Les 52 critiques de Jean Loup sur Bd Paradisio...

Fin du XVIe siècle, dans l'océan Pacifique. Deux navires espagnols aperçoivent un bateau de pirates qui semble s'être échoué sur un récif. En s'approchant, ils se rendent très vite compte que ce n'était qu'un leurre et que les pirates sont parfaitement valides et bien décidés à se lancer à l'abordage de ces deux proies. A leur tête, Bouffe-Doublon, capitaine borgne, sans scrupules et audacieux, met vite la main sur le fabuleux trésor transporté par les Espagnols. Hélas ! Alors qu'ils sont débarqué sur une île pour y enfouir leur butin, le capitaine et ses marins sont assaillis par des sauvages. Bouffe-Doublon doit tout abandonner pour survivre. Il lui faudra donc recomposer un équipage pour espérer retrouver ces richesses qui lui promettaient un avenir sans soucis... C'est tout de même le comble : une BD d'aventures dans laquelle on s'ennuie ferme ! Le dessin de Cassini n'en est guère responsable. Son trait à la Juillard, quoique peu novateur et un peu froid, est assez détaillé et n'est pas plus mauvais qu'un autre. Je rejetterais clairement la responsabilité de l'échec de cet album sur le scénariste, Simon Rocca. Il faut quand même l'oser : sortir de nos jours une histoire de pirates aussi bateau (sans mauvais jeu de mot), c'est ahurissant ! L'intrigue tient vraiment sur un post-it : des pirates volent un trésor, le perdent, le capitaine reconstitue un équipage pour le retrouver et se lance dans cette quête à la fin de l'album. Quelle originalité vient agrémenter l'affaire ? Aucune. Il n'y a pas de suspense, aucune trouvaille, et le rythme est soporifique. De plus, les personnages sont antipathiques, et en tout premier lieu Bouffe-Doublon : il égorge par plaisir, viole et assiste avec hilarité à des viols, avec une évidence et une normalité assez écoeurantes. Un héros sombre n'est pas nécessairement pour me déplaire, mais il faut que cela serve l'intrigue. Ici, rien de tel, c'est juste une anecdote pour faire couleur locale. Et tant pis si vous pensez que ces actes dégueulasses pourraient être traités comme tels. Rien à sauver dans cette histoire d'une rare médiocrité. On a connu les éditions Soleil plus lumineuses.
Le seigneur Wildfar envoie son meilleur conseiller militaire prêter main forte au chef Suryam, assailli par la horde des soldats de Galbec. Ce dernier a déjà conquis les deux tiers du domaine de Suryam, lequel voit dans l'arrivée du stratège une occasion unique pour reprendre son territoire. Mais Suryam déchante très vite lorsqu'il se rend compte qu'on lui a envoyé une femme ! Aria est jeune et belle, mais a du tempérament et une maîtrise de l'art de la guerre que lui envieraient bien des hommes. Ayant surmonté les réticences de Suryam, il lui faut ensuite se camoufler sous une armure et un heaume pour dissimuler sa féminité et obtenir le respect des soldats qu'elle doit former. Cependant, Staff, le conseiller militaire de Suryam, voit d'un très mauvais oeil l'arrivée de cette jeune concurrente... Il y a plus de vingt ans que ce premier tome est sorti. Cela aurait pu être une excuse si, à la même époque, Rosinski et Van Hamme n'avaient pas déjà sorti plusieurs Thorgal d'un tout autre niveau. Michel Weyland est un piètre conteur. Le scénario de cette fugue est ennuyeux, sans aucun suspense, parfois incohérent (tous les soldats baisant la main d'Aria, par exemple) et les dialogues sont d'une platitude languissante. Ne cherchez aucun souffle épique dans cet album, il n'y en a pas. Son graphisme a pris un bon coup de vieux. Là où un Rosinski subit sans complexe l'outrage des ans, le trait de Weyland paraît désuet, un brin approximatif, et le découpage paresseux ne vient en rien dynamiser l'ensemble. Ce premier volume est donc à réserver aux collectionneurs maladifs possédant déjà un tome des aventures d'Aria et qui ne supportent pas d'avoir une série incomplète. Les autres passeront leur chemin.
Gotham City est une cité sombre et dangereuse, où les crimes sont innombrables et où chaque pas peut être le dernier. Cette ville est aussi celle de Batman, justicier traumatisé par l'assassinat de ses parents qui a déclaré la guerre au crime sous toutes ses formes. Batman est devenu une légende et n'est pas réapparu en public depuis dix ans. Les plus jeunes des habitants de Gotham doutent même qu'il ait un jour existé. Le milliardaire Bruce Wayne a su préserver le secret autour de son identité de super héros, et vit désormais comme n'importe quel quinquagénaire fortuné. Mais un jour, les vieux démons de Wayne reprennent le dessus. Face aux actes criminels de plus en plus nombreux et à l'émergence du gang des mutants, Batman refait surface. La légende renaît, mais sous les trais d'un homme qui n'a pas loin de soixante ans ! Ce retour à l'action pourrait bien être fatal à Bruce Wayne... Dark Knight est une oeuvre culte, une référence incontournable pour les amateurs de comics. Sortie en 1986 chez DC, elle a connu plusieurs éditions françaises (en quatre tomes chez Zenda notamment) et est aujourd'hui disponible en édition intégrale aux éditions Delcourt. Avec Dark Knight, Miller a atteint le sommet de son art dans le domaine des super héros ; il allait ensuite magnifier le polar avec sa série Sin City. Mettre en scène un Batman vieillissant, s'interroger sur son action (se faire justice soi-même est-il acceptable ?) à travers les débats des médias, mettre un terme à l'histoire de plusieurs personnages essentiels de l'univers de l'homme chauve-souris : Miller a d'emblée fait de sa BD un titre à part dans la longue série des aventures de Batman. Le scénario est excellent. Miller a un sens aigü de la mise en scène et brosse des personnalités attachantes et fascinantes. On retrouve de nombreux personnages (le Joker, Harvey Dent, Gordon, Superman...) qui sont souvent éclairés sous un jour nouveau. Le trait est original et efficace, mais il est preque effacé par la qualité de l'intrigue. Aucun lecteur de comics ne peut faire l'économie de Dark Knight qui a su s'imposer comme une oeuvre de référence, qui se lit et se relit avec le même bonheur.
Spirou, avant d'être le fringant aventurier d'une série où Fantasio l'accompagne inlassablement, fut un bambin. C'est à partir de ce simple constat (qui serait valable pour Blueberry, Blake et Mortimer ou Hulk...) que Tome et Janry, qui ont repris Spirou et Fantasio après Franquin et Fournier, ont décidé de lancer une série parallèle, sobrement intitulée Le Petit Spirou. Le but n'étant évidemment pas de refaire la même chose avec des personnages plus petis à dessiner, Tome adopte un ton nettement plus humoristique que dans la série-mère. Adoptant souvent le format du gag en une planche, cette bande dessinée conte les bétises d'une bande de gamins résolument intrigués par le sexe et le monde des adultes. Autour du petit Spirou, présenté comme un garnement qui fait les quatre cents coups, gravite depuis le premier volume toute une galerie de personnages. On retrouve donc ici Vertignasse, Suzette, Mégot ou Langélusse, qui font des apparitions au fil des planches. Avec un but unique : vous faire rire ! Huitième tome de cette série, "T'as qu'à t'retenir" montre que Tome est un scénariste aguerri, aussi à l'aise dans le roman noir ("Sur la route de Selma", "Berceuse assassine") que dans le genre comique. Si les aventures fantaisistes du petit Spirou pouvaient apparaître au départ comme une récréation pour le duo d'auteurs, la longévité de la série et le succés qu'elle rencontre laissent présumer un bel avenir pour le recyclage de ce célèbre personnage. Fort de son expérience de la série originale, Janry développe un trait tout en rondeur, très séduisant et maîtrisé, qui convient parfaitement à la mise en scène des trouvailles comiques de Tome. Le faciès du héros sur la couverture lorsqu'il découvre un rouleau de papier toilette désespérement vide, est déjà une réussite et une occasion de sourire. De nombreuses mimiques au fil des planches sont assez hilarantes, ce qui renforce évidemment les idées du scénariste. Les trouvailles de Tome restent assez réjouissantes, même si l'intérêt des lecteurs de la première heure risque d'être un brin émoussé (mais combien de séries comiques peuvent espérer échapper à cette routine ?). Le gag de la planche 39, par exemple, est digne de la grande époque du Gaston de Franquin et m'a beaucoup fait rire. L'ensemble de l'album est sympa et vous fera passer un bon moment.
Torso par Jean Loup
Quatre avis pour l'instant, et seul Thierry Bellefroid voit dans "Torso" un des meilleurs albums de l'année 2002. Je vais un peu rétablir la balance face aux quelques déçus : cet album est en effet une oeuvre brillante. 1935. Les Etats-unis se remettent péniblement du jeudi noir et de la crise économique qui les frappe depuis 1929. En Allemagne, un certain Adolf Hitler est au pouvoir depuis janvier 1933 et semble bien décidé à rendre à l'Allemagne sa puissance d'avant 1918. L'Amérique est donc dans un difficile entre-deux, se débattant dans le marsame économique et dans une situation internationale qui marche à la guerre sans encore le savoir. C'est dans ce contexte qu'elle va engendrer le premier tueur en série de son histoire : Torso, le "tueur aux torses". Fraîchement arrivé à Cleveland pour y faire du nettoyage dans cette ville corrompue, Eliott Ness, tout auréolé de son prestige depuis les Incorruptibles et l'arrestation d'Al Capone, doit rapidement s'intéresser à ce meurtrier d'un nouveau type. Certes, Ness lutte avec succés contre les différents trafics dans la ville, mais on lui fait très vite comprendre que Torso devient une priorité à régler. Mais comment arrêter un tueur qui ne semble pas avoir de mobile, et dont les victimes décapitées ne sont pas identifiables ? Ness et ses hommes se lancent dans la traque d'un monstre comme les Etats-Unis n'en ont encore jamais connu. "Torso" est une oeuvre brillante, marquante et novatrice sur un thème captivant. On peut bien entendu la comparer à d'autres. Par sa taille (plus de 270 pages), sa réalisation en noir et blanc et son sujet, on pense à "From Hell", chef d'oeuvre de Moore sur Jack l'éventreur. La personnalité du tueur évoque celles de ses confrères de "Se7en" ou du "Silence des Agneaux". Le ton général et la plume de Bendis (co-scénariste avec Andreyko) font penser à la verve morbide d'un James Ellroy. Mais si cette oeuvre en évoque d'autres, toutes de grande qualité d'ailleurs, sa force est aussi d'être novatrice. Bendis a une technique graphique surprenante. Le découpage est d'une incroyable audace (attendez-vous à devoir tourner le livre dans tous les sens !), l'utilisation de mêmes images répétées tout au long de l'album ne gêne en rien la lecture et sert même les dialogues. Ces derniers sont brillants et nombreux, occupant une place à laquelle la BD n'ose pas toujours les hisser. La réputation de Bendis n'est donc pas usurpée, bie au contraire. L'histoire est haletante, rythmée, alternant avec justesse les scènes d'enquête et les relations entre les personnages, lesquels sont attachants et bien décrits. La fin du récit est très réussie, et vous y parviendrez vite tant il est difficile de s'arracher à la lecture d'un album qui vous marquera et vous séduira par sa puissance narrative et sa qualité.
Pilules Bleues par Jean Loup
Ces pilules bleues devraient être remboursées par la sécurité sociale ! Je ne connaissais absolument pas Frederik Peeters, ni son éditeur Atrabile d'ailleurs, et c'est presque par hasard que j'ai lu cet album. Un volume épais, un dessin en noir et blanc doté d'une vraie personnalité à mille lieues des illustrations alléchantes destinées à dissimuler un scénario creux : de prime abord, "Pilules bleues" m'a paru séduisant. Le quatrième de couverture étant du genre silencieux, je n'avais aucune idée du thème de cette BD. Très vite, on comprend qu'il va être question d'un couple, d'amour et de vie quotidienne. L'auteur, dans la mouvance de David B, Satrapi ou Dupuy et Berbérian ("Journal d'un album"), s'engouffre dans le récit autobiographique. Comme ses illustres prédécesseurs, il le fait avec brio. Peeters a un sens peu commun de la mise en scène et sait traiter avec humour et poésie les petits riens qui font le grand tout de la vie. David B traite de la maladie de son frère dans "L'Ascension du Haut Mal". Peeters, lui, évoque le sida de sa compagne et du fils de celle-ci, issu d'une précédente union. Il ne s'agit pas de faire pleurer dans les chaumières ou de s'attaquer avec fureur au mur de l'indifférence ambiante : le propos de l'auteur est de raconter sa vie de couple dans laquelle s'immisce le virus, et il est surtout question d'amour et d'espoir, plutôt que de mort et de détresse. Les personnages sont très attachants, et les 190 pages passent à une incroyable vitesse. Que vous soyez sensible au sujet (qui ne l'est pas ?), amateur de bonnes histoires ou tout simplement curieux de découvrir un nouveau talent, il faut vous plonger dans ce très joli livre.
« Chez les Juifs, on n’aime pas trop les chiens. Un chien, ça vous mord, ça vous court après, ça aboie. Et ça fait tellement longtemps que les Juifs se font mordre, courir après ou aboyer dessus que, finalement, ils préfèrent les chats ». C’est par cette pensée que débute « La Bar-Mitsva », premier tome des réflexions du Chat du rabbin. Car c’est bien ce félin gris aux yeux verts qui est le héros de l’album. On aurait pu s’attendre à un conte avec des animaux debout et humanisés, façon Le roman de Renart ou De cape et de crocs. Mais non. Sfar opte pour un animal normal évoluant dans une cité humaine. Enfin, normal… ce chat est tout de même un peu particulier puisque, après avoir avalé un perroquet, il se retrouve doté de la parole ! Ce don extraordinaire lui permet de converser avec son maître, le rabbin, sur des sujets divers mais souvent profonds. On connaît l’incroyable productivité de Joann Sfar, qui multiplie les albums comme scénariste, dessinateur ou les deux à la fois. C’est en auteur complet qu’il livre cette nouvelle série, et une fois de plus, il parvient à séduire. Son trait est assez particulier, et certains lecteurs risquent de le trouver brouillon ; pour les autres, notamment ceux qui ont déjà lu certaines de ses autres séries, on s’habitue très vite à son graphisme. De toute façon, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, il faut reconnaître qu’il sait tenir un pinceau. Côté scénario, c’est inventif, c’est bien découpé, les textes sont joliment écrits et les réflexions du chat sont vraiment savoureuses. Le deuxième tome devrait sortir très prochainement. Il est donc grand temps de vous y mettre !
La magie est omniprésente dans le monde de Troy, où chacun posséde un pouvoir. Le jeune Lanfeust, au contact de l'épée d'un chevalier de passage, se révèle détenir un pouvoir illimité que nul n'a jamais possédé. C'est pourquoi, accompagné par le vieux mage Nicolède et ses deux ravissantes filles, Lanfeust se rend à Eckmül, la cité des sages. Il va y rencontrer les trois érudits Lignole, Bascréan et Plomynthe, qui forment le conseil qui dirige la ville. Face à Lanfeust, leurs avis divergent ; ils décident cependant de le garder pour le former. Mais Lanfeust va devoir tout abandonner pour secourir Nicolède et la belle C'ian. Mais pour cela, il lui faut s'opposer au redoutable Thanos, adversaire craint par les trois érudits eux-mêmes... Ce deuxième tome de la célèbre série "Lanfeust de Troy" poursuit avec brio l'intrigue alléchante posée dans le premier volume. Hébus le Troll va poser quelques problèmes au groupe, et Cixi est toujours aussi aguicheuse, mais ce sont surtout les nouveaux personnages qui marquent ce nouvel épisode. Les trois sages d'Eckmül vons sans doute jouer un rôle important, notamment Bascréan qui risque d'oeuvrer pour éliminer Lanfeust. Quant à Thanos, qui donne son nom à l'album, il va certainement devenir LE méchant de la série, puisqu'il semble, comme le héros, avoir des capacités hors du commun. Le trait de Tarquin est toujours aussi plaisant, et a même gagné en précision. Arleston, lui, livre un bon scénario, avec quelques pointes d'humour bien dosées qui ne remettent heureusement pas en cause la dynamique générale de l'histoire. Confirmation, donc, de l'impression favorable augurée par le premier numéro de la série.
