Les 5 critiques de Juju sur Bd Paradisio...

Deux chefs-d'oeuvre de la BD de la fin du vingtième siècle, qui marquent un tournant en ce sens qu'un propos "adulte", politiquement visionnaire et à la narration d'une intelligence suprême, trouve sa place dans un medium habituellement "réduit" à la jeunesse et à l'humour. Fin de la collaboration Bilal-Christin, on ne peut que regretter aujourd'hui que les scénarii du seul Bilal n'aient jamais réussi à égaler le génie de son ex-compère, dont l'ombre plane pourtant très largement sur les oeuvres suivantes signées de son seul nom. Pour Bilal, le trait change définitivement à partir de "Partie de chasse", qui le fait passer d'un réalisme froid et splendide à un onirisme graphique qui n'appartient qu'à lui et qu'il développera par la suite. Pour Christin, l'obsession des utopies manquées du vingtième siècle (qu'il réinventa à sa manière dans "La ville qui n'existait pas") prend à présent sa source dans des histoires qui ne sont plus ancrées que dans la réalité, débarrassées des oripeaux fantastiques et farfelus qui marquaient les précédentes collaborations. Histoires bouleversantes auxquelles le génie narratif épargne l'insulte du temps.
Ce recueil regroupe les trois premières grandes collaborations Bilal-Christin, avant les deux chefs-d'oeuvre que seront "Les phalanges de l'ordre noir" et "Partie de chasse". Outre qu'ils marquèrent à l'époque la volonté du journal Pilote de s'écarter encore davantage de la BD "pour la jeunesse" pour aller vers une BD vraiment "adulte" (et autre qu'érotique ou humoristique), ils présentent un univers réellement unique en son genre : des thèmes qui mêlent fantastique farfelu et préoccupations politiques modernes on-ne-peut-plus sérieuses. Sans doute faut-il y voir le reflet du parcours de Christin, journaliste en phase avec son époque en plus d'être fasciné par les faits divers baroques, "littérature du pauvre", et par toutes les utopies. Servis par le graphisme alors très réaliste de Bilal, ces 3 albums marqués par leur époque n'en demeurent pas moins dignes du plus grand intérêt.
Après une collaboration longue et très fructueuse avec Pierre Christin, qui nous laisse deux chefs-d'oeuvre incontestables, "Les phalanges de l'ordre noir" et "Partie de chasse", Bilal décide de s'émanciper du génie sans doute trop étouffant de son scénariste pour se lancer seul. Pourtant, c'est peu dire que l'ombre de Christin plane sur ces albums : même volonté de construire une oeuvre d'anticipation qui s'ancre dans les obsessions de ses contemporains ; même mélange de science-fiction (celle de leurs premières collaborations) et de politique-fiction. Sauf qu'ici, bien sûr, laissant libre cours à son génie graphique (qui évolue d'ailleurs au fil des trois albums pour arriver à l'apothéose de "Froid équateur"), Bilal y va avec ses gros sabots pour ce qui concerne l'histoire (somme toute assez banale) et le portrait de nombreux personnages (beaucoup de poncifs). Bref, le génie de Christin n'est plus là mais celui de Bilal commence à apparaître, notament dans l'onirisme et la liberté qui s'épanouissent dans les deux derniers volets, dans le trait qui s'envole et la couleur qui s'émancipe. A noter que la discipline inventée par Bilal dans "Froid équateur", le "chessboxing", est devenue, grâce à un artiste néerlandais farfelu, une réalité !
Cet album, que j'ai, dans mon coeur, beaucoup de mal à dissocier de son prédécesseur "Les phalanges de l'ordre noir", en est le prolongement pour ce qui est du propos : décrire la fin d'un monde, la mort des idéaux révolutionnaires et généreux de plusieurs générations d'hommes qui ont marqué l'histoire du vingtième siècle. Tout aussi visionnaire et intelligent dans sa trame narrative, "Partie de chasse", légèrement plus optimiste que son prédécesseur, soulève sans doute moins d'émotion. En ce qui concerne le travail de Bilal, il s'agit-là d'un tournant essentiel : le dessinateur français bascule du réalisme vers un graphisme plus suggestif et onirique, chaque case gagnant en autonomie pour aller vers l'oeuvre d'art. Grande BD.
Décidément, il manquera toujours à Bilal aujourd'hui un scénariste à la hauteur de Pierre Christin, qui signe une intrigue de politique-fiction à la fois épique, tragique, visionnaire et profondément pessimiste. Le dessin est encore largement tributaire du premier style, "réaliste", de Bilal, le basculement ne se faisant qu'à l'album suivant, "Partie de chasse". Il sert néanmoins parfaitement cette histoire dont l'aspect pathétique finit par nouer la gorge du lecteur. Le chef-d'oeuvre du duo Bilal-Christin, et aussi, sans doute, le meilleur album signé Bilal. Chef-d'oeuvre tout court.

 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio