Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

L'enfance volée (Petit Verglas) par Thierry Bellefroid
« L'enfance volée », premier tome de « Petit verglas », par Corbeyran et Sattouf, chez Delcourt.

Infatigable, Eric Corbeyran. Mois après mois, il multiplie les sorties et les nouvelles séries, pour la plupart chez son éditeur de référence, Guy Delcourt. Et ce n'est pas fini, puisque les « Stryges » s'enorgueilliront bientôt d'une nouvelle série intitulée « Le clan des chimères » (elle déclinera le thème ses stryges à l'époque médiévale et sera dessinée par Michel Suro, parution probable début 2001). Plus le temps avance et mieux les univers créés par Corbeyran semblent maîtrisés. Après les très réussis « Abraxas » et « Maître de Jeu », voici donc « Petit Verglas », réalisé avec un parfait inconnu (Riad Sattouf réalise ici sa première BD après des débuts dans l'illustration et l'animation). Autant le dire tout de suite, cet album dégage quelque chose. D'abord parce que les deux personnages principaux sont aussi originaux qu'attachants. Deux enfants. L'un a le pouvoir de guérir par les mains et cultive son don avec humilité. L'autre, une petite fille, finit par s'échapper de la pièce où elle vit recluse depuis sa naissance à la suite d'une expérience comportementale démente tentée par son père et dont elle a fait les frais. Le destin les fera se rencontrer et l'histoire pourra commencer.
Les dessins et les couleurs sont très beaux, surtout si l'on tient compte du fait qu'il s'agit d'un premier album pour Riad Sattouf. L'ambiance campagnarde pas très définie (mais qui sent la Bretagne) est bien rendue, les deux enfants sont très expressifs, les adultes sont peut-être un peu « rugueux » mais cela correspond finalement assez bien au rôle que Corbeyran leur assigne dans l'histoire. Bref, une belle bande dessinée, même si le revers de la médaille est encore et toujours que pour développer un univers intéressant, le carcan de 46 planches est désespérément étriqué. Résultat, une fois de plus, il s'agit surtout d'une mise en place, voire d'une mise en bouche. Non pas qu'il ne se passe rien (bien au contraire) dans ce premier épisode. Mais qu'il se termine de manière abrupte et frustrante, comme toujours dans ces cas-là. Ne reste plus au lecteur qu'à patienter jusqu'au suivant, puisque telle est la règle, principalement chez Delcourt, dont les one-shot se comptent sur les doigts de la main.
Mauvaise pente (Sales mioches) par Thierry Bellefroid
« Mauvaise pente » tome 4 de la série « Sales mioches » par Berlion et Corbeyran, chez Casterman.

Olivier Berlion et Eric Corbeyran poursuivent leurs deux séries enfantines avec des bonheurs divers. Si les « Sales mioches » sont bien installés dans les bacs des libraires, « Le cadet des Soupetard » n'arrive pas vraiment à décoller. On peut se demander à quoi tient cette différence d'estime du public car les deux séries jouent sur les mêmes registres : l'enfance et la nostalgie. Mais le côté urbain des « Sales mioches » et leur nom ouvertement frondeur ont peut-être d'emblée semblé moins mièvre aux lecteurs. Cette bande de gosses ou de pré-ados à la tête desquels on retrouve le grand frère protecteur, Mig, poursuit ses petites aventures dans une ville de Lyon très bien rendue par le dessin de Berlion. Les personnages sont connus maintenant, et c'est même avec un certain plaisir qu'on retrouve leurs tronches et leurs mots d'argot. Un nouveau venu, toutefois, vient semer la zizanie. Et le mot n'est pas trop fort, quand on voit ce que Mario arrive à faire sans ouvrir la bouche, rien que par sa présence silencieuse et suspecte, dans ce petit groupe d'amis si proches qu'ils en forment une famille.
L'histoire de Corbeyran est d'une simplicité et d'une limpidité exemplaires, elle entraîne le lecteur sans détour vers une heureuse conclusion (comment pourrait-il en être autrement dans cette série ?) et lui fait passer un agréable moment. Sans doute l'un des meilleurs, peut-être même le meilleur album de cette jeune série. D'autant que pour ajouter au plaisir de la lecture, le dessin d'Olivier Berlion ne cesse de progresser depuis son expérience dans la collection « Long Courrier ». Evidemment, et c'est la règle du jeu puisque les auteurs racontent une histoire par volume, Corbeyran ne peut développer ici un univers aussi complexe et subtil que dans les Stryges, Le fond du Monde ou encore la nouveauté du mois « Petit Verglas » (voir chronique par ailleurs) parus chez Guy Delcourt. Mais les lecteurs n'ont pas de raison de bouder cet album pour autant. Ils y retrouveront notamment le plaisir de lire une histoire qui s'achève à la dernière page de l'album, ça fait du bien de temps en temps !
« Le chant de la machine, volume 1 » par Mathias Cousin et David Blot. Chez Delcourt.

J'en ai mis du temps à me décider à lire cette BD.
Faut dire que je ne suis pas un dingue de la House Music. Alors, la perspective de me plonger dans son histoire en près de 100 pages pour ce premier volume et à peu près autant pour le second me tentait assez peu. Mais à la faveur d'une fin d'après-midi pluvieuse, j'ai finalement décidé de m'y mettre. Et je n'ai pas été déçu ! « Le chant de la machine », c'est d'abord pour les ignares dont je fais partie (mais quand on lit les sources et les explications de David Blot, qui ne l'est pas, en la matière ?) une plongée en apnée dans le vaste monde de l'inconnu. J'ai appris tant de choses à la lecture de cette BD que je me demande si je pourrai en retenir le quart. L'érudition de David Blot est phénoménale et si comme moi, la musique vous intéresse sans pour autant que vous vous y connaissiez vraiment, c'est le moment où jamais d'en apprendre un peu plus. Evidemment, rien n'est meilleur qu'une bonne bande son pour goûter pleinement cette BD (un peu à la manière de ce bon vieux Jonathan de Cosey, à part qu'ici, vous entendez ce qu'il y a dans les cases !) et les auteurs ont même pensé vous renseigner sur ce que vous pourriez trouver chez les bons disquaires. Ils ont aussi « leur » compile, chez Source/Virgin et à défaut d'autre chose, c'est ça que je me suis mis en lisant.
Venons-en à l'aspect purement BD de cette histoire. Là, j'avoue que je suis partagé. Avec son dessin noir et blanc façon Crumb (en plus sage), Mathias Cousin n'a pas nécessairement choisi la facilité. Il y a des pages très bavardes et le ton général est plus proche de l'Oncle Paul que d'une histoire BD traditionnelle. L'inconvénient de la formule est donc aussi son avantage : on apprend beaucoup parce que ça foisonne d'infos et d'anecdotes... mais ça foisonne tellement d'infos et d'anecdotes que c'en devient lourd et indigeste, parfois. A vous de choisir. Moi, je me dis que je n'aurais jamais ouvert un livre qui aurait eu le même titre. Alors, même si je pense que la matière de cet album aurait été utilisée à meilleur escient dans un livre, je dois reconnaître que sa transposition en bande dessinée en rend l'accès plus aisé pour une série de gens, dont moi. C'est donc gagné. Car le pari des auteurs devait bel et bien être celui-là !
L'invitation (Emma) par Thierry Bellefroid
« L'invitation », tome Un de la série « Emma » par Christian De Metter, chez Triskel.

Un homme amnésique qui n'est pas plus préoccupé que ça de retrouver la mémoire, ça nous change de XIII... C'est le cas d'Alex, un type dont on ne saura rien (ou si peu) d'un bout à l'autre de l'album. Alex échoue par hasard dans un appartement parisien après un séjour en clinique où il s'est fait son seul ami, un infirmier noir presque aussi énigmatique que lui. Jusque là, pas de quoi fouetter un chat. L'originalité du livre tient surtout au climat que l'auteur y installe avec un talent incontestable. Talent graphique, d'abord, puisque « Emma » est une BD entièrement peinte, un peu à la façon d'un « Tell me, dark », pour citer l'exemple le plus proche par la facture (crayonnés semi apparents sous le pinceau, palette de couleurs restreinte) et le plus récent. Talent narratif ensuite, car les silences parlent autant que les mots. Les dialogues, concis, sonnent juste et le découpage parfois kaléidoscopique (certaines planches comptent jusqu'à treize cases) privilégie tantôt les personnages, tantôt l'ambiance froide et triste de cet hiver 1922 à Paris.
A plus d'un égard, l'expérience de Christian De Metter m'a rappelée le récent « Mother » de Guillaume Sorel. Comme dans « Mother » en effet, c'est la peinture elle-même, son pouvoir d'évocation et de catharsis qui est au centre de l'histoire. Difficile à ce stade de savoir où le récit nous mènera (et si l'on peut faire un reproche au livre, c'est de nous laisser sur une fin pour le moins mystérieuse), mais il y a indiscutablement une force graphique qui se dégage de l'ensemble et que le visage d'Emma (dans l'album mais aussi en couverture) résume presque à lui seul.
Dommage que des « fout moi la paix » ou des « j'irais tout à l'heure (au futur simple...) » fleurissent un peu trop facilement parmi les phylactères. Un correcteur d'orthographe chez Triskel SVP.
« Comme des loups affamés » tome deux de Claymore, par Ruellan et Ersel. Dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.

C'est souvent à partir du deuxième volume d'une série qu'on peut se forger une opinion plus ou moins définitive. Celui-ci ne fait pas nécessairement exception. Même si l'on espère que les auteurs profiteront des prochains albums pour corriger encore quelques défauts, comme la sous-exploitation des décors (c'était déjà un problème dans le premier album qui manquait de respirations et de grands espaces). Mais dans l'ensemble, Maryse Ruellan (qui signait le premier album du nom de Maryse Nouwens) a réussi son pari, qui est d'emmener les lecteurs sur les terres d'Ecosse durant la première moitié du 18ème siècle avant de virer de bord et de suivre son héroïne loin, très loin de sa terre d'origine. Le seul problème, c'est qu'il faut en passer par une partie historique que la scénariste veut restituer au plus près de la vérité, ce qui nous donne un deuxième album un peu trop didactique, dont le souffle épique semble presque absent. Beaucoup de scènes de guerre dans ce « Comme des loups affamés ». Beaucoup de stratégie militaire et de personnages finalement assez secondaires au regard de la destinée de l'héroïne centrale, Eillen. Ceci étant , on ne s'ennuie pas à sa lecture. Et même si on a la sensation d'être devant un album de transition, il s'y passe suffisamment de choses pour ne pas décréter que la copie est à revoir. Le dessin d'Ersel plaira forcément aux très nombreux fans des « Pionniers du Nouveau-Monde » et se place dans la filiation directe de Jean-François Charles.
Le brouet sapide (Abraxas) par Thierry Bellefroid
« Le brouet sapide », premier tome de la série Abraxas, par Alfred et Corbeyran. Chez Delcourt, collection « Conquistador »

Abraxas, c'est d'abord une sacrée collection de gueules. Dès la première page, une figure hideuse traverse l'image, poursuivie par une citrouille sur pattes qui ne semble pas lui vouloir que du bien. Des tronches, il y en aura bien d'autres. Cette histoire est presque un musée des horreurs et on imagine avec quelle délectation Alfred en a imaginé le casting. Mais réduire « Le brouet sapide » à cet aspect serait un peu court. Car Abraxas, c'est un monde en soi. Corbeyran y a planté une atmosphère à la fois étrange et glauque, des personnages inquiétants ou difformes, une maladie transmise par une pluie annuelle, un directeur de cirque ruiné, un mage puissant et dit-on anthropophage, une police fort peu efficace, le tout dans une petite cité médiévale qui pourrait aussi bien être le Rêverose d'Olivier Rameau si elle n'était peuplée de tant d'hideuses créatures et secouées par des crimes nocturnes quasi quotidiens. Le découpage est vraiment excellent, qui passe allègrement de la narration purement cinématographique (les deux premières pages, par exemple) à des planches plus conventionnelles, mais extrêmement bien équilibrées (comme les planches 4 et 5). Certains dialogues sont savoureux (toujours la planche 4, excellent exemple) et de manière générale très bien dosés. De nombreuses planches muettes permettent à Alfred de donner plus de force d'évocation à ses images. Les couleurs, les expressions des visages, les angles de vue sont très soignés. Ainsi, la planche 28 qui montre à gauche une vue en contre-plongée du grand théâtre d'Abraxas et à droite, sur toute la hauteur de la page également, l'intérieur du théâtre, à travers une plongée vertigineuse. Du très beau travail, donc, dont on ne regrettera qu'une chose, c'est qu'il soit emprisonné dans le traditionnel format de 46 planches. Résultat, comme toujours dans les séries, on referme ce premier album avec un sentiment de frustration et beaucoup de questions sans réponse.
« Pas-de-mâchoire », le tome 8 de la série « Les Innomables » par Yann et Conrad. Chez Dargaud.

Les années passent et le duo révélé par « les hauts de page » de Spirou et confirmé par « Le Trombone Illustré » semble travailler de mieux en mieux. Au contraire de nombreuses séries qui s'essoufflent, « Les Innommables » n'en finissent pas de trouver leur nouvelle jeunesse. Ce huitième tome qui clôt le cycle coréen m'a semblé à la fois l'un des plus drôles, l'un des plus cyniques et surtout, l'un des plus irrévérencieux d'une série dont l'irrévérence a pourtant toujours été une sorte de marque de fabrique.

Au lieu de « Pas-de-mâchoire », il est vrai que cet album aurait pu s'appeler « Le col de l'utérus », mais ça aurait sans doute fait plus désordre au sein du catalogue Dargaud. Yann -qui ne manque jamais d'idées pour faire souffrir ses personnages ou leur faire expérimenter des situations ridicules, voire humiliantes- nous invente une cruelle sorcière Midang chargée de restituer une âme à cette pauvre Alix, réduite depuis un album à jouer les « ani », les corps sans âme. La « désenvoûteuse » envoie Mac explorer l'utérus de la belle Alix à la recherche de l'ani. Le voyage est long, inattendu, totalement fou et tout y est permis. Du jeu de mots « yannesque » à l'anecdote historico-religieuse détournée. Du Yann de la meilleure veine, quoi. D'une cruauté si parfaite (le sang gicle méchamment dans les dix-douze dernières pages) qu'elle en devient le principal moteur humoristique. Avec, comme toujours, juste ce qu'il faut de faits historiques inattendus pour rendre l'ensemble crédible et pour attiser la curiosité du lecteur. Tout cela, mis en image par un Conrad au sommet de son art. La routine, quoi. Mais une routine qui affiche une sacrée santé !
L'Engrenage (Mandrill) par Thierry Bellefroid
« L'engrenage », tome 3 de la série Mandrill, par Barly Baruti et Frank Giroud, dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Barly Baruti n'est pas seulement le chef de file de la BD africaine (ou à tout le moins congolaise), multipliant les initiatives pour faire connaître les auteurs et les réalisations de ce vaste continent. C'est aussi -c'est surtout- l'un de ces dessinateurs désarmants de gentillesse, de simplicité, de jovialité aussi. Musicien (en trio puis en quatuor), dessinateur, scénariste à ses débuts, il a trouvé avec Frank Giroud le complice qui lui convenait. D'abord, ils ont conçu Eva K chez Soleil. Puis Mandrill chez Glénat. Dans les deux premiers tomes, on avait l'impression que la série se cherchait encore ; le climat et l'époque (l'immédiat après-guerre 40-45) y étaient, mais les personnages manquaient d'un petit quelque chose pour être attachants, les scénarios aussi. Et voilà qu'arrive cet « engrenage », un album au rythme haletant basé sur une mécanique d'horlogerie implacable comme le sont les bons récits policiers. Mandrill est dans de sales draps. On pense à Blueberry en le voyant se débattre pour prouver son innocence alors que les éléments prennent un malin plaisir à s'accumuler pour le confondre. Mandrill n'est plus seulement un avocat ancien résistant, il devient lui-même le cerveau d'une évasion et le complice d'un truand, il apprend à mentir, à tromper la justice. Un anti-héros comme la BD en foisonnait dans les années 70 ? Pas tout à fait. Cet avocat a quelque chose de plus. Ou de moins. Toujours est-il que ce premier album d'une histoire en deux tomes parvient à nous faire oublier que l'auteur s'appuie sur une documentation solide. Bien huilée, la machine vous entraîne pendant 46 planches sans jamais faiblir. Et cela, même si, à certains moments, on sait pertinemment ce qui va advenir dans la case ou la page suivante.
Le 7ème cri (Dick Herisson) par Thierry Bellefroid
« Le 7ème cri », une aventure de Dick Hérisson, par Savard. Chez Dargaud.

Un coup dans l'eau, pour Savard. Son histoire est cousue de fil blanc d'un bout à l'autre et il faut vraiment être de très bonne composition pour y croire. Déjà que les membres d'une même expédition victimes d'une malédiction, ça avait un petit côté « vu ailleurs », déjà qu'un album qui commence au Jardin des Plantes et qui sent le Tardi plus encore que les précédents, ça fait aussi « pas très neuf » (mais rendons justice à l'auteur : lorsqu'il a commencé son histoire, il ignorait tout du projet Tardi-Pennac qui allait commencer au même endroit que son histoire) et voilà que tout le scénario tient sur une astuce grosse comme un fil à linge. Déçu, que je suis. Si vous avez envie de gagner du temps, lisez les deux dernières pages, toute l'histoire y est condensée. Quand l'auteur explique l'ensemble de l'intrigue grâce à la réponse du héros à une question du genre « mais au fond, professeur, comment donc avez-vous deviné que... ? », c'est qu'il n'a pas construit un scénario mais un leurre. Ca donne forcément une quinzaine de cases indigestes où les personnages croulent sous le poids des phylactères en effectuant une activité prétexte. C'est le cas ici. Et moi, ça me gâche tout mon plaisir !
Un drame en Livonie par Thierry Bellefroid
« Un drame en Livonie », de François Rivière et Serge Micheli, adapté de l'oeuvre de Jules Verne, paru aux éditions du Masque, sous le label Atmosphères.

Entrer dans ce « drame en Livonie » n'est pas chose aisée. Premier album de Serge Micheli, peintre figuratif établi en Corse, cette Bande Dessinée propose une mise en page à l'abord confus et à la lecture complexe. La palette de couleurs, très criarde mais judicieusement exploitée, ajoute à la difficulté. Bref, un album dont le manque de lisibilité peut rebuter, surtout dans les quinze ou vingt premières pages. Les personnages se ressemblent, l'histoire requiert une attention soutenue, du moins au début. Bref, cette BD, il faut la mériter. Mais une fois qu'on accroche, on la lit jusqu'au bout sans un instant de lassitude, car le roman de Jules Verne adapté par François Rivière n'a pas pris une ride. L'histoire, inspirée d'un simple faits divers, nous montre comment un homme droit peut être désigné à la vindicte populaire par des apparences trompeuses (ça s'appelle une erreur judiciaire et ça arrive tous les jours !). Elle se déroule sur fond de luttes d'influence entre Russes et Allemands pour dominer la Livonie, actuelle Lettonie, ce qui permet à Micheli de donner toute la mesure de sa puissance baroque dans les décors et les ambiances slaves. On retrouve quelque part la démarche d'un Rabaté dans ce traitement pictural audacieux, même si le dessin des deux hommes ne se ressemble pas. Quant à l'adaptation réalisée par François Rivière, elle est à peu près irréprochable, faisant parfaitement oublier qu'il ne s'agit pas d'un scénario mis en images mais bien d'un roman transposé en BD. Les dialogues ne sont pas trop nombreux et les récitatifs se comptent sur les doigts d'une main, ce qui n'est pas évident pour restituer le climat d'un roman. S'il n'y avait cette difficulté à suivre l'histoire, que l'on doit avant toute chose au placement parfois fantaisiste des phylactères, ce serait parfait. Mais il s'agissait d'un coup d'essai. Les deux auteurs travaillent en effet à l'adaptation de 20.000 lieues sous les mers. Un autre morceau, puisqu'il s'agit là de faire oublier un roman que tout le monde a lu, ce qui n'était pas le cas de ce « drame en Livonie », quasi tombé dans l'oubli.
« Le triangle secret, tome 1 : Le testament du fou » par Didier Convard, Gilles Chaillet, Denis Falque, Christian Gine, Paul (pour les couleurs), André Juillard (pour la couverture) et Pierre Wachs. Chez Glénat

C'est un peu comme une super-production hollywoodienne : le casting seul doit vous couper le souffle. Vous avez lu le nombre de signatures qui ornent la couverture ? Et attention, il ne s'agit pas d'un livre de « sketches » assurés par les uns et les autres de manière indépendante. Les auteurs travaillent sur un seul scénario et se complètent ce qui, je crois, est une première et place d'emblée cet album dans la catégorie ODNI (Objets Dessinés Non Identifiés). Plus fort encore que Yann et ses Sales Petits Contes, Convard a donc eu l'idée de réunir quelques dessinateurs -dont certains sont loin d'être méconnus- autour d'un thème ardu : l'histoire d'une enquête sur le frère jumeau du Christ. Ca sent le souffre et les secrets jalousement gardés, les luttes de pouvoir intestines au sein de l'Eglise et la puissance aujourd'hui déchue des Templiers. Pour mettre tout ça en image, Convard a voulu employer ses dessinateurs en leur confiant à chacun une époque et des personnages propres. Cela devait tisser une vaste fresque historico-romanesque étalée sur deux mille ans, dont ce premier album dresse en quelque sorte l'inventaire. Denis Falque s'est vu attribuer la période contemporaine, Christian Gine, la période « Christique » et Pierre Wachs la période vaticane. Les autres dessinateurs sont des invités, comme Chaillet à qui Convard confie tout naturellement ici une digression moyen-âgeuse. Tout ça, c'est bien joli, mais qu'est-ce que ça donne, au-delà des bonnes intentions ? Eh bien derrière la belle idée, une constatation s'impose : on ne soigne pas tant quelques planches destinées à un album commun que ce qu'on fait pour une oeuvre en solo. C'est particulièrement vrai pour Denis Falque, le dessinateur du « Fond du Monde » dont le travail semble ici sans profondeur. Dommage, ce manque d'engagement des comparses de Convard rend la formule caduque. Et occulte au moins en partie les qualités réelles du scénario.

A l'instar du « Troisième Testament », « Le triangle secret » est en effet un scénario brillant. Peut-être un peu plus intellectuel, un peu moins aisé à pénétrer que celui de Dorrison et Alice. Il y a l'aspect historique lui-même d'abord, il y aussi toute l'approche rigoureuse de la Franc-Maçonnerie. Et en même temps, comme il se doit, s'y développe un côté thriller qui sied admirablement à ce genre d'ouvrage. On pense immanquablement au savoir-faire d'Umberto Eco qui ouvrit la voie avec le désormais classique « Nom de la rose » (signalons tout de même qu'ici, le thriller est situé dans la partie contemporaine du récit et non dans sa partie moyen-âgeuse) Bref, rien à redire. J'ai lu cet album sans rien savoir de ce que contenait le scénario. Et croyez-moi, j'ai très vite été accroché, même s'il paraît de prime abord un rien bavard. C'est ce qu'on appelle une histoire en béton. Dommage que l'alléchante liste de dessinateurs en couverture n'offre pas la qualité attendue, elle.
« Le passage de Vénus », tome deux. Par Autheman et Dethorey, avec la collaboration de Bergfelder et Bourgeon. Collection Aire Libre, Dupuis.

Difficile de ne pas être déçu par cet album quand on a, comme moi, tant aimé le premier. Ce triptyque était si prometteur. Son écriture si achevée et surtout, son « exécution » (le terme n'est pas choisi au hasard, ceux qui ont lu l'album du même nom, signé Dethorey, auront compris pourquoi) si parfaite que l'on y voyait d'emblée l'oeuvre d'une vie, tant pour le scénariste que pour le dessinateur. Et puis, il y a eu le méchant coup du destin, qui nous a enlevé Jean-Paul Dethorey. Fallait-il se priver des trente-six planches qu'il avait réussi à dessiner avant sa mort ? Sûrement pas et on ne peut que rendre hommage à Dupuis d'en avoir décidé la publication. Mais la décision de ne pas achever cette deuxième partie en soixante planches comme prévu est évidemment plus difficilement défendable. Privé de la fin prévue par son scénariste, le lecteur ne peut être que frustré. Expédiée en huit pages au lieu de 24, la conclusion bénéficie pourtant du coup de crayon d'un tout grand nom de la BD, qui a su assurer cette relève avec tact et intelligence. Le crayonné de Bourgeon publié tel quel est en effet stupéfiant de beauté tout en ne volant pas la vedette (ou la paternité) de l'oeuvre à Dethorey. J'avoue être resté sur ma faim et avoir refermé l'album avec un sentiment mitigé. L'impression qu'on est allé ni au bout d'une idée ni au bout de son contraire. Dommage, car sans publier le troisième et dernier album, Autheman aurait pu au moins achever le deuxième dans sa version initiale.

Reste que « Le passage de Vénus » est le véritable testament d'un très grand dessinateur et que la lecture de cet album montre à quel point, même miné par la maladie, Jean-Paul Dethorey a pu y exprimer l'étendue de son talent. Reste aussi, à ce jour, qu'il s'agit là de ce qu'Autheman a livré de plus abouti, de plus grave aussi, lui qui aime tant nous raconter des histoires légères, un rien acides, souvent irrévérencieuses. Avec son complice aujourd'hui disparu, Jean-Pierre Autheman avait su merveilleusement raconter sa vision du Siècle des Lumières PAR la lumière. Celle d'hommes -et d'une femme !- d'aventure et de passions. Pour toutes ces raisons, « Le Passage de Vénus » ne mérite pas de sombrer dans l'oubli. Parce qu'il constitue l'une de ces trop rares BD qui allient intelligence et esthétique. Même inachevée...
Igor, mon frère (Vlad) par Thierry Bellefroid
« Vlad », Tome 1 : par Griffo et Swolfs dans la collection Troisième Vague du Lombard.

La cohérence de la collection Troisième Vague s'affirme avec de plus en plus de clarté. Ce qui paraissait encore très confus lors de la première livraison (composée, pour rappel, de deux séries pré-existantes : Alpha et Capricorne) a depuis trouvé une véritable justification... ne fût-ce que commerciale. Au Lombard, on se félicite en tout cas des chiffres réalisés depuis la création de cette collection. C'est vrai qu'Yves Sente a réussi à sortir la BD-Lombard de placards qui sentaient dangereusement la naphtaline. Mais qu'on ne s'y trompe pas, si Troisième Vague regroupe des récits aux héros et au contexte modernes, il ne s'agit nullement d'un vivier de jeunes auteurs. Jugez sur pièces. D'abord, il y a eu les deux séries citées plus haut, déjà bien installées dans le paysage, et dont les auteurs n'étaient plus des inconnus (sauf peut-être Jigounov). Puis il y a eu IRS, Niklos Koda et Alvin Norge, des séries scénarisées ou dessinées par des auteurs présents dans le circuit depuis bien longtemps. Voilà que les rejoignent Griffo et Swolfs. On ne peut pas vraiment parler de « petits nouveaux » ici non plus. En clair, les auteurs Troisième Vague ont plutôt tendance à avoir vingt ans de métier ! Pourtant, fidèles à ce qu'ils ont ressenti comme un esprit d'écurie, les voilà qui « font » du Troisième Vague comme d'autres « feraient » du Vécu. Ca donne Vlad, un album que je considère comme l'un des plus réussis de la collection, même s'il véhicule pas mal de poncifs.

Vlad. Swolfs n'a pas dû se creuser beaucoup pour trouver le nom de son héros. Prenez un nom de ville russe et enlevez-lui la moitié. Vous obtiendrez un prénom de héros de BD tout à fait acceptable. A quand les aventures de « Nov », le héros qui rappellera « Novgorov », la ville où le KGB avait installé sa célèbre école ? Vlad, donc, est un ancien héros de l'armée... russe. Aïe. On sent qu'Alpha n'est pas loin. Quand une série marche, il y a toujours du monde qui se bouscule dans son orbite ! Va-t-on assister à une « alphaïsation » de Troisième Vague ? Le risque est là. Mais la lecture de cet album vous rassurera. Vlad est plus qu'un alibi pour promouvoir le succès de la collection. Contrairement à un certain Larry B Max (IRS) auquel je n'arrive pas à croire, ce Vlad semble crédible. Premier bon point : Swolfs a créé un personnage qui, pour outrancier qu'il soit, peut exister. Second bon point, un scénario solide, même s'il n'est pas d'une originalité renversante. Le coup du frère jumeau qui cache une sorte de négatif du héros, l'industrie du cinéma en 3-D complètement aux mains de la mafia russe, l'organisation internationale aux pouvoirs illimités, tout ça fonctionne plutôt bien. Pour le reste, c'est davantage l'action qui est le fil conducteur et l'assurance contre l'ennui du lecteur. Quant à Griffo, il semble moins à l'aise dans la Russie futuriste que dans la Venise de Giacomo C. Les couleurs sont moins soignées (même si l'on sent qu'il y a ici une volonté de ne pas céder à l'esthétisme) et les décors en général sont moins réussis que dans d'autres travaux récents (comme La pension du Dr Eon) Mais son Vlad est animé du même souci de crédibilité et il ne s'en sort pas trop mal. Reste la talon d'Achille de l'ensemble. Tout cela est très attendu et conventionnel. A tel point qu'on a presque froid dans le dos quand Yves Swolfs déclare dans le dossier de l'album que ce qu'il aime de plus en plus dans ses histoires, c'est de « travailler » la psychologie de ses héros. Où est la psychologie de Vlad ? Où est cette fêlure que son auteur se vante d'avoir voulu restituer ? Il n'y a aucune honte à faire de la série B honnête. Mais dans ce cas, il faut assumer. La lecture de Vlad est plutôt agréable. Elle repose sur un certain nombre de recettes que Swolfs a appris à gérer « en routier de la BD » et que Griffo restitue avec le même professionnalisme. N'empêche. On attendra la suite pour voir s'il y a lieu de parler de « psychologie de personnages ».
Une chanson douce (Miss) par Thierry Bellefroid
« Une chanson douce », tome deux de la série Miss, par Philippe Thirault, Marc Riou et Mark Vigouroux. Paru aux Humanoïdes Associés.

Et revoilà notre trio de Français avec un nouvel album à la hauteur des espérances que le premier avait suscitées. Je dirais même qu'il m'a semblé meilleur que « Bloody Manhattan », car les deux héros sont maintenant connus et Philippe Thirault peut aller plus vite au coeur du sujet. Le coeur du sujet, en l'occurrence, c'est d'abord la descente aux enfers de Nola et Slim (surtout de Nola, d'ailleurs), confrontés à une violence quotidienne d'une exquise banalité. C'est aussi la rencontre entre Nola et sa mère, deux femmes fragiles et vénéneuses que le destin va rapprocher pour un court moment. Les personnages ont une hargne qui fait plaisir à voir et se complaisent toujours avec autant de bonheur dans l'amoralité. On ne peut même pas compter sur ceux qu'on aime, Nola en fait ici la cuisante expérience.

Au milieu de tout ça, se baladent le trait des deux Marc (enfin, de Marc et de Mark, puisque ces messieurs ont la coquetterie de ne pas porter tout à fait le même prénom) et les couleurs toujours très cohérentes de Scarlett Smulkowski. Des visages taillés au couteau, de la grisaille à revendre et des décors qui, bien que minimalistes, restituent toute la froideur du récit. Et puis, il y a ce qui distingue Miss des autres BD noires et violentes qui inondent le marché : une écriture magnifique, subtile, fluide et cinglante à la fois. Philippe Thirault a un talent pour les dialogues et les voix-offs. Si vous en doutez encore, lisez les deux Comix parus au Cycliste (« Mes voisins sont formidables » et « Un bon plan de chez bon plan »), deux petites perles noires dessinées par Sébastien Gnaedig qui n'est autre... que le directeur des Humanos himself. CQFD .
La balançoise hantée (McCay) par Thierry Bellefroid
Mc Cay, volume 1 : « La balançoire hantée », par Thierry Smolderen et Jean-Philippe Bramanti. Chez Delcourt.

Jean-Philippe Bramanti était l'homme qu'il fallait à Thierry Smolderen pour réaliser un projet aussi ambitieux : raconter la biographie romancée de Winsor Mc Cay, le créateur de Little Nemo, l'un des hommes par qui est née la BD moderne. Bramanti s'intéressait déjà au monde de Little Nemo avant cette rencontre. Et Smolderen, lui, avait réalisé un roman découpé en six chapitres sur la base de la vie de Mc Cay. A deux, ils se lancent dans cette entreprise en 1993. Bramanti est à peine sorti de l'école et n'a jamais rien publié. Sept ans plus tard, il accouche de ce premier volume magnifique, au dessin faussement naïf. Son premier album. Un album au propos réellement passionnant. Pourquoi ? Parce que Smolderen ne se contente pas de raconter la vie de Mc Cay, ni sa carrière. Passionné par le dessin et la perspective, passionné par l'Histoire elle-même -comme le prouvent les sources dont il s'est servi et le foisonnement de détails qui jalonnent cet album- le scénariste s'intéresse aux rencontres qu'a pu faire Mc Cay et à l'influence qu'ont pu avoir sur lui certains de ses contemporains visionnaires. Parmi eux, son professeur de dessin, le professeur Goodison, qui lui apprend l'espace tridimensionnel de manière expérimentale et intuitive. Ou encore le mathématicien Charles H. Hinton, qui explore quant à lui la pensée en 4-D. Tout cela est captivant, extrêmement bien documenté, superbement rendu par un dessinateur au style dépouillé qui maîtrise bien une palette volontairement réduite de couleurs. Et surtout, cette bande dessinée n'est ni académique, ni didactique, ni sévère. Tout simplement un magnifique album !
Elle (Fée et Tendres Automates) par Thierry Bellefroid
Fée et tendres automates, tome 2 : Elle. Par Béatrice Tillier et Téhy. Chez Vents d'Ouest.

Quatre ans après un très beau premier album, Jam est de retour. Avec son bras arraché, cet automate amoureux fou d'une jolie fée inachevée par son créateur (elle a été ravie par les hommes avant qu'on lui mette une bouche, dernier détail manquant de son anatomie) promène son spleen sur un monde cruel et destructeur, celui des humains. D'emblée, ce qui frappe, c'est la mise en page et le découpage très nerveux de cet album. Il faut dire qu'il s'ouvre avec des scènes d'action qui démentent presque le titre de la série et le rapprochent à certains moments davantage du manga que de la tradition française. Mais que les lecteurs du premier album se rassurent. L'allégorie qui sous-tend cette histoire est toujours aussi forte et oppose l'innocence à la cruauté, la poésie à la violence avec plus de talent encore. On pourrait craindre pareil manichéisme. Mais Téhy arrive à toucher le lecteur avec ses personnages caricaturés à l'extrême et nous amène sans en avoir l'air à réfléchir sur notre monde avilissant. L'histoire d' « Elle » pourrait être celle de n'importe quelle petite fille enlevée à ses proches pour être livrée en pâture aux appétits sexuels et vénaux de réseaux plus ou moins obscurs en cheville avec un pouvoir despotique. L'intérêt de « Fée et tendres automates » est justement de se servir d'un « conte de fées » pour jouer sur tous ces éléments et nous faire passer sans crier gare du rêve à l'aventure ou de l'allégorie à la légende. « Elle » est donc un album réussi, même si je le trouve un rien moins convaincant que « Jam », le premier du futur triptyque que « Wolfgang Miyaké » viendra conclure. Le dessin de Béatrice Tillier est très beau.
« Les mémoires mortes, tome 1 : Feu destructeur », par Denis Bajram et Lionel Chouin. Aux Humanoïdes Associés.

Bajram se multiplie, se démultiplie même, sans que ça nuise nullement à sa production. Il faut dire que pour cette nouvelle série de SF, il a décidé de ne pas dessiner. Amusant de voir comment un dessinateur (« Cryozone », sur scénarios de Cailleteau) est devenu son propre scénariste (« Universal War one ») avant de finalement devenir le scénariste d'un autre dessinateur. Il faut dire que quand on parle deux minutes avec Denis Bajram, on s'aperçoit que ça fourmille d'idées sous sa barbe. Il n'a sans doute pas fini de nous surprendre, d'autant que, entier comme il l'est (certains internautes habitués du forum de ce site le savent), il défend toutes ses créations becs et ongles. Il ne devrait pas avoir de mal à imposer celle-ci. Cela tient-il à l'éditeur qui publie ces « mémoires mortes » ? Sans doute au moins en partie. Toujours est-il que cet album apparaît comme le plus charpenté et le plus « adulte » de Bajram à ce jour.

Tout part d'une vision, magnifiée par le dessin de Lionel Chouin : New York, après un cataclysme, revenue aux temps moyen-âgeux, avec des villages établis en haut des gratte-ciel à moitié dévastés. Ouvrir ce livre, c'est plonger d'emblée dans cette vision. On le fait même avant, en contemplant attentivement la couverture. Disons-le tout de go : sans ce choix, c'est toute l'originalité et l'attrait de l'histoire qui seraient remis en cause. D'abord parce que le scénario repose sur cette organisation géographico-sociale. Des ponts relient les tours entre elles. Depuis quelque temps, les villages sont attaqués un à un. Comment se protéger des barbares ? En rendant les tours indépendantes les unes des autres, au moins pendant la nuit. Mais c'est compter sans le traître qui se cache au sein même du village. Pour le reste, un peu de sorcellerie, des anges aux pouvoirs terrifiants, et des « visions » qui ne sont pas encore expliquées dans ce premier tome complètent le tableau de base. Des entités inconnues se réincarnent dans des corps d'enfants, le mystère est entier et surtout, plane sur tout ça un dessin puissant et un découpage très soigné qui ont des petits airs de ressemblance avec le travail de Xavier Dorrison et Alex Alice. Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard. Les observateurs se souviendront que les deux jeunes auteurs remerciaient Bajram au tout début du premier tome du « Troisième Testament ». (Alex Alice remettait ça en première page de l'adaptation BD de Tomb Raider, dessinée par Fréon, le coloriste des « mémoires mortes ») Tout ce petit monde se connaît, s'observe, s'apprécie. Et réalise de très bonnes choses. C'est clair que « Le Troisième Testament » est déjà une référence, en deux albums à peine, et que lui ressembler sans le copier est plutôt un gage de réussite. Vous l'aurez compris, « Les mémoires mortes » a tout pour devenir une bonne série. On regrettera juste de devoir passer par l'inévitable mise en place d'un premier album qui laisse le lecteur avec ses interrogations. Mais c'est devenu tellement courant que si on s'arrêtait à ça, on ne lirait plus grand chose.
Cotton Kid N°2 : charivari dans les bayous. Par Pearce et Léturgie.

Je me souviens avoir réellement craqué d'emblée pour Cotton Kid. Le premier album était parfait : un héros espiègle et fédérateur, une aventure drôle et traitée sous la forme du pastiche, beaucoup de rythme, tout y était. Le genre de BD qu'on referme en se disant « pourvu que ça dure ».

Eh bien, rassurez-vous, ça dure ! Ce deuxième Cotton Kid vaut au moins le premier. Je serais même tenté de dire qu'il est meilleur. Moins référentiel, moins « Lucky Luke en petit format », il s'agit d'une excellente histoire drôle pour tous les âges. On y retrouve l'humour très visuel déjà développé par Léturgie dans le premier album mais aussi dans « Spoon & White », la série qu'il anime dans la collection Humour Libre de Dupuis avec son fils au dessin. On y retrouve aussi un univers complet, celui des bayous, que l'auteur a su exploiter jusqu'à la moelle. En effet, les personnages secondaires sont aussi folkloriques qu'authentiques, ne serait-ce que par la maîtrise de leur délicieux dialecte (ce qui n'empêche nullement de les comprendre...). Evangéline, sorte de faire-valoir de Cotton Kid au féminin, est particulièrement réussie. Mais le crocodile Lafayette lui vole souvent la vedette. Et les joueurs professionnels ont, comme l'avaient si bien les personnages du premier album, un côté « très Morris » qui prolonge l'effet décalé produit par le dessin de Pearce. A croire que Léturgie avait envie de continuer l'aventure avec Lucky Luke, mais sans Lucky Luke. On ne peut que lui donner raison. Il est bien plus inventif et bien plus drôle qu'à l'époque où il scénarisait le lonesome cow-boy. Et dire que le tome trois est déjà annoncé pour octobre 2000. Ca c'est de la production.
L'engrenage (Le tueur) par Thierry Bellefroid
« Le tueur N°2 : L'engrenage », par Jacamon et Matz, chez Casterman.

Sans publicité tapageuse, sans campagne marketing, « Long feu », le premier album de cette série, s'est vendu à plus de dix mille exemplaires. Pour deux auteurs qui sortent à peu près de nulle part (les collaborations de Matz avec Chauzy n'ont pas été à proprement parler des best-sellers), c'est déjà un tour de force de réussir à s'imposer par le bouche à oreille. Il faut dire que leur tueur a beaucoup pour plaire : une véritable personnalité, des origines en marge de ses habituels congénères de polar (pour rappel, c'est un ancien universitaire qui a préféré gagner sa vie en refroidissant son prochain plutôt qu'en travaillant), un ton qui s'exprime dans l'écriture et un dessin efficace. Inutile de dire que le deuxième album constitue à ce niveau une sorte de test que les auteurs n'ont pas le droit de louper.

Dès la première page, tout le talent de Luc Jacamon s'impose. En deux images, il a planté une ambiance, il nous replonge dans l'univers de « son » tueur. Le dessin en couleur directe profite de l'exil du héros au Venezuela pour donner toute sa mesure et se noyer de lumière. Le travail sur les ombres est magnifique dans les pages qui suivent -et même dans tout l'album. Presque inexistant à l'encrage, il s'exprime uniquement par la couleur, un peu à la manière de Ferrandez. Avec l'audace en plus, lorsqu'il s'agit de donner une « couleur » propre à une scène, à une ambiance. Les scènes d'action sont plus saisissantes de vérité que jamais et alternent parfaitement avec le côté plus statique (et surtout moins lumineux) de la partie parisienne, constituée à la fois de flash-back et de la suite de l'histoire. Le découpage est intelligent. Meilleur exemple : les pages où le tueur retrouve son protecteur, l'avocat de la Streille et où les auteurs ponctuent la conversation des deux hommes de flashes sur le meurtre perpétré juste avant, au Venezuela. Vraiment, le traitement graphique de ce deuxième album n'a rien à envier à celui du premier.

Et l'histoire ? Toujours aussi bien charpentée, toujours aussi bien racontée. Le principe de la voix-off sur lequel repose tout le premier album en huis-clos se poursuit ici de manière moins systématique. Mais les deux petites phrases de la première page montrent bien toute l'efficacité du procédé, surtout lorsqu'on le maîtrise comme le fait Matz. Soucieux de crédibilité depuis le départ de la série, les auteurs nous emmènent dans un monde où chacun est à sa place. Impossible de dire si le tueur est vraiment antipathique. Il a ses propres motivations, sa propre morale et ses avis sur le monde qui ne sont guère recommandables. En même temps, il a une gueule de « Monsieur Tout le monde », il et il a ce je ne sais quoi de presque sympathique qui fait qu'on ne peut pas le détester. Il a surtout de l'épaisseur. Et si l'on doit retenir quelque chose de la façon dont Matz nous raconte sa vie depuis deux albums, maintenant, c'est cette volonté d'aller loin dans la « matière » de son personnage et d'éviter les clichés. Assurément, le cap du deuxième opus est passé avec brio !
« Le lys noir, tome Un : Le jardin des âmes », par Brice Goepfert, dans la collection Vécu, chez Glénat.

Réalisée en solo par le dessinateur du « Fou du Roy », cette nouvelle histoire de l'Histoire colle parfaitement à l'esprit de la collection Vécu. Le contexte, la Chine de 1900, la révolte des Boxers. Les héros, des soldats français -un surtout-, qui tentent de sauver leur vie et de déjouer les complots. Car dans chaque camp, il y a des bons et des mauvais. Des Français trafiquent l'opium et des Chinois se dévouent corps et âme pour l'occupant.

Pour le moins, on peut dire que Brice Goepfert s'est documenté avant de se lancer dans l'aventure. Qu'il s'agisse des décors et personnages ou de l'histoire de cette période agitée de la Chine, il ne laisse pas grand chose au hasard. Le défaut de ce genre de précision historique étant de briser le souffle épique donné aux personnages. Il y a en effet un peu trop de dates et de précisions historico-didactiques dans ce premier épisode. Les personnages sont très manichéens -le méchant a vraiment une gueule de méchant, un peu à la Olrik- et les situations un rien exagérées mais l'ensemble tient la route. Peut-être parce que Goepfert s'est attaqué à une période peu dessinée jusqu'ici, qui suscite facilement la curiosité du lecteur. Certaines erreurs de découpage rendent toutefois la lecture difficile. Quant au dessin, inutile de s'attarder sur ce qui est un pur produit de l'écurie Vécu, on aime ou on aime pas, mais il faut dire que d'un bout à l'autre de cette collection, on retrouve une cohérence graphique. Le choix des couleurs me fait en revanche davantage penser à Giardino, à qui Goepfert emprunte d'ailleurs son personnage principal. Comment ne pas penser au célèbre Max Fridman en voyant l'ami Joseph Dutertre, surtout en haut de la planche 44, lorsqu'on le voit en civil, avec un feutre mou sur la tête. La ressemblance est troublante. Peut-être Brice Goepfert doit-il encore se forger une véritable personnalité artistique...
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