Le monde de Daar, aussi loin que remontent les souvenirs des différents peuples qui l'habitent, a toujours été en guerre. Les trois Immortels, Zembria la cyclope, Barr-Find Main noire et Jargoth le parfumé, lancent à chaque croisée des deux soleils leurs armées dans une lutte sanglante et impitoyable, pour des raisons si anciennes que nul ne les connaît plus. Même les petits et malingres chninkels, réduits en esclavage par Barr-Find, doivent participer à l'immense carnage programmé. Mais à la fin d'une bataille, J'on le chninkel parvient miraculeusement à survivre. J'on s'extrait des monceaux de cadavres qui le recouvrent, et, oublié de tous, s'abandonne au désespoir. C'est alors que lui apparaît une étrange entité monolithique, qui se présente comme le Maître créateur des mondes et confie au jeune chninkel une mission : il doit ramener la paix dans le monde de Daar. Pour cela, l'entité lui accorde le Grand Pouvoir... Mais en quoi ce Grand pouvoir consiste-t-il ? Et comment diable J'on, misérable petit esclave, pourrait-il amener les redoutables Immortels à cesser leur querelle ? "Le grand pouvoir du chninkel" est une extraordinaire bande dessinée. Sans doute l'une des meilleures à ce jour, si l'on en croit les avis de nombreux amateurs. Rééditée il y a peu sous forme de trois albums en couleur, cette oeuvre est sortie à l'origine en un volume unique, en noir et blanc. Sans affirmer que la réédition est nécessairement inférieure, l'édition originale a l'avantage de mettre en valeur la qualité du trait de Rosinski. L'auteur de "Thorgal" maîtrise pleinement son trait, d'autant qu'il sait en 1988 qu'aucun ajout de couleur ne viendra le modifier. Il y a donc un soin tout particulier accordé au jeu des ombres et des lumières, tant pour les décors que pour les personnages. Van Hamme, déjà complice de Rosisnski pour "Thorgal", livre un scénario d'une ambition et d'une virtuosité époustouflantes. Ceux qui critiquent aujourd'hui cet auteur à succès feraient bien de relire "Le grand pouvoir du Chninkel". Le scénariste s'y réapproprie les mythes bibliques (l'Ancien comme le nouveau Testament) : même si le parallèle avec Jésus et les évangiles est le plus évident, la rencontre de J'on avec le maitre créateur évoque plutôt Moïse, et le caractère de la divinité, jalouse et rancunière, évoque le dieu hébreu plus que le dieu chrétien. Une certaine connaissance des événements bibliques est nécessaire pour pleinement apprécier le travail de Van Hamme, mais son récit peut également se lire comme une formidable aventure, inventive et remarquablement menée. Fondement de la civilisation occidentale, la Bible a profondément marqué de son empreinte la bande dessinée grâce à Rosinski et Van Hamme. Car "Le grand pouvoir du Chninkel", répétons-le, est l'une des oeuvres incontournables du genre, que les années n'ont aucunement altéré. Inutile de dire que sa lecture est indispensable si vous souhaitez revendiquer une culture bédéphile.