Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« La ligue des gentlemen extraordinaires », l'intégrale, par Alan Moore et Kevin O'Neill. Editions USA.

Lire l'intégrale de la « Ligue », c'est plonger dans un monde fantasque et fantastique qui semble ne pas connaître de limites. Pour Alan Moore, cet exercice mi-ludique mi-parodique est une occasion supplémentaire de prouver qu'il est l'un des plus (ou le plus ?) grand(s) scénariste(s) vivant(s) en bande dessinée. Il offre en outre à Kevin O'Neill l'occasion de montrer l'étendue d'un talent virevoltant qui s'exprime tout au long de ces 144 pages. Hommage à Jules Vernes, « La ligue » exalte nos récits de jeunesse et ceux de nos pères (voire des pères de nos pères) pour les transcender et donner une vie nouvelle aux mythes. Unis à la manière d'un gang de super héros américains, le capitaine Nemo, Docteur Jekyll, Alan Quatermain, l'Homme Invisible et la mystérieuse Whilhelmina Murray travaillent pour le compte d'un Monsieur Bond lui-même aux ordres d'un Monsieur « M » dont les motivations et le passé ne se découvrent qu'au-delà du cinquième chapitre. Une galerie de portraits décoiffante qui joue avec l'image de ces célébrités et oscille sans cesse entre les références et l'invention pure.

Le cadre de ces aventures fantastiques est Londres. Mais comme les acteurs de cette étrange comédie, la ville est revue à la sauce Moore. On est loin ici du Londres de « From Hell », le chef d'oeuvre absolu de Moore récemment porté au grand écran et paru en français chez Delcourt il y a deux ans. Dans cette fresque presque historiquement obsessionnelle retraçant le parcours de Jack L'Eventreur, la ville victorienne plongée dans le brouillard était une sorte de cliché. Dans « La ligue », elle est au contraire rêvée, reconstruite par l'imagination de Kevin O'Neill, réinventée comme un décor de carton-pâte destiné à mieux encore souligner l'aspect fantastique et irréel du récit. Tout cela témoigne à la fois d'une maîtrise et d'une inventivité que peu d'auteurs peuvent afficher aujourd'hui.
La saveur du Songrong (Jonathan) par Thierry Bellefroid
« La saveur du songrong », tome 13 de la série Jonathan. Par Cosey. Au Lombard.

Douce-amère, la saveur de ce songrong (qui, pour les incultes dans mon genre, est donc un champignon, ndla). Douce-amère parce que Cosey renoue à la fois avec la vocation politique de son personnage-fétiche et avec un côté romanesque qui était peut-être trop absent du précédent album.

Après onze ans d'absence, le retour de Jonathan, il y a quatre ans, avait en effet marqué un tournant dans la série. Plus sensible que jamais au drame de la population tibétaine, Cosey avait envie de profiter de son héros pour faire passer un message, attirer l'attention sur le génocide entrepris il y a plus de cinquante ans par les autorités chinoises. Noble intention, piètre résultat. Trop premier degré, l'album résonnait comme une thèse à charge, une conférence de presse d'Amnesty mise en images (bon, j'exagère un peu, mais c'est pour me faire comprendre...) Et voilà que la suite directe de cette histoire renoue avec la magie de cette série culte des années 80. Tout y est : le message politique et philosophique, mais aussi la fragilité des protagonistes, la nuance dans le choix des personnages secondaires, l'amour et l'exotisme, la pédagogie et la création artistique. Un album complet, complexe, qui ne se laisse apprivoiser qu'avec lenteur et délectation.

« Les livres brûlent. Ils ne meurent jamais ». Sur cette phrase qui résonne comme un hommage à l'écriture, Cosey a construit un récit d'une grande intelligence et d'une tout aussi grande sensibilité. Jonathan, acteur de l'Histoire malgré lui, y apparaît tel qu'on l'aimait il y a une vingtaine d'années. Le contexte tibétain est exploité avec beaucoup de justesse et de rigueur. Le clin d'oeil aux minorités, les personnages magnifiques de la vieille Naxi ou de H.P. (en référence tant à Hugo Pratt qu'à l'auteur de « 7 ans au Tibet », adapté au grand écran par Jean-Jacques Annaud) constituent l'indéniable supplément d'âme de cet album splendide.

Et puis, il y a ces petits riens, ces lumières et ces couleurs captées sur place et restituées avec un talent qu'on ne présente plus, ces quelques habitudes alimentaires ou matriarcales que Cosey a su, comme jadis, intégrer à son scénario sans en faire des ingrédients incongrus ou simplement journalistiques. Sans compter une narration aux apparences compliquées mais réellement passionnante qui emmène le lecteur dans une histoire kaléïdoscopique à la fois touchante et engagée. Une grande réussite.
« Les avatars de Lou Chrysoée », tome 1 de « Lumière froide », par Makyo et Sicomoro. Chez Glénat.

Peu adepte du graphisme réaliste de Sicomoro, j'ai dû faire un peu d'auto-suggestion pour entrer dans cet album. Il faut dire que la couverture suggère d'emblée une histoire de série B, ce que ne dément pas le début de cette série. Pourtant, qui connaît Makyo et son talent de conteur fantastique ne peut s'arrêter à ces signaux avant-coureurs. Et c'est vrai que « Lumière froide » se laisse finalement gentiment lire. Il est trop tôt pour dire si les éléments de ce premier épisode peuvent déboucher sur une histoire réellement intéressante. Mais ce qu'on peut déjà dire, c'est que ce n'est pas du grand Makyo. Ceux qui ont lu et vénéré les débuts de « La Balade au bout du monde » ne retrouveront pas dans cette énième histoire fantastique les germes d'un nouveau best-seller. Reste un début d'histoire qui fera penser à la « Maison-Dieu » de Rodolphe (chez Albin) ou à d'autres BD récentes, sans parler des exemples du genre dans d'autres disciplines. Bref, une impression de déjà-lu...
Le déclic 4 (Le déclic) par Thierry Bellefroid
« Le Déclic N°4 » par Manara. Chez Albin Michel.

Qu'il est dur de voir un monument comme « Le Déclic » s'enfoncer plus avant dans la médiocrité à chaque album ! Le système est immuable et Manara semble bien décidé à le recycler jusqu'à plus soif.
1° Prenez une Claudia Cristiani bien prude.
2° Appliquez-lui un coup de « machine infernale »
3° Transformez-la en « truie » lubrique, ici lors d'un défilé de mode
4° Montrez le mari outré
5° Renvoyez-la dans sa chambre ou cachez-la dans un couvent (c'est le cas ici)
6° Profitez-en pour remettre un coup de « machine infernale ».
Et le tour est joué.

Avec quelques poses suggestives et le crayon de Manara, vous obtenez la potion magique du parfait voyeur en BD. Faut-il vraiment qu'on lui fasse de la pub en plus ?
Tante Lydie et Moi par Thierry Bellefroid
« Tante Lydie et moi », par Barranger et Bernatets. Au Cycliste.

Il y a à boire et à manger dans ce « Tante Lydie et moi ». Tant et si bien qu'on se demande à certains moments si le scénario n'a pas été contracté en cours de route pour être parfois si étrangement décousu. Histoires parallèles, oui. A condition que les parallèles se rejoignent (je sais, c'est pas très mathématique, tout ça...) ce qui n'est pas forcément le cas ici. Il y a un sens certain de l'observation, des personnages attachants, des dialogues réussis et des situations cocasses dans cet album. Mais la sauce a du mal à prendre. Et comme le dessin, sympathique sans plus, ne suffit pas à attirer le regard, on a plutôt l'impression d'un banc d'essai à confirmer lors d'un prochain album.
L'enfer en retour par Thierry Bellefroid
« L'enfer en retour », dans la collection Sin City de Frank Miller. Chez Rackham.

Pas à dire, Frank Miller manie le noir et blanc (et même un brin de couleur, à l'occasion, comme dans cet album) avec une aisance à faire pâlir d'envie des générations de dessinateurs. Et quand on atteint un tel niveau de virtuosité, on court le risque de se moquer du scénario comme de sa première bouteille d'encre de Chine. C'est un peu ce qui arrive ici. Variation sur le mode Rambo, le héros de cet album est du genre indestructible pas content qui ne laisse pas grand chose debout derrière lui. Tout seul -ou presque-, il s'attaque à une armée de méchants qui ont eu le tort de kidnapper une fille qu'il connaît à peine mais sur laquelle il a eu le malheur de flasher. Prétexte à des scènes d'action voire de baston dans lesquelles le noir et blanc de Miller colle parfaitement au monde manichéen de son scénario, l'album reste quand même d'une tenue visuelle suffisante pour vous laisser scotché à votre fauteuil. Souvent un rien trop vulgaire pour être parfait, Miller est tout de même l'un des meilleurs dessinateurs de la planète. C'est déjà pas mal...

Le Juif de New York par Thierry Bellefroid
« Le Juif de New York », par Ben Katchor. Chez Amok.

La vision de New York développée au travers de cet étonnant album est tout sauf conforme à l'Histoire. Pourtant, les éléments historiques coexistent étrangement avec les personnages inventés par l'auteur. Les Indiens d'Amérique ne sont peut-être pas l'une des douze Tribus d'Israël, le Lac Erié ne donne peut-être pas d'eau gazeuse.. Mais l'idée de fonder sur Grand Island une sorte d'ersatz de la Terre Promise a bien existé. Et New York a bel et bien connu un exode juif si important qu'elle demeure aujourd'hui une métropole marquée du sceau de la culture hébraïque. Mêlant habilement le faux au vrai ou le mythe à la création, Ben Katchor a conçu un récit qui donne le tournis et emmène le lecteur dans un tourbillon parfois un rien ésotérique. S'y croisent des personnages aussi amusants que l'ancien boucher kasher déchu devenu millionnaire SDF, le vendeur de bas nylon pour actrice à prothèse, le gaspilleur de semence, le dramaturge antisémite ou le montreur d'Indien parlant hébreu. C'est juif jusqu'à la dernière virgule, on se délecte de cet univers unique et inimitable mais on ne peut s'empêcher de penser que tout cela est un peu vain. Créé pour une parution hebdomadaire avant d'être retravaillé pour une édition en album, « Le Juif de New York » souffre des défauts du genre : décousu, victime de ses longueurs et du manque de vision scénaristique originale, il rebutera plus d'un lecteur malgré ses évidentes qualités. Des qualités auxquelles s'ajoutent une édition française soignée, à la forme irréprochable, mais que l'on aurait voulue totalement dépourvue de fautes d'orthographe...
« Cupidon s'en fout », tome 1 de la série Grand Vampire, par Sfar. Chez Delcourt.

On le sait, les vampires de Sfar ne sont pas là pour faire peur. Ils participent d'un imaginaire personnel, une sorte de bestiaire que l'auteur met en place d'album en album. Après le « Petit Vampire», voici donc le « Grand ». Pas très différent physiquement. Mais bien plus abouti. Et je ne parle plus du vampire, ici, mais de l'album. Un conte subtil, d'une humour tout personnel et d'une imagination libérée de toute contrainte (ce qui n'est pas neuf chez notre ami Joann). Les soeurs Aspirine et Josacine d'un côté, Liou de l'autre, les « femmes » de Grand Vampire sont bel et bien les vraies héroïnes de cette BD pleine de poésie et d'insouciance. Ce « Grand Vampire » pourrait bien n'être qu'une façon déguisée pour notre Sfar de déclarer son amour aux femmes. C'est en tout cas une pétillante et rafraîchissante histoire qui complète la galerie de personnages merveilleux d'un auteur de plus en plus prolifique.
Le singe et la sirène par Thierry Bellefroid
« Le singe et la sirène », par Dumontheuil et Angéli. Chez Casterman.

Découvert avec son deuxième album (« Qui a tué l'idiot ? », paru en 96 et primé à Angoulême), Nicolas Dumontheuil s'est surtout fait attendre, depuis. Un seul album, « Malentendus », est paru en 1999. Ça fait peu en cinq ans. Mais à chaque fois, Dumontheuil explose de talent. C'est encore le cas dans « Le singe et la sirène » qui vient de sortir chez Casterman. Mais cette fois, il y a autre chose. L'auteur s'est associé à une scénariste. Et le résultat est pour le moins décoiffant. La galerie de portraits d'Eliane Angeli sent bon l'observation sur le terrain. Cette fille de la Gironde a manifestement passé du temps sous les piles du pont d'Aquitaine, dans la quartier de Bacalan où se situe l'action de cette histoire très noire marquée par la misère sociale. Cette chronique des parias est une plongée truculente dans un univers que Dumontheuil prend un malin plaisir à enlaidir tant qu'il le peut. Museline, l'ancienne fille du trottoir qui s'est établie à son compte après avoir estourbi son souteneur dans un train est un vrai remède contre l'amour (ce qui n'empêche pas les mâles du quartier de faire la queue (sic) devant son lit) : grasse, dégoulinante et vulgaire, on a du mal à imaginer qu'elle sort de l'imagination d'une femme. Il faut dire qu'Eliane Angeli n'y est pas allée avec le dos de la cuiller. Tous ses personnages sont glauques à souhait.

Il est évident que « Le singe et la sirène » ne plaira pas à tout le monde. Trop noir, trop miséreux, trop violent, même. Mais pour ceux qui n'ont pas peur de lire une BD qui appelle un chat un chat et qui montre la banlieue dans tout ce qu'elle a de sordide et de folklorique à la fois, « Le singe et la sirène » est un album parfait. Le ton est finalement plus proche de la satire sympathique que du misérabilisme ou du voyeurisme. Evidemment, on n'évite pas toujours le cliché, mais comment faire de la caricature sans y avoir recours ? Bref, cette histoire de serial killer pathétique est un de ces bouquins qu'on se prend en pleine tronche de la première à la dernière page. De toute façon, se priver d'un Dumontheuil serait déjà tellement dommage en soi... On regrettera juste qu'un dessinateur possédant une personnalité aussi forte se soit commis à bêtement copier le style de Dany pour le personnage de « Perle ». Dès la couverture, cet emprunt saute aux yeux.
Dream Land (Nash) par Thierry Bellefroid
« Dreamland », tome 6 de la série Nash, par Damour, Pécau, Schelle et Rosa. Chez Delcourt.

Nash s'enfonce dans la forêt à la recherche de sa fille, le voyage ne sera pas de tout repos. Il débouche même sur une fin tragique inattendue (mais on peut faire confiance aux auteurs pour nous arranger tout ça dans le prochain épisode...) au terme d'un album efficace mais finalement assez classique dans son genre. On peut se demander si le récit n'aurait pas gagné à être plus ramassé. C'est vrai que la deuxième partie de l'album, avec ses airs d'Apoclaypse Now, aurait pu être moins longue ; il y a un côté un peu gratuit à traîner cette expédition sur un peu plus de 20 pages. Mais rassurez-vous, si vous êtes un fan de la série, vous ne vous ennuierez pas à la lecture de ce tome 6. Ça bouge beaucoup et Damour semble inspiré par le décor.
« Les maléfices de la thaumaturge », tome 5 de la série Trolls de Troy. Par Arleston et Mourier. Chez Soleil.

Arleston pareil à lui-même. « Troll » », c'est sa récréation, la série dans laquelle il se laisse aller aux jeux de mots les plus idiots, celle où il crée une joyeuse galerie de bouffons gloutons, celle où aventure et quête cèdent le pas à l'ingrédient n°1 : l'humour. Et on peut dire qu'en la matière, ce nouvel album n'a rien à envier à ses prédécesseurs. Ce n'est pas toujours des plus subtils (comme les inventions du post-it et de l'aspirateur mises au point par la thaumaturge) mais c'est plein de bonne humeur et ça ne se prend pas au sérieux. En clair, si on rit rarement aux éclats, l'album est parcouru de petites scènes sympathiques (comme le coup des cheveux de la sirène qui se mettent automatiquement devant ses seins) et de trouvailles amusantes qui en rendent la lecture agréable. Et comme les personnages de Mourier sont de vrais petits nounours, même les méchants (qui sont souvent plus bêtes que vraiment méchants) font sourire. Une série qui brille par sa constance et qui vous fera passer le temps en attendant l'avènement de Lanfeust des étoiles.
La révélation (Tirésias) par Thierry Bellefroid
« La révélation », tome 2 de la série Tirésias. Par Le Tendre et Rossi. Chez Casterman.

Rien à dire, la suite de Tirésias ne déçoit pas les nombreux lecteurs enthousiastes du premier album. Au contraire, Le Tendre réussit à nous étonner en retournant le « sortilège » sur lui-même et en imaginant que la punition infligée par Athéna puisse transformer le cœur de celui qui fut un fier guerrier macho avant de devenir une femme. Le retournement de situation intervenant au milieu de ce deuxième tome rend l'histoire réellement passionnante. Le dessin de Rossi s'est simplifié, laissant de côté le travail sur les ombres par la couleur, jouant davantage la carte des aplats et de la lisibilité maximum. On ne peut que saluer le travail réalisé par ces deux complices depuis l'excellente « Gloire d'Héra » dont on a si longtemps attendu une suite. Ensemble, ils ont renouvelé un genre à bout de souffle. On est loin d'Alix, loin d'une vision figée, surannée, de l'antiquité. On ne peut qu'espérer que Rossi et Le Tendre continuent longtemps à nous enchanter avec d'aussi bons et beaux albums !
Un goût de cendres (4th avenue) par Thierry Bellefroid
« Un goût de cendres », par Dan Christensen, à La Comédie Illustrée.

C'est un polar bien huilé, une mécanique qui s'emballe jusqu'à la toute dernière case. On entre dedans par la petite porte, on ne perçoit pas tout de suite la noirceur des personnages, le dessin très ligne claire (qu'on croirait franco-belge alors qu'il s'agit d'une traduction) laissant augurer de prime abord une histoire moins sombre et des personnages aux contours tranchés. Mais derrière les blessures apparentes du libraire, derrière les gestes nerveux de la cliente armée d'un revolver, des plaies plus profondes et une fragilité insoupçonnée affleurent, que Dan Christensen va creuser tout au long du récit. On se laisse prendre par ce mélange de noirceur, de violence et de fausse candeur. Le dessin est d'une grande lisibilité et la narration est efficace. Seul problème, la lecture de ce premier album d'une série qui s'appellera « 4ème avenue » est rapide, très rapide. Au point que certains lecteurs pourraient regretter d'avoir donné 10,50 Euros pour un si bref moment de lecture. Mais quand le moment en question est bon...
Montorgueil (Le Ruistre) par Thierry Bellefroid
« Montorgueil », tome 1 de la série Le Ruistre. Par Jean-Charles Kraehn.

Après avoir travaillé sur une partie des « Aigles décapitées », Jean-Charles Kraehn revient à l'Histoire avec cette série qui risque de faire parler d'elle. Malheureusement défendu par une couverture très faible (pour ne pas dire moche, n'ayons pas peur de le dire...) ce premier volume gagne à être lu. L'auteur y déploie tout son talent de scénariste en évitant l'écueil du déjà-vu et nous propose de suivre des héros très peu recommandables dans un monde cruel et violent (qui en choquera assurément certains) reposant sur une documentation qu'il a su dépasser. Ce premier album est une bonne surprise dans un créneau, l'histoire médiévale, que l'on croyait définitivement ronronnant. Le seul problème de ce Ruistre est peut-être la volonté de l'auteur de faire une BD qui sonne médiéval jusque dans l'usage intensif du vieux français. Cela en rend la lecture parfois fatigante. Mais passé ce petit handicap, dessin efficace et scénario intelligent font mouche, pour autant qu'on accepte cette vision réaliste et sans compromission de la chevalerie. Pourvu que Kraehn reste aux commandes jusqu'à la fin... ce ne serait pas la première fois qu'il se lancerait dans une série en solo pour en confier ensuite le dessin à quelqu'un d'autre ; on aimerait que ce ne soit pas le cas ici !
Papier Peint (Les filles) par Thierry Bellefroid
« Papier peint » tome 2 de la série « Les filles », par Christopher. A La Comédie Illustrée.

« Papier Peint » relègue « Pyjama Party », précédent -et premier- opus des « Filles » au rang de vulgaire brouillon. Même si le premier album de cette sympathique série m'avait plu, je dois reconnaître qu'il est franchement faible en regard de celui-ci. En clair, mon enthousiasme irait plutôt croissant.
On savait déjà que Christopher avait mis à parti les heures entières passées dans les placards de ses copines et pouvait placer dans la bouche de « ses » filles de papier des dialogues qui sonnaient juste. On sait maintenant qu'il est entré de plein pied dans l'univers de ses personnages (aussi bien les cinq filles du début que leurs mecs ou que les nouveaux « personnages secondaires »). Les dialogues sont naturels, drôles, légers. Les personnages crédibles. Cette petite chronique douce-amère (on pourrait presque dire « sans prétention ») sur la « post-adolescence » est à la fois distrayante, drôle et joliment observée. Le dessin de Christopher prend de l'assurance, privilégiant la fluidité et la lisibilité, se centrant sur les personnages sans pour autant négliger des décors plus importants que dans le premier album. Car si « Pyjama Party » pouvait parfois énerver par son côté confiné, à la limite du huis-clos, « Papier peint » ne sent pas, comme lui, l'exercice de style. Non, ça sent la vie, la vraie, la-tout-à-fait-ordinaire et pourtant toujours si agréable à lire quand elle est bien racontée.
« Le Cri du Peuple », tome 1 : Les canons du 18 mars. Par Tardi et Vautrin, Casterman.

Tardi, champion de l'adaptation. Après Léo Malet, Didier Daeninckx, Pennac ou Manchette, le voilà qui s'attaque à l'adaptation en bande dessinée de ce roman de Jean Vautrin. Un roman qu'on jurerait taillé sur mesure pour lui tant le père d'Adèle Blansec y trouve d'inspiration. « Le cri du peuple » est un grand Tardi ; un album brillant, rigoureux et inspiré, intelligent et personnel. Un de ces livres qu'on referme en se disant qu'il contribue incontestablement à redorer le blason d'un art trop souvent considéré comme mineur.
Pour ce projet, Tardi a choisi le format italien. Il en tire parti avec brio. Les pages se répondent les unes aux autres, les cases s'équilibrent : proportions, formes, grandeur des décors, puissance d'évocation du cinémascope, chaque planche est un bijou. Tardi nous décrit la Commune comme personne. Forcément, ce fou de noir et blanc, de documentation, d'histoire et de Paris y trouve un défi à la mesure de son talent. Pourtant, il n'est pas le premier, loin de là, à décrire cette page d'Histoire de France en BD. On se souviendra entre autres de « L'Exécution » du regretté Jean-Paul Dethorey paru il y a cinq ans dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis (et disparu du catalogue depuis en raison du manque d'intérêt du public pour cet album magnifique... cruel destin !). Plus près de nous, Jean Dufaux a lui aussi choisi de placer l'action des « Voleurs d'Empires » (Glénat) durant cette période troublée. Mais le roman de Jean Vautrin adapté par Tardi est cent coudées au-dessus. Il nous propose réellement de vivre la Commune de l'intérieur. Petites gens et argot du cru contribuent à crédibiliser le propos. Pour le reste, deux protagonistes opèrent de savants chassés-croisés, entraînant autour d'eux une galerie de personnages secondaires truculents. Plus qu'une page d'Histoire, il s'agit bel et bien ici d'une chronique sociale se superposant à un récit policier. L'ensemble n'est pas donné d'office et il sera demandé au lecteur de faire quelques efforts pour recomposer le puzzle à partir des morceaux épars laissés en l'état par l'auteur, non sans un certain génie doublé d'un zeste de malice...
Peep Show par Thierry Bellefroid
« Peep show », par Joe Matt. Dans la collection Tohu Bohu des Humanoïdes Associés.

Joe Matt, tout comme Seth, découvert par Charles Berberian et publié dans la même collection, est un auteur canadien. Avec ce « Peep show », il nous raconte l'histoire tragico-pathétique d'une dessinateur de BD inadapté social chronique. Joe a un problème, il mate. Et sans arrêt. Même quand il est avec Trish, sa petite amie, il regarde chaque nana et ne peut s'empêcher de fantasmer sur celle qu'il ne peut pas tenir dans ses bras plutôt que sur celle qui est à côté de lui dans son lit. Eternel insatisfait, il croque les gens autour de lui dans ses BD, ce qui lui vaut de se disputer avec à peu près toutes ses connaissances. Et comme il a un caractère de chien et quelques obsessions sur ce que doit être pour lui une jolie fille, Joe est constamment en chasse. Pendant un peu plus de cent cinquante pages, on assiste à sa pitoyable errance solitaire. Le personnage est antipathique, primaire, d'un égoïsme à toute épreuve et c'est ce qui fait son charme. Avec un humour très personnel et une cruauté libératrice, Joe Matt nous fait pénétrer les rêves et les frustrations de ce pauvre type et c'est un pur bonheur de l'y suivre !
Accident du travail par Thierry Bellefroid
« Accident du travail », par Matthieu Blanchin. Chez Ego Comme X.

Après l'excellent récit d'enfance paru chez le même éditeur (Le val des ânes), Blanchin poursuit dans la veine autobiographique « légère ». Il y a un ton chez lui qui présente chaque événement de la vie comme une péripétie tantôt amusante tantôt attendrissante. Cet « accident du travail » n'échappe pas à la règle. Au contraire. Partant d'un récit de jeunesse authentique, l'auteur s'amuse à raconter le petit univers fantaisiste de l'atelier où il travaillait au moment des faits. C'est d'une grande fraîcheur et on s'amuse beaucoup, tout comme lors du séjour en clinique où Blanchin a superbement croqué les personnages qu'il a fréquentés durant son séjour. Le tout est dessiné avec une plume nerveuse, d'une grande vivacité, sans doute plus mûre que dans « Le val des ânes », mais qui conserve une belle part de fraîcheur.
« Bitchy Bitch en vacances », par Roberta Gregory. Chez Vertige Graphic.

Brétecher n'a qu'a bien se tenir. Roberta Gregory est sur le point de lui voler son public ! Bitchy Bitch, traduit par Jean-Paul Jennequin pour Vertige Graphic semble faire un malheur en France. C'est vrai que l'auteur de cette BD a su trouver un personnage et un ton qui renouvellent le genre. Underground mais populaire, pourrait-on dire... Midge est l'exemple-type de la nana détestable, vulgaire, irascible et râleuse que rient ne contente, pas même de gagner un voyage au soleil ! Frustrée, paranoïaque au dernier degré, cette névrosée perpétuelle vous fera forcément craquer. Roberta Grégory force le trait tant qu'elle peut, mais c'est pour mieux nous faire rire. Pas de gags, dans sa façon de faire de l'humour, mais de la caricature poussée à l'extrême où chacun (et chacune) croit reconnaître une emmerdeuse patentée croisée dans un club de vacances. Même le dessin est corrosif et contribue à rendre le personnage détestable.
Commencer par mourir (Aberzen) par Thierry Bellefroid
« Commencer par mourir », tome 1 de la série « Aberzen », par N'Guessan et Gibelin. Chez Soleil.

Le dessinateur de la série « Petit d'homme » (autre produit Soleil, cette variation sur le Livre de la Jungle est écrite par Crisse) paraît très à l'aise dans ce faux conte animalier mis en couleurs par Gibelin et dont ce premier tome nous plante le décor. L'idée de départ de son scénario est intéressante, ses personnages sont bien campés et leur rencontre apparemment improbable augure d'une série aux rebondissements multiples. En fait, ce qui fait le sel de ce premier album, c'est le nombre d'éléments inattendus qui s'enchaînent. Chaque fois que l'on pourrait sombrer dans quelque ronronnement scénaristique, l'auteur redonne de l'intérêt à l'intrigue. Son dessin est à la fois classique et efficace ; il invente des créatures plutôt réussies au rang desquelles Aberzen, cet espèce de Milou mutant, qui a tout pour plaire aux lecteurs.
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio