
Quelques mois après « Topless », très beau polar aux accents jazzy (chez Glénat itou), le duo Le Gouëfflec-Balez nous revient avec une nouvelle pépite. « Le chanteur sans nom » est une biopic romancée, mi-historique m-fantasmée, d’un chanteur de cabaret affublé de cet étrange pseudonyme, se produisant en outre avec un loup sur le visage. Il a suffit d’une note sur le blog du scénariste, également musicien, pour que l’affaire s’enclenche. Un commentaire, puis deux, témoignages de personnes qui l’ont côtoyé de près, ont suffi à aiguiser sa curiosité, d’attiser l’envie de raconter cette histoire hors normes. Pas question pour autant d’en faire une hagiographie à la gloire d’un talent oublié.
Roland Avellis, puisqu’il avait finalement un nom, ami de Piaf et d’Aznavour, n’est pas un personnage facile à cerner. Hâbleur, profiteur, un peu (beaucoup ?) escroc, il était l’un de ces personnages dont on dit qu'ils sont « bigger than life », bouffant littéralement la vie, la sienne mais aussi celle des autres. Irresponsable, paresseux, profiteur mais aussi séducteur, drôle et talentueux, cet ancien télégraphiste qui avait démarré une carrière de chanteur dans les cabarets de Pigalle a connu la notoriété grâce à son personnage de Fantômas des ondes, créé pour les besoins d’une émission radiophonique avant la Seconde Guerre mondiale. Avant de tomber dans l’oubli, de faire un peu de taule, de vivre quelques années aux crochets de Piaf puis de taper l'incruste chez des particuliers. Il est décédé dans les années 70 après être passé par les affres d'une déchéance pathétique.
Arnaud Le Gouëfflec met en scène cette chasse au fantôme avec la complicité… du fantôme même du Chanteur sans Nom. Il en dévoile la personnalité par petite touches, confidence après confidence, alternant le récit du personnage lui-même avec les témoignages de proches : la propre fille d’Avellis, mais aussi sa dernière compagne, des amis, Charles Aznavour lui-même... Il reconstitue ainsi les derniers moments de cette « cigale » flamboyante, mauvais père, ami encombrant, petit escroc... mais suffisamment sympathique pour que personne n’ait réellement l’air de lui en vouloir. Olivier Balez accompagne cette quête d’identité de son trait sensible, optant pour une approche entre réalisme et caricature, portant l’Histoire ou la dérision, la confidence ou la rodomontade. Lui qui sait si bien poser les ambiances de polar – il n’est que (re)lire « Topless » ou même « Angle Mort » (KSTR) pour s’en convaincre – excelle ici à mettre en image le destin de ce personnage à l’énergie folle, à transcrire la poésie sous-jacente du scénario de Le Gouëfflec, une poésie qui transcende jusqu’aux moments les plus sordides de l’existence d’Avellis. Un moment de bonheur.
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