Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Bye Bye Soho par Thierry Bellefroid
« Bye Bye Soho », par Antonio Cossu. Chez ORO Productions.

Le Belgo-Sarde Antonio Cossu fut aussi prolifique dans les années 80 que discret dans les années 90. Grand complice de Berthet avec qui il a entre autres commis « Le marchand d'idées » (réédition intégrale en 1998 par Glénat dans le cadre des 30 ans de l'éditeur), il a aujourd'hui bifurqué vers l'enseignement. Ceux qui le connaissent aiment dire que Cossu est l'homme le plus chaleureux du monde de la BD. Il le prouve à travers cet album gentiment idéaliste qui est le résultat d'une démarche personnelle généreuse. Cossu a intégré un projet roubaisien, « Travail et Culture », de 1998 à 2001. Trois années durant lesquelles le dessinateur a partagé son temps et son savoir avec une quinzaine d'élèves du collège Albert Samain de Roubaix. Thème : comment les jeunes d'aujourd'hui se représentent le travail ? Intérêt : renouer le dialogue avec la vie professionnelle en passant par la BD. Résultat : des centaines de planches dessinées par les élèves, qui, si elles n'ont guère de valeur artistique et encore moins commerciale, ont atteint leur objectif.

C'est pour donner une suite à ces ateliers que Cossu s'est remis à sa planche à dessin et a imaginé cette histoire de SF inspirée des lieux et des gens fréquentés à Roubaix durant cette expérience. « Bye Bye Soho » raconte comment un robot venu du futur peut incarner un idéal de justice revendiqué par des jeunes démotivés. Mais le robot ne peut remplacer la justice à lui tout seul. Adulé au début par une population ravie de se voir attribuer une sorte de super-héros à plein temps, Lam va devenir encombrant. Et finir par être l'objet d'une attaque en règle. Son aide aux jeunes désorientés va alors prendre une autre forme, plus humaine et plus discrète. Il va favoriser le savoir, la culture et l'échange. On l'aura compris, tout cela est plein de bons sentiments et de messages à destination de ces adolescents désoeuvrés que Cossu connaît trop bien. « Bye Bye Soho » est aussi le témoignage de l'engagement d'un auteur qui voudrait faire changer les choses. Lorsqu'on connaît tout ce contexte, la lecture de cette histoire de science-fiction qui se déroule sur deux périodes, 2005 et 2085, prend tout son sens.

Si « Bye Bye Soho » vous intéresse, sachez que la BD est éditée par ORO Productions, structure éditoriale indépendante créée par Cossu et qui se trouve en résidence au Centre Culturel de Mons (Belgique). Pour tout renseignement sur le projet ou sur la BD, un seul téléphone : 00.32.65.31.35.69. ou un E-mail : cossu.oro@swing.be. Enfin, pour les mordus de Cossu, il existe aussi un making of de « Bye Bye Soho » qui reprend les crayonnés et croquis préparatoires, c'est paru chez Pythagore Editions, 8, rue de Verdun, 52000 Chaumont, en France.
« Mortelles en tête », tome 2 de Grand Vampire, par Sfar. Chez Delcourt.

Pas toujours facile de suivre les méandres des scénarii de Joann Sfar. Dans ce deuxième volume des aventures du Grand Vampire, les séquences semblent avoir été posées bout à bout, apparemment sans rapport entre elles. Le lecteur doit jouer le jeu, se laisser prendre par la main, et découvrir une fois encore quelques-unes des pièces du grenier de l'imaginaire dont l'auteur a décidé d'explorer chaque recoin. Ça commence par une très belle scène au musée du Louvre, la nuit. Que de magie et de poésie dans ces quelques pages ; on aimerait d'ailleurs prolonger un peu plus ce beau moment. Mais déjà, Joann brise le rythme et nous ramène à l'Homme Arbre. Dans un désordre savamment orchestré s'enchevêtrent ensuite quelques épisodes de la vie des personnages de cette série qui nous valent, comme toujours, de magnifiques dessins et de subtils dialogues. Le Grand Vampire, c'est pétillant comme le champagne, enivrant comme le bon vin, décoiffant comme un coup de sirocco.
Nanotech (Némésis) par Thierry Bellefroid
« Nanotech », tome 4 de la série Némésis, par Ange, Janolle et Van den Abeele. Chez Soleil.

Anne et Gérard, plus connus sous le pseudonyme de Ange, nous avaient concocté, lors du premier cycle, un superbe thriller SF aux allures d'X-files. On croyait qu'ils ne feraient pas mieux. Du moins, dans ce domaine. C'est même avec un zeste de méfiance que j'ai ouvert cette suite, persuadé que je ne pouvais être que déçu. Mais la déception, ça a été qu'il n'y ait que 46 pages à lire ! Ce Nemesis 4 n'est pas seulement une excellente suite : c'est tout simplement le meilleur album de la série (et je l'ai relue intégralement avant d'aborder cette nouveauté, je ne suis donc pas trahi par mes souvenirs lointains).