On connaît aujourd'hui l'immense succés remporté par cette série, devenue le titre phare des éditions Soleil. Arleston a pourtant imaginé de nombreux scénarios dans des univers de type médiéval fantastique ("Les maîtres cartographes" ou "Les feux d'Askell", entre autres) mais aucun n'a séduit un lectorat aussi large que "Lanfeust de Troy". Il faut reconnaître que ce premier tome est vraiment bien mené. Le monde de Troy ne révolutionne pas le genre, mais il y a suffisamment d'innovations pour qu'il soit attachant. Le fait que chacun y possède un pouvoir magique est une très bonne idée, qui peut donner lieu à un nombre infini de situations drôles ou dramatiques. Chacun des héros utilise d'ailleurs sa magie dès ce premier volume. Les personnages sont attachants, le rythme est trépidant, les situations s'enchaînent avec une belle aisance. Côté pinceau, Tarquin a une jolie maîtrise de son art, et le graphisme séduisant qu'il développe explique en partie le renom de la série. En clair, si vous débarquez de Mars et que vous n'en avez jamais entendu parler, n'hésitez pas à découvrir "Lanfeust de Troy".
Rural ! par Jean Loup
Le récit commence dans l'urgence. On voit un olibrius se ruer hors de chez lui, enfiler sa botte sur le perron, sauter dans sa voiture et foncer à travers champ. On découvre ensuite que l'olibrius en question, c'est Etienne Davodeau, l'auteur du livre. Et s'il est si pressé, c'est tout simplement parce qu'il a été prévenu qu'une vache allait mettre bas. Davodeau n'est pourtant ni vétérinaire ni agriculteur : il est un simple observateur de la vie quotidienne de trois paysans qui ont accepté d'être suivis pendant un an. "Rural !" n'est donc pas une fiction : Davodeau raconte le réel. Ces trois paysans qui ont choisi de faire de la production laitière bio. Ce couple qui a retapé sa maison pendant ces années pour apprendre finalement qu'une nouvelle autoroute allait passer dans leur jardin. Ces petites mesquineries et ces grandes injustices qui expliquent le tracé de ladite autoroute, pour le moins étrangement sinueux. Ce sont tous ces petits détails, ces morceaux de vie, drôles ou déchirants, que Davodeau retranscrit. Avec un réel talent, il explore une contrée quasiment inexplorée de la bande dessinée : celle du reportage. Oh, certes, "Rural !" se vendra sans doute beaucoup moins bien que le dernier Michel Vaillant, mais son intérêt pour le lecteur est tellement incomparable que cela en devient gênant pour Graton... La préface de José Bové souligne le caractère particulier de cette bande dessinée, engagée dans la lutte pour une agriculture raisonnée sans tomber dans la propagande : il vaudrait mieux parler de simple bon sens, voire de civisme. Ce dont vous ferez preuve en achetant cette bande dessinée originale et réussie.
Le monde de Daar, aussi loin que remontent les souvenirs des différents peuples qui l'habitent, a toujours été en guerre. Les trois Immortels, Zembria la cyclope, Barr-Find Main noire et Jargoth le parfumé, lancent à chaque croisée des deux soleils leurs armées dans une lutte sanglante et impitoyable, pour des raisons si anciennes que nul ne les connaît plus. Même les petits et malingres chninkels, réduits en esclavage par Barr-Find, doivent participer à l'immense carnage programmé. Mais à la fin d'une bataille, J'on le chninkel parvient miraculeusement à survivre. J'on s'extrait des monceaux de cadavres qui le recouvrent, et, oublié de tous, s'abandonne au désespoir. C'est alors que lui apparaît une étrange entité monolithique, qui se présente comme le Maître créateur des mondes et confie au jeune chninkel une mission : il doit ramener la paix dans le monde de Daar. Pour cela, l'entité lui accorde le Grand Pouvoir... Mais en quoi ce Grand pouvoir consiste-t-il ? Et comment diable J'on, misérable petit esclave, pourrait-il amener les redoutables Immortels à cesser leur querelle ? "Le grand pouvoir du chninkel" est une extraordinaire bande dessinée. Sans doute l'une des meilleures à ce jour, si l'on en croit les avis de nombreux amateurs. Rééditée il y a peu sous forme de trois albums en couleur, cette oeuvre est sortie à l'origine en un volume unique, en noir et blanc. Sans affirmer que la réédition est nécessairement inférieure, l'édition originale a l'avantage de mettre en valeur la qualité du trait de Rosinski. L'auteur de "Thorgal" maîtrise pleinement son trait, d'autant qu'il sait en 1988 qu'aucun ajout de couleur ne viendra le modifier. Il y a donc un soin tout particulier accordé au jeu des ombres et des lumières, tant pour les décors que pour les personnages. Van Hamme, déjà complice de Rosisnski pour "Thorgal", livre un scénario d'une ambition et d'une virtuosité époustouflantes. Ceux qui critiquent aujourd'hui cet auteur à succès feraient bien de relire "Le grand pouvoir du Chninkel". Le scénariste s'y réapproprie les mythes bibliques (l'Ancien comme le nouveau Testament) : même si le parallèle avec Jésus et les évangiles est le plus évident, la rencontre de J'on avec le maitre créateur évoque plutôt Moïse, et le caractère de la divinité, jalouse et rancunière, évoque le dieu hébreu plus que le dieu chrétien. Une certaine connaissance des événements bibliques est nécessaire pour pleinement apprécier le travail de Van Hamme, mais son récit peut également se lire comme une formidable aventure, inventive et remarquablement menée. Fondement de la civilisation occidentale, la Bible a profondément marqué de son empreinte la bande dessinée grâce à Rosinski et Van Hamme. Car "Le grand pouvoir du Chninkel", répétons-le, est l'une des oeuvres incontournables du genre, que les années n'ont aucunement altéré. Inutile de dire que sa lecture est indispensable si vous souhaitez revendiquer une culture bédéphile.
Déjà la treizième enquête du canard en imper. Depuis plus de vingt ans, Canardo traîne sa dégaine de paumé dans le monde de la BD, ce qui représente un sacré tas de clopes fumées (contrairement à Lucky Luke, il ne s'est toujours pas mis au brin d'herbe) et de verres avalés. Le héros de Sokal, vous l'aurez compris, n'est pas du genre propre sur lui, d'autant que son moral est à la hauteur de son physique : plutôt faiblard et désabusé. Ce personnage atypique a fait merveille dans les six premiers volumes de la série, où l'on compte de véritables joyaux comme "Le chien debout", "La marque de Raspoutine" ou "L'Amerzone". Et puis ensuite, le côté glauque a été mis en retrait par l'auteur, qui s'est orienté vers le polar plus classique : "L'île noyée", "Le canal de l'angoisse" ou "Le caniveau sans lune" sont moins originaux, mais honorables. "La nurse aux mains sanglantes" s'inscrit dans la lignée de ces albums, mais le scénario est médiocre. Le procés a vraiment des allures de série B américaine, ce qui est sans doute voulu mais qui n'est pas plus passionnant que ce qu'il imite. La démonstration de Canardo est lourdingue, et n'émerveillera que le lecteur qui n'a jamais goûté à un bon polar bien tordu. Quant à la pirouette finale... on la sent venir d'assez loin, ce qui est un constat d'échec. Graphiquement, on peut s'étonner de la coiffure à longueur variable de l'accusée, qui a les cheveux dans les yeux avant de se retrouver avec une frange bien nette (page 10) ! Au total, malgré mon affection pour Sokal et cette série dont j'ai fidélement acheté tous les titres depuis ses débuts, on ne peut que regretter une nouvelle déception. L'achat de cette enquête est largement dispensable (voire déconseillée), et amène le lecteur à se poser la question fatidique : Canardo vaut-il encore le coup ? Est-ce que je vais continuer à suivre cette série ? Franchement, aujourd'hui, c'est plutôt non.
20 précédents -
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio