Jirô Taniguchi fut le premier à nous montrer, ici en France, que le Manga n'était pas qu'une suite de bastons (ce n'est pas un jugement de valeur, j'aime toujours autant Dragonball et Gunnm). Et en faisant quoi ? En laissant la possibilité aux éditions Casterman de publier "L'homme qui marche". 200 pages contemplatives sur les errances d'un personnage dans ses décors quotidiens qu'il redécouvre. Une sorte de plongée en apnée dans le Japon tel qu'on le connaissait peu, et qui donnait envie d'oublier un peu les clichés et d'en savoir plus sur ce pays. Je ne connais pas les ventes de ce manga mais je sais qu'il a fait grand bruit chez les auteurs que je connais, ceux qui sont capables d'aimer autant la Manga que les comics, l'autobiographie que le comique, l'association que Dupuis. Cet album avait semblé à tout le monde un exercice de style impeccable et fascinant... Hypnotisant. Mais après avoir lu "Le journal de mon père" (trois volumes) et "Quartier lointain", je me rend bien compte qu'il n'y a dans les histoires de Taniguchi aucune envie d'épater les gens par sa capacité à rendre passionnante le vie quotidienne. Il ne se dit pas : regardez, je vais vous passionner en racontant ce que d'habitude vous qualifiez de "rien". Non, il ressent le sujet, a envie de le traite et il le fait. Ses albums, c'est LUI, simplement. "Quartier lointain", c'est aussi un voyage. Dans l'espace et surtout dans le temps. C'est l'invitation d'un auteur à ses lecteurs de quitter Tokyo (représentation du train-train étouffant toute sensibilité) pour se souvenir que qui il est vraiment, par le biais de ce qu'il fut. Se dire qu'on a l'impression que la société nous formate mais qu'en fait sans nous elle n'existerait pas. Décompresser, et ne pas en avoir honte. Alors voilà Hiroshi Nakahata qui se trompe de train et n'a même pas envie de faire demi-tour. Par on ne sait quelle magie (celle de l'inconscient qui a parfois besoin de remonter à la surface, n'en doutons pas), il se retrouve dans la petite ville où il a grandi, et par une magie encore plus puissante, il est projeté dans son corps et dans l'époque de ses 14 ans. Il est d'ailleurs amusant (et sûrement pas anodin) de remarquer que le prénom de notre héros n'est prononcé que dans les "flash-back", comme si dans sa vie d'adulte il avait été remplacé par "monsieur" ou "Papa". Hiroshi va donc revivre avec un regard de grand les évènements qui, oubliés ou pas, on façonné ce qu'il sera plus tard... Ou ce qu'il est maintenant, c'est selon. Tout en douceur et en émotion, il va se rendre compte que ce qui lui semblait insurmontable à l'époque (les cours, les voyous, LA fille) est en fait assez simple... Il suffit de s'y intéresser finalement. Comme aux problèmes de ses parents, mais je peux pas en dire plus sous peine de trop déflorer le nœud du scénario. Dans ce volume-ci, tout semble presque idyllique, et la petite musique de Taniguchi va piano, irrésistible d'une légèreté enivrante. Mais quelques petites choses me poussent à penser que dans le tome 2, le rythme et la tension passeront au fortissimo. Car le plus dur à retrouver pour Hiroshi sera sûrement l'innocence de sa jeunesse, sans laquelle il ne fera jamais un homme heureux. Mais je me trompe peut-être...