« Nanotech » a toutes les qualités que l'on a pu trouver aux trois premiers volumes de Nemesis : personnages attachants, univers mystérieux à cheval entre SF et anticipation, souci de crédibilité constant, suspense permanent... Il a en outre une qualité supplémentaire : il nous propose une fin provisoire, ce qui donne l'envie d'en lire plus tout en diminuant l'inévitable frustration que provoquent ces histoires tronçonnées en trois ou quatre morceaux sans aucune pitié pour le lecteur.
Enceinte et désormais intégrée au FBI, l'ex-agent de la CIA, Roxanne, est plus intéressante que dans le premier cycle. Mais Jonathan a lui aussi un profil bien plus attractif, puisqu'il apparaît à la fois moins solide et « habité », sans cesse prêt à perdre la raison. En fait, les scénaristes ont choisi d'accentuer la fragilité de chacun des personnages, pris séparément (y compris Mallow, sur la fin de l'histoire), pour mieux justifier la cohésion du groupe qu'ils forment. Face à eux, ce n'est plus un marchand d'armes qui se livre à de petites expériences de transferts sur des handicapés, mais une secte puissante qui a récupéré les expériences des années d'après-guerre pour créer des êtres de métal liquide redoutables. Il y a un petit côté Terminator à tout cela, mais compensé par l'équipe d'enquêteurs luttant avec des armes dérisoires contre « le Mal ». Pas de super-héros dans cette histoire, donc. Juste des hommes et des femmes plus attachants les uns que les autres. Le dessin de Janolle n'y est sans doute pas pour rien. Bien que stylisés, ses personnages sont très humains, tant dans leurs expressions que leurs attitudes. Janolle réussit par ailleurs à jouer parfaitement sur le climat d'angoisse en campant des scènes de fantastique qu'on croirait tirées d'un excellent film d'animation.
Lâchez les chiens (XIII) par Thierry Bellefroid
« Lâchez les chiens », tome 15 de la série XIII, par Jean Van Hamme et William Vance. Chez Dargaud.

On croyait XIII en roue libre, après un quatorzième épisode d'une platitude déconcertante. Le voici requinqué pour la conclusion d'un diptyque finalement bien meilleur que prévu. Pour faire plaisir à son dessinateur, Jean Van Hamme a mis de côté les ingrédients du grand complot et s'est offert une course-poursuite haletante. Ce n'est rien d'autre qu'une bonne série B, comme le confesse le scénariste lui-même, mais c'est rudement bien foutu ! Tant le précédent album sonnait creux, tant celui-ci, malgré des ficelles visibles, est un délassement réussi. Il faut dire que le dessin de William Vance y est pour beaucoup. Le lecteur que je suis a -enfin- retrouvé le dessinateur des Bruno Brazil de son enfance. Vance n'aime rien mieux que l'action, les embruns et la pluie. Il s'offre la totale, ici. Et on ne peut que songer aux meilleures ambiances de Brazil, genre « Orage aux Aléoutiennes », en lisant ce nouveau XIII. Quel plaisir de voir un dessinateur se faire plaisir sur une série apparemment ronronnante. Bien sûr, les ficelles sont grosses et l'intérêt de l'histoire est limité (on est loin du tout premier cycle). Bien sûr, on a froid pour XIII et Jessica qui passent quelques heures en sous-vêtements au bord d'un lac sur fond de montagnes aux sommets enneigés (faut bien que leurs fringues sèchent...). Bien sûr, la meilleure ennemie qui tombe dans les bras de l'irrésistible XIII a un côté attendu qui peut énerver. Mais si on accepte le principe que Jean Van Hamme ne vise pas un Alph'Art à Angoulême mais plutôt un smash éditorial de plus, on ne peut que reconnaître qu'il y a un monde entre ce nouveau Treize et son prédécesseur qu'on s'empressera d'oublier, malgré son succès commercial.
Metropolitain par Thierry Bellefroid
« Metropolitain », par Hyuna, dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Hyuna brouille les pistes. Elle égare le lecteur pour mieux le harponner. Se présentant comme un ensemble de petits tableaux apparemment sans lien entre eux, son livre est déroutant, énigmatique. Il semble figer l'instant de quelques personnages, choisis presque au hasard. Hyuna travaille sur la narration à la manière d'un sculpteur : elle taille la matière brute, découvrant des récits courts au relief anguleux, comme son dessin, très écorché, plus proche des productions de maisons comme La Cinquième Couche ou Ego Comme X que de celle des éditions Delcourt, fût-ce dans cette collection dévolue au noir et blanc. Ses histoires nous mènent dans une ville aux accents connus, Bruxelles, mais la dessinatrice allemande semble vouloir brouiller les pistes, là encore, jouant sur des éléments rapportés afin de réinventer la ville, effaçant les inscriptions trop précises, inventant des lieux ou des lignes de métro qui n'existent pas. Troublant mais d'une beauté formelle, « Metropolitain » est un album d'auteur, la vision « Polaroïd » d'une ville qui trahit un évident intérêt pour l'écriture, qu'elle soit graphique ou littéraire.
Le charisme de Ben-Hur par Thierry Bellefroid
« Le charisme de Ben-Hur », par Jean-François Caritte, chez PMJ éditions.

Caritte, habitué des Requins Marteaux, signe son premier album chez Pierre-Marie Jamet et nous y propose une histoire en bleu, blanc et orange vif qui décoiffe. Un comédien raté se voit proposer une formule magique pour réussir les meilleurs rôles de composition : il lui suffit de toucher quelqu'un pour entrer dans sa tête. La formule est trop tentante. Notre comédien ne résiste pas et va se trouver tour à tour dans le corps d'un alcoolo teigneux, d'un flic de quartier, d'un demeuré musclé au grand coeur et enfin d'une psy à l'ego surdimensionné. Tout cela ne va évidemment pas sans provoquer de joyeux dérapages. A chaque fois, notre comédien et son hôte se télescopent, trop à l'étroit dans un seul cerveau et les choses ne tournent pas comme elles le devraient. Réjouissante, la farce est menée sur un rythme soutenu ; il faut dire que l'album est composé d'une trentaine de pages, ce qui rend les développements impossibles.
« La nurse aux mains sanglantes », une enquête de l'inspecteur Canardo, par Benoît Sokal. Chez Casterman.

C'est sûr, Benoît Sokal cherche la manière de se renouveler et de ne pas s'ennuyer. Il faut dire qu'en dépit du nombre assez peu élevé d'albums de cette série, l'inspecteur Canardo existe tout de même depuis... 1978 ! Le précédent opus explorait -avec un bonheur très relatif, rappelons-le- le voyage dans le temps. Celui-ci nous emmène aux Etats-Unis où Canardo, à la manière d'un assistant de Perry Mason, doit aider un avocat à innocenter une cliente promise à la chaise électrique. L'enquête est bel et bien le moteur de l'histoire, et comme toujours, Canardo va la mener à sa manière, se fiant à ses intuitions, buvant des coups, avec cet air du type qui ne contrôle rien et subit les événements. Tout cela est bien classique me direz-vous. Oui, peut-être, la nouveauté est ailleurs. Avec cette histoire ancrée dans un univers géographique très précis -les Etats-Unis-, Sokal change ses habitudes. Cela lui permet de jouer à fond sur les différences culturelles entre Français et Américains. Résultat, d'excellents dialogues au ton désabusé qui ont fait le succès de la série et qui semblent retrouver une nouvelle jeunesse. Exemples :

Premiers dialogues de l'histoire, Canardo débarque aux Etats-Unis. Scène entre lui et le douanier :
-I have no drugs... and no french cheese !
-Fuckin' french duck, pense le douanier.

Un peu plus loin, Canardo fait la connaissance de l'avocat avec lequel il va travailler :

-J'étais sûr de vous reconnaître... un je ne sais quoi d'Européen.
-Excusez-moi Monsieur Keegan, mais huit heures sans fumer, ça m'affole les bronches ! Soyez gentil, laissez-moi le temps de refaire les niveaux...

Et plus loin :

-Faut que je vous prévienne, Canardo, elle n'est pas commode.
-Rassurez-vous, Keegan, ça me connaît... pour nous, en France, les chieuses, c'est un peu une spécialité... comme le camembert et le béret !
-Dites donc, vous êtes plutôt amer. Vous avez eu un chagrin d'amour récemment ?
-Mmh, dans ce domaine, en vieillissant, on n'a plus de chagrin, on n'a que des inconvénients.

Bref, Sokal est au mieux de sa forme et même si l'on est moins ému que par des histoires comme « La mort douce » ou « L'Amerzone » et moins étonné qu'à la lecture de « La marque de Raspoutine », on s'amuse beaucoup à la lecture de ce treizième album. La fin est peut-être un peu attendue et les explications au procès un rien tirées par les cheveux, mais le plaisir est là. Quant aux ambiances volontairement ternes, sombres, confinées, elles sont assez réussies.
« Le temps du jugement », tome 3 de « L'ancêtre programmé ». Par Anne Ploy et Loïc Malnati. Aux Humanos.

« La Transgénèse », cette méta-série imaginée par Anne Ploy, prend forme avec deux nouveaux albums : un dans cette première série consacrée aux années 2025-2028 et un dans celle intitulée « Fidès » qui s'attache, elle, aux années 2029-2034 (Rappelons que deux autres séries doivent encore voir le jour. La première concernera les années 2035-2039 et s'appellera « Le silence de la terre ». La seconde, qui aura pour nom « Le dieu païen », s'intéressera aux années 2040-2042). La scénariste s'emploie à nous brosser un portrait de ce que pourrait nous réserver le troisième millénaire dans lequel nous venons de mettre le pied. Elle le fait avec une intelligence toujours aussi brillante. Et un savoir-faire évident, puisque ce troisième album de « L'ancêtre programmé » contient son lot de rebondissements et de révélations sur les liens existants entre certains des protagonistes. C'est clair, cette série est celle de la tentative de domination du monde par la machine. On sait déjà qu'elle échouera puisque l'action de « Fidès », située quelques années plus tard, nous montre que le monde est dominé par une secte surpuissante. Il n'empêche, « L'ancêtre programmé » ne manque pas d'attrait pour autant. La force d'Anne Ploy est en effet de parvenir à raconter simultanément une histoire et sa suite, sans déflorer aucunement le dénouement de la première. Une première série, « L'ancêtre programmé », où l'on suit donc les efforts d'une intelligence artificielle dénuée de scrupule. « Exe », c'est le nom de cet ordinateur surdoué, tente de dominer le monde et de guider la race humaine vers ce qu'il pense être le meilleur des futurs. Avec une cruauté prédatrice, il a expérimenté tous les détours des émotions humaines et connaît les moyens d'asservir le cerveau de l'homme. Le scénario d'Anne Ploy donne froid dans le dos. Rien n'est négligé pour installer le lecteur au coeur du malaise et le dessin de Loïc Malnati, plus efficace qu'au début de la série, contribue à la réussite du projet.
« Chaînons manquants », tome 1 de la série Silex Files, par Foerster. Dans la collection Troisième Degré des éditions du Lombard.

Voilà un album difficilement classable. Humour décalé, parodique et référentiel. Mais aussi véritable calque des récits et films mettant en scène des détectives privés. Il n'y a finalement que l'univers préhistorique qui évite à ce Silex Files de ressembler à mille autres histoires du genre. La voix off, souvent banale, ne rivalise pas avec la Série Noire ou le Serpent à Plumes. Et les dialogues sont trop souvent poussiéreux. L'indic qui monnaie ses confidences à coups de petites phrases du genre « Ca se pourrait. Mais y a aussi ma mémoire qui doit gagner sa croûte », ça sent plus que le déjà-lu. Pourtant, Foerster parvient à glisser quelques bons mots et l'une ou l'autre réplique carrément excellente, lorsqu'il joue sur les télescopages d'époque. Tout le sel de Silex Files est là : être joyeusement anachronique. Mais les anachronismes ne suivent pas tous le même rythme : si on accepte que le portable et le revolver en silex existaient à la préhistoire, l'aéronautique n'a pas encore été inventée, ce qui nous vaut cet amusant échange de propos :
-Ecoute, coco, quand l'humanité aura inventé l'aéronautique, tu seras chef d'escadrille.
-Ca ne veut rien dire, votre réplique, là...
-Mmh...
Bref, Foerster s'amuse à fixer lui-même les règles d'un univers qui en est totalement dépourvu. Du coup, tout est possible, ce qui rend évidemment la tâche du scénariste plus facile ; il peut sortir son héros de n'importe quelle situation difficile, simplement en inventant une nouvelle arme, une bestiole de sa création ou un anachronisme de plus. A la longue, ça pourrait lasser, mais c'est plutôt l'inverse qui se produit. Assez hermétique de prime abord (voire verbeux), Silex Files finit par emporter l'adhésion. Pas jusqu'à la franche hilarité. Mais jusqu'à une chute joliment absurde qui prouve combien Foerster pouvait encore nous étonner. Il faut dire que le chemin graphique allant de cet album à ceux de la période Fluide Glacial est aussi long que la route menant de Venise à Rome en passant par le Cap Horn !
« Panique au Middle West », tome 1 de Murder & Scoty, par Rod, chez Paquet.

Quitte à faire dans la caricature, autant y aller gaiement. C'est ce que fait Rod dans cet album totalement déjanté au dessin très Fluide Glacial (mais en couleur) dans lequel on a l'impression de voir les Bidochon de Binet croisés avec « Les Entremondes » de Larcenet. « Murder & Scoty » joue à fond sur les références cinématographiques, tout en proposant un polar sans queue ni tête où tout est permis. Un fermier qui n'aime ni les citadins ni les enquêteurs du FBI et qui ne laisse jamais son fusil hors de portée, un flic local qui se fout de la gueule des héros, des poules tueuses... Rod ne se prive de rien pour composer une symphonie débridée où la fantaisie se sert à la louche. La pirouette finale est un peu facile, mais elle amuse quand même, au terme de cette aventure de pépé-flingueurs plus cons et maladroits que méchants.
Sels d'argent par Thierry Bellefroid
« Sels d'argent », par Michele Petrucci. Chez Vertige Graphic.

Fascinant, cet album introspectif. Bob Keller, photographe, y explore les souvenirs d'une révélation personnelle. Spécialisé dans les faits-divers, Bob est un jour amené à photographier le corps d'un homme mort avec le regard hébété, Anton Bauer. Dans la pénombre du labo, le gros plan des yeux de Bauer plonge le photographe dans un état de trouble apparemment inexplicable. C'était il y a longtemps aujourd'hui, mais Bob Keller n'a rien oublié du cheminement intérieur que cette photo a provoqué. A travers un dessin économe, l'auteur raconte une histoire sur trois époques. Le présent, n'est là que comme référence. Le vrai présent est celui de l'époque où la photo a été prise, il est dessiné en bichromie avec une dominante beige. Et puis il y a le passé, celui qui resurgit d'un coup, l'enfance, l'adolescence, le chemin que prend une mémoire meurtrie pour aller rechercher les souvenirs refoulés. Ce passé-là, Petrucci le livre à travers un noir et blanc sans aplats, presque plus blanc que noir, comme si la noirceur de ce qu'il a à révéler à Bob Keller sur lui-même devait être compensée par des apparences de virginité, d'innocence éclatante de blancheur. Le tout forme une mosaïque à la fois brève et forte, dense et complexe qui mérite peut-être deux lectures. Et qui peut mettre mal à l'aise, car elle ne débouche pas sur la morale attendue. Un livre d'une grande intelligence.
Ambrosia (Le Régulateur) par Thierry Bellefroid
« Ambrosia », tome 1 de la série « Le Régulateur », par Corbeyran et Moreno. Chez Delcourt.

Alors qu'on attend toujours la sortie (annoncée pour l'automne 2001 d'abord, pour début 2002 ensuite... et maintenant pour début 2003) d'une quatrième série liée à l'univers des Stryges et dessinée par Marc Moreno, voici un autre album concocté par Eric Corbeyran pour ce nouveau venu dans « son » écurie de dessinateurs. On retrouve dans « Le Régulateur » quelques éléments qui portent indéniablement la signature de Corbeyran, qu'il s'agisse des sculptures aux allures de stryges qui ornent certains frontons ou de l'univers « steampunk » plaçant l'histoire dans un passé de science-fiction très marqué par la révolution industrielle et l'Art Nouveau, à la manière du Réseau Bombyce.

Mais « Le régulateur » n'est pas qu'une série de plus pour Eric Corbeyran. Il s'agit de la création d'un univers où l'on retrouve, comme dans la série « Le fond du monde », un véritable talent d'artisan dans le chef du scénariste. Chaque pièce est à sa place dans ce monde marqué par la violence contrôlée. Un monde où chaque puissant possède ses « régulateurs », des tueurs à gage chargés « d'exécuter » la justice sans détour. Et l'anarchie apparente qui règne sur cette ville en déliquescence masque un semblant d'ordre nouveau rêvé par quelques obscurs et puissants conspirateurs. C'est pour déjouer cette conspiration que le scénariste plonge ses deux héros -ennemis ou amis, nul ne le sait vraiment ?-, Aristide et Ambrosia, au coeur de l'intrigue. Mais la résolution du complot en question se double d'une quête personnelle et d'un superbe profil de personnages. Casting imparable, déroulement haletant et inventif, on ne décolle pas de cet album avant la terrible et magistrale dernière page, conclusion totalement inattendue qui redistribue les cartes pour la suite. Bref, une très bonne surprise. A condition de rentrer dans le dessin de Marc Moreno, ce qui ne sera pas facile pour tout le monde. Froid, presque métallique, Moreno joue sur une gamme de couleurs allant du mauve au vert qui rappelle, tout comme l'univers architectural de l'album, « Le réseau Bombyce » signé Corbeyran et Cécil. Mais ici, avec une influence plus manga et un côté glacé qui éloignent de la rondeur de Cécil.
Oscar et Monsieur O par Thierry Bellefroid
« Oscar et Monsieur O. » par Moynot. Dans la collection « Carrément BD » des éditions Glénat.

Un album de plus dans cette étrange et belle collection de « livres d'art ». Avec une tranche toilée et une couverture des plus soignées, « Oscar et Monsieur O » renforce encore l'aspect « bel objet » qui caractérise chacun des ouvrages de la collection imaginée par Paul Herman. Rien à dire, c'est le genre d'album qu'on a envie d'ouvrir, de parcourir avant d'en commencer la lecture, laissant ses yeux vagabonder au gré des magnifiques pages d'aquarelles de Moynot. Comme dans « Monsieur Kohl » précédent opus réalisé dans la même collection en compagnie de Dieter, on trouve ici une ambiance fin dix-neuvième avec réverbères, mitaines, poêles en fonte, hauts de forme ou chapeaux melons, vieux tacots et bourgeoise engoncée. Moynot tire de cet univers tout ce qui peut servir son dessin léger, fait de crayonnés délicats immédiatement mis en couleur à l'aquarelle. Ses cases se touchent, comme dans « Monsieur Kohl », composant des planches qui sont autant de petits tableaux. Bref, l'esthétique est indiscutable et la ravissement du lecteur inévitable.

Restent l'histoire et les personnages. Le propos n'est pas neuf. Un jeune artiste timide oscille entre ses rêves de révolte et une production alimentaire qui l'éloigne malheureusement de celle qu'il rêve d'épouser. Son « mentor » est une sorte de double immatériel qui ne se dévoile qu'à lui. Dans une espèce de schizophrénie assumée, Oscar va franchir les étapes qui doivent le sortir définitivement de l'enfance et d'une vie de spectateur. Le parcours initiatique épouse la simplicité de la vie quotidienne et les acteurs de la pièce sont aussi peu nombreux que typés (la fiancé pimbêche d'un côté, la voisine fille-mère de l'autre....). Le tout est assez réjouissant, même si les surprises sont rares. Les mises en abîme sont bien exploitées et le récit mené avec une certaine finesse. Mais on a le sentiment d'une redite, un an après « Monsieur Kohl », qui vient peut-être tempérer l'enthousiasme.
« La légende de l'Ouest », une aventure de Lucky Luke, par Morris et Nordman. Chez Lucky Comics.

On peut difficilement trouver mieux, comme titre, pour résumer ce qu'est Lucky Luke : la légende de l'Ouest. Une légende devenue bien pâle, au fil des 72 albums d'une carrière au succès pourtant indéniable. Ce n'est pas ce nouvel opus, l'ultime dessiné par son créateur, qui révolutionnera le genre. Ce Lucky Luke est aussi attendu qu'une chanson d'Obispo. Ca a beau être commercialement imparable, ça ne sent pas vraiment les tripes. Bon, je sais, on ne dit pas du mal des morts. Mais en l'occurrence, je n'ai pas attendu que Morris monte au ciel des dessinateurs pour dire ce que je pensais de ce héros qui avait enchanté mon enfance. « La légende de l'Ouest » n'échappe donc pas aux critiques déjà formulées ces dernières années : lourd, répétitif, attendu, éculé même, il décline sa famille de personnages jusqu'à la caricature la plus vide. Nordman a rempli son contrat ; il exploite l'idée de la notoriété soudaine dont bénéficient les Dalton, héros de spectacle dans cette histoire. Une idée qui colle bien à l'air du temps, entre les Loft et les Star Académy dont la télé française nous abreuve. Mais que tout cela est pauvre. Surtout quand on se replonge un instant dans les « Lucky Luke contre Phil Defer », « Des rails sur la prairie », « Calamity Jane », « Les rivaux de Painfull Gulch » et autres « Billy the Kid »...
« Eaux troubles », tome 2 de la série « Les larmes d'Ostasis », par Ouali. Chez Soleil.

La suite du « Phare d'Alveona » n'est peut-être pas des plus inattendues, mais elle est très réussie. Ouali exploite bien ses personnages et l'univers qu'il leur a créé. Mossec, le héros musclé mais sensible qui a perdu sa soeur au terme du premier tome, Gribald, le vieil alchimiste et complice, Kielle, la fille de Gribald, qui semble avoir pardonné à Mossec d'avoir provoqué la mort accidentelle de son mari jadis, et Atzo, le fils de Kielle. Tels sont les protagonistes d'une histoire qui nous éloigne d'abord de Qutaba, la ville blanche où résident Gribald et les siens, pour mieux nous ramener vers la soeur de Mossec, devenue « esprit » dans une sorte d'Atlantide engloutie à la suite d'une prophétie pour l'instant encore très mystérieuse (mais le lecteur sent bien que le troisième tome apportera certaines clés essentielles). Nos héros se portent presque involontairement au secours des Nectanobos, petit peuple pacifique qu'un potentat local veut expulser de ses terres. Et ils tombent sur une matérialisation inespérée de l'esprit de Fida, la soeur de Mossec. On se doute très vite que c'est d'elle que viendra l'aide nécessaire à la résolution de l'histoire. Mais on se laisse faire. Parce que les personnages sont attachants. Parce que Ouali raconte bien, parce que son dessin, sans en remettre, allie fluidité et simplicité.
La mare au diable par Thierry Bellefroid
« La mare au diable », une adaptation du roman de George Sand, par Voro, aux 400 Coups.

Maison française créée à partir d'une importante structure d'édition québécoise, « Les 400 Coups » travaille sur deux types de productions : les BD faites en France et celles importées de la maison-mère, « Mille-Iles ». « La mare au diable » fait partie de la seconde catégorie. Voro y réalise sa première BD, une adaptation du roman éponyme de George Sand. Un roman aux accents naïfs, presque enfantins, qui convient parfaitement au traitement graphique du dessinateur québécois. Avec une gamme de couleurs très typée et une imagination foisonnante, Voro s'approprie l'univers de Sand et lui donne forme. A la fois fidèle au texte, à l'esprit du texte même... et totalement libéré de « l'original » lorsqu'il s'agit de donner forme aux décors. Le mélange fantastico-poétique qui en résulte est plutôt réussi. Et redonne vie à un roman qui ne doit plus précisément faire parte des meilleures ventes des libraires. On attend un travail plus personnel pour savoir ce que l'auteur a vraiment à nous dire...
« L'île verte », premier tome de « L'odyssée du temps », par Peroz et Graveline. Chez Paquet.

Sorte de remake de Robinson Crusoë, « L'odyssée du temps » est beaucoup plus qu'une simple BD : un projet ambitieux né de la volonté d'une société spécialisée dans les univers multimédia pour enfants. La cible de cette série en quatre tomes est très définie, il s'agit des 8 -12 ans. L'objectif est double : d'abord, créer un univers de bande dessinée qui exalte les valeurs de l'environnement tout en proposant un vrai récit d'aventure. Ensuite, à partir de là et du site internet (www.chumballs.com) qui est lié à cet univers, décliner une gamme de produits dérivés qui passe notamment par le jeu vidéo. Tout cela est-il compatible avec un propos généreux et spontané ? Eh bien oui, les deux gamins et leur robot « analyseur » échoués sur une île vierge sont très réussis. Dans une société futuriste (2070) où la nature est presque totalement éradiquée subsiste une île préservée, « Lîle verte ». Chaque enfant y séjourne une semaine dans sa vie, afin d'avoir un contact avec la nature et les animaux. Stel, 10 ans et Tom, 12 ans, font partie du voyage. Mais un grain de sable se glisse dans la mécanique. Les deux enfants échouent sur une île hostile où ils font bien vite la connaissance d'une jeune indienne amnésique. Quête d'identité, aventure et respect de la nature sont au rendez-vous. Mais la scénariste choisie pour mener à bien ce projet, Michèle Graveline, réussit parfaitement à éviter les écueils ; son récit est drôle, tendre, inattendu. Maxime Péroz, le dessinateur, lui a donné un graphisme très épuré aux couleurs vives qui devrait toucher les 8-12 ans sans trop de problèmes. Bref, cette entreprise originale (qui bénéficie du soutien de la Fondation Nicolas Hulot) devrait rapidement trouver son public.
« Les chemins de brume », tome 1 de la série « India Dreams », par Maryse et Jean-François Charles. Chez Casterman.

Il y a quelques mois, le très beau livre « Esquisses et toiles » paru chez Glénat réunissait, entre autres, quelques travaux préparatoires à cette bande dessinée et nous mettait déjà l'eau à la bouche. Voici que sort enfin l'album « indien » de ce couple d'auteurs complices depuis bien longtemps maintenant, à qui l'on doit « Les pionniers du Nouveau Monde ».

Derrière une couverture très réussie, toute la sensibilité d'aquarelliste de Jean-François Charles se révèle, page après page. Il y a quelques cases exceptionnellement belles dans cet album. Après une quinzaine de planches volontairement grises et surannées (qui se passent à Londres), l'arrivée d'Amélia à Bombay permet toutes les ruptures graphiques. La scène de rue en haut de la page 18, le passage du train sur un pont à la dernière vignette de la page 20, la chasse au tigre et surtout la planche qui suit à Jaisalmer (peu avant la fin de l'album) sont autant de réussites évidentes. Jean-François Charles y a capté des lumières et des ambiances, restituées par des tons majoritairement proches de l'ocre et du sable qui sont loin des couleurs parfois criardes que certains dessinateurs affectionnent pour décrire les pays chauds.

Côté scénario, quelques réserves sont de mise. L'histoire est belle, elle s'annonce intéressante et les personnages sont denses (surtout celui du précepteur d'Emy, Kenneth Lowther, homosexuel libertin peu enclin à défendre l'Empire et ses bienfaits). Mais Maryse Charles semble avoir raté une marche au moment de négocier le dernier quart d'album. Une passion amoureuse, ça ne naît pas en trois cases. Le lecteur a besoin de comprendre pourquoi deux personnages en viennent à s'aimer, il a besoin de vibrer avec eux. Après un début d'histoire qui respecte si bien la longueur du temps sous la touffeur indienne, on comprend mal cette précipitation à conclure, cette rupture de rythme où l'on jette en pâture au lecteur une grande histoire d'amour et la mort d'un des personnages principaux en quelques cases. Sans compter la page finale. Bref, une fausse note qui écourte un peu le plaisir évident de ce voyage magnifique, sans toutefois parvenir à l'oblitérer complètement.
Les sirènes (Toran) par Thierry Bellefroid
« Les sirènes », tome 2 de Toran. Par Plongeon et Peynet. Chez Nucléa.

On retrouve avec plaisir le jeune duo « Plongeon-Peynet » qui avait débuté avec « Les Apatrides » chez Pointe Noire avant de se lancer dans ce « Toran » chez Nucléa l'an dernier. Hommes papillons et sirènes sont au menu de cette histoire fantastique pleine de sensibilité et de charme. Pourtant, ça commence de manière assez dure et violente. Le propos d'Isabelle Plongeon est d'ailleurs plus grave qu'il y paraît et l'univers faussement féerique est sans doute là aussi pour tromper le lecteur. Toran n'est pas une série légère. La tournure prise dès les premières pages du tome 1 le laissait présager, celle de ce tome 2 ne laisse pas de doute. Cupidité, pouvoir, violence sont les ingrédients principaux de cette suite plutôt réussie, en dépit de quelques imperfections graphiques. Frédéric Peynet a du talent, c'est indéniable, mais certains défauts deviennent peu excusables pour un troisième album et on ne peut que l'encourager à travailler plus lentement s'il le faut, pour livrer le meilleur de lui-même. Ses visages et ses décors sont très réussis, mais dès que les personnages sont en pied, on tombe dans des erreurs de proportions. Les jambes sont lourdes, épaisses, comme des troncs. Les pieds sont carrés, généralement bâclés comme dans la scène de bagarre des planches 16 et 17, où c'est aussi flagrant que dérangeant. Mais tout cela ne doit bien sûr pas vous empêcher de lire « Toran » qui recèle de bien d'autres qualités.
Bip bip (Les années Spoutnik) par Thierry Bellefroid
« Bip Bip ! », troisième volume des « Années Spoutnik ». Par Baru. Chez Casterman.

Derrière une très jolie couverture volontairement « tintinesque », un des albums les plus réussis de Baru. Pourtant, le pari de raconter son enfance en bande dessinée n'était pas gagné pour ce dessinateur « rebelle », connu avant tout à travers des oeuvres engagées, politiques, dénonciatrices. Un auteur dont l'oeuvre maîtresse reste une plongée dans l'univers manga, « L'autoroute du soleil », road-movie fleuve marqué par une certaine violence. Mais derrière ce très grand auteur de BD « sociales » se cachait aussi un touchant conteur d'enfance. En trois albums, Baru s'est révélé plus touchant, plus sensible que jamais. Et cela sans jamais friser la mièvrerie. Au contraire, son enfance sent les genoux écorchés et les larmes ravalées. Dans la cité où se côtoyaient toutes les nationalités en ces années cinquante, le plus fort avait toujours raison.

« Les années Spoutnik » ne sont pas qu'un simple récit autobiographique. Dans ce troisième volume, qui justifie plus que jamais le titre de la série, Baru raconte comment des gamins peuvent avoir rêvé de la conquête spatiale balbutiante à la simple lecture des aventures de Tintin. Sur fond de communisme doctrinaire, cette plongée dans le passé révèle un sens de l'observation redoutable. Tout sonne juste, comme un petit film Super 8 arraché au temps et projeté un soir entre amis. Baru retrouve l'enfant qu'il a été. A le lire, on sent qu'il ne raconte pas, il vit ou revit ces années de bonheur ténu. Avec son dessin dépouillé et des couleurs à l'aquarelle d'une beauté surprenante, il retrouve, enfouie au fond de lui, l'essence même de ses propres rêves d'adulte et nous les fait partager.
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