Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Vieux fou ! (Vieux Fou) par Thierry Bellefroid
« Vieux fou ! » de Moynot et Dieter, dans la collection Sang-Froid des éditions Delcourt.


Le précédent opus du duo Moynot/Dieter, « Bonne fête Maman » (Casterman) était un modèle de noirceur. Récit en noir, blanc et lavis, il racontait comment un tueur en série tentait de se raccrocher à l'amour que lui inspirait une junkie qu'il voyait comme un ange. Rien à voir avec ce « Vieux fou » qui paraît quelques mois plus tard, chez un autre éditeur et en couleurs. Il faut dire que les hasards de la parution sont parfois étranges. Bonne Fête Maman a été dessiné il y a plus de deux ans par Moynot, mais pour des raisons de changement d'éditeur, n'est paru qu'à l'automne dernier, immédiatement suivi de « Pendant que tu dors mon amour », une autre histoire d'amour tragique réalisée pour Casterman par Moynot seul.

Revenons à ce « Vieux fou », paru dans l'excellente collection « Sang-Froid » des éditions Delcourt. (collection dans laquelle il n'y a rien à jeter et qui marche apparemment beaucoup mieux en Belgique qu'en France...avis aux amateurs de bons polars aux scénarios bien charpentés. N'hésitez pas à lire « Le pouvoir des Innocents » ou « L'esprit de Warren », par exemple, vous ne POUVEZ pas être déçus ! Fin de la parenthèse) L'histoire de ce vieil anarchiste qui kidnappe un gosse de riche pour assurer ses vieux jours et s'aperçoit après coup qu'il a enlevé le môme du caïd de la drogue de Barcelone m'a tout simplement touché. Le gamin et le vieux forment un magnifique duo et se choisissent véritablement. L'histoire n'est pas fondamentalement neuve, c'est vrai que des kidnappés et des kidnappeurs qui se lient d'amitié, ça s'est déjà vu, mais il y a ici une malice, une légèreté très agréables. La malice, on la retrouve d'ailleurs dans le regard de Javier, le vieux. Une belle gueule de petit vieux avec lunettes, béret basque, passé militant et idées loufoques en bandoulière. Rien à dire, s'il a posé quelques bombes pour le compte de l'ETA, c'était sûrement dans une autre vie. Dieter et Moynot nous l'ont rendu trop sympathique pour qu'on le soupçonne d'avoir jamais tué des gens...

Le gamin, c'est Joaquim. Uniforme de collégien, mais esprit frondeur, et pas con du tout. Il sent la possibilité de bien s'amuser et il ne s'en prive pas, entraînant Javier loin au-delà de ses petits projets de rente alimentaire. Le dessin de Moynot est plus clair que d'habitude, mais l'histoire s'y prête bien, c'est une histoire d'amitié franche et de maffieux caricaturaux. Pas besoin de zones d'ombres, de clair-obscur, de lavis. Et puis, il y a Barcelone, en toile de fond. Avec ses lumières et sa Sagrada Familia, ses ruelles et son téléphérique. Son téléphérique. Ca m'amène à vous parler de la fin de l'histoire, que je me garderai bien de dévoiler. Sachez seulement que ce n'est pas le point fort de ce récit. On a un peu l'impression que les auteurs ont choisi la facilité. Dommage, pour le reste, ce « Vieux fou ! » est un bel album.
Genèses apocalyptiques par Thierry Bellefroid
« Genèses apocalyptiques » de Lewis Trondheim, dans la collection Mimolette de L'Association.

Au départ, il n'y avait rien. Et puis, il y a eu Trondheim. Un jour, il faudra bien que quelqu'un le reconnaisse. Qu'on mette son nom dans le dictionnaire (pas celui de la BD, l'autre). Qu'on lui élève des monuments. Qu'on ouvre une école à son nom et qu'on enseigne son art.

Ces genèses apocalyptiques sont autant de petits contes caustiques sur l'humanité, servis par un dessin minimaliste dont Lewis Trondheim a le secret. Des personnages en forme d'oeuf avec deux pattes et deux bras stylisés, des décors inexistants, ou réduits à la plus simple expression. Y a pas à dire, si Trondheim faisait du cinéma, il ferait le bonheur des producteurs ! En attendant, il fait de la BD, pour notre pus grand plaisir. Quoique, on peut se demander si ces genèses apocalyptiques s'apparentent encore à la BD. Pas de phylactères, mais des cases surmontées d'une petite phrase, mises bout à bout pour former des histoires de deux à quatre pages. Et puis, on s'en fout, après tout, de savoir si oui ou non c'est encore de la BD ! Ce qui compte, c'est qu'on rit à la lecture de ces petits récits. On rit jaune. Parce que mine de rien, l'animal, il nous balance dans les gencives quelques vérités bien senties sur le monde, l'homme, dieu, la cupidité et j'en passe. Et c'est sans doute ce qui rend cet album (enfin, cet opuscule, plutôt) franchement indispensable.

Pas besoin d'en dire plus, sinon la lecture de ce billet vous prendra plus de temps que celle des « Genèses apocalyptiques »...
"Berceuse Assassine N°2 : Les jambes de Martha", de Philippe Tome et Ralph Meyer, aux éditions Dargaud.

On l'aura attendu longtemps, ce deuxième volume. Le temps d'oublier combien le premier était emballant. Alors, pour bien en profiter, j'ai d'abord relu « Le cœur de Telenko » avant de me jeter à corps perdu dans « Les jambes de Martha ». Et je n'ai pas été déçu. Bien sûr, certains vous diront que les deux albums tiendraient sans peine en quarante-six planches. Et pourtant, moi qui n'aime pas me faire balader dans des récits tirés en longueur, je m'aperçois que je viens de prendre plaisir à relire deux fois la même histoire ! Au bout de ce numéro deux, un seul élément neuf s'ajoute à ce que l'on savait déjà il y a deux ans. Un élément qui tient en deux cases, vingt secondes de l'histoire en temps réel. On peut trouver ça frustrant, gratuit, même. Moi, j'ai trouvé ça excellent.

Philippe Tome prouve qu'il est capable de jouer dans la cour des grands. Loin des épisodes parfois faciles et légers des Spirou et des Soda, il développe ici un sens de la mise en scène dramatique et donne une épaisseur magistrale à la haine qui tenaille ses personnages. Ce sont d'ailleurs ces personnages qui font tout l'attrait de « Berceuse assassine », puisque dans ce deuxième volet, on revit exactement les mêmes événements que dans le premier, vus cette fois sous l'angle de Martha plutôt que sous celui de Telenko.

Tome se rapproche depuis longtemps de cette histoire à travers ses autres séries, de plus en plus noires, de plus en plus proches du polar américain dans les décors et les découpages. On le sent toutefois gêné par les carcans éditoriaux ou historiques de ses personnages. Spirou et Soda sont et resteront des séries « Marcinelle », où aventure et humour se doivent d'être indissociables. Dans « Berceuse Assassine », Tome peut en revanche faire de la BD pour adultes. Et il s'en donne à cœur joie.

Et puis, il y a le dessin de Ralph Meyer. Un noir et blanc qui est plutôt un noir, sépia et jaune. Une vitalité surprenante. Des cadrages audacieux. Les problèmes de raccords entre les scènes identiques présentées dans le premier et dans le deuxième album sont pour ainsi dire inexistants ; beaucoup seraient tombés dans le piège, mais le sens de l'observation et la méticulosité de Ralph Meyer lui ont évité cet écueil. Enfin, il y a ces planches muettes, qui reposent sur la seule qualité du dessin et qui sont parmi les meilleures de l'album. Exemple : les planches 18 à 21, qui sont particulièrement réussies.

Bref, un très bon album. En attendant le troisième et dernier volet.
Eillen (Claymore) par Thierry Bellefroid
Claymore, tome 1 : Eillen, par Maryse Nouwens et Ersel, dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.


C'est leur premier opus commun, mais ils se connaissent bien. Ersel a repris le dessin des « Pionniers du Nouveau Monde », la série de Jean-François Charles, qui n'est autre que...le mari de Maryse Nouwens. Pour ceux qui l'ignoreraient, J-F Charles, s'il a abandonné le dessin des « Pionniers », continue à en assurer le scénario avec son épouse. Vous aurez compris comment celle-ci en est venue à se lancer dans l'aventure du scénario en solo avec Ersel.

Claymore, le nom de l'épée symbolique des grandes familles écossaises. L'Ecosse, peu avant 1730. Les clans -et même les membres d'un même clan, parfois- se déchirent sur une question cruciale : celle de l'allégeance ou non à la couronne d'Angleterre. Pour rappel, début dix-septième, cette couronne fut écossaise. Mais les Stuart ont été boutés hors du trône par les Anglais qui ont préféré aller chercher un roi sur le Continent. Voilà pour la trame historique. Mais Claymore s'annonce bien différente des habituelles histoires sur l'Histoire qu'on nous sert en BD. Claymore sera une histoire de femme. Et cette femme, Eillen, n'évoluera dans le contexte écossais que le temps de prendre corps. Trois albums, avant de quitter la verte Ecosse pour une folle course à travers le monde.

A lire le premier épisode de « Claymore », une chose est sûre : Maryse Nouwens était mûre pour ce métier. Sans rechercher des effets surprenants, elle raconte, découpe, tisse sa toile de personnages. Le contexte historique n'est pas trop pesant, didactique. Mais on sent le poids de la documentation, la volonté de ne pas négliger les réalités politiques et sociales de l'époque. Et puisqu'on parle des personnages, parlons d'emblée de l'héroïne, Eillen. Archibald Batherson l'échange contre son enfant mort-né, à l'insu de son épouse. Eillen n'est donc pas sa vraie fille, c'est une enfant abandonnée qu'il a trouvée chez une sorcière. Tous les ingrédients du fantastique sont déjà réunis dans cette naissance. Et Nouwens ne va pas se priver d'en user. Eillen ne sera pas tant une héroïne historique qu'une figure fantastique, une femme au destin hors-norme.

Le dessin d'Ersel, on le connaît déjà. Fidèle élève de Jean-François Charles, il ne s'éloigne guère du modèle des « Pionniers ». On pouvait espérer que, dégagé de tout héritage, il nous offrirait quelque chose de plus personnel. Ersel se sent manifestement à l'aise dans cette histoire et dans les décors écossais. Mais peut-être aurait-on pu souhaiter plus de paysages, de grands espaces. L'ensemble paraît un peu étriqué, bavard. Un défaut de jeunesse ?





Id'îles par Thierry Bellefroid
« Id'îles » de Ghorbani, aux éditions Paquet.

Il faut du courage pour acheter « Id'îles ». La couverture seule suffit à décourager l'acheteur. Sans compter les risques d'un coup d'œil à l'intérieur. Ghorbani aurait pu nous épargner ça ! Nous épargner quoi ? Ben, ces couleurs, tiens. Non mais quelle horreur ! Déjà que ses personnages -ils sont deux- sont d'une laideur assez aboutie. Mais avec les couleurs en plus, les sommets du kitsch ne sont pas loin...

Et pourtant, si vous entrez dans « Id'îles », vous allez découvrir une BD d'un humour féroce qui pourrait bien être une descendance des Bidochon. Un type a construit dans sa cave une réplique d'île déserte avec le kit complet : sable, poissons, cocotiers, murs peints aux couleurs de l'horizon, et j'en passe. Il invite une horrible mégère du nom de Cathy à dîner, puis l'emmène dans la cave et lui présente son havre de paix. Cathy ne tombe pas sous le charme, alors, Julien casse la clé. Les voilà enfermés. Huis-clos matrimonial sur fond de paysage de rêve artificiel. L'idée est excellente. Les dialogues ne le sont pas moins. Et l'action vire de la comédie à la tragédie sans qu'on s'éloigne jamais de l'humour. Un humour de plus en plus noir, grinçant. Mais quand on quitte la métaphore, la réalité n'est pas toujours bien loin. Ghorbani propose ici une variation sur le périlleux exercice de la vie conjugale, le respect de l'autre, la liberté. Lire « Id'îles » est donc un grand plaisir. Un plaisir salutaire, même. Et tant pis pour les couleurs !
« La pension du docteur Eon », de Cothias et Griffo, dans la collection « Signé » du Lombard.

Dire que j'avais adoré le premier tome serait excessif. J'y avais néanmoins apprécié un univers fascinant, celui de la folie, et des dialogues intéressants dans une ambiance délétère. Mais ça s'arrêtait là. Le premier volet de ce diptyque était lent. Et le tout début si académique qu'on avait presque envie de refermer le livre avant de lire la quatrième page. Bref, il y avait à boire et à manger dans ce « Vol au-dessus d'un nid de coucous » en BD. Mais globalement, j'avais aimé. D'autant que le dessin en couleur directe de Griffo était plutôt réussi.

