Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Port Nawak par Thierry Bellefroid
« Port Nawak » de Prudhomme et Hautot, aux éditions Vents d'Ouest.

Voilà bien un album qu'on pourrait qualifier de surréaliste. Une histoire totalement déjantée au service d'un dessin inventif qui vous balade pendant près de 130 pages dans un univers de fous. Jean-François Hautot a dû se réveiller un matin après une nuit de cauchemars et se dire : j'en ferais bien un scénario. Résultat, Port Nawak est né. Port Nawak, c'est d'abord l'anti-héros le plus niais de la Bande Dessinée. Issicol (jeu de mots facile mais qui, en l'occurrence, convient parfaitement à la gueule de débile que lui a concoctée Prudhomme) est un jeune fonctionnaire puceau et « limite arriéré », choisi par la Sécurité du Territoire pour une délicate mission : se rendre dans les contrées reculées du pays pour préparer la population à accepter sa fin toute proche, un météorite s'apprêtant en effet à percuter la terre à 3000 KM/H.

Et voilà qu'Issicol aborde Port Nawak, tout imprégné de la grandeur de sa mission. Dès qu'il pose le pied dans la campagne « nawakienne », son dossier top secret s'éparpille dans la nature. Arrivé dans le bled en question, Issicol va passer le plus clair de son temps à pister les feuilles de son dossier tout en découvrant une population particulièrement étrange. Les personnages, hauts en couleur, sont plus fous les uns que les autres. Principales habitantes de la ville, des putes sur le retour attirées par un mirage (une apparition de Marie Madeleine à un poivrot notoire) et restées en rade une fois rattrapées par la réalité. La critique acerbe de la bureaucratie, du tourisme de masse, de la cupidité, de la piété « hallucinative » ou encore de la vie en communauté ne gâche nullement le plaisir d'un récit guidé par la fantaisie la plus débridée. Ces 120 et quelques planches sont un régal, y compris au plan du dessin. Aucun rapport avec « Ninon Secrète » que dessine également David Prudhommme sur scénario de Cothias. Le dessin noir et blanc se veut ici à la fois drôle, méchant et délirant. Il épouse totalement la loufoquerie du scénario et lui ajoute une touche d'originalité. Quel dommage qu'il ne soit pas mieux imprimé !
« A la recherche de la Licorne », tome trois : Finis Africae. Par Miralles et Ruiz, collection « Vécu » chez Glénat.


Pourquoi avais-je la curieuse sensation d'être baladé dans les deux premiers tomes de cette série ? Peut-être les auteurs -le décorateur de théâtre Emilio Ruiz et son épouse, la dessinatrice espagnole Ana Mirallès- n'avaient-ils pas jeté toutes leurs forces dans la bataille. Peut-être leur fallait-il un temps de rodage. Les personnages étaient nombreux, pas nécessairement attachants, pas toujours bien dessinés. L'adaptation de ce best seller espagnol manquait de densité. Et voilà qu'avec ce troisième volume arrive la conclusion du voyage pour Juan de Olid, le Castillan. J'avoue, j'ai été surpris. Agréablement.

D'abord, il faut reconnaître que l'idée de mener la troupe espagnole jusqu'en Afrique de l'Est pour y résoudre sa quête est audacieuse. Il n'y avait que deux possibilités : ou verser dans le fantastique et imaginer la rencontre d'une licorne, ou coller à la réalité et admettre au bout de la longue marche que les héros avaient souffert pour rien. Avec intelligence, le roman de Ruan Eslava Galan qui sert de base à cette adaptation en BD passe cet écueil en beauté et propose une alternative. La découverte d'un animal inconnu, qui pourrait bien être la licorne tant convoitée par le roi Enrique IV de Castille.

Le passage par le Grand Zimbabwe, authentique cité de pierre située à quelques encablures de l'Afrique du Sud, constitue une étape forte. Juste après, l'histoire bascule et devient plus intimiste, plus inattendue, aussi. Durant les deux premiers albums, la valeureuse troupe passait un peu trop bien à travers les pièges du voyage. Dans ce troisième et dernier opus, non seulement les principaux héros tombent comme des mouches, mais aussi et surtout, Juan de Olid lui-même prend de la bouteille et perd des plumes. Ca le rend plus humain, et donne à sa quête un tour philosophique inattendu. Rescapé miraculeux d'une épopée insensée entamée en 1471 et conclue en 1492, ce Castillan, contemporain de Christophe Colomb, apparaît comme un explorateur hors normes. Cela méritait bien une BD !
L'anomalie (Megalex) par Thierry Bellefroid
« Megalex » de Jodorowsky et Fred Beltran, paru aux Humanoïdes Associés.

Mégalex, la Grande Loi. C'est vrai que tout est ordre sur cette planète imaginée par Alexandro Jodorowsky. Ordre et loi. La durée de vie de chaque clone humain est fonction de son utilité et s'achève sous les yeux blasés de gardiens drogués jusqu'à la moëlle dans une chambre à gaz nouvelle mouture appelée « L'égorgeoir ». La planète entière est colonisée par la Cité, qui s'organise et se ramifie selon une parfaite géométrie. Enfin, presque parfaite, car en bon Jodo de chez Jodo, Mégalex nous propose de suivre la lutte de ceux qui refusent l'ordre un peu trop parfait qu'on leur propose. Deux taches, l'une bleue, l'autre verte, trahissent la présence d'une vie non colonisée : l'Océan Mort et la forêt de Chem. C'est de la forêt de Chem que viennent les « objecteurs », ceux qui ont décidé de renverser l'ordre des choses établi de manière immuable par la Reine Maréa.

Quand on connaît Jodo, tous ces ingrédients sont finalement assez classiques, presque conventionnels dans son style de narration politico-science-fictionnesque. Je dirais que ce qui fait la différence avec les précédents univers imaginés par le « Maître », c'est que celui-ci fait moins que jamais place à l'humain. Même le héros de l'album est anonyme. Clone raté (en fait, il est géant) qui échappe par miracle à la destruction systématique, il s'appellera tout simplement « L'Anomalie ». Mégalex fait donc l'éloge d'une BD désincarnée. La froideur des dessins entièrement réalisés à l'ordinateur par Fred Beltran accentue encore l'impression de malaise (par exemple, quand les gardiens ont les yeux injectés de sang après avoir abusé des néo-amphétamines, l'effet « photo » du dessin à l'ordinateur rend la vision saisissante de vérité).

Un mot quand même de l'expérience tentée ici par Frédéric Beltran. Après un détour par l'image de synthèse, le dessinateur du Ventre du Minotaure revient à ses premières amours, la BD. Il a composé tout l'univers de Mégalex en 3-D et pioche ses décors dans une Cité qui a sa propre cohérence, sa propre vie sur ordinateur. Cela se sent. L'effet « relief » est très présent et le résultat peu esthétique. Mégalex n'est pas une BD belle à regarder. Et c'est manifestement ce que cherchait Jodo qui n'aime rien mieux que de mettre son lecteur mal à l'aise. C'est pleinement réussi. Il y a quelque chose d'angoissant, d'oppressant même dans cet univers virtuel. Certains adoreront. D'autres, au contraire, détesteront avant même avant d'avoir lu le premier phylactère. Je ne pourrais que leur conseiller de tenter d'aller au-delà... même si je préfère quand même un bon Franquin !
Le fugitif (Gil Saint-André) par Thierry Bellefroid
« Gil Saint André », tome Trois : Fugitif. Par Jean-Charles Kraehn et Sylvain Vallée, dans la collection « Bulle Noire » des éditions Glénat.

Gil Saint André a précédé « Bulle Noire ». Le premier tome, « Une étrange disparition », avait marqué la rupture de Kraehn avec la BD style « Vécu ». Fort du succès de « Bout d'homme », le scénariste-dessinateur se lançait en solo dans un genre nouveau : le polar. Ou plutôt, le thriller. Et pendant qu'il oeuvrait comme scénariste pour d'autres (lire « Tramp », avec Jusseaume, chez Dargaud !), il tissait patiemment une toile dans laquelle il allait emprisonner des milliers de lecteurs. Gil Saint André est devenu une série à part entière, a intégré « Bulle Noire » et en a même été d'emblée le fleuron. La trame de départ est basée sur une idée toute simple : un jour, un homme rentre chez lui et constate la disparition de sa femme. Devant le peu d'enthousiasme de la police et parce que ses activités professionnelles le lui permettent, il part seul à sa recherche. A partir de là, tout est permis.

C'est vrai, tout est permis. Et les détracteurs de Gil Saint André n'ont pas attendu longtemps pour dire que Kraehn en faisait trop. Dès le premier tome et plus encore dans le deuxième, le scénariste lançait le lecteur sur des fausses pistes magistralement maquillées en vraies. L'occasion de faire le tour d'un univers différent à chaque fois, de perdre le lecteur dans les méandres d'une enquête sans fin mais qui ferme tout de même une porte au terme de chaque album. Un concept audacieux, multipliant les chausse-trape et les astuces scénaristiques, les rebondissements et donc l'intérêt du lecteur. Mais le procédé ne pouvait durer. Kraehn a donc eu l'intelligence de ne pas poursuivre l'expérience au-delà du deuxième volume.

Dans « Fugitif », pas de nouvelle fausse piste. Gil Saint André se rapproche bel et bien du dénouement. Mais rassurez-vous, le scénariste a suffisamment de métier et d'intelligence pour ne pas nous laisser entrevoir les vraies raisons de la disparition de sa femme. Saint André va aussi passer par deux stades importants. Le premier, on l'avait vu venir, gros comme une maison, il tombe dans les bras de la jeune Djida. Je ne vous prive pas du suspense en vous livrant cet élément, il figure en couverture de l'album. Il a l'avantage de compliquer les relations entre ces deux personnages centraux et était inéluctable étant donnée d'une part la plastique de la donzelle et de l'autre, son intérêt pour l'histoire de Saint André depuis le début de l'affaire. L'autre stade important, plus inattendu, celui-là, c'est de faire passer Saint André du rôle de flic amateur à celui de tueur présumé en cavale.

Je ne vais pas vous en dire plus. Ceux qui aiment cette série l'aiment parce qu'elle les surprend et les délasse comme un bon film d'action. Il serait dommage de déflorer ce qui pour eux, en fait justement le sel. Sachez que ça fonctionne toujours aussi bien, à condition d'accepter l'idée que Kraehn utilise tous les trucs dont il dispose dans sa « trousse de scénariste » pour que ça marche. En clair, c'est tellement calculé, préparé, millimétré que tout ça manque un peu de spontanéité et de chaleur. Mais on ne peut pas tout avoir, non ? Un mot encore pour dire que la reprise « sous contrôle » du dessin par Sylvain Vallée n'enlève rien à l'ensemble. Et que, bon dieu de bon sang, on voudrait quand même en être au dénouement pour savoir comment toute cette affaire s'élucidera !
« Le Pithécanthrope », Tome deux, par Chris Lamquet, dans la collection Grafica de Glénat.

Je suis tombé amoureux du « Pithécanthrope » avant même la sortie du premier tome et sans en avoir lu une planche. C'était dans le bureau de Paul Herman, le responsable des éditions Glénat à Bruxelles. Un jour, il a sorti fièrement d'une farde quelques-unes des planches originales du futur premier album et me les a montrées. Le dessin m'a immédiatement séduit. Ses couleurs, ses ambiances, ses personnages : Lamquet avait frappé fort, et s'offrait une nouvelle jeunesse ! D'aucuns diront que son dessin actuel doit tout à Juillard. Mais qui ne doit rien à personne ? Rossi ne doit-il pas tout à Giraud ? Et Comès à Pratt ? Cela leur enlève-t-il tout intérêt ? Si Juillard a pu inspirer Lamquet, eh bien tant mieux. Il en a inspiré tant d'autres, et de moins talentueux !

Passé ce premier coup de coeur, je me suis mis à attendre. Longtemps. Et puis un beau jour, le premier tome du « Pithécanthrope » (qui s'appelait encore « dans la valise », à l'époque) est sorti. Ma patience fut récompensée. Je découvris derrière le dessin l'un des scénarios parmi les plus originaux et les plus attachants de ces dernières années. L'histoire de cette vraie-fausse découverte du chaînon manquant et des vies qu'elle fait basculer tant en Indonésie que dans une Europe surannée m'a passionné d'emblée. Et que dire des protagonistes de l'histoire ? A commencer par Didi, la femelle Orang-outan facétieuse... aussi lubrique que sa propriétaire est nymphomane !

Et puis ce fut le silence. Long. Trois ans. Et enfin, après mille reports, la sortie du tome Deux. Le plaisir est revenu d'un coup. Il s'est prolongé au point que j'ai relu le premier tome immédiatement après avoir découvert le nouvel album. Le scénario reste original et cohérent. Il permet à Lamquet d'explorer des pans d'histoire, des époques et des milieux fascinants. Son imagination est un régal. L'histoire ne faiblit jamais et le lecteur se prend à aimer autant l'intrigue elle-même que les aventures parallèles et personnelles de chacun des personnages. Quant au dessin, il n'a pas faibli d'un pouce, loin de là et. Aucune concession à la paresse. Et dans tout ça, on a l'impression que Lamquet s'amuse. Il y a une façon de ne pas se prendre au sérieux dans ces deux albums qui en dit long sur la maturité de l'auteur. Du grand art, vraiment.
Poings liés (Bleu Lézard) par Thierry Bellefroid
Bleu Lézard, par Benoît Roels aux éditions Glénat, dans la collection « Bulle Noire ».

Avec « Mortelles retrouvailles », Benoît Roels signait un tome Un intéressant et certainement parmi les plus réussis de la première fournée de la collection « Bulle Noire ». Les couleurs étaient un rien criardes (elles le sont toujours dans le tome Deux, mais cela semble mieux maîtrisé grâce aux ambiances de montagne « façon Névé ») et l'action parfois un peu tirée en longueur. Un début à la « English Partient », avec un grand brûlé qui raconte sa vie et délivre son secret en flash-back. Un couple qui se déchire sur l'attitude à adopter face à cet homme, rescapé d'un très étrange incendie de cargo. Une belle et originale histoire d'amour-amitié enfantine entre Thomas et Lison, sur fond de montagne. Un mort qui a l'air bien vivant. Des ingrédients multiples et joliment mélangés.

Et voilà que le tome Deux vient clore l'histoire. Excellente surprise, car on craignait une série « à suite ». Un bon point d'emblée, donc, pour ce « Bleu Lézard ». Autre bonne surprise : le bouleversant récit que Thomas livre à Ellen, une grande histoire d'amour romantique comme il y en a peu dans le monde de la BD. Un récit qui célèbre l'incompréhension entre les êtres et qui se fonde sur les rendez-vous manqués. Des preuves qui jouent à échapper aux protagonistes, mais c'est peut-être le destin. Un dénouement qui vient comme une leçon de choses plus que comme la solution d'une énigme. Benoît Roels a évité bien des écueils et réussi à faire un polar intimiste, profondément humain. Bleu Lézard n'est pas une histoire parfaite. Mais c'est une belle histoire, avec de beaux personnages et son auteur a en plus le mérite de cumuler les fonctions de scénariste, dessinateur et coloriste.
« Vieilles canailles », tome Un, par Trillo et Mandrafina, chez Albin Michel.

En un album, ils ont imposé leur style de dessin et d'histoire, conquis Angoulême, convaincu leur éditeur d'avoir fait le bon choix en misant sur une BD sud-américaine sous-exploitée en Europe. « La grande arnaque » eut donc tout naturellement une suite. Pour beaucoup, elle restera en-dessous du niveau du premier album. Mais elle a confirmé qu'il fallait désormais compter avec Trillo et Mandrafina. La preuve, ce « Vieilles canailles » qu'Albin Michel se propose de publier en deux tomes, à trois mois de distance (si tout va bien, le second devrait en effet sortir en septembre)

De quoi s'agit-il ? Du nouveau volet des aventures des « Spaghetti Brothers » que les deux compères avaient entamées chez vents d'Ouest. James, scénariste et surtout dialoguiste de talent pour la télévision a une passion : l'histoire de sa famille, les Centobucchi. Et il y a de quoi ! Jusqu'à l'épuisement, il va « forcer » son vieil oncle Amerigo, relégué à l'hospice, de lui raconter les horreurs de sa vie. Car les Centobucchi sont des maffieux de la pire espèce. Méchants, sadiques, violents, sans scrupules, sans morale. James découvre donc un à un les petits secrets de famille bien gardés depuis 40 ans. Comment sa mère est passée de tueuse à gages un peu trop pro à prêcheuse, comment son oncle Frank, curé, est mort par la croix alors qu'il voulait empêcher Amerigo de violer sa propre soeur, Caterina, comment le même Amerigo a fait canarder son living pour avoir une bonne raison de battre sa femme (« elle avait ouvert la porte à un inconnu »).

Chaque chapitre est plus fou, plus tordu et plus méchant que les autres. Amerigo Centobucchi apparaît ainsi comme l'être le plus abject qui soit. Certaines des histoires qu'il raconte le font presque s'étrangler de rire. Et le lecteur balance sans cesse entre l'envie de rire avec lui et de lui mettre son poing dans la gueule. C'est diablement bien raconté, bien enlevé, bien dessiné aussi. C'est de la BD noire comme de la suie. Torpedo n'est pas loin, mais il y a dans ce « Vieilles canailles » un peu moins de sexe et un peu plus de profondeur dans les personnages que dans la série mythique des Espagnols Bernet et Abuli. Il y a surtout un humour noir décapant qui s'exprime jusque dans le dessin « viscéral » du visage du vieillard Amerigo. Un protagoniste de premier choix pour un premier tome qui est un régal. En attendant la deuxième livraison de 96 planches qu'on espère aussi réjouissantes...
Tabou par Thierry Bellefroid
« Tabou » de Pellejero et Zentner, chez Casterman.

Depuis « Le silence de Malka », c'était « silence radio ». Trois ans plus tard, revoilà les deux comparses « espagnols ». Enfin, quand on dit « espagnols », il faut quand même rappeler que Jorge Zentner est Argentin et a longtemps travaillé comme journaliste dans son pays natal avant d'émigrer vers l'Espagne, et enfin le Sud de la France. Fin de la parenthèse.

On attendait donc avec impatience une nouvelle histoire de ce duo et « Tabou » est arrivé, renouant avec les ambiances d'« Ennemis communs » ou du « Prix de Charon ». Tabou est un polar fantastique de la meilleure veine, dessiné en noir et blanc par un Pellejero au mieux de sa forme. Tabou, c'est aussi le nom du bar où Maria est serveuse. Un soir, une femme mystérieuse nommée « Princesse » vient rappeler à Maria les souvenirs d'une autre vie. Avant d'être serveuse, Maria s'est en effet appelée « Lune », elle était magicienne au Morocco et dotée de pouvoirs peu communs depuis l'enfance. Pour une raison que vous découvrirez dans l'album, Lune a perdu ces pouvoirs... et son premier métier. Princesse va lui proposer un étonnant marché.

Parallèlement, il y a une histoire policière passionnante, des meurtres inexplicables, des enquêteurs empêtrés dans leurs rapports hiérarchiques et leurs histoires d'amour ratées. Le puzzle se complète peu à peu. Zentner distille au compte-goutte les ingrédients permettant la compréhension de l'ensemble et le dénouement. On est captivé, à la fois par l'ambiance et par l'épaisseur des personnages mais aussi par le mystère qui se dévoile peu à peu. « Tabou » est un album qui se déguste et qu'on ne peut que chaudement recommander à ceux qui ne connaîtraient pas encore Pellejero et Zentner.
Exit (Exit) par Thierry Bellefroid
non, je viens de relire « Exit » de Bernard Werber et Alain Mounier, paru chez Albin Michel.

J'avais lu « Exit » à sa sortie, il y a quelques mois et beaucoup apprécié cette incursion du romancier dans la BD. Je viens de le relire, afin d'affiner mon jugement. Il est particulièrement rare que des auteurs de romans se « commettent » dans la bande dessinée. Certains y perdent une part de leur crédit, comme l'excellent Didier Van Cauwelaert, prix Goncourt et auteur à succès (lire son dernier roman, qui vient de paraître : « La demi-pensionnaire »... magnifique ! ) qui n'arrive pas à donner toute sa mesure dans « Vanity Benz », chez Dargaud. D'autres, comme Werber, commencent par adapter leurs propres oeuvres, ce qui fut le cas avec « Les fourmis : la BD » ou supervisent l'adaptation de leurs romans comme Paul-Loup Sullitzer.

Bernard Werber a connu le succès d'emblée, avec sa série de romans sur les fourmis. Ensuite, il a encaissé un cuisant (et injustifié) échec commercial (« Les Thanatonautes ») avant de renouer avec le succès en librairie ( re-fourmis, quatrième du nom. Et plus récemment, « Le Père de nos pères »). Tous ces romans sont parus chez Albin Michel. C'est chez Albin aussi qu'il publie ce premier scénario 100% BD, mis en image par Alain Mounier, le dessinateur de « Dock 21 » (avec Rodolphe). Et disons-le d'emblée : Werber n'a pas à rougir de ce premier essai.

« Exit » est un véritable thriller. Il l'est même un peu trop. Car -sans la dévoiler-, je peux vous dire que la fin est une véritable torture. Rarement, la dernière case d'une BD m'aura causé pareille frustration ! En l'absence de descriptions, toute la science du romancier doit tenir en BD dans les dialogues et la charpente de l'histoire. Si l'on prend le synopsis, l'idée d' « Exit » est tout simplement géniale. Une organisation occulte prend en charge le suicide de ceux qui ont assez vécu et « qui ne veulent pas rater leur sortie ». Modernité oblige, cette organisation nommée Exit sévit sur le net où elle recrute ses nouveaux adeptes. Amandine, héroïne moderne, intelligente et indépendante va se laisser tenter, avant de tout faire pour échapper à la mort qu'on lui promet. Le lecteur est pris au piège. Ferré dès les premières pages, il dévore l'album jusqu'à la dernière case, car les surprises sont nombreuses et l'action ne faiblit jamais, tout en ne se contentant pas de se cantonner à la course-poursuite entre tueurs et future victime. Quant aux dialogues, ils sont efficaces, bien ciselés et servent magistralement l'action.

Alors, où est le défaut de la cuirasse ? Relire l'album suffit à mettre le doigt dessus. Il y a beaucoup d'invraisemblances dans cette histoire. Comment l'organisation sait-elle qui a « suicidé » l'un des noms de la liste puisque chacun peut choisir au hasard sa future victime dans cette liste ? Comment un site « sos.déprime » peut-il mener aussi vite et sans filtres à une proposition de type « Exit » ? Comment le « tueur » retrouve-t-il sa victime quand celle-ci se trouve sur une route de campagne, entre Paris et la Normandie ? (quoique... ici, l'auteur laisse la possibilité d'un traçage des communications téléphoniques puisque Amandine reçoit un appel sur son portable juste avant l'attentat) Bref, Exit est palpitant, à condition d'accepter la règle, de jouer le jeu et de ne pas vouloir tout expliquer. A cette condition, vous serez comme moi embarqué en deux temps trois mouvements dans cette galaxie aux ramifications mondiales qui promet quelques beaux épisodes en perspective.




Roxane (Le Blaireau) par Thierry Bellefroid
« Roxane », dans la série « Le Blaireau » de Rodolphe et Boëm, aux éditions Dargaud.


Mine de rien, Rodolphe installe son petit univers dans le monde impitoyable de la BD. (« petit » univers...c'est à voir. L'ancien prof de lettres a déjà à son actif 70 scénarios de BD !) Un univers qu'il aime décliner en fonction de la personnalité de ses collaborateurs. Au point de changer totalement une série déjà existante s'il en confie le dessin à un nouveau dessinateur, comme il l'a fait avec Cliff Burton. Burton qui est sans doute la série la plus aboutie de Rodolphe mais qui éclipse peut-être un peu trop facilement cet attachant Blaireau, de son vrai nom Antoine Blérien.

Dès le premier album, j'ai aimé « Le Blaireau » pour ses personnages, son climat et son ton. Le dessin de Boëm cache derrière son côté « gros nez » un réel talent de caricaturiste et de peintre d'ambiances. Qui plus est, il manie les couleurs avec personnalité et intelligence. L'adéquation entre le dessin et les histoires de ce looser sympathique est parfaite. Les scénarios taillés sur mesure dévoilent toutes les facettes d'un personnage central particulièrement modeste, humain, épicurien, gentiment paumé et délibérément en marge de la société de consommation. (Enfin, sauf si on parle d'alcool, car il en a la consommation facile pour ne pas dire démesurée) Un musico qui est heureux de vivre et qui traîne son spleen comme d'autres promènent leur lévrier sur les plages de Deauville. C'est tout ça que j'aime dans Le Blaireau. C'est tout ça que Rodolphe et Boëm font passer à travers des albums aux noms de femmes (« Brenda », « Marie-Laure » et maintenant « Roxane ».)

Ce troisième opus réserve le meilleur et le moins bon. Le meilleur, c'est l'oscar des seconds rôles pour les membres de la bande avec qui Antoine s'en va parcourir les routes de France, jouer dans les clubs et les petites salles de resto, soir après soir. Mention particulière pour le vieux beau « Jo Jeuness » affectueusement surnommé « Pépère » par le reste du band. Mention spéciale aussi pour l'ambiance « tournée de province » et la formation musicale « alimentaire ». Ce groupe de copains qui traînent leurs désillusions et leurs petits plaisirs de cuite en cuite sonne juste, les dialogues aussi et le récitatif comme à l'accoutumée très argotique ajoute ce qu'il faut de relief pour que la sauce prenne.

Mais l'album m'a laissé un curieux arrière-goût. L'histoire d'amour entre la gamine riche et le musico alcoolique risquait de sombrer très vite dans le pathos. Rodolphe l'a évité, mais il n'a pas évité l'autre piège, celui du déjà-vu. C'est dommage, car tout ce qui arrive à Roxane et Antoine est pratiquement cousu de fil blanc. La surprise est rare et on croirait presque en lisant l'album en avoir soi-même écrit le scénario. Reste comme je l'écrivais plus haut une excellente ambiance et des personnages vraiment attachants. Cela prouve tout le savoir-faire de Rodolphe. Qui, on l'espère, fera mieux la prochaine fois...
Zoïa (Chasseurs d'étoiles) par Thierry Bellefroid
« Chasseurs d'étoiles, tome Un : Zoïa », par Yann et Wozniak, dans la collection « Repérages » de Dupuis.

Pré-publié dans Spirou, ce « Chasseurs d'étoiles » avait attiré mon attention dès la mise en place des personnages, c'est-à-dire, les huit premières planches à peu près muettes qui suivent la tempête de sable et durant lesquelles l'héroïne -dont on ignore encore tout- fait la rencontre d'un nomade Oïgour. Economie de mots et de moyens, du Yann de la meilleure veine. Le dessin d'Olivier Wozniak emportait moins l'adhésion, son côté maladroit étant toutefois compensé par une apparente sincérité qui donnait envie d'aller voir plus loin.

Plus loin, il y a une très belle histoire et un contexte peu exploré en BD : le désert de Gobi, la Chine d'aujourd'hui, la chasse aux météorites. Une BD qui innove par ses thèmes et qui surprend jusqu'au bout, voilà ce qu'est « Chasseurs d'étoiles ». La quête de Zoïa est tout sauf ce à quoi on s'attendait, l'énigmatique Bu-Hé souffle le chaud et le froid sur les deux personnages centraux au fil des pages et des changements de décors, le milliardaire égocentrique Bob Maag apparaît finalement plus sympathique que prévu. Rien que de bonnes surprises et de bons personnages.

Yann a un trait commun avec Dufaux : il est passionné d'histoire et de lecture. Il compulse, apprend, digère et « régurgite » ses connaissances dans ses scénarios. Mais si Dufaux se plaît dans le pastiche ou la variation sur un thème connu, Yann préfère créer son propre univers. Il le prouve ici avec brio, se servant de ses lectures sur le désert, les cultures chinoises, la géologie. On serait étonné d'apprendre la somme de documentation qui l'a conduit à ce « Chasseurs d'étoiles ». Mais en même temps, l'album distille ces connaissances sans ostentation. Le lecteur est d'abord emmené par les personnages et leurs motivations. Ce n'est qu'ensuite qu'il perçoit la « culture » du scénariste. Une belle réussite du genre. Et qui augure d'une série intéressante.
« La mémoire des ogres », tome deux : Le temps perdu, par Patrick Cothias et Bruno Marivain, dans la collection « Bulle Noire » des éditions Glénat.


Cothias est plus productif que jamais. On le retrouve sur tous les fronts, multipliant les expériences et les maisons d'éditions, comme il l'a récemment prouvé avec les deux volets de « La pension du Docteur Eon », au Lombard. Son port d'attache reste Glénat, avec qui il a franchi une à une les marches du succès dans des registres très diversifiés. Qu'on se souvienne des « 7 vies de l'Epervier » ou des « Eaux de Mortelune », par exemple. Passant avec un bonheur égal de l'histoire (Cinjis Qan) au fantastique (Le lièvre de Mars), le voilà qui s'essaie à l'enquête policière dans la jeune collection « Bulle Noire ». On l'avait déjà compris dans le premier tome, « La mémoire des ogres » ne serait pas un polar comme les autres. A la lecture de ce nouvel album, la confirmation est là. La série se présente comme une enquête fantastique, même si elle a démarré par une ambiance de pur polar à la française.

Ce qui me plaît dans « La mémoire des ogres », ce sont surtout les personnages. Et principalement l'attachant inspecteur Farrouda, prince héritier du Royaume de Quazlem (il préfère qu'on l'appelle Aziz). Bon personnage principal au profil original, il conduit son enquête avec intelligence et humanité. Son vieil ami Hector réapparaît à point nommé dans ce deuxième tome pour reformer un duo pour le moins étrange. Le professeur Shakleton, en revanche, est un peu trop caricatural. Quant à sa « fille », Anthéa, elle est loin d'avoir épuisé le mystère dont les auteurs l'ont chargée.

Difficile de dire à l'heure qu'il est si « La mémoire des ogres » tiendra toutes ses promesses. Cela se jouera notamment sur la durée. Idéalement, l'histoire gagnerait à ne pas dépasser les quatre albums. A ce stade, en tout cas, il s'agit d'un bon polar fantastique. Le dessin ne mérite guère qu'on s'y attarde. Nous dirons qu'il se laisse regarder. Bruno Marivain laisse encore trop souvent transparaître un manque de maîtrise. Parmi l'ensemble des titres proposés dans la collection, celui-ci est sans doute l'un de ceux qui méritent le détour.
On a tué Wild Bill par Thierry Bellefroid
« On a tué Wild Bill » de Hermann, collection Aire Libre des éditions Dupuis.


Un album de Hermann dans la collection Aire Libre, c'est toujours un événement. Le premier, « Missié Vandisandi », avait créé la surprise. Le deuxième, Sarajevo-Tango, première expérience en couleur directe et oeuvre engagée, avait définitivement assis la notoriété de l'Ardennais. Fort de sa science des couleurs, Hermann allait ensuite retourner à ses Jeremiah et Bois-Maury tout en conservant le projet d'une autre histoire en one-shot. Caatinga, paru dans la collection « Signé » du Lombard prouvait à quel point cet auteur confirmé (il a pratiquement inventé le dessin d'action !) pouvait encore avoir envie de surprendre. En fait, ce n'est pas surprendre qu'aime Hermann, c'est se surprendre. En un mot : s'amuser.

S'il y a une raison qui l'a poussé à entamer un nouveau one-shot pour Aire Libre, c'est celle-là. Hermann caressait l'envie de revenir à ses anciennes amours tout en leur appliquant ses techniques de dessin actuelles. Ce n'est sans doute pas par hasard qu'il a accepté de re-dessiner toutes les couvertures de la collection Bernard Prince pour la réédition de la série (y compris la couverture du « Poison Vert », un album jusque-là inédit et dessiné par Aidans) On imagine le plaisir que le maître a pris devant sa table à dessin. C'est le même plaisir que celui qu'il a pris en s'attaquant à ce « Wild Bill », un faux-vrai western qui lui permet de revenir dans les décors et les ambiances de Comanche.

Disons-le tout de suite, la vie de Melvin Hubbard s'enchaîne au fil des pages à un rythme soutenu, essentiellement ponctuée -guidée même, par les rencontres. Hermann a conçu le scénario en bon professionnel qui n'aime pas ennuyer ses lecteurs, mais il l'a manifestement conçu aussi de manière à pouvoir dessiner tous les lieux qu'il affectionne. La forêt, avec ou sans neige, la ville, ses saloons, ses hôtels miteux, la montagne, des scènes de nuit, de crépuscule, d'aube. Quel bonheur de se laisser aller à regarder une planche, à scruter l'une ou l'autre des compositions dont les détails sont stupéfiants de précision et d'aisance. Hermann ne veut pas nous prouver l'étendue de son talent, il veut l'éprouver, constamment, se distraire en dessinant. Dans une récente interview, Greg me disait de lui : Hermann, c'est le chaînon manquant entre l'homme et le sanglier. C'est vrai que l'homme est entier, parfois un rien misanthrope, et pas du genre à faire des concessions. Mais si 20% des dessinateurs avaient son talent...
« Vanina Business », une aventure de Stéphane Clément, aux Humanoïdes Associés.


Comme beaucoup, la lecture des aventures de Stéphane Clément a baigné mon adolescence. Cet anti-héros globe-trotter possédait une qualité essentielle pour l'identification et Ceppi l'avait bien compris : il n'avait rien d'exceptionnel. Tout le monde pouvait s'imaginer à sa place, dans les décors orientaux les plus dépaysants qui soient.

Et puis Ceppi s'est éloigné de Stéphane Clément. On relisait les vieux albums parus chez Casterman, en rêvant d'une suite. Le Suisse s'est tourné vers les Humanos avec un propos plus adulte, qui lui réussit tout autant. Ce furent « L'ombre de Jaïpur », mais aussi et surtout, les deux volumes noir et blanc de « Corps Diplomatique » et « La nuit des clandestins » sur un scénario de Christin. Des albums dans lesquels Ceppi affinait sa ligne claire et personnalisait son dessin sans renier « les années Stéphane Clément ».

Enfin, après neuf années de silence, il y eut « Pondicherry, filiation fatale ». C'était en 1995. Les lecteurs de la collection Casterman n'étaient plus des adolescents. Ils découvraient que leur héros avait lui aussi changé, mûri. Passé avec armes et bagages aux Humanos (où l'ensemble de la collection fut rééditée en grand format avec le même lay-out que les nouveaux albums), Stéphane Clément allait connaître des aventures plus graves que jamais et croiser des êtres à la dérive toujours touchants. Après Pondicherry, Belfast. On se rapprochait des origines genevoises. Le nouvel album ne pouvait donc que ramener le lecteur à Genève, ou l'emmener d'un coup de baguette magique à l'autre bout du monde. Daniel Ceppi a choisi de ramener Stéphane chez lui. Et de le confronter plus que jamais à la réalité quotidienne d'un monde contemporain où tout n'est pas toujours rose.

De plus en plus, au fil des derniers albums, l'auteur d'aventure s'efface derrière une sorte d'observateur des travers de la société. Trafics d'organes, terrorisme, alcoolisme, mafias de l'Est...les aventures de Stéphane Clément, sous-titrées « chroniques d'un voyageur », ont bien changé. Doit-on s'en plaindre ? Bien sûr, les nostalgiques de la première époque préféreront « Pondicherry, filiation fatale » à « Belfast, l'adieu aux larmes », ou « Vanina Business ». Mais l'exotisme en moins, les histoires de Ceppi continuent de parler d'une chose essentielle : des êtres fragiles, humains, proches de nous...si ce n'est par les mensurations, car les femmes de ces chroniques d'un voyageur rivalisent de maigreur !
« Le secret d'Eglantine », Benoît Brisefer N°11, paru aux éditions du Lombard.

Qu'il est difficile de faire durer l'oeuvre de Peyo. Son fils, Thierry Culliford, s'y emploie depuis des années avec des bonheurs divers. La plupart des albums sortis de ses studios portent bel et bien l'empreinte visuelle du père -les desinateurs ont réellement appris à « faire du Peyo », même s'ils laissent percevoir leur personnalité propre- mais les scénarios et le découpage sont généralement cent coudées en-dessous de ce que faisait Peyo.

Le nouveau Benoît Brisefer n'échappe pas à la règle. L'idée de départ n'est pas mauvaise : Benoît découvre une petite fille qui, comme lui, dispose d'une force colossale. Au passage, on s'amuse à lever un coin du voile sur la possible provenance de cette force (mais on ne dira jamais si Benoît et Eglantine ont été victimes du même « syndrome », au contraire, là où le premier perd ses pouvoirs en attrapant un rhume, la seconde les perd en respirant le parfum des roses). Mais Eglantine ne veut pas de l'amitié de Benoît. Elle cache sa force et craint que Benoît ne la trahisse. Le personnage est attachant, l'histoire aussi, même si elle comporte quelques temps morts.

Et voilà que tout bascule. La colo, Eglantine et Benoît qui se retrouvent. Et Eglantine qui se transforme en véritable teigne, qui s'oppose à Benoît, qui use de sa force pour « faire le mal ». L'histoire se traîne, multiplie les digressions et les personnages secondaires éculés. On se croirait dans un re-make des 4 As où se serait perdu Benoît Brisefer ! Après « la route du sud », un épisode bien mené au charme désuet qui correspondait bien à l'esprit de la série, ce « Secret d'Eglantine » apparaît comme un retour en arrière. Pour se convaincre de sa pauvreté, il suffit de relire « Les taxis rouges », « Le cirque Bodoni » ou « Tonton Placide ». Comme dirait l'autre : y a pas photo !
"Ninie Rezergoude", tome Un : Mangeurs d'âmes, par Omond, Yoann et Hubert, dans la collection Néopolis des Editions Delcourt.


Neopolis n'est pas ma collection préférée, je le concède volontiers. Mais je me suis jeté sur "Ninie Rezergoude" avec la curiosité d'un pou. Pourquoi ? Parce que je voulais voir ce qu'Eric Omond et Yoann Chivard avaient dans le ventre. Pour ceux qui lisent les albums de la collection "Delcourt Jeunesse", ces deux noms ne sont forcément pas inconnus. Avec Toto l'Ornithorynque, les deux compères y ont créé la surprise. La critique ne s'y est pas trompée, saluant largement leur talent, leur imaginaire foisonnant et la qualité de leur travail. Au plan graphique, notamment, le dessin de Yoann est pour beaucoup dans les distinctions obtenues par Toto, que ce soit à Blois, Sérignan ou Bruxelles.

Et voilà que ces deux ciseleurs d'histoires pour enfants nous balancent sans prévenir un polar SF du plus pur jus. Ninie Rézergoude est le genre flic de choc que rien n'émeut et qui ne dédaigne pas mettre un Apollon dans son lit. Plutôt bien pourvue par dame Nature (et surtout par ses créateurs), elle ne se contente pas d'être sexy et de jouer de son charme pour obtenir ce qu'elle veut. Elle est aussi intelligente, un rien cabocharde, limite caractérielle, et elle a une soeur aussi adorable que bête. Voilà pour les présentations. Disons-le tout de suite, je me suis bien amusé en lisant ce premier album. Car la marque de fabrique du duo est avant tout l'humour. Et quand le scénario ou les dialogues ne suffisent pas à provoquer le sourire, le dessin vient leur prêter main forte. Si vous n'êtes pas convaincus, procurez-vous le dernier "Delcourt Planète" (celui des mois d'avril-mai) et jetez un oeil sur la page "Trombinoscope" qui se propose de montrer quelques-unes des "gueules" de la Ninie.

Au-delà de cet humour, il y a l'histoire. Beaucoup de zones d'ombres à la sortie de ce premier album. Un peu trop, peut-être. Les histoires à suite, c'est bien, mais ici, on est quand même un peu frustré. Quant au dessin de Yoann, il est moins emballant ou moins original que dans Toto l'ornithorynque, mais regorge de vitalité et d'humour. Bref, vivement un deuxième album, qu'on puisse se faire une idée plus complète. En attendant, n'hésitez pas à suivre Omond et Yoann dans cette sexy-fun-SF. C'est pas si souvent qu'il y a moyen de rire dans ce créneau !
La Terre sans mal par Thierry Bellefroid
« La terre sans mal » de Anne Sibran et Emmanuel Lepage, dans la collection Aire Libre de Dupuis.


Décidément, Aire Libre nous gâte. Si les choix éditoriaux de Dupuis me laissent généralement assez froids, ceux du directeur de cette collection de prestige, en revanche, se singularisent par une qualité constante et un souci permanent de séduire un lectorat adulte avec des histoires accomplies.

Si vous avez vu le film de John Boorman, « La forêt d'Emeraude », vous ne pourrez vous empêcher d'y penser en lisant « La terre sans mal ». Pourtant, il y a autant de ressemblances que de différences entre ces deux histoires et ces deux démarches. Dans « La forêt d'Emeraude », un enfant blanc élevé par les Indiens d'Amazonie va découvrir sa différence, retrouver son père et mesurer le danger que font peser les Blancs sur la forêt. Dans « La terre sans mal », une ethnologue choisit d'épouser la longue errance indienne, d'abord pour des raisons scientifiques puis pour des raisons de coeur. Pas de grand barrage, de route transamazonienne, de menace blanche. Nous sommes à l'aube de la deuxième guerre mondiale, les Blancs s'aventurent à peine au coeur de la grande forêt. Eliane Goldschmidt est ethnologue. Elle arrive en observateur. Elle étudie la langue des Indiens Guarani. Et découvre un événement qui ne s'est plus produit depuis des décennies : la venue du Karaï, un chaman qui va emmener les Mbyas dans une marche harassante, pour ne pas dire suicidaire, vers le paradis, cette « Terre sans mal » qui a donné son nom à l'album.

Anne Sibran nous raconte un conte ethnologique, une quête spirituelle, l'histoire d'un passage. Elle n'a pas besoin de grossir le trait, de montrer l'homme Blanc détruisant la forêt, menaçant les Indiens. Cette ethnologue de formation préfère se mettre d'emblée du côté des Indiens et les montrer vivre...ou mourir. Et puis il y a le regard d'Eliane, la scientifique qui va dépasser ses limites et ses peurs pour accomplir le destin collectif des Mbyas. Enfin, il y a la forêt. Elle est partout, dense, oppressante. Avec sa lumière indirecte et ses couleurs changeantes.


Assez parlé du scénario. « La terre sans mal » n'est pas seulement une bonne histoire (même si on peut lui reprocher d'être parfois un peu lente). C'est surtout une grande BD. Et pour ça, il fallait un grand dessinateur. C'est Emmanuel Lepage qui a endossé la lourde responsabilité de mettre des images sur les mots de Anne Sibran. Il y est tellement bien parvenu que de nombreux amateurs de BD achèteront cet album après l'avoir feuilleté deux minutes chez leur libraire favori, sans même connaître l'histoire. Lepage s'est surpassé. Son travail plein de sensibilité m'avait beaucoup plu dans la série Névé (sur scénario de Dieter, Intégrale disponible et hautement recommandée chez Glénat !) Ici, pour la première fois en couleurs directes, il donne toute la mesure de son talent. On sent la documentation, bien sûr, mais jamais trop. On sent surtout des lumières, des ambiances et des personnages parfaitement maîtrisés. Lepage a choisi de n'encrer que les avant-plan, le reste est peint sur les crayonnés, ce qui donne lieu à des images superbes, dégradées, où l'aquarelle se délie pleinement. Les Indiens sont stupéfiants de beauté et de force. Et puis, il y a Eliane, cette héroïne magnifique, touchante, belle sans être un « prototype ». On ne referme pas « La terre sans mal » après l'avoir terminé, on le feuillette encore un peu. Pour prolonger le plaisir.
Bloody Manhattan (Miss) par Thierry Bellefroid
« Miss », tome Un : Bloody Manhattan, de Philippe Thirault, Marc Riou et Mark Vigouroux, paru aux Humanos.


Il n'y a pas de hasard. Quand vous prenez un auteur de polar pour faire de la série noire en BD, il arrive toujours dix coudées au-dessus des scénaristes de bande dessinée. Cette bonne vieille règle qui vaut par exemple pour Didier Daeninckx se vérifie dans le premier tome de « Miss ». Philippe Thirault, auteur de plusieurs romans au Serpent à Plume, place dans la bouche de ses personnages des dialogues coupés au couteau, trempés dans la poudre, burinés par la vie. Ca sent la métaphore de bas quartier, le malheur qui suinte de partout, la violence gratuite aux relents d'oseille. Les textes des récitatifs sont si imagés qu'ils créent en vous comme les images d'une autre BD, qui se superposeraient au dessin. Et le tout, avec un humour (forcément noir !) qui fait passer les actes les plus abjects et les moments les plus noirs pour du Gaston Lagaffe. Bon, c'est vrai, on s'esclaffe rarement. Mais combien de fois se surprend-on à sourire, étonnés par cette vitalité d'écriture ?

Nola et Slim ne sont pas des enfants de coeur. Bonnie & Clyde ne sont pas loin. Mais il y a une sorte de second degré, de retenue dans « Miss » qui désamorce tout et nous les rend sympathiques. Tout le contraire d'un « Polar extrême » (même éditeur), par exemple, où le but de Jodo était clairement d'aller aussi loin que possible dans la déliquescence, voire la scatologie, histoire de choquer un peu et de montrer au passage qu'il n'avait peur de rien. « Miss » n'a pas cette prétention. On serait tenté de dire que « Miss » n'a pas de prétention du tout. Si ce n'est celle de nous faire passer un bon moment et de nous accrocher pour ne nous lâcher qu'à la dernière image de l'album, déjà mûrs pour réserver un exemplaire du suivant chez notre libraire. D'autant que les duettistes Marc Riou et Mark Vigouroux ont développé le dessin idéal pour faire de tout ça une authentique BD noire...en couleurs !
« Koblenz », de Thierry Robin dans la collection « Conquistador » des éditions Delcourt.

Ceux qui ne connaissent de Thierry Robin que les quatre volumes magnifiques de « Rouge de Chine » (Delcourt) risquent d'être étonnés à la lecture de ce « Koblenz ». Au moins, les lecteurs de « La Teigne » (collection Tohu-Bohu, aux Humanos, un régal dans le genre de « La mouche » de Trondheim) ont-ils déjà eu l'occasion de se rendre compte d'une chose : Robin peut surgir là où on ne l'attend pas ! Et forcément, c'est le cas ici. Le dessin a évolué, la mise en page aussi, -plus sobre, même si elle ne résiste pas à l'éclatement et aux géométries variables. Pourtant, pas de doute, c'est du Robin de chez Robin. On reconnaît quelques tics, notamment ces nez en bec d'aigle et ces visages émaciés qui affublent la plupart des personnages. Mais c'est surtout dans le scénario, la démarche et le climat que l'auteur de « Rouge de Chine » surprend.

Soyons franc, toutes les clés de lecture ne sont pas livrées dans ce premier album. Thierry Robin a volontairement conservé des zones d'ombre, principalement en ce qui concerne la genèse et la personnalité de ses personnages principaux. Mais il a eu l'intelligence de nous livrer suffisamment d'éléments pour permettre la pleine compréhension de ce premier album tout en suscitant interrogations et curiosité chez le lecteur. Remplissons quelques blancs.

L'album laisse entendre que Koblenz voyage à travers le temps. On comprendra plus tard qu'il a un coeur de métal depuis un terrible accident et qu'il doit son savoir à un vieux maître du nom de Kodelà. On le retrouvera à Carthage, aux côtés du tsar Pierre de Russie ou à Prague. Partout où le mystère sera si épais que personne d'autre que lui ne pourra le percer. Clara, son assistante médium, reste plus encore dans l'ombre au terme de ce premier album. Koblenz l'a purement et simplement ressuscitée. Lorsqu'il l'a rencontrée, Clara Lemke était en effet le cadavre d'une femme noyée. Aujourd'hui, c'est la compagne de l'étrange savant.

Voilà pour les blancs à remplir. Mais « Le désespoir d'une ombre » n'est pas que le premier album d'une série. C'est surtout un album entier, qui se suffit à lui-même. Et rien que pour cela, Robin mérite le respect. Tant d'auteurs nous jouent la carte de la mise en place des personnages et font traîner leur intrigue pendant deux à trois albums (forcément, ça aide les ventes. Quand les lecteurs veulent absolument savoir où on les emmène, ils continuent d'acheter) !

Parlons un peu du climat dans lequel baignent les aventures de Koblenz. Première surprise, Robin le voyageur, qui se servait de ses pérégrinations pour alimenter ses scénarios, nous emmène cette fois dans une ville-usine imaginaire, propriété d'un certain Emil Friederich Wegener. On retrouve la passion des métaux en fusion qui agrémentait déjà les pages des « dragons » de Rouge de Chine. Mais autour, il y a ce décor sombre et industriel très réussi, tout à fait inattendu. Puis, il y a l'intrigue. Fantastique, avec cette pointe de drame social et psychologique. Robin le funambule, se trouve à cheval (c'est le cas de le dire, vous verrez quand vous aurez lu l'album) entre Zola, Edgar Poe et Stephen King. Enfin, il y a les personnages. Forts. Mystérieux. Qui n'ont pas encore tout livré.

Vous l'avez compris, ce premier « Koblenz » est prometteur !
Monstrueux Bazar par Thierry Bellefroid
« Monstrueux Bazar » de Lewis Trondheim, dans la collection Jeunesse des éditions Delcourt.

Pour un monstrueux bazar, c'est un monstrueux bazar ! Deux enfants un rien turbulents donnent malheureusement naissance à un méchant monstre de papier et c'est toute la vie de la maison qui bascule. A partir de cette idée très simple, Trondheim développe comme à son habitude un monde où l'imaginaire est roi. C'est un peu l'histoire qu'on aurait aimé lire quand on avait dix ans. Et, ne le cachons pas, le fait de ne plus avoir dix ans depuis fort longtemps n'empêche en rien de prendre plaisir à lire cette BD. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des ouvrages de cette collection « Delcourt Jeunesse » qui se distinguent de la production ambiante, tant par leurs qualités graphiques que scénaristiques.

Trondheim peut tout faire. Il le prouve sans cesse depuis des années et prouve en plus qu'il peut rester créatif et drôle sans cesser de produire. Chez Delcourt, il publie trois albums ce trimestre (dont deux en collaboration avec Sfar, c'est vrai) et aucun ne m'a déçu. Mais s'il en est un parmi les trois que j'ai envie de faire connaître, c'est bien ce « Monstrueux Bazar ». D'abord parce que l'histoire est très drôle (comme toujours). Ensuite parce que Trondheim propose un dessin et une mise en page qui collent parfaitement à ce qu'attendent les enfants, complétant ces arguments à travers des textes simples, efficaces et amusants. Bref, de la vraie bonne BD jeunesse, ce qui n'est ni courant, ni dans les habitudes de notre homme.

Voilà qui devait être dit.
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