Exposition à la Bibliothèque Nationale de France à Paris :
Les Maîtres de la Bande Dessinée Européenne
(jusqu'au 7 janvier 2001)



La Grande Galerie du Site François-Mitterrand accueille depuis le 10 octobre un panorama subjectif de la BD européenne habilement décliné en 16 thèmes. L'occasion de jeter un œil dans le rétroviseur sur un art souvent jugé mineur et pourtant capable de véritables phénomènes d'édition ou de créations artistiques majeures.

Passé le « sas » d'entrée où vous découvrez comment Milou aboie dans toutes les langues (un clin d'oeil au côté multiculturel de cette exposition), vous pénétrez dans la préhistoire du Neuvième Art. L'inventeur de ce nouveau langage est le suisse Töpffer. Thierry Groensteen, Commissaire de l'Exposition et directeur du Centre National de Bande Dessinée et de l'Image d'Angoulême a réussi à retrouver des dessins préparatoires de ce précurseur. Ces originaux magnifiques datent de... 1830 ! Immédiatement, Töpffer fait des émules dans plusieurs pays d'Europe. Wilhelm Busch est le chef de file des dessinateurs allemands. Il arrive dès 1865 à imposer ses personnages, Max und Moritz et à en faire un phénomène d'édition ; 400.000 albums de leurs aventures seront vendus de manière cumulée en langue allemande, et nous ne sommes même pas en 1900 ! En France, c'est Caran d'Ache que l'expo a choisi de mettre en avant comme l'un des principaux précurseurs. Comme pour tous les autres artistes présents, albums anciens, objets de collection et originaux voisinent pour le bonheur du visiteur. Plus loin, on découvre la BD enfantine, qui naît dans la foulée du siècle nouveau avec comme principaux défenseurs Christophe, Mary Tourtel et Antonio Rubino. Puis arrivent les artistes de la ligne claire, ceux que le grand public connaît et apprécie. Alain Saint-Ogan, d'abord. Avant Hergé, ce Français connaît un succès phénoménal avec Zig et Puce... et leur pingouin Alfred. Les originaux en noir et blanc montrés dans le cadre de l'expo sont magnifiques. Ils n'ont rien à envier à ceux du tout grand Maître de la BD moderne, Hergé. La Fondation Hergé a accepté de prêter des planches de plusieurs albums de Tintin. Mais il y a surtout un magnifique gag en deux planches de Quick et Flupke, qui est un modèle de clarté et une vraie leçon de dessin.

Après les espaces consacrés aux fondateurs, les thématiques sont un peu moins chronologiques. Il y a bien sûr encore un espace dédié à l'apogée franco-belge, avec Franquin, Jijé et Uderzo. Dommage que ce dernier ait refusé de céder ses planches originales, c'est le seul auteur exposé pour lequel il faut se contenter de fac-similés. Dommage aussi que certains grands noms brillent par leur absence -Tillieux notamment. Mais dans une telle exposition, comme l'avoue Thierry Groensteen, on trouve plus d'absents que de présents. Viennent alors de vrais espaces thématiques consacrés à l'aventure, à la BD animalière, au Far West, etc...

Parmi les curiosités à relever dans ce vaste panorama, deux espaces sont plus particulièrement intéressants. D'une part, il y a le « Club des Scénaristes », ce salon directement inspiré de Blake et Mortimer dans lequel on a réuni quelques objets de cinq des plus grands scénaristes de la BD européenne. Cinq fauteuils en cuir et à côté, sur un petit guéridon, un vieux téléphone en bakélite avec la voix de chacun des scénaristes. Les deux Belges : Jean-Michel Charlier (Blueberry, Tanguy et Laverdure, etc...) et Michel Greg (Bruno Brazil, Bernard Prince, Comanche, Achille Talon, etc...). Les deux Français : Pierre Christin (Valérian, Partie de Chasse, La ville qui n'existait pas, etc...) et René Gosciny (Astérix, Lucky Luke...). Et l'Anglais, le génial Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta...) dont le récent « From Hell » publié sous forme d'intégrale par les éditions Delcourt (570 pages en noir et blanc) analyse de manière stupéfiante le mythe de Jack L'Eventreur. L'autre très bel espace est celui des « Mondes intérieurs » où l'on peut admirer quelques-unes des plus belles planches de cette exposition. Des originaux en couleur directe de Lorenzo Mattotti, surdoué italien qui utilise des techniques mixtes en privilégiant le pastel, d'autres d'Edmond Baudoin, dont on ne dira jamais assez le talent de peintre appliqué à la BD. Et puis surtout, les planches de Dave McKean, le génial créateur de « Cages » (Delcourt) qui utilise lui aussi des techniques mixtes qui est l'un des rares dessinateurs à réaliser des cases... à la peinture à l'huile !

En résumé, les amoureux de BD trouveront dans cette exposition sinon un panorama exhaustif à tout le moins un grand nombre d'auteurs, parfois méconnus, souvent inconnus (surtout les plus anciens et les non-francophones). Mais il manque quelques pointures. Morris, Jacques Martin, Chaland, Will ou Bilal, par exemple. Il manque aussi et surtout toute la nouvelle génération dont certains sont déjà considérés comme des maîtres dans leur genre : Trondheim, Sfar, David B, Emmanuel Guibert, de Crécy, Zep,...) Pour ceux qui sont présents, rien à dire, les originaux ont été choisis avec soin. Reste que le déplacement à Paris pour cette seule exposition est à réserver aux fanatiques de la BD. Dépourvue d'artifices scénographiques, d'un abord aride et parfois dépouillé, elle s'adresse avant tout à un public d'initiés qui veut en savoir davantage. « Les maîtres de la BD européenne » iront ensuite à Angoulême, pour le Festival qui ouvre le 24 janvier 2001, un endroit où l'exposition restera trois mois avant de disparaître définitivement. Et en été, son pendant naturel, « Les maîtres de la BD américaine » prendra le relais, dans l'enceinte du CNBDI d'Angoulême.

Note : Le catalogue de l'expo est en vente aux éditions du Seuil.

Par Thierry Bellefroid


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