J'ai donc abordé ce deuxième volume sans a priori, mais pas follement emballé. Les quarante premières pages m'ont semblé plaisantes, un peu bavardes, répétitives, surtout. C'est seulement à la page 50, lors de l'enterrement du géant omnivore Gulverburry que quelque chose m'a semblé devenir réellement intéressant. Il restait quinze pages, quinze sur un total de 128 ! Quelle que soit la fin, on pouvait déjà dire qu'elle ne rachèterait pas toutes les longueurs. Un peu comme ces excellents films américains dont on se demande pourquoi ils durent une heure de plus que nécessaire, si ce n'est pour « faire » vraiment œuvre.

Et puis, tout a basculé. Lecteur aveugle, je n'avais pas vu où Cothias m'entraînait. La fin du docteur Eon m'a donc cueilli par surprise, et comme rien n'est meilleur, je ne vais surtout pas vous priver de ce plaisir en vous livrant la clé de l'énigme. En refermant l'album, je me dis : bien sûr, il y avait une série de signes, j'aurais pu m'en douter. Mais finalement, ma naïveté m'a servi, elle m'a permis d'être surpris (ce qui est toujours agréable) au moment où je ne l'attendais plus. Comme dans « Le grand pouvoir du Chninkel », de Van Hamme, Cothias rejoint le mythe et retourne l'histoire sur elle-même pour lui donner du sens.

Que penser de tout ça ? Eon est-il d'un coup un album génial , effaçant les longueurs, les excusant même ? Non, Eon, est une histoire lente, belle, fantastique au sens littéraire du terme. Mais qui aurait aussi bien pu tenir en 64 planches. Quoi qu'il en soit, si vous avez accroché au premier tome, le deuxième ne pourra que vous plaire. C'est déjà ça.

Thérèse par Thierry Bellefroid
Thérèse, de Jean-Philippe Stassen, dans la collection Aire Libre, chez Dupuis.

Ceux qui aiment Stassen achèteront « Thérèse » les yeux fermés. Il n'y a pas de raison de bouder son plaisir. Et ceux qui ne le connaissent pas encore ou ne sont pas convaincus seraient bien inspirés de faire la même chose ! Ce « Thérèse » est un conte superbe sur la différence, le regard des autres, la naïveté et la méchanceté, la beauté et la laideur, l'Afrique et l'amour.

En s'entichant de Momo, Thérèse ne sait pas encore que sa vie va basculer. Elle est laide, grosse, tout le monde se moque d'elle. Mais elle va se découvrir un pouvoir, celui de matérialiser ses visions. C'est sans doute pour ça que Momo, jeune garçon sec et coupant comme le verre, va finir par la suivre. Pour ça, et pour l'argent aussi, cet argent qui ne cesse de filer entre les doigts des deux « amoureux ».

Départ pour l'Afrique.

L'Afrique. L'imprévu. Et surtout, les canons de la beauté qui s'évaporent. Plus le voyage avance vers d'improbables dénouements, plus Thérèse devient belle. Sa silhouette s'affine. Celle de Momo, méchant, buveur, égoïste, voire égocentrique, prend en revanche le tour inverse. Stassen semble prendre un malin plaisir à se venger de la noirceur de ce personnage, qu'il avoue être tout ce qu'il déteste en lui. Il l'enlaidit, et même, il le fait disparaître sans aucune pitié.

Il y a de la fausse naïveté dans cet album. De l'amour aussi. Plein d'amour. Du beau, du grand. Du grave. Il y a des personnages secondaires attachants, une héroïne qui embellit à vue d'oeil, une morale amorale, des gens qui sonnent juste dans une histoire qui est pourtant un conte. Le mélange produit un effet saisissant. On ne referme pas « Thérèse » sans se poser quelques questions. On ne referme pas « Thérèse » sans y repenser, de loin en loin, comme une histoire qu'on vous aurait racontée et qui vous aurait touché. En plein coeur.
Un drôle d'ange gardien, par Sandrine Revel et Denis-Pierre Filippi.

Oui, je sais, ce n'est pas précisément une nouveauté, puisque cet album est sorti au début de l'année. Mais il n'est jamais trop tard pour rattraper son retard...et parler d'un ouvrage in-dis-pen-sa-ble dans toute bibliothèque enfantine.

Un drôle d'ange gardien, c'est d'abord un dessin, magnifique. Celui de Sandrine Revel. Quelle sensibilité ! Les ambiances de toits parisiens sont rendues à l'économie. Les personnages sont craquants en diable (si j'ose dire). Le héros-diablotin ne ferait pas faire de cauchemars à un enfant de trois mois, tellement il est mignon. Et que dire de l'élue de son coeur, ange gardien(ne) de son état ? Quant aux couleurs, elles sont tout simplement parfaites.

Reste le scénario. En deux mots, une grande histoire d'amour contrariée entre un diablotin et l'ange gardien de deux enfants résidant à « l'Orphelinat des Soeurs Georges ». Pourquoi contrariée ? Parce qu'après l'avoir croisée, le diablotin, fou amoureux, ne sait comment revoir l'élue de son coeur. Ni une ni deux, il « colle » aux basques des deux enfants, espérant retrouver dans leur sillage l'ange gardien(ne) tant désiré(e). Marie et Jean sont l'objet de toutes ses attentions. Du coup, le moindre de leurs désirs est exaucé, bien au-delà de leurs souhaits. Car le diablotin amoureux n'est pas habitué à jouer les anges gardiens de réserve. Il est très gaffeur et manque souvent de mesure dans ses actions. Tout cela donne droit à des scènes amusantes, légères, poétiques aussi, qui ouvrent aux enfants les portes de l'imaginaire et de la féerie. Ce qui est beaucoup trop rare en BD pour être boudé !

Parents du monde, unissez-vous ! Faites un triomphe à cette BD magnifique et très peu (trop peu ?) promotionnée sous nos latitudes. Ruez-vous chez le libraire le plus proche, achetez « Un drôle d'ange gardien », vous ferez plaisir à vos enfants, et si vous avez gardé un coin d'enfance dans votre tête, vous craquerez vous-même à la lecture de cet album.
Jambon et Tartine (Merlin) par Thierry Bellefroid
Merlin, Tome Un : « Jambon et Tartine », de Sfar et Munuera, aux éditions Dargaud.

Coup de coeur. Il n'y a pas d'autres mots. Merlin m'a enchanté (elle est bonne celle-là). On savait déjà que Sfar pouvait être très drôle (voir les deux excellents tomes de « Donjon » parus chez Delcourt). On savait qu'il n'aimait rien mieux que les gnomes, farfadets, trolls, golems et autres monstres en tout genre. Voilà qu'il nous propose les aventures d'un gamin. Un bête gamin, comme vous et moi. Enfin, plus jeune. Un peu espiègle, pas trop doué pour la magie (ça viendra...) et plutôt rancunier (cette vilaine graine de princesse Viviane, il va lui apprendre à respecter les pauvres), Merlin l'Enchanteur en version « haut comme trois pommes », ça donne cette histoire pour enfants et pour adultes où tout est permis.

Il n'y a pas de bon héros sans faire-valoir, dirait Michel Greg. Appliquant la recette à la lettre, Sfar flanque deux excellents copains au jeune magicien en herbe : Jambon, un cochon qui parle (et alors, vous n'avez jamais vu ça ? Faut lire plus souvent des BD !) et Tartine, un ogre goinfre d'une stupidité absolument confondante. (Son QI -que l'éditeur prétend négatif- est de loin en-dessous de celui du sergent Chesterfield, c'est vous dire) A trois, nos amis partent à l'assaut du château de messire Noctiflore. Leur projet : kidnapper la méchante princesse Viviane et l'abandonner dans la forêt pour lui apprendre à vivre. S'en suivent des aventures totalement rocambolesques et pas du tout dénuées de poésie ! Le tout servi par le dessin de Munuera, 27 ans ce 21 avril (bon anniversaire), avec qui Sfar avait déjà commis « Les Potamoks » chez Delcourt. Rien à dire, Joann Sfar est en forme et ne cesse de le prouver en publiant sur tous les fronts et dans tous les genres. Pourvu que ça dure !
Spoon & White, dans la collection Humour Libre de Dupuis, par Yann, Jean et Simon Léturgie.

Humour Libre a connu des hauts et des bas. Enfin, surtout des bas en ce qui me concerne. La collection d'humour pour adultes de Dupuis m'a rarement fait rire. Moins rarement fait sourire. Souvent ennuyé. Et puis là, d'un coup, c'est le miracle. Sous la double plume de Yann et Jean Léturgie, deux flics bêtes et méchants comme la BD en manquait ! On mesure tout le génie que Al & Brock auraient pu développer sur un concept somme toute assez proche, mais tellement plus inspiré ici.

« La pire paire de flics de toute la BD » nous vend l'éditeur, qui aime les formules chocs. Eh bien, franchement, il ne nous ment pas. Ils sont bêtes. Ils sont méchants. Ils se détestent autant qu'ils se supportent. Se tirent dans les pattes tant qu'ils peuvent. Tout ça parce que l'un comme l'autre, ils ont complètement flashé sur Courtney Balconi (ça sent le Yann, un nom pareil...), reporter-vedette à BNN. Pour l'approcher, ils sont prêts à tout, y compris à s'attaquer seuls aux preneurs d'otages qui se sont emparés de l'hôtel où réside la jolie Courtney. Mickey Spoon et Donald White vont foutre un joyeux bordel (passez-moi l'expression) dans l'hôtel en question, court-circuitant au passage l'action de la police (la vraie, a-t-on envie de dire...), devenant la cible des troupes d'élite, le clou du cercueil de la Balconi et la risée de tous. Ajoutez à tout cela une secte qui s'est fixé rendez-vous à l'hôtel pour un suicide collectif et dont les membres se jettent par les fenêtres au grand dam des preneurs d'otages (pensez-vous, ces types-là mettent tellement de zèle à se tuer qu'il n'y a plus un otage en vie après quelques heures...)

Vous l'avez compris, Spoon & White vous emmènent dans un vrai délire, une joyeuse parodie qui rappelle « Les Innommables », en plus flic. Gentiment politiquement incorrect, Spoon & White doit aussi beaucoup au dessin très vif du fiston Léturgie, Simon. On aime et on en redemande.
Trois allumettes par Thierry Bellefroid
« Flag » et « Trois allumettes » dans la collection « Encrages » de Delcourt.

Manifestement, David Chauvel se sent bien chez Delcourt. Depuis le premier tome de « Rails », en 92, il y a publié plus de quinze albums ! Tous font partie de séries, dont trois sont à présent terminées (Rails, quatre albums couleur et une intégrale noir et blanc. Les Enragés, cinq albums dans la collection Sang Froid. Nuit Noire, trois albums et une intégrale couleur.) Tous, sauf ces deux nouveaux albums en noir et blanc, parus dans la collection Encrages. Une envie de changement...ou une sorte d'aboutissement ?

Je serais tenté de dire que ces deux albums sont une suite logique aux derniers travaux de Chauvel. Spécialiste des « road-movies » à l'américaine, il nous a toujours baladé dans des courses poursuites haletantes tout en tentant de brosser au passage des portraits de héros ni vraiment noirs ni tout à fait blancs. « Les Enragés » constituent à ce jour sa plus belle réussite, les cinq albums racontant une folle cavale de sept jours à travers les Etats-Unis. Et puis, il y a eu « Le Poisson-clown », en 97, qui reprenait le même type d'ingrédients mais sur un mode narratif plus élaboré et enfin le très réussi « Ring Circus » avec Cyril Pedrosa, l'an dernier. Chauvel ne cachait plus ses velléités d'écriture. Il montrait son intérêt pour la psychologie des personnages, plus que pour la mécanique du récit. On ne peut que s'en réjouir, même si l'on doute qu'il arrive un jour à égaler Luc Brunschwig, également scénariste chez Delcourt, et maître absolu du genre avec deux de ses séries : « Le Pouvoir des Innocents » et « L'esprit de Warren » (collection Sang Froid, à lire absolument, si vous ne connaissez pas encore) Dans la droite ligne de ses nouvelles aspirations, David Chauvel propose donc deux albums entièrement consacrés à la psychologie de ses personnages : « Flag » et « Trois allumettes ». Deux ouvrages complémentaires, les deux facettes d'une même volonté scénaristique.

Dans « Flag », Chauvel retrouve Le Saëc (Les Enragés) qui n'aime rien mieux que le dessin brut, rapide, peu encombré de décors. Le noir et blanc lui va à ravir, mais sa paresse naturelle pousse parfois le dessinateur breton au minimalisme (un petit effort sur les voitures, entre autres, ne serait pas négligeable...) La narration est le vrai héros de l'histoire. Le lecteur est balancé entre les derniers moments qui précèdent une fusillade (« Jeudi, deux heures avant la fusillade », « Jeudi, quinze minutes avant la fusillade », etc...) et les vingt deux mois qui précèdent. L'occasion de mettre en place les acteurs qui vont se retrouver face à face au moment fatal et de leur inventer une relation. L'envie n'est plus de montrer comment des enchaînements d'éléments peuvent déteindre sur les héros, mais de raconter comment des héros peuvent être amenés à poser certains actes en raison de leur passé et de leur profil psychologique. C'est réussi, même si ça reste encore un peu superficiel et académique.

Autre dessinateur pour « Trois allumettes ». Hervé Boivin a vingt-cinq ans et signe ici son premier opus. Un dessin très influencé par le Rabaté d'avant Ibicus, par Blutch aussi, et par moments, proche de ce que fait Edmond Baudoin. Bref, un noir et blanc tranchant, anguleux, qui doit encore trouver sa propre personnalité, mais déjà efficace. Ici encore, Chauvel se plaît à bousculer les principes habituels de la narration. Deux femmes, l'une jeune, l'autre moins, vont tout abandonner et devenir braqueuses à la petite semaine. Pourquoi ? L'une et l'autre racontent, se racontent, brouillent les pistes, lèvent un coin du voile. Et pendant ce temps, un troisième personnage, flic étrange apparemment névrosé, remonte la piste tout en laissant apparaître ses propres fragilités. Il n'est pas facile d'entrer dans cet album. Notamment, parce qu'il se compose de fragments épars, sorte de kaléïdoscope narratif qui ne se laisse apprécier qu'avec une vue d'ensemble. Mais « Trois allumettes » est certainement le plus abouti des scénarios de David Chauvel. Et sans conteste le plus réussi dans sa recherche d'histoires plus intimistes, de héros plus fouillés. Il y a quelque chose de « Thelma et Louise » dans « Trois allumettes ». Mais curieusement, le scénariste spécialiste du « road-movie » se distingue du film en offrant plutôt une histoire immobile, en miroir, à la recherche des identités de ses protagonistes. C'est tout à fait réussi. Et on espère que pour Chauvel, ce n'est qu'un début.


Flag par Thierry Bellefroid
« Flag » et « Trois allumettes » dans la collection « Encrages » de Delcourt.

Manifestement, David Chauvel se sent bien chez Delcourt. Depuis le premier tome de « Rails », en 92, il y a publié plus de quinze albums ! Tous font partie de séries, dont trois sont à présent terminées (Rails, quatre albums couleur et une intégrale noir et blanc. Les Enragés, cinq albums dans la collection Sang Froid. Nuit Noire, trois albums et une intégrale couleur.) Tous, sauf ces deux nouveaux albums en noir et blanc, parus dans la collection Encrages. Une envie de changement...ou une sorte d'aboutissement ?

Je serais tenté de dire que ces deux albums sont une suite logique aux derniers travaux de Chauvel. Spécialiste des « road-movies » à l'américaine, il nous a toujours baladé dans des courses poursuites haletantes tout en tentant de brosser au passage des portraits de héros ni vraiment noirs ni tout à fait blancs. « Les Enragés » constituent à ce jour sa plus belle réussite, les cinq albums racontant une folle cavale de sept jours à travers les Etats-Unis. Et puis, il y a eu « Le Poisson-clown », en 97, qui reprenait le même type d'ingrédients mais sur un mode narratif plus élaboré et enfin le très réussi « Ring Circus » avec Cyril Pedrosa, l'an dernier. Chauvel ne cachait plus ses velléités d'écriture. Il montrait son intérêt pour la psychologie des personnages, plus que pour la mécanique du récit. On ne peut que s'en réjouir, même si l'on doute qu'il arrive un jour à égaler Luc Brunschwig, également scénariste chez Delcourt, et maître absolu du genre avec deux de ses séries : « Le Pouvoir des Innocents » et « L'esprit de Warren » (collection Sang Froid, à lire absolument, si vous ne connaissez pas encore) Dans la droite ligne de ses nouvelles aspirations, David Chauvel propose donc deux albums entièrement consacrés à la psychologie de ses personnages : « Flag » et « Trois allumettes ». Deux ouvrages complémentaires, les deux facettes d'une même volonté scénaristique.

Dans « Flag », Chauvel retrouve Le Saëc (Les Enragés) qui n'aime rien mieux que le dessin brut, rapide, peu encombré de décors. Le noir et blanc lui va à ravir, mais sa paresse naturelle pousse parfois le dessinateur breton au minimalisme (un petit effort sur les voitures, entre autres, ne serait pas négligeable...) La narration est le vrai héros de l'histoire. Le lecteur est balancé entre les derniers moments qui précèdent une fusillade (« Jeudi, deux heures avant la fusillade », « Jeudi, quinze minutes avant la fusillade », etc...) et les vingt deux mois qui précèdent. L'occasion de mettre en place les acteurs qui vont se retrouver face à face au moment fatal et de leur inventer une relation. L'envie n'est plus de montrer comment des enchaînements d'éléments peuvent déteindre sur les héros, mais de raconter comment des héros peuvent être amenés à poser certains actes en raison de leur passé et de leur profil psychologique. C'est réussi, même si ça reste encore un peu superficiel et académique.

Autre dessinateur pour « Trois allumettes ». Hervé Boivin a vingt-cinq ans et signe ici son premier opus. Un dessin très influencé par le Rabaté d'avant Ibicus, par Blutch aussi, et par moments, proche de ce que fait Edmond Baudoin. Bref, un noir et blanc tranchant, anguleux, qui doit encore trouver sa propre personnalité, mais déjà efficace. Ici encore, Chauvel se plaît à bousculer les principes habituels de la narration. Deux femmes, l'une jeune, l'autre moins, vont tout abandonner et devenir braqueuses à la petite semaine. Pourquoi ? L'une et l'autre racontent, se racontent, brouillent les pistes, lèvent un coin du voile. Et pendant ce temps, un troisième personnage, flic étrange apparemment névrosé, remonte la piste tout en laissant apparaître ses propres fragilités. Il n'est pas facile d'entrer dans cet album. Notamment, parce qu'il se compose de fragments épars, sorte de kaléïdoscope narratif qui ne se laisse apprécier qu'avec une vue d'ensemble. Mais « Trois allumettes » est certainement le plus abouti des scénarios de David Chauvel. Et sans conteste le plus réussi dans sa recherche d'histoires plus intimistes, de héros plus fouillés. Il y a quelque chose de « Thelma et Louise » dans « Trois allumettes ». Mais curieusement, le scénariste spécialiste du « road-movie » se distingue du film en offrant plutôt une histoire immobile, en miroir, à la recherche des identités de ses protagonistes. C'est tout à fait réussi. Et on espère que pour Chauvel, ce n'est qu'un début.


Paquebot (Long courrier) par Thierry Bellefroid
« Paquebot », de Christin et Goetzinger, dans la collection Long Courrier de Dargaud.

On a eu chaud. Partie en fanfare au printemps 96, la collection Long Courrier avait tout l'air d'avoir été remisée au placard par Dargaud. Souvenez-vous. Il y avait d'abord eu « Il faut y croire pour le voir », du regretté Jean-Claude Forest. « Marée basse », un Gibrat qui annonçait l'évolution graphique développé avec brio depuis dans « Le sursis », chez Dupuis. « La sultane blanche » des mêmes Christin-Goetzinger. « La saison des anguilles », de Lapière et Bailly -deux des trois créateurs du très beau « Ludo » de Dupuis. « Le constat », première « grande » oeuvre de Davodeau (qui n'a pas démérité depuis)... Puis le rythme avait faibli, avant de carrément stopper. Les deux derniers albums, « Northreed project » et « Extrême frontière », datent tous deux de...septembre 1997 ! Voilà que Long Courrier renaît de ses cendres, avec « Ascension », le très bel album de Séraphine (qui constitue la preuve qu'on peut faire de belles couleurs à l'ordinateur ! J'ai cru, comme beaucoup d'autres, voir de la gouache là où l'informatique remplaçait le pinceau...) et ce « Paquebot » qui nous occupe aujourd'hui.

Le tandem Christin-Goetzinger n'est pas neuf, loin de là. Bientôt vingt ans que le scénariste de Valérian développe avec Annie Goetzinger des histoires qui correspondent à sa « fibre féminine », comme il dit. La dernière en date, « La sultane blanche », parue il y a trois ans dans la même collection, était sans doute l'une des plus réussies. Il y avait donc des risques de faire moins bien, d'autant que les récents scénarios de Pierre Christin ne sont pas les plus emballants dans sa longue carrière.

Alors, ce « Paquebot » : réussi ? Oui, incontestablement. Et malgré un sentiment de gêne à l'idée d'une récupération « bédéesque » du phénomène Titanic (farouchement niée par les auteurs qui affirment avoir mis leur oeuvre en chantier bien avant la sortie du film). « Paquebot » est une belle histoire. Ou plutôt, une bonne histoire. Le scénario est bien ficelé, l'ambiance de ces années d'immédiat après-guerre très différente de celle du film de Cameron, l'intrigue policière et la trame historique crédibles, les personnages admirablement décrits.

Les premières pages passées, l'ambiance surannée de ce paquebot de luxe chargé de rouvrir la liaison entre la France et l'Extrême-Orient vous emporte et ne vous lâche plus. Le dessin de Goetzinger, un rien glacé, toujours rigoureux, souvent lumineux (trop ? diront ses détracteurs, qui lui reprocheront d'abuser du blanc dans presque chaque case) complète admirablement une galerie de portraits imaginée par un Christin au mieux de sa forme. Il faut dire que cette histoire renoue avec tous les ingrédients fétiches du scénariste : la France, l'histoire, la politique, les relations souvent troubles entre individus de classe, d'idéaux ou de sexe opposés.

Le soin tout particulier apporté à ce que j'appellerais la scénographie de cette histoire (le plan du paquebot, pièce maîtresse de l'intrigue, fourni au lecteur sous une forme originale et intégré à l'histoire, l'« ébru » utilisé sur les rabats de ce plan et pour les pages de garde, réalisé -nous disent les auteurs- par un quincaillier d'Istambul dans les années soixante...) font de cet album la sortie attendue dans une collection trop longtemps restée en sommeil. On espère ne plus attendre aussi longtemps ans avant les prochains « Long Courrier » !
« Pourquoi Pete Duel s'est-il suicidé ? », de Kalesniko, aux éditions Paquet.

Pourquoi Pete Duel s'est-il suicidé ? Voilà une question qu'elle est bonne...ne comptez pas sur moi pour y répondre. D'abord, parce que Kalesniko n'y répond pas dans cet album. Ensuite, parce que -entre nous-on s'en fout complètement ! Sous ce titre intriguant se cachent quelques courtes histoires dessinées à la plume par cet auteur américain (inconnu sous nos latitudes) que Pierre Paquet est allé dénicher sur place, en anglais dans le texte, avant de le traduire et de le publier en français. Kalesniko nous propose quelques instantanés de la vie d'un jeune garçon à la tronche de cocker, Alex Kalienka. Des histoires fondamentalement banales dont l'intérêt réside dans le découpage et le mouvement.

Le découpage, d'abord. Il est totalement maîtrisé par Kalesniko qui nous offre une vision de la BD aussi proche qu'elle peut l'être du cinéma. Les trois pages d'ouverture (qui font faussement croire qu'on va bel et bien s'intéresser au suicide de Pete Duel) sont un régal. Les planches sont découpées en longues lanières verticales (façon Andréas) qui correspondent parfaitement à la transposition cinématographique de la marche du sujet. Plus loin, dans le chapitre intitulé « Le pinceau », ou dans « Ralph », Kalesniko atteint une sorte de perfection. Et tout cela avec un dessin minimaliste, qui se contente d'éléments minima (forcément, puisque « minimaliste »...vous suivez ?) pour brosser décors et personnages. Ca donne des gens assez laids, aux traits difformes, mais là n'est pas l'important.

Le mouvement, ensuite. C'est ici qu'on peut franchement parler de génie. Il faut absolument s'attarder sur les deux dernières planches de « L'araignée de pluie » ou sur les quatre de « La leçon de vélo ». Le dessin d'animation n'est pas loin. On retrouve la même vitalité (dans un tout autre genre, bien sûr) que dans le dessin de Bruno Maïorana, par exemple (Garulfo, chez Delcourt). Cela seul vaut de plonger dans cet album léger, drôle et tout à fait original de Kalesniko. Un Kalesniko qui n'est jamais aussi bon que dans les planches muettes où il donne toute la mesure de son talent de « réalisateur BD ». Les deux planches de « Rires », l'avant-dernier chapitre, vous en convaincront.

Reste à trouver cet album. Je ne peux que vous recommander les libraires spécialisés. Vous avez peu de chances, en effet, de trouver les ouvrages du petit éditeur suisse en supermarché !
Déblokeries à la crème anglaise, par Florence Cestac, Chez Dargaud.

Florence Cestac ressemble à ses personnages. Rouge à lèvres vif qui déborde un peu, sourire malicieux, yeux pétillants, elle n'incarne pas précisément l'image qu'on se fait des dessinatrices de BD. Car Florence Cestac est l'une de ces rares femmes à oser exercer ce métier largement « trusté » par les hommes. Avec Nathalie Roques (complice de Dupuy et Berberian dans « Henriette » aux côtés de Anne Rozenblat), elle a créé la famille Déblok en 1989 dan le Journal de Mickey. Et depuis, Cestac empile les gags...et les albums, avec un bonheur presque égal.

Gros nez. L'expression généralement employée pour décrire le dessin d'humour n'a jamais si bien porté son nom. Cestac fait du gros nez. Cestac dessine une famille de laids pas toujours très malins, mais toujours sympathiques, touchants, parfois. Car derrière le dessin « épais », derrière la caricature facile, il y a cette touche féminine dans l'humour. Exemple, au début de cet album, le mari Déblok qui tente de concurrencer le G.O. du Club et que sa femme finit toujours par regarder en prononçant ces mots : la honte ! Gros nez, donc. Gros nez et classicisme. Les gags sont presque toujours découpés selon le « gaufrier » parfait : six cases de grosseur égale, puis, au choix, deux ou trois cases pour la chute. Et ces petits commentaires fléchés « façon Cubitus » qui ajoutent souvent une touche d'humour décalé.

Cestac aime décliner. Elle nous a déjà fait le coup de l'arrivée du chat sans poil (et extra-terrestre), des vacances en caravane, du gros lot du Lotto. Cette fois, elle repart en vacances, au club, pour quelques gags, puis elle s'attache au jeune George, un Anglais aux cheveux vert fluo qui vient pour un programme d'échange chez les Déblok. Elle enchaîne avec quelques planches sur Gégé, sympathique fantôme domestique, avant de terminer sur le thème de la rentrée scolaire. Comme chaque fois, l'album peut se lire comme une suite de gags liés les uns aux autres. Mais le lecteur qui débarque dans le Journal de Mickey appréciera, sans les références des semaines précédentes. Vous l'aurez compris, si vous passez outre le dessin volontairement pataud de Florence Cestac, vous découvrirez un univers inattendu. Même si cet album est en-dessous du niveau du précédent, c'est toujours un plaisir de retrouver la famille Déblok.

Pour ceux qui accrocheraient mais trouveraient tout ceci un rien trop puéril, je ne pourrais que conseiller la lecture du « Démon de Midi », également paru chez Dargaud. En se libérant des Déblok -sa famille fétiche-, Cestac y étale une causticité gentiment féministe qui remettra les idées en place à pas mal d'hommes proches de la quarantaine.

Véro par Thierry Bellefroid
..« Véro », par Edmond Baudoin, dans la collection « Histoires graphiques » des éditions Autrement.

Dans une autre vie, peut-être, je serai un apôtre exclusif de Baudoin. Je prêcherai inlassablement sa parole et convertirai les foules à son art. Pourquoi ? Parce qu'à 57 ans, cet artiste complet fait de la BD pour dire les choses qu'il a sur le coeur. Sans concession. Edmond Baudoin a un talent fou. Et j'ai envie de dire...tout le monde s'en fout ! Lui aussi, peut-être, car le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne court pas après la reconnaissance commerciale. Deux récompenses à Angoulême (92 et 97) n'y ont rien changé, ce surdoué reste trop largement méconnu.

Je viens de terminer « Véro » et une fois de plus, Baudoin m'a ému, remué, interpellé. Ce n'est pas si courant en BD. Cette histoire de banlieue comme il existe cent autres histoires de banlieues (à lire : « Bonne Année, de Baru, chez Casterman ou « Mat », du même Baudoin, au Seuil) est un véritable cri. Le cri d'un homme libre, qui a cherché dans l'art comment faire taire ses blessures, apaiser ses révoltes. Ecorché vif, mais aussi capable du plus simple émerveillement, Edmond Baudoin dresse un constat en forme d'échec de la jeunesse des banlieues pour aussitôt jeter les pistes d'une autre histoire, qui parlerait d'espoir. Et d'amour. Parce qu'il sait que sa vision est douloureusement juste. Parce qu'il sait aussi que sans l'espoir et l'amour, rien ne vaut d'être raconté. C'est tout ça, Véro. Et c'est surtout un récit intimiste qui se veut en même temps une parabole sociale tout en jouant sur cet onirisme graphique que personne ne maîtrise mieux que lui.

Et puis, il y a le trait. A la plume ou au pinceau, Baudoin, c'est toujours la naïveté alliée à la perfection. J'avoue préférer le pinceau (il faut avoir lu « Le voyage », à L'Association, « Mat » ou « Le chemin aux oiseaux » au Seuil pour découvrir l'incroyable maturité de ce dessin qui s'exprime dans la stylisation la plus épurée) mais la plume permet parfois de mieux coller au récit. C'est le cas ici, où Edmond Baudoin raconte, comme Mattoti dans l'excellent et indispensable « Stigmates » (Seuil), à travers un mélange de lignes noires où les superpositions vont bon train. La couverture à elle seule résume le pouvoir d'évocation de ces traits, hachurés, griffonnés, accouchés sur le papier. Le passage de ces ambiances d'une noirceur sans égale aux « paysages beaux comme la liberté » n'en est que plus fort.

Il existe peu d'auteurs proches de la soixantaine qui ont encore une telle rage de dire les choses, une telle sincérité...et une si touchante simplicité. Voilà pourquoi il est urgent de découvrir Baudoin.
Un temps de Toussaint par Thierry Bellefroid
Je viens de lire...


Je viens de lire... « Un temps de Toussaint », par Pascal Rabaté et Angelo Zamparutti. Bon, c'est vrai, je ne suis pas tout à fait objectif quand j'aborde une BD de Rabaté. Ce type a un talent fou et il est temps qu'on le reconnaisse. Si vous n'avez pas encore lu « Un ver dans le fruit » ou « Ibicus », commencez par là. Vous ne serez pas déçu. Pourtant, ce « Temps de Toussaint » ressemble plus à ses premiers récits (réédités par Vents d'Ouest sous forme d'intégrale en ce mois de mars. Amusant quand on pense que cet éditeur a fait la fine bouche avant d'accepter de publier le sublime « Ibicus » aujourd'hui plébiscité par l'ensemble de la profession !). Zamparutti, avec qui le dessinateur angevin a déjà travaillé, lui a ciselé un petit bijou de scénario qui rappelle les caustiques portraits de beaufs des « pieds dedans ».

Mention spéciale pour le personnage d'idiot du village, surnommé « Ni les chiffres ni les lettres », qui est aussi simplet qu'on peut l'être. Les autres ne sont pas mal non plus. On se croirait dans un Striptease, vous savez, cette émission décapante de France 3 et de la RTBF. « Un Temps de Toussaint » , c'est une galerie de portraits tels qu'en eux-mêmes. Pas d'effet grossissant, la réalité est suffisamment parlante. En clair : les Groseille ont leur BD. Et on s'en réjouit , car cette ironie, cet instantané finement observé, ce polaroïd social, c'est tout ce qui manque à 89% de la BD actuelle.

Un mot encore sur l'option artistique retenue par Pascal Rabaté depuis « Ibicus ». Aucun doute, il savait déjà dessiner avant. Elève en gravure, il avait déjà intégré depuis longtemps toute la richesse du noir et blanc. Mais le passage au pinceau lui a franchement réussi. « Un temps de Toussaint » est en effet dessiné comme « Ibicus », directement, en peignant en noir et blanc sans crayonné. La différence avec Ibicus réside surtout dans les cadrages. L'histoire ne nécessitant pas de référence au cinéma russe des années trente, « Un temps de Toussaint » est dessiné sans le recours aux grand angle, fisheye et autres signatures de l'époque. Le portrait n'en est que plus saisissant.

« Un temps de Toussaint » est paru dans la collection de fascicules « Feu » (N°7, en l'occurrence) de l'éditeur Amok. Vous le trouverez chez les libraires spécialisés.
Je referme l'album et je ferme les yeux. Que me reste-t-il de ce que je viens de lire ? Ce ne sont ni les personnages ni l'histoire qui m'ont impressionné. Ce sont les couleurs. En cela, « L'ombre d'un homme » est une vraie réussite. François Schuiten a prouvé qu'il maîtrisait totalement ce domaine, jusqu'ici sous-exploité dans son oeuvre. Du coup, les Cités Obscures pourraient difficilement plus mal porter leur nom. La série, qui compte quelques albums mythiques comme « Les murailles de Samaris », « La fièvre d'Urbicande » ou « La Tour », n'a en effet jamais été si tournée...vers la lumière. Premier ouvrage en couleurs directes, « L'ombre d'un homme » marque-t-il pour autant une révolution dans l'oeuvre des deux compères ? Oui et non.

Oui, parce qu'il y a chez eux une volonté de plus en plus affirmée de casser l'étiquette d'architectes de la BD qui leur colle à la peau. Exit, donc, les histoires dictées par les structures sociales ou politiques de cités imaginaires. Place à l'humain, aux personnages, aux sentiments. Une première tentative avait déjà vu le jour avec « L'Enfant penchée » et « Mary la penchée ». Mais cette fois, il convenait d'aller plus loin, de montrer aux lecteurs qu'on se remettait en question. L'angoisse existentielle des deux auteurs est donc le vrai point de départ de cette histoire. Et ce n'est sans doute pas un hasard si Albert Chamisso, le personnage principal de « L'Ombre d'un homme », a les traits de Benoît Peeters. Dans cette quête frénétique de reconnaissance en tant qu'auteurs de la comédie humaine, Schuiten et Peeters ont voulu mettre tous les atouts dans leur jeu. Nul narcissisme là derrière, seulement une volonté de coller au plus près à la « texture » humaine.

Tout ça c'est bien joli, mais est-ce réussi ? La réponse appartient au lecteur. C'est lui qui, en définitive, appréciera...ou rejettera. Pour ma part, je retiens de cette nouvelle expérience la ténacité et le courage de deux auteurs qui ne veulent pas s'auto-parodier et ne cessent de chercher de nouvelles voies. En revanche, on a l'impression en lisant cet album qu'il est presque contre-nature. On sent que François Schuiten se fait mal pour minimiser les décors, qu'il ne s'amuse jamais autant que lorsqu'il peut laisser libre cours à son imagination « urbanistique ». Et les personnages, pour important qu'ils soient, restent trop souvent froids, distants, désincarnés. Schuiten et Peeters ne seront jamais des auteurs « intimistes ». Cela n'empêche, « L'ombre d'un homme » est une belle métaphore et trouve sa place dans une série en constante évolution. Ce qui, au regard de certaines autres (la plupart, même) est déjà rare.

Benito Mambo par Thierry Bellefroid
Je viens de lire « Benito Mambo », dans la collection Tohu Bohu des Humanos. Un régal .

Christian Durieux n'avait jusqu'ici pas vraiment accroché mon regard. Dessinateur « besogneux », pour Dufaux d'abord (Avel, une bonne série un peu méconnue dans la production abondante de Jean Dufaux, 4 tomes chez Glénat, collection Grafica ), pour Delisse ensuite (Foudre, nettement plus dispensable, 5 tomes au Lombard), Durieux n'avait pas encore eu l'occasion de montrer ce qu'il avait dans le ventre et louchait dangereusement du côté de ses aînés, Renaud entre autres. Le voilà qui trouve d'un coup un style de dessin. Il s'improvise scénariste dans le même temps avec beaucoup de bonheur.

Je ne vais pas vous raconter Benito Mambo. Il y a suffisamment de sites pour ça (entre autres, celui des Humanos, qui mérite une petite visite régulière...) et rien ne vaut une lecture « vierge » de l'histoire. Mais je voudrais vous partager mon enthousiasme devant cette BD au style naïf et enfantin qui m'a fait penser ... au « Petit Prince » de St Ex. Oui, je sais, rien n'égalera jamais ce chef d'oeuvre (surtout pas la commande sur St Ex « exécutée » (le mot n'est pas trop fort) par Pratt peu avant sa mort). Mais Benito Mambo dégage la même innocence communicative que « Le petit Prince », une sorte de poésie innée, sans limite. Tout y est possible. On rêve, quoi. Et on retrouve une part d'enfance, jusque dans le dessin, épuré, débarrassé de ses influences, de ses obligations de professionnalisme. Durieux est un grand enfant et ne manque pas d'humour. Preuve en sont les deux personnages qui ont nom Tohu et Bohu, clin d'oeil habile au nom de la collection qui, depuis sa création l'an dernier, s'enorgueillit de quelques belles réussites. Ne ratez pas celle-ci.
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