qu'il y a créé en menant de front cette deuxième série parlant de stryges. On ne peut que l'en féliciter. Ce premier album, bien que handicapé par une nécessaire mise en place des personnages et de l'intrigue, augure de fort bons moments à venir. Le dessinateur, Grégory Charlet, Français du Nord qui a étudié les Beaux-Arts à Tournai (Belgique) publie à vingt-six ans sa toute première BD. Et franchement, on peut dire qu'il a du talent, surtout dans les décors et le découpage qui sont tout simplement excellents. Ses ambiances très sombres, très mystérieuses, tranchent avec des personnages aux visages un rien naïf, qui rappellent parfois ceux de Berlion (un autre complice de Corbeyran) ou un certain traitement à la Berthet. Le tout est parcouru par un constant souci de réalisme. Voilà un dessinateur que Corbeyran a bien fait d'aller dénicher avant que d'autres s'y intéressent !

L'histoire, elle, nous entraîne dans un monde dont on parle beaucoup sans jamais faire que l'effleurer, celui des jeux de rôles. Pour la première fois, me semble-t-il, un scénariste s'attaque à l'univers des rôlistes à part entière. C'est original, ça promet d'être passionnant, car le travail sur les personnages et leur psychologie sera déterminant. Et, on le sait, de nombreux lecteurs de BD sont des fans de jeux de rôles, ce qui devrait très vite permettre à cette BD de trouver son public. L'autre histoire racontée en parallèle est celle d'un jeune adolescent hémiplégique, Quentin, qui après avoir vu des stryges en rêve retrouve leur trace dans un vieux carnet de bord datant de 1869. On comprend très vite que l'expérience menée sur une île par Kyle Mac Allister et son équipe de rôlistes et celle vécue plus d'un siècle plus tôt par un certain Maître Lacombe vont se rejoindre. Mais pour l'instant, ce récit n'en est qu'aux prémices. Tous les ingrédients sont là pour que la sauce prenne. On n'attend plus que la suite pour savoir si tout le bien qu'on en pense est fondé.
La stratégie Hagen (I.R.$.) par Thierry Bellefroid
« IRS N°2 : La stratégie Hagen », par Vrancken et desberg. Dans la collection troisième Vague du Lombard.

Première constatation, l'encrage de ce deuxième tome est plus précis et les couleurs moins criardes. Un bon point. Larry B. Max, lui, balade toujours sa gueule de clone de Steve Warson passé à la teinture blanche parmi tout ce que l'Amérique compte de gens influents, à la recherche de sous pour le Trésor Fédéral. Et comme dans le premier album, je n'arrive pas à croire à son existence. Trop séducteur, trop sûr de lui, trop libre, trop intuitif et trop chanceux pour qu'on y croie. Si encore il était agent de la CIA (je sais, ça ôterait toute originalité au concept de la BD, mais c'est une image...), on pourrait faire un effort, mais agent de l'administration fiscale... ! D'autant que plus on s'enfonce dans cette histoire en deux volumes plus on mesure qu'un agent du FBI y aurait bien davantage sa place qu'un homme de l'IRS. (Pourquoi pas une reprise de Jess Long ? Non, c'est pour rire...) C'est d'autant plus frappant lorsqu'on voit les efforts de Stephen Desberg pour rendre son histoire réaliste. S'appuyant sur des faits réels (les avoirs juifs « confisqués » par les banques suisses au lendemain de la guerre), il construit une histoire au découpage parfois un peu confus, mais solide, accrocheuse. Alors, pourquoi faut-il que ce dandy-pistolero-champion-de-golf-conducteur-de-voitures-de-sport-détective-hors-pair continue de me gêner ? Parce qu'il en fait trop. Parce que personne ne l'aide, ne lui met la puce à l'oreille, ne le guide sur la voie de la solution. Trop malin. Trop seul. Trop parfait. Et ce ne sont pas ses petites discussions téléphoniques sur une ligne rose qui suffiront à nous le rendre fragile. L'ère est-elle encore aux super héros qui s'en tirent toujours avec une égratignure sur le front ou la joue (on y a droit ici !) ? Je n'en suis pas convaincu. En même temps, si je mets de côté ce héros qui est à l'impôt ce que Rambo est aux militaires, il manque un moteur à la série. Alors quoi ? Tintin était-il plus crédible dans son rôle de journaliste qui solutionne les problèmes de la terre entière ? Pas sûr. En clair, je finirai bien par m'y faire : IRS est une série qui s'inscrit bien dans la collection Troisième Vague (dont la cohérence s'affiche au fil du temps) et son héros n'est pas moins humain que XIII. Il lui manque peut-être l'un ou l'autre défaut, quelques amis, une aventure amoureuse un rien plus sérieuse, un peu d'épaisseur. Et de l'humour. Une vie, quoi. Dans le tome Trois ?
Problèmes épineux (Rat's) par Thierry Bellefroid
« Rat's, tome 4 : Problème épineux », par Ptiluc aux Humanos.

Or donc, les rats et les crapos se trouvaient en bas de la falaise, privés de leurs deux affreux chefs. C'est ainsi que nous les avions laissés à la fin d'un tome trois de bonne tenue mais certes pas génial. Et voilà que Ptiluc nous reprend l'histoire là où il l'avait laissée et prouve qu'il est décidément l'homme en forme du moment. Ce quatrième tome est à la hauteur des « Frigo » et « Foire aux cochons » parus il y a quelques semaines à peine. Mais qu'a donc mangé Ptiluc pour être dans une forme aussi éblouissante ?

Dans cette excellente histoire de baston pas comme les autres, rats et crapos tentent de profiter de l'absence de leurs chefs et généraux pour faire la paix. Ils élèvent même un (très comique) totem pour célébrer l'événement. Mais voilà, un grain de sable, un tout petit grain de sable... et c'est le retour aux bonnes vieilles traditions guerrières. Un idiot très crédule libère les trois généraux des rats et il ne faut pas cinq minutes pour que ceux-ci brouillent les cartes. S'en suit une guerre entre crapos et rats qui fait la part belle aux trouvailles en tout genre et aux alliances de tout poil. Ptiluc nous régale avec ses femelles grenouilles appelées à jouer les « Grosses Bertha » (nom d'un célèbre canon, et ce n'est pas un hasard), ses vers de terre explosifs et puants, ses sarbacanes à épines ou ses lance-pierre à framboises. Toutes les espèces animales passent des accords avec l'un des deux clans, se payant parfois le luxe de réclamer un autre allié en guise de paiement pour leurs services (le coup de l'aigle et du mulot, très bon !) Tout cela est loufoque à souhait mais aussi très inattendu, avec des trouvailles essentiellement visuelles, ce qui ne gâche rien. Il faut voir le pauvre Totem de la Paix se faire barbouiller, canarder ou écharper pendant tout l'album. (quand ce n'est pas l'un des ses composants qui vomit sur un pauvre rat venu avec un drapeau blanc à son secours...) Ptiluc s'en donne manifestement à coeur joie et enchaîne les gags proches du dessin animé (la grenouille qui explose en fumant un pétard, hilarant...) Un excellent album, quoi, puisqu'on vous le dit.
« Un drôle d'ange gardien, tome deux : Un zoo à New York », par Sandrine Revel et Denis-Pierre Filippi. Chez Delcourt Jeunesse.

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai retrouvé l'univers d'un drôle d'ange gardien, dont la fraîcheur et la poésie m'avaient séduit l'an dernier. Le dessin de Sandrine Revel est un enchantement, alliant parfaitement lisibilité et personnalité. Sa mise en couleurs est toujours aussi belle, également, privilégiant des teintes chaudes et automnales. Un dessin qui a un petit côté Walt Disney (de la meilleure époque !) en BD, et ce n'est sûrement pas un critique...

L'histoire de ce deuxième album est en revanche beaucoup moins originale que la précédente. Dans le premier tome, Marie et Jean, deux enfants orphelins, se retrouvaient sous la protection d'un petit diable espérant ainsi revoir l'ange gardien de Marie dont il était tombé éperdument amoureux. Cette fois, on est plus proche de l'Oncle d'Amérique dans sa version classique. Marie découvre en effet qu'elle a un oncle inconnu à New York et réussit à convaincre Diablo de l'y emmener, en compagnie de Jean. L'oncle Anatole tient un zoo et fait face à de grosses difficultés financières. Marie, Jean et surtout Diablo vont arranger tout ça, bien sûr. C'est mignon, plein de bons sentiments, mais, comme je l'ai dit plus haut, on n'est pas surpris comme à la lecture du premier album. Quoi qu'il en soit, vos enfants devraient être ravis de lire cette jolie histoire de 32 pages.
« La Jeunesse de Blueberry N°11 : La piste des maudits », par Corteggiani et Blanc-Dumont. Chez Dargaud.

Et revoilà les aventures de jeunesse du futur Lieutenant Blueberry, avec un épisode tampon coincé entre « La solution Pinkerton » et « Dernier train pour Washington », le prochain et dernier album du cycle, si l'on en croit les auteurs. Autant dire, un album sans surprise, où l'on retrouve Mike S. Blueberry obligé de détourner un troupeau de viande pour les besoins de l'armée sudiste et en échange de la vie d'Eleonore Mitchell (qui se débrouille très bien toute seule, merci !) Je ne sais pas vous, mais moi, les méchants, j'ai tendance à m'en lasser très vite. C'est un peu le cas avec ce pauvre Henry S. Bowman. J'espère que Corteggiani nous l'épargnera dans le prochain cycle d'aventures parce que les ennemis qui ne meurent jamais et réapparaissent à point nommé pour empêcher le héros de s'en tirer, moi, ça m'énerve. On pourrait pas imaginer quelqu'un d'autre, de temps en temps, pour embêter ce brave Mike ? Enfin, c'est pas tout ça, pas la peine de disserter des heures sur le sort de Bowman. Sachez que vous retrouverez dans ce livre tous les ingrédients du précédent, sans plus... ni moins. Si, il y a un plus. Le livret de 16 pages rajouté à la première édition qui permet de faire le point sur la saga et de recouper les épisodes avec les réalités historiques de la guerre de Sécession. Une démarche qui rappelle le cahier épais dont « Ballade pour un cercueil » était pourvu en son temps. Autre nouveauté, qui est souvent le signe que des auteurs s'ennuient un peu dans leur travail (mais je me trompe sûrement) : l'intervention en chair et en os des sergent Chesterfield et caporal Blutch, célèbres Tuniques Bleues de Cauvin et Lambil, pastichés à la manière réaliste ici par Blanc-Dumont. Ils parlent même du furieux capitaine Stark à Blueberry qui les remercie en les braquant avant d'assommer le caporal Blutch sans ménagement (ça défoule, non, Monsieur Corteggiani ?) A part ça, rien à vous signaler. Si vous avez lu les autres, vous lirez celui-ci. Si vous avez aimé les autres, vous aimerez celui-ci. Si vous ne connaissez pas les autres, ne commencez pas par celui-ci.
« Les forêts d'Opale, tome 1 : Le bracelet de Cohars », par Arleston et Pellet, chez Soleil.

Rien à dire, Scotch Arleston est un faiseur d'univers. Il le prouve avec cette nouvelle série qui va faire croître encore son nombre de fans et -à n'en pas douter- son compte en banque. Car « Les forêts d'Opale » ont tout pour devenir l'une des séries à succès des éditions Soleil. C'est de la pure épopée de Fantasy. Il y a un monde, Opale, le monde des forêts, avec ses traditions, sa religion, ses règles. Il y a une quête, celle du jeune Larko, qui doit réaliser la Prophétie et permettre le retour des Titans pour libérer les cinq royaumes. Il y a des compagnons d'armes : une soeur jumelle tombée du ciel et jolie jongleuse, Sleilo et un oncle-barde qui en sait long, Urfold. Il y a un bracelet magique et un monstre du côté des gentils, mais on ne peut l'appeler qu'une fois par lune. Et il y a plein de méchants fanatiques pétris de magie et de pouvoirs fantastiques. Sans oublier l'ingrédient qui fait également le succès des séries imaginées par Scotch Arleston : l'humour. Exemple, la scène des pieds (je ne vous en dis pas plus, mais vous verrez quand vous lirez cette scène qui oppose les trois héros aux Furloings cannibales) Enfin, mais ça, vous vous en doutiez, vu les ingrédients cités plus haut, il y a de l'action. Et un dessin qui colle admirablement à tout ça, celui de Philippe Pellet, très précis (peut-être trop ? Un rien plus de lisibilité le rendrait plus efficace encore) et très nerveux quand il le faut. Voilà, vous avez tous les ingrédients en mains. Faut-il vraiment en dire plus ? « Les forêts d'Opale », c'est comme un jeu de rôle en BD. Tous les éléments de l'aventure et de l'imaginaire sont là. A vous de vous y jeter. Moi, je l'ai fait sans aucun ennui.
« Luc Lafontaine : Honduras », par Daniel Koller. Chez Casterman.

Voilà le genre d'album qu'un éditeur devrait refuser de publier tel quel. Non pas qu'il soit fondamentalement mauvais. Il y a beaucoup de choses plaisantes dans cette BD. Mais ça tire dans tous les sens, tant au niveau du dessin que du scénario. Un manque de vision (et de constance ?) qui conduit le lecteur droit dans le mur. La ligne graphique, d'abord. Avec un héros très gros nez et plutôt nabot, elle semble privilégier l'école Spirou humoristique. Mais certains visages sont au contraire proches d'une ligne claire hergéenne. Un peu comme si Jojo de Geerts voisinait avec le Blake de Ted Benoît dans la même case. Drôle de mélange que les décors viennent encore compliquer à souhait. Les ambiances pluvieuses du début sont très belles, y compris dans le choix des couleurs. Mais ici aussi, on hésite constamment entre le réalisme et la BD d'humour. Daniel Koller n'arrive pas à se décider, alors, il se fait plaisir et dessine un peu de tout.

Pour le scénario, il applique la même formule, apparemment. Là encore, on oscille sans cesse entre les genres. Est-on devant un nouveau Théodore Poussin ou devant une version moderne du « Rayon U » de Jacobs ? Le décor hondurien cherche à voler la vedette à l'intrigue d'anticipation scientifique, et les personnages eux-mêmes oscillent entre dérision et sérieux très premier degré. De quoi réellement perdre son latin. Daniel Koller a incontestablement des choses à dire. Mais il faut qu'il se choisisse un style (au moins pour chaque album, ce qui n'empêche pas d'en changer d'une fois à l'autre, n'enfermons pas les gens, hein) s'il veut que ses BD soient lisibles. A l'école, ça vaudrait un « peut faire mieux » qui prouve que l'on est convaincu du potentiel de l'élève...
« Les cosmonautes du futur », par Manu Larcenet et Lewis Trondheim.

« Poisson-Pilote, ce sera un peu L'Association en couleurs », entendait-on entre les travées du dernier festival d'Angoulême, avec un zeste de méchanceté. Annoncée et pensée depuis de nombreux mois, la nouvelle collection humour de Dargaud lancée -comme il se doit- ce 1er avril réunit en effet des signatures connues : Trondheim (bien sûr !), mais aussi Christophe Blain, David B, Joann Sfar... Il faut dire que l'éditeur parisien a très vite compris qu'il pouvait tirer parti du fait d'être le premier « grand » à aller chercher cette nouvelle génération d'auteurs alternatifs pour leur faire faire... à peu près la même chose en couleurs ! Ainsi est née la série Lapinot, qui a sûrement permis d'asseoir la notoriété de Trondheim. Ainsi est née « La révolte d'Hop-Frog », d'abord OVNI dans le catalogue de Dargaud et aujourd'hui récupérée (et rééditée) par Poisson-Pilote en attendant un deuxième épisode imminent (la série est rebaptisée « Hiram Lowatt & Placido »). Ainsi est né Merlin, l'irrésistible marmot dessiné par Munuera sur scénario de Sfar. Il y en a d'autres. Il y a même eu des albums en noir et blanc dans la collection Roman BD, mais on a bien senti que chez Dargaud, on laissait le N&B aux autres. Et qu'on tablait sur le grand public. Voici donc le premier album original de cette nouvelle collection « très Asso », qui louche tout de même aussi vers d'autres viviers (la présence de Larcenet (pilier de Fluide) et celle des frères Le Gall (Dupuis, Delcourt, etc...) le prouvent). Avec une volonté éditoriale affichée de faire de cette nouvelle collection une sorte de « fils illégitime » du Pilote de la grande époque, Dargaud vise très haut. Et les erreurs se payeront cash. N'ayant pas encore lu « Les petits contes noirs » à l'heure qu'il est, je ne peux tirer aucune conclusion sur la première salve de ces poissons-pilotes. Mais si autour d'Hop-Frog et de Lapinot ne gravitent que des albums aussi bons que ce « Cosmonautes du futur », rien à dire, Dargaud ne s'est pas planté. De là à y voir une filiation avec le Pilote des années Gosciny...

Alors, parlons-en, de ces cosmonautes du futur. Si les personnages trahissent la patte de Larcenet, on sent Lewis Trondheim derrière chacun des dialogues. Trondheim qui décidément soigne bien son adolescence introspective et solitaire en s'offrant de plus en plus d'albums à quatre mains (on pense à Blain et Sfar sur « Donjon », bien sûr). Les deux personnages centraux sont irrésistibles. Gildas est un petit garçon persuadé que le monde est peuplé d'Aliens recevant leurs ordres sur des téléphones portables. Il s'entraîne à les découvrir et à les exterminer. Martina, elle, est convaincue d'être la seule à savoir qu'elle est entourée de robots. La preuve : quand on les pince, les robots sont conditionnés à crier pour faire croire qu'ils ont eu mal. Ces deux-là ne pouvaient faire qu'une chose : se rencontrer. Et s'allier. Contre un monde d'envahisseurs, ils vont développer un langage secret, le bifteck (cela nous vaut quelques-uns des meilleurs moments de l'album, lors de conversations surréalistes au téléphone... qui rappellent les codes secrets de notre enfance). Et ils vont passer à l'action, avec ou sans la petite soeur qui n'est pas aussi innocente qu'elle en a l'air. Leur culot, leur ingéniosité, leur vocabulaire, tout est taillé sur mesure par Lewis Trondheim et Manu Larcenet pour nous les rendre sympathiques en diable et nous mener par le bout du nez vers... le bouquet final en forme de pied de nez ! Ne ratez pas cet album pétillant qui prouve que l'enfance est le monde dans lequel Trondheim excelle par dessus tout. Il en a gardé les clés et la logique. Ca se sent. A tel point qu'en le lisant, on redevient soi-même un enfant.
Entrechats (Le meilleur de moi) par Thierry Bellefroid
« Le meilleur de moi, tome 1 : entrechats », par Dumez et Colonel Moutarde dans la collection Humour Libre des éditions Dupuis.

Décidément, la BD autobiographique est en pleine période faste. Ce genre encore quasi inexistant il y a dix ans (si ce n'est à l'état expérimental) est en passe de devenir véritablement populaire. Des auteurs comme Dupuy et Berberian (Le journal d'un album) ou Lewis Trondheim (Approximativement) y ont largement contribué. D'autres s'engouffrent dans la brèche. Ainsi, Philippe Dumez, dont les petites nouvelles de la vie ordinaire ont su décider l'une des plus célèbres dessinatrices de presse à passer à la BD. Colonel Moutarde, c'est en effet une signature qui fleurit depuis bon nombre d'années dans les pages des Inrockuptibles comme dans celles du Figaro Madame ou de Modes & Travaux. Elle a adapté ces petites nouvelles qui parlent aussi d'elle puisque le couple d'auteurs est justement le couple de héros de l'album. Ce « Meilleur de moi » raconte donc quelques épisodes d'une vie, celle de Philippe Dumez. Une vie de trentenaire marqué par Chagrin d'Amour et son « Chacun fait ce qui lui plaît », le plus grand tube français des années 80 qui est longuement revisité dans cet album (superbes dessins en léger décalage avec les paroles, un régal). Une vie avec ses petits moments durs (retour chez les parents en attendant de trouver un appart' après une séparation, chat qu'il faut faire piquer...) et ses moments de rêve quotidien (l'esprit qui s'échappe et s'en va égrener les souvenirs d'adolescence...). C'est souvent touchant, gentiment drôle, léger, jamais mièvre, très bien écrit et très joliment dessiné sans aucune redondance par Colonel Moutarde. Il y a quelque chose de Monsieur Jean dans tout ça, mais avec une pointe de vérité instantanée en plus, puisqu'il s'agit entièrement de récits autobiographiques mis bout à bout. Un album qui touchera plus particulièrement trentenaires et jeunes quarantenaires, plus sensibles à l'univers qui y est développé et surtout, aux références essentiellement musicales auxquelles Philippe Dumez se plaît à faire allusion, Chagrin d'Amour en tête. En tout cas, le couple Dumez/Colonel Moutarde a su trouver un ton, une mise en forme de ces petites histoires qui valorise à la fois le dessin et le texte. Une réussite qui rehausse réellement le niveau de la collection Humour Libre.
« Donjon Zénith N°3 : La princesse des barbares » par Joann Sfar et Lewis trondheim. Chez Delcourt.

Au départ, il semblait s'agir d'une envie de détente de Lewis Trondheim et Joann Sfar. Mais Donjon est rapidement devenu une institution et l'un des piliers (voire LE pilier) de la collection « Humour de rire ». Donjon, désormais en vitesse de croisière, ne cesse de surprendre et même de s'améliorer. Avant d'aller plus loin, je confesse ici que cette « princesse des barbares » est de loin mon album préféré dans toute la série. Parlons-en une minute, de la série. Pour ceux qui n'arriveraient pas à s'y retrouver, sachez qu'il s'agit d'un univers se déclinant sur trois époques distinctes. Il y a les temps anciens, c'est Donjon Potron-Minet, un album existant numéroté -99. Les autres devraient aller jusque zéro. Il y a l'époque de la splendeur, c'est Donjon Zénith, dont les tomes iront de 1 à 100 (on en est à 3...). Et enfin, il y a la décadence, c'est Donjon Crépuscule, dont les tomes vont de 101 à 200 (ici, on en est à 101). Bref, de quoi faire... trois cents albums (le pire, c'est que s'ils vivent assez vieux, ces deux-là en sont bien capables !)

Depuis le départ, l'humour de Trondheim et celui de Sfar nous valent de suivre des aventures totalement farfelues à la suite de personnages déjantés. Le principal est sans doute Herbert le canard, condamné dès le premier album à accomplir trois hauts faits à mains nues pour pouvoir se servir de son épée, l'Epée du Destin. On croyait qu'il n'y arriverait jamais. Eh bien si. Le plus drôle, c'est qu'il ne s'en était pas aperçu lui-même et que finalement, ça lui fait une belle jambe, de pouvoir tirer l'épée de son fourreau. A part ça, quoi de neuf ? Eh bien, tout d'abord, une délicieuse héroïne siamoise, princesse de son état, dont Herbert invente le rapt pour attirer les aventuriers au donjon, avant de s'apercevoir qu'il a aussi rameuté le père de la jeune fille, persuadé qu'elle y est bel et bien détenue. Pas de chance, il va falloir faire face. Et ce sera d'autant plus compliqué que la princesse en question est en fugue et poursuivie par un frérot qui ne lui veut pas que du bien. Des ingrédients qui semblent tout ce qu'il y a de classique, mais le traitement que leur font subir les auteurs ne l'est pas du tout. On rit sans peine, notamment lorsque la princesse rencontre les ogres et tente de leur soustraire un repas qui n'est autre qu'un mignon petit nourrisson. C'est délicieux, drôle et toujours surprenant. Si vous avez aimé les autres, vous raffolerez carrément de celui-ci !


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