Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La colonne (Lefranc) par Thierry Bellefroid
« La colonne », une aventure de Lefranc, par Jacques Martin et Christophe Simon. Chez Casterman.

Revenu au bercail après un passage express par les éditions Dargaud, Lefranc a changé de dessinateur, mais ça ne lui a pas rendu la santé ! Album poussif et invraisemblable comme les deux précédents (moins mauvais quand même, avouons-le, que « Le vol du Spirit » qui était un sommet absolu du genre !), « La colonne » nous emmène faire un peu de tourisme au Cambodge. On ne doute pas que Jacques Martin se soit renseigné sur le pays. Au contraire. (Il ressort d'ailleurs de ses conversations avec Stéphane Caluwaerts dans le petit livre « A propos de Lefranc » paru aux éditions Nautilus que sa principale source d'information était l'épouse d'un membre de MSF). Mais c'est tellement documenté qu'on a l'impression de lire une élocution en images. Ou un compte-rendu de voyage, c'est selon. Bref, ça sent la doc, les bons sentiments et le manque d'idées neuves. Quoique. Quand on parle de bons sentiments, il y a quand même des choses qui font bondir : Jacques Martin dénonce peut-être l'exploitation de la main d'oeuvre locale et le trafic de faux (encore que le mot « dénoncer » est un peu exagéré) mais il nous présente en revanche un Lefranc précieux qui s'indigne de ne pas trouver d'hôtel à son goût et de devoir subir des conditions de voyage rudimentaires...On croit rêver ! Pis, Lefranc accepte la mission que veut lui confier la richissime Barbara Trelaunay parce qu'elle le paye une somme rondelette ! Il est loin le héros désintéressé que seuls le destin du monde, la justice et l'information poussaient à l'aventure...

Que dire de cet album sinon que faire le compte-rendu des invraisemblances du scénario prendrait plus de place qu'il n'en mérite ici ? Qu'en dire sinon que les récitatifs redondants font presque rire tant ils sont démodés, que le dessin de Christophe Simon est aussi statique qu'une poterie Ming remplie de lingots de plomb, que les dialogues sentent l'air confiné du bureau du scénariste et que la scène finale à Paris est d'une rare vacuité ? Et dire qu'il y a tellement de jeunes gens qui font du bon travail en bande dessinée et qui n'auront ni les honneurs de l'interview ni la promotion d'un album comme « La colonne »...
« Trino, Le journal de la création », par Altan. Chez Rackham.

Si vous aimez l'humour nonsense et le dessin minimaliste, vous n'allez pas être déçu ! Je dirais même que vous risquez de ne pas parvenir à quitter la lecture de ce livre avant le dernier strip. Altan, connu chez nous pour ses collaborations au magazine (A SUIVRE) jadis et les dessins qu'il publie dans Le Monde, est une véritable star en Italie. A la manière d'un Philippe Geluck en Belgique, il « cartonne » chez lui depuis des années avec un humour qui peut paraître gratuit mais ne l'est pas. Rackham a eu l'excellente idée de traduire cette oeuvre totalement hilarante composée de centaines de dessins minimalistes où l'on voit Dieu aux prises avec son patron, tenter le difficile pari de la Création en sept jours. Revisitant la genèse avec irrévérence et fantaisie, Altan joue sans cesse avec les espèces, les inventions, les absurdités du genre « oui, mais que va-t-on faire de toutes ces crottes ? ». A chaque nouvelle idée, Dieu doit vite corriger les défauts qui en découlent. Et tout ça pourquoi ? Pour satisfaire les exigences de son patron, qui est avant tout un homme d'affaires et qui veut que cette Création soit à la fois rapide, efficace et bon marché. Les dialogues entre les deux hommes (appelons-les comme ça) sont ciselés de main de maître par Altan qui prend un plaisir manifeste à bousculer le lecteur sans jamais ralentir le rythme. L'hippo complète la galerie de personnages pour permettre aux deux autres de respirer de temps à autre, mais même sans lui, Altan aurait pu tenir pendant des dizaines de pages, tant son imagination est fertile.
Exemple de dialogue entre dieu et son patron :
-Le patron : Je vous écoute
-Dieu : Le mouton ! Il produit de la laine, mange de l'herbe, fertilise le sol.
-Le patron : bien !
-Dieu : L'oie ! Elle produit du foie gras.
-Le patron : Très bien, avez-vous songé à inventer le pain grillé ?
-Dieu : Non, pardon. Permettez-moi de me suicider.

Vous en voulez une autre ? Bon, celle-ci vient après une série de gags sur les caméléons et les mouches.

-Le patron, avec un caméléon sur la tête : On est envahis par ces affreux reptiles.
-Dieu : Les mouches...
-Le patron : Les mouches mangent les crottes. Les caméléons mangent les mouches...
-Dieu : C'est cela
-Le patron : Et qui va manger les caméléons ?
-Dieu : Ça ne vous dirait rien pour Noël ?

Ou encore...

-Le patron : Alors, le problème des crottes est réglé ?
-Dieu : Voici la solution. Ça s'appelle le maïs.
-Le patron : il se nourrit de crottes ?
-Dieu : Avec avidité. Et il sert à nourrir les vaches.
-Le patron : si je ne m'abuse, les vaches font des bouses grosses comme ça.
-Dieu (la tête basse) : pardon.
Snoid par Thierry Bellefroid
« Snoid », par R. Crumb. Chez Cornélius.

Le Snoid n'est ni bête ni méchant ni obsédé, il est tout ça à la fois. Volontiers scatologiques, les courts récits qui composent ce livre ont été créés entre la fin des années 60 et 1980. Ils nous donnent une bonne idée de l'humour ravageur du pape de la BD underground US. Il y a de tout. Un zeste de fétichisme, pas mal d'onanisme, une bonne dose de voyeurisme, une histoire de nymphomane alpiniste, une autre de pute aux grands pieds... bref, rien que du Crumb 100% pur jus. Rien à dire, mais ce diable d'homme ne connaît guère d'équivalent en France. Avec son dessin plein de poils et de femmes obèses, il arrive à nous faire oublier la laideur pour mieux nous faire jouir de son humour si particulier. Cornélius n'est pas à son coup d'essai, puisque l'éditeur a déjà traduit d'autres albums de celui qui fut grand prix de la ville d'Angoulême il y a trois ans. Des albums qui sont à chaque fois comme un témoignage de l'inventivité graphique et névrotique de ce grand bonhomme qu'est Crumb.
« Les aventures de Fred et Bob », l'intégrale, par Thierry Cailleteau et Olivier Vatine. Chez Delcourt.

Réunion de deux albums dont le premier est paru il y a tout juste quinze ans, ces « aventures de Fred et Bob » fleurent bon la nostalgie. Nostalgie des sixties, d'abord, puisque c'est à cette période que se déroulent les aventures loufoques de ces deux dragueurs invétérés d'Etretat. Nostalgie des débuts de Guy Delcourt dans l'édition aussi. Car cette réédition est une manière, pour l'éditeur, de fêter les quinze ans de sa maison d'édition. Elle a en effet démarré avec la publication en album de « Galères balnéaires », le premier des deux recueils aujourd'hui réunis sous l'appellation des « aventures de Fred et Bob ».

A lire ces histoires courtes parfois gentiment absurdes (la rencontre de Fred et Bob morts-saouls avec deux extraterrestres qui les prennent pour des mercenaires de l'espace est un grand moment de délire) et souvent traversées par un humour assez potache, on est quand même content de savoir que les deux compères ont abandonné cette voie pour nous donner le magnifique « Aquablue ». C'est vrai que Fred et Bob, c'est drôle, c'est frais, ça fait pas de mal à une mouche et ça détend. Mais c'est tout de même un peu léger, comparé à ce qu'ont entrepris ensuite (et presque par hasard) les deux copains de lycée Jeanne d'Arc de Rouen (vous vous demandez comment je connais même le nom de leur lycée ? Aucun mérite.... Pour en savoir autant que moi, lisez leur interview dans le premier numéro de « Pavillon Rouge », le nouveau magazine de Delcourt).
« Les voisins venus d'ailleurs », premier tome des la série « Les Ostings » par Baraou et Sardon. Dans la collection Delcourt Jeunesse.

Sardon en couleur, pourquoi pas ? D'autant que c'est Walter, le coloriste de Trondheim, qui se charge de la chromie parfois assez violente de cet album décoiffant. Les Ostings sont une famille de squelettes sans histoires. Du moins, jusqu'à ce que, l'ennui aidant, ils en viennent à provoquer la naissance d'encombrants voisins par le seul pouvoir de leur imagination. Les situations très comiques qui découlent de cette coexistence difficile rappelleront à la fois l'irruption de la famille Séraphin Lampion à Moulinsart et « La vie est un long fleuve tranquille » de Chatillez. Car l'idée d'Anne Baraou est de nous rejouer la différence de classe parmi ces squelettes. D'une part, les Ostings qui vivent dans leur manoir, des gens très comme il faut, mais « coincés du bulbe », aux dires de leurs voisins. De l'autre, la famille sans-gêne par excellence, les Zintrux. Au milieu, un petit garçon et une petite fille qui n'ont pas du tout envie de devenir copains... et un adorable chien. Les dialogues sont savoureux à souhait. Tout cela est très mignon, malgré la référence à la mort qu'implique l'usage de héros squelettes. Finalement, Anne Baraou ne s'en sert que pour installer le fantastique dans son récit, mais ses deux familles rivales sont plus humaines que les humains. Le résultat est un conte amusant, inattendu, joliment dessiné par Vincent Sardon qui signe là une belle incursion dans le monde de la BD pour enfant. Il faut dire que son graphisme l'y prédisposait.
Une année sans printemps par Thierry Bellefroid
« Une année sans printemps », par Ambre et Lionel Tran, chez Six Pieds Sous Terre.

Après « Le journal d'un loser », on ne s'attendait pas à retrouver Ambre et Lionel Tran dans cet exercice littéraire et artistique en hommage à trois créateurs. Le premier récit nous entraîne dans les insomnies de l'écrivain d'origine roumaine, Emil Cioran. L'histoire est déstructurée, difficile à suivre parfois, mais elle nous propose des fragments de la réalité quotidienne de Cioran qui éclairent le personnage avec sobriété. Au centre de tout : la création.
Plus facile d'accès, et sans conteste le plus réussi des trois chapitres, le deuxième récit nous raconte une rencontre. Celle de la photographe new-yorkaise Diane Arbus et d'une jeune admiratrice qui a décroché avec elle un premier rendez-vous d'un quart d'heure. La rencontre se déroule chez Diane Arbus, un mois avant son suicide. Elle montre une femme disponible, curieuse, étonnamment généreuse par rapport aux limites qu'elle avait fixées d'emblée. La rencontre se prolonge plusieurs heures. L'histoire s'appuie sur un récit anonyme, trouvé sur internet. Elle serait donc vraie. Ce n'est pas la création qui est ici au centre du récit mais la rencontre, l'écoute, la recherche de l'échange et de l'amitié pour fuir la solitude. Touchant, le récit est aussi vibrant par sa mise en image audacieuse. Ambre essaie des cadrages coupants comme le verre. Le parti-pris esthétique est évident et participe de l'histoire elle-même. Enfin, le troisième récit nous emmène dans la famille Bach. Jean-Sébastien, le patriarche, et sa « petite famille », tels qu'en eux-mêmes. Mais transposés de nos jours. Les prénoms des enfants ont été légèrement changés, des anachronismes volontaires ont été introduits dans l'histoire. C'est une tentative de reconstitution non historique, une recréation du réel.
Interpellant, singulier, original, le travail des deux auteurs n'est pas destiné à nous en dire plus que ce que l'on trouve dans les biographies officielles de ces trois créateurs, mais bien de nous dire autre chose...
« Police by night », par Alex Varenne, aux éditions du Balcon.

Le retour en album de l'un des chefs de file de l'érotisme en BD. Varenne a fait les beaux jours d'Albin Michel où il a publié plus d'une quinzaine d'albums parmi lesquels on trouve la série Erma Jaguar (trois tomes, son plus grand succès), et des albums comme Carlotta, Erotic Opéra, Lola, Amours fous... Il y a aussi réalisé en duo avec son frère, Daniel, six albums de la série Ardeur, qui a marqué leurs débuts communs dans la BD. Bref, ce qu'on appelle un pilier. On le retrouve aujourd'hui aux éditions du Balcon, avec cette nouvelle série qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. « Police by night », c'est un polar qui se situe dans le monde interlope de la nuit. On y trouve des prostituées, des travelos, des déséquilibrés plutôt dangereux et violents, et surtout, un duo de flics assez étrange. Lui, inspecteur, homme de terrain dans tous les sens du terme. Il vient de la rue, il y est plus souvent qu'au bureau et ne dédaigne pas une petite gâterie en nature pendant ses enquêtes. Elle, sa supérieure. Elle lui jette ses jambes en appât et il mord aussitôt à l'hameçon. Reine du Dim-up, elle ne porte que des jupes ultra-courtes et ne confie que des missions tordues à son flic préféré. Ces deux personnages sont si éloignés de la réalité policière qu'on a presque envie d'en rire, d'autant qu'un coup d'oeil à leur bureau achève de vous convaincre que vous n'êtes pas dans le « vrai monde », celui où les commissariats vétustes sont avant tout des lieux où la paperasse déborde de partout. Alors, il ne vous reste qu'à suivre Varenne dans son délire. Un délire violent, sado-masochiste, qui n'apporte pas grand chose à la BD sinon la confirmation que ce sexagénaire est loin d'être assagi. Pour adultes, bien sûr...
Hortus Sanitatis par Thierry Bellefroid
« Hortus sanitatis », par Frédéric Coché. Chez Fréon.

Voilà un album qui ne pouvait paraître que chez Fréon. Il correspond parfaitement à la démarche de cette maison d'édition indépendante. D'une part parce que « Hortus sanitatis » s'inscrit dans une expérience internationale en atelier menée en 2000 autour du thème de la ville. Imaginé en partenariat avec « Bruxelles 2000 » (qui était le nom officiel de l'opération « Bruxelles, capitale culturelle de l'an 2000 ») cet atelier BD a déjà débouché sur plusieurs publications d'albums, parmi lesquels le très beau « Ophélie et les directeurs des ressources humaines » d'Eric Lambé. Mais on reconnaît ici d'autres traits propres à Fréon. Notamment, une approche du récit -on devrait presque dire une interrogation sur le récit- qui s'exprime entre autres par une multiplication des supports et des expériences de narration alternatives. En cela, cet album entièrement réalisé en eau-forte est un modèle du genre (Pour ceux qui ne connaissent pas cette technique, l'eau-forte est une technique de gravure qui s'opère sur une plaque de métal enduite de vernis. Avec une pointe fine, on enlève le vernis puis on plonge la plaque dans l'acide. Là où le vernis a disparu apparaissent des sillons. Il n'y a plus qu'à les remplir d'encre). « Hortus sanitatis » est d'autant plus intéressant qu'il renvoie de manière très évidente à la peinture (et principalement à la peinture belge, nous le verrons plus loin) tout en véhiculant des images fortes et symboliques qui évoquent à la fois le passé de Bruxelles et l'universalité des thématiques abordées. Ça fait beaucoup pour une histoire de 32 pages muettes...

Frédéric Coché a longuement traîné dans les musées bruxellois, c'est une évidence. Et il en gardé des images fortes. On ne peut s'empêcher de penser à James Ensor en lisant cette histoire. Il y a quelque chose de « L'entrée du Christ à Bruxelles » dans cette BD (qui n'est pas exposé à Bruxelles, mais aux Etats-Unis, malheureusement). Non seulement parce qu'elle fait une large place aux masques et à la mort (on ne compte pas les tableaux, dessins et gravures d'Ensor qui font la part belle aux masques et aux squelettes). Mais aussi dans une certaine mesure parce que la mise en place des personnages dans le cadre rappelle Ensor... qui était aquafortiste, lui aussi. Mais on retrouve aussi toute l'iconographie médiévale associée aux Armes de la ville, notamment dans le combat entre Saint Michel et le Dragon, remplacé ici par un squelette. On pense également à Jérôme Bosch, à Marcel Broodthaers ou même à Magritte. Pourtant, « Hortus sanitatis » (littéralement « le jardin sain ») n'est pas une oeuvre à usage exclusif des Bruxellois. Au contraire. Frédéric Coché est Français. Et son but n'était ni de raconter l'histoire de Bruxelles ni celle de l'art belge. Son « Hortus sanitatis » est d'ailleurs une très belle évocation du triomphe du plaisir, de la vie et de l'amour sur la mort. A travers des éléments parfois empruntés au surréalisme, comme cette pluie de moules régénérescente, il construit un récit sans texte dans lequel chacun puisera la matière qu'il désire. Mais ses images ne sont jamais gratuites. Et leur sens n'est pas toujours univoque. Aussi, le dernier dessin est-il à la fois un paysage et l'entre-jambe d'une femme, forêt de vie qui a engendré l'arbre salutaire.

Vous l'aurez peut-être compris, « Hortus sanitatis » est un livre difficile d'accès. Ses niveaux de lecture pluriels, sa technique inhabituelle le placent parmi les ouvrages de BD expérimentale. Mais il mérite une attention toute particulière. Parce qu'il s'inscrit dans le cadre d'un travail de fond : celui de quelques jeunes créateurs qui tentent, depuis une petite dizaine d'années, de renouveler la bande dessinée en la confrontant à toutes les techniques sémantiques et plastiques.
Vampires par Thierry Bellefroid
« Vampires », ouvrage collectif. Aux éditions Carabas.

Derrière une couverture très réussie de Xavier Lauffray (Prophet aux Humanos), une série d'histoires courtes et d'illustrations sur le thème des vampires. On y retrouve quelques très belles signatures de la BD française, mais aussi anglaise et américaine. Etre parvenu à réunir tous ces talents sur un même album est déjà un tour de force. Côté français, on trouve, entre autres, Yoann (Toto l'ornithorynque, Ninie Rézergoude, etc...), Joann Sfar (faut-il encore vous le présenter ? Il signe le scénario du court récit dessiné ici par Yoann), Alex Alice (Le Troisième Testament), Claire Wendling (Les lumières de l'Amalou, ...), Caza (Le monde d'Arkadi), Marazano (Dusk). Et côté stars internationales, on trouve par exemple Mike Mignola (Hellboy), Bryan Talbot (dans un genre très différent de « L'Histoire d'un vilain rat » publiée il y a deux ans par Vertige Graphic) ou David Lloyd (V pour Vendetta). Mais il y en a encore d'autres. Bref, une belle galerie de dessinateurs qui, pour la plupart, donnent le meilleur d'eux-mêmes. Le « Noces » de Caza ou le « Sire » de Talbot sont graphiquement irréprochables sans parler du récit au lavis de David Lloyd, « Internet », qui est superbe, lui aussi. Seul problème, les scénarios ne sont pas toujours à la hauteur. La plupart des histoires souffrent d'un format trop court et sont donc condamnées à ne véhiculer que des poncifs. Les amateurs de vampire s'en accommoderont. Les autres se consoleront avec les très belles illustrations pleine page qu'ont dessinées Wendling, Alex Alice, Patrick Pion, Mignola, Gary Gianni et quelques autres.
« Un diamant pour l'Au-delà », tome 1 de la série Bouncer, par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Aux Humanos.

On retrouve dans « Bouncer » trop d'éléments croisés dans d'autres albums parfois récents pour y voir la marque d'une histoire singulière, hors normes. Non, Jodorowsky ne réinventera pas le Western comme il a réinventé la Science Fiction avec « L'Incal ». Tout au plus signera-t-il un récit aux apparences plus classiques que ce qu'il a livré jusqu'ici. Trop classique, peut-être. L'ex-gâchette qui s'est converti à la religion et qui vit en prêcheur avec sa famille, loin des hommes et des armes, on nous l'avait déjà fait. Le renégat qui mène sa milice après la défaite des armées confédérées aussi. Quant au tireur manchot, il nous rappelle inévitablement le héros du récent « Western » de Jean Van Hamme paru au Lombard. Bref, toute la galerie de personnages a un côté déjà vu. On retrouve tout de même la griffe de Jodorowsky dans cette histoire, puisque la famille des héros est dominée par la personnalité d'une mère prostituée menant ses enfants dans un monde amoral dominé par la cupidité. On trouve aussi d'autres thèmes chers au maître : les mutilations, les rapports fils/mère, la violence...
Quant au dessin de François Boucq, comme on pouvait s'en douter, il est nerveux, virtuose, surtout magnifié par les grands paysages. Mais Boucq s'est peut-être laissé gagner par la noirceur de son scénariste. Ses personnages sont tous laids et même la mère a un côté masculin, carré, dénué de toute légèreté. François Boucq, surdoué du dessin, livre sans doute ici un album intéressant, qui aurait peut-être gagné à être publié en noir et blanc. Mais si vous espériez le nouveau Blueberry pour cet été, il faudra encore patienter un peu.
« La table de pierre », tome 2 de la série « Petit Verglas », par Sattouf et Corbeyran. Chez Delcourt.
Au départ, le propos de Petit Verglas peut paraître dur. L'histoire raconte comment un vieux médecin décide d'enfermer une gamine et de la laisser seule faire son éducation, sans aucun contact avec l'extérieur. La petite est nourrie par une trappe et l'homme l'observe, notant jour après jour les réactions de l'enfant, persuadé que la fillette finira par lire d'elle-même ou par apprendre le monde sans aucune aide extérieure. Mais un jour, l'oiseau s'envole et la petite fille croise la route d'un étrange garçon, guérisseur depuis qu'il a mis les mains sur les parois d'un étrange dolmen. Le destin de ces deux enfants va basculer. Eric Corbeyran choisit de nous raconter une histoire qui mêle les éléments fantastiques et les ingrédients plus romanesques. Il évite de nous rejouer « l'enfant sauvage » même si lorsqu'elle s'enfuit, la fillette est incapable de communiquer avec le monde extérieur et totalement prostrée. Dans ce deuxième tome, peut-être plus tragique que le premier, la mécanique mise en place peut donner toute sa mesure. Le destin se joue des personnages et prend un malin plaisir à les placer au mauvais endroit au mauvais moment. Il y a quelque chose de balzacien dans ce récit. Histoire subtile, envoûtante, Petit Verglas est une chronique régionale très début de XXème siècle qui sent bon la campagne et les trains à vapeur. Mais c'est aussi une belle histoire humaine avec ses bons et ses méchants, toute une galerie de personnages qu'on se prend à trouver attachants et qui n'ont pas livré tous leurs mystères au terme des deux premiers albums de la série. Au dessin, Riad Sattouf fait ses débuts, avec tout ce que cela comporte de fraîcheur et de maladresse, parfois. On aime ses visages aux grands yeux expressifs, la façon qu'il a de faire passer la tristesse dans le regard d'un chien ou un pli sur le front d'un personnage. On aime moins le manque de maîtrise des proportions qui trahit parfois encore le débutant. Mais on passe très vite outre les petits défauts de confection grâce à la grande lisibilité de l'ensemble.
« L'éveil du pouvoir », tome 2 de la série Merlin, par Istin, Lambert et Stambeco. Chez Nucléa.

Après « La colère d'Ahes », le deuxième volume de « Merlin » nous fait partager l'adolescence du futur magicien. Toujours aussi différent de la série de David Chauvel (et c'est tant mieux) mais peut-être moins spectaculaire que le premier, cet album se résume surtout à la lutte que se livrent deux mondes. D'un côté il y a le monde païen, Ahes, en tête. Des dieux qui ont façonné Merlin en envoyant un être magique féconder une jeune vierge. De l'autre, la religion chrétienne qui est en train de le récupérer. D'un côté la promesse du pouvoir. De l'autre, une certaine idée du devoir que le vieux précepteur de Merlin tente de lui enseigner. La crise d'adolescence du magicien est un moment important et intéressant à suivre et on ne regrettera pas que Jean-Luc Istin s'y soit attardé. Le personnage de la mère évolue parallèlement, ce qui permet de rebondir vers plus de légèreté. Quant au dessin d'Eric Lambert, qui rappelle parfois certains albums « Zenda », il semble prendre plus d'assurance. Son trait s'est épaissi, ce qui donne plus de présence à certains des visages. La suite de cette série est également sur les présentoirs des libraires, « Arthur Pendragon » est son nom. Un volume est déjà paru avec Guy Michel au dessin, cette fois.
Dragon Junior (Raghnarok) par Thierry Bellefroid
« Dragon junior », premier album de « Raghnarok », par Boulet. Paru chez Glénat, dans « Tchô ! la collec... ».
Difficile de dire ce qu'est un bon album d'humour. Déjà, tout le monde ne rit pas des mêmes choses. Ensuite, il n'est pas toujours facile de mettre le doigt sur ce qui produit exactement le rire ou à tout le moins la bonne humeur. Seuls les grands succès dans ce domaine semblent fédérer presque tout le monde autour d'eux. Qui contesterait l'humour d'un Gaston Lagaffe ? Ou celui d'un Astérix, période Goscinny ? Aujourd'hui, parmi les valeurs montantes qui semblent mettre tout le monde d'accord se trouve notamment Titeuf. Dernier recueil de gags tiré à plus de 500.000 exemplaires, dessin animé distribué dans toute l'Europe, Titeuf transforme en or tout ce qu'il touche. Résultat, depuis deux ans, le magazine « Tchô ! » permet à de jeunes talents de rejoindre la « bande à Titeuf » avec des séries qui partagent le même humour à la fois visuel et universel. « Tchô ! » n'est pas seulement un banc d'essai puisqu'il a assez vite poussé Glénat à publier les albums des camarades de Zep dans une collection baptisée « Tchô ! la collec... ». Le petit dernier, c'est « Raghnarok », un bébé dragon plutôt sympa que sa mère s'évertue à vouloir transformer en terreur. Incapable de voler, il passe son temps à subir d'humiliants entraînements, quand il ne rend pas visite à sa grand-mère, une vieille dragonne impotente réduite à inventer les stratagèmes les plus fous pour faire venir ses proies jusqu'à portée de gueule. (Excellent casting, soit dit en passant, pour cette mémé dragon à lunettes qui sommeille sur son tas d'or !) Pour compléter le tableau de famille, la meilleure amie de Raghnarok est une fée, Najette, habillée en jeans larges et baskets comme les ados d'aujourd'hui. Tout ce petit monde forme une belle galerie de personnages et accompagne le héros dans ses gags. Des gags souvent savoureux qui ont l'avantage de réserver de bons moments en dehors de la chute elle-même. Car si les bonnes séries d'humour ont une qualité commune, c'est sans doute celle de ne pas mettre tous leurs effets dans la seule dernière case. Comique de situation ou de répétition, astuces visuelles et autres trucs font sourire tout au long de la lecture. Et cela, quel que soit l'âge du lecteur. Ajoutons que Boulet utilise parfaitement l'ordinateur pour donner à son dessin -et à ses couleurs- ce qu'il faut de relief et de vitalité. C'est très efficace. Comme le sont aussi les télescopages fréquents entre le monde contemporain et celui des dragons. Bref, la locomotive Titeuf tire derrière elle un nouveau wagon tout à fait digne d'elle !
« Petit Vampire et la société protectrice des chiens », tome 3 de Petit Vampire, par Joann Sfar. Chez Delcourt Jeunesse.

Le très prolifique Joann Sfar est en passe de devenir l'un des auteurs français parmi les plus intéressants. Il excelle aussi bien dans la chronique juive à l'époque du Christ qu'il vient d'entamer chez Dupuis (« Les olives noires », mon coup de coeur il y a quelques semaines) que dans la biographie très personnelle qu'il consacre depuis quelques années au peintre Pascin, ami de Chagall et de Soutine et noceur invétéré. C'est vrai que son imaginaire est débordant. C'est vrai aussi que son univers est parcouru de petites galeries intérieures, de ramifications qui jettent des ponts d'une série à l'autre. « Petit Vampire », une série qui raconte l'amitié entre un petit garçon, Michel, et un mignon vampire miniature tout gris avec de grands yeux n'est pas si éloignée d'autres histoires comme « Petrus Barbygère » ou « Le Borgne Gauchet ». Dans cet univers fantastico-onirique, Sfar est chez lui. Cette fois, les deux héros vont voler au secours de trois pauvres chiens de laboratoire. L'occasion de vivre de nouvelles aventures assez peu conventionnelles, mêlées d'humour et de fantastique tout en faisant passer un message d'amour et de tolérance aux plus jeunes. Les personnages de Sfar sont comme de grosses peluches qu'on prendrait dans son lit. Fussent-ils vampires, monstres aux dents acérées ou, comme Marguerite -un sosie de Frankenstein-, en train de pousser une brouette de caca « parce que ça pourrait être utile ». Belle rencontre également dans cet album, entre Petit Vampire et « Pépé Arthur ». On croyait que la famille du petit Michel ne croiserait jamais la route de son meilleur ami. Mais Pépé et Petit Vampire se sont trouvés tout de suite.
Régime de terreur (Frigo) par Thierry Bellefroid
« Régime de terreur », tome 2 de la série Frigo, par Joan et Ptiluc. Aux Humanos.

Avec « Régime de terreur », Ptiluc et Joan proposent une histoire à la fois délirante et très « morale » sur l'alimentation. Le premier album de la série « Frigo » leur avait permis de planter le décor. On y découvrait la vie des aliments emprisonnés dans le frigo. Des histoires courtes, souvent désopilantes et sans autre prétention que de faire rire le lecteur. Cette fois, les auteurs passent à la vitesse supérieure. Le décor et les personnages étant supposés connus, ils décident d'aller plus loin et nous proposent une fable mi-tragique mi-comique sur la guerre que pourraient se livrer les aliments des champs et les aliments des villes dans nos frigidaires. C'est toute notre société de la malbouffe qui est écorchée au passage. Tout commence quand les radis s'aperçoivent que le bac à légumes est de plus en plus désert. Bientôt, ils font d'étranges rencontres dans le frigo. Des cubiténaires plus ou moins amnésiques arrivent de partout. Carrés, contenant des liquides insipides, ils se souviennent à peine de quelques mots du langage des légumes. Puis arrivent les aliments transgéniques. Dans un joyeux délire, les facétieux radis et leur alliée plus ou moins volontaire, la tasse de vinaigrette, vont mettre le souk dans le frigo pour vaincre les envahisseurs. Avec leur imagination débordante, Ptiluc et Joan imaginent ce que pourraient faire des aliments livrés à eux-mêmes derrière la porte close du frigidaire. C'est drôle, plein de trouvailles visuelles, on y trouve aussi bien des patrouilles de corned beef que des armées de canettes énergétiques, il y a dix-huit idées par pages, bref, on ne s'ennuie pas une seconde. Et en plus, le rire est parfois gentiment grinçant. Une BD qui vous donnerait l'envie de faire un peu de ménage au-dessus du bac à légumes...
« L'affaire Claudius », tome 1 de la série « Les Rochester », par Dufaux et Wurm. Chez Casterman.

Le nouveau bébé de Jean Dufaux était annoncé depuis le lancement de la collection Tout Public « Nouvelles Têtes Fortes Têtes » à l'automne dernier. Bizarrement, il paraît aujourd'hui sans être estampillé « Nouvelles Têtes ». Pas plus que pour le tome 2 d'Albert Lombaire (ou pour la nouvelle série « Maman et moi »), Casterman n'a en effet rappelé ce concept dans sa communication. Il faut dire que l'éditeur a dû faire face à de vives critiques, notamment et peut-être même surtout au sein des auteurs de la maison, comme François Schuiten. Apparemment, on a décidé d'adopter un profil bas à ce sujet dans la maison de la rue Royale dont le destin éditorial est en partie à l'étude (Benoît Peeters, pour rappel, est en train d'analyser le catalogue au titre de consultant). Arnaud de la Croix, le responsable éditorial de l'axe BD Tout Public de Casterman a-t-il jamais cru à ce nouveau concept lancé à grand renfort de publicité ? On peut se le demander. « Nouvelles Têtes Fortes Têtes » devait beaucoup au marketing. Peut-être même son âme...

Mais parlons plutôt des Rochester. On y retrouve un Jean Dufaux au mieux de sa forme. Comme toujours, il s'est engouffré dans la porte laissée entrouverte par un autre. Jean aime aller chercher des dessinateurs et leur proposer une variation sur un univers qu'ils connaissent déjà. Avec Wurm, il a choisi d'approfondir le caractère un peu figé de la bonne société anglaise développé par ce dessinateur dans « Le cercle des sentinelles », sur scénario de Desberg. Les Rochester n'ont pourtant rien à voir avec cette série (dont la conclusion échut à Henri Reculé). Hormis le point commun cité plus haut, elles n'ont rien en commun. Jean a préféré situer son histoire dans la période contemporaine et il a délaissé les causes historiques chères au Cercle des Sentinelles pour nous raconter une sordide histoire de famille. Chez les Rochester, le vernis n'est qu'une apparence qui tient le temps de quelques cases. Dufaux s'amuse ensuite à gratter du bout de l'ongle la couche qui nous fera découvrir une famille sans scrupule où tout est bon pour maintenir un nom et une réputation. Jusqu'au meurtre ! Le premier tome (fin de l'histoire dans le second) est donc un fameux sac de noeuds que le lecteur ne parviendra que partiellement à démêler. Au début, on patauge bien un petit peu. Les personnages sont nombreux et ne sont pas nécessairement tous très typés. Mais une fois qu'ils sont en place, la mécanique bien huilée vous entraîne à sa suite. Les petits fragments de vérité s'emboîtent parfaitement. Et le suspense se met en place. Le dessin de Wurm n'a pas changé. Sa ligne claire parfois proche d'un certain réalisme convient parfaitement à l'histoire. A défaut de décors exotiques, il tire bien parti de l'univers des grandes familles britanniques dans lequel évoluent ses personnages et joue le contraste avec le monde dévoyé où traînent les protagonistes les plus sombres de ce récit.
Le serment (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« Le serment », tome IV du Décalogue. Par Frank Giroud et TBC. Chez Glénat.

Peut-être la meilleure des quatre histoires parues jusqu'ici. On y trouve bien entendu le rapport au décalogue de Giroud, avec la mise en application du quatrième commandement : tu ne porteras pas de faux témoignage. On y retrouve une très belle histoire d'amour contrariée. On y découvre des personnages traversés de doutes et de contradictions, des idéalistes et des calculateurs, des crapules et des rancuniers, des criminels de guerre et des victimes. Sur fond d'après-guerre en Yougoslavie (où pour rappel, les Croates Oustachis avaient choisi le camp nazi), un drame est en train de se nouer. Et comme chaque fois, Nahik, le livre maudit, y trouvera sa place. Exploitant les formidables outils scénaristiques fournis par l'Histoire, Frank Giroud construit son récit autour du réseau d'exfiltration des nazis installé au Vatican, le réseau Ratline. Un contexte qui lui permet d'installer une intrigue puissante et de la mêler à l'histoire personnelle de personnages englués dans leur passé. C'est redoutablement intelligent, très intéressant et assez révélateur de la nature humaine. C'est aussi servi par un dessin que l'on découvre pour la première fois en couleur, celui du slovène TBC. L'auteur de Fables de Bosnie, La cavale de lézard et Temps Nouveaux est ici d'une efficacité sans faille. Il habille ce récit qui sonde les âmes de ses protagonistes en approchant leurs visages au plus près. Des visages souvent émaciés, marqués, graves. Des visages qui constituent le fil rouge de l'album. Une réussite.
Vernon (Typhaon) par Thierry Bellefroid
« Vernon », tome 2 de Typhaon. Par Sorel et Dieter. Chez Casterman.

Guillaume Sorel aime les histoires troubles, fantastiques. Il y donne toute la mesure de son talent pictural. Parfois plus peintre que dessinateur (ce n'est pas une critique, au contraire) il nous livre des albums magnifiques. Typhaon est une histoire oppressante dès ses débuts. Le premier tome -qui laissait le lecteur désappointé, sans réponses- était un modèle d'histoire distillant le malaise. Le second volume apporte certains éclaircissements. Mais il est dit que Dieter laissera dans l'ombre quelques-unes des explications que l'on pouvait attendre. Vous refermerez donc cet album sans vraiment savoir. Peut-être cela vous agacera-t-il. Ou alors, au contraire, cela alimentera-t-il votre imagination. On ne sait finalement pas grand chose du mécanisme qui a fait de l'équipage du Typhaon cette bande d'hallucinés qu'Eléonore a découverts dans le premier tome. On en sait juste assez pour laisser planer le mystère et pour accepter les expériences que l'héroïne va mener dans ce second volet. L'histoire, sombre, fantastique, glauque parfois, vous laisse un goût amer dans la bouche. L'impression d'avoir passé quelques heures sur ce maudit navire, d'avoir vous aussi touché la peau froide de ses passagers, cherché la confrontation avec le cyclone des cyclones. Et si tout cela n'était qu'un rêve... ? Un rêve un rien diabolique mis en images par un peintre tourmenté mais talentueux.

Hicksville par Thierry Bellefroid
« Hicksville », par Dylan Horrocks. A L'Association.

Si cet album n'obtient pas l'Alph'Art de l'album étranger à Angoulême l'an prochain, on aura raté une grande occasion de saluer un chef-d'oeuvre. Hicksville est une histoire hallucinante et brillante qui vous entraîne durant plus de 250 pages sur les terrains minés de la création. Une histoire parcourue d'histoires parallèles, de faux comics, de références et d'hommages à tout ce que la BD a connu de grands noms... d'Edgar P. Jacobs à Jack Kirby en passant par Winsor Mc Cay et Sergio Aragones. Horrocks a conçu un album à tiroirs, une toile géante dans laquelle se trouve emprisonné tout le neuvième art. Son idée de départ est géniale. Il invente une ville -Hicksville- qu'il situe au nord de la Nouvelle Zélande et dont il fait la capitale méconnue et improbable de la BD mondiale. Chaque habitant d'Hicksville possède une connaissance encyclopédique des comics depuis leur création, chaque bibliothèque regorge de trésors pour lesquels se damneraient les collectionneurs du monde entier. Et dans ce lieu étrange d'où serait originaire le nouveau prodige américain du comics, un certain Dick Burger, l'auteur lance un journaliste biographe lui-même passionné de BD. Léonard Batts -c'est le nom de ce journaliste- s'est mis en tête d'écrire un livre sur Dick Burger et débarque à Hicksville pour en savoir plus. Mais la ville toute entière se referme comme une huître. Hicksville déteste le fameux Dick Burger que les Etats-Unis s'arrachent. Pourquoi ? C'est ce mystère stupéfiant parce que totalement inattendu que Dylan Horrocks arrive à maintenir pendant plus de deux cents pages (l'explication démarre une trentaine de pages avant la fin), rendant le suspense à la limite du supportable.

Hicksville est à la fois un incroyable thriller, une fable sur la création et une réflexion sur le patrimoine mondial de la BD que des mises en abîme plus tordues les unes que les autres viennent appuyer. C'est vrai, les débuts sont un peu compliqués à suivre. Il faut tenter de s'y retrouver dans la multitude de télescopages que provoque l'auteur. Mais une fois identifiés les personnages et leurs desseins, on est pris par un récit passionnant et démoniaque. La construction est d'une inventivité étonnante. Hicksville est sans doute l'ode absolu rendu à la bande dessinée. Mais il est plus que ça. C'est un livre sur les traditions, le sacré, la parole, le pardon, même. On manque de mots lorsqu'on le referme. D'autant que le trait parfois économe de Dylan Horrocks peut tout faire, tout rendre, à travers un noir et blanc et une mise en page parfaitement maîtrisés. Du tout grand art !
Le canard de l'angoisse par Thierry Bellefroid
« Le canard de l'angoisse », album collectif. Aux éditions Fluide Glacial.

Comme le raconte très bien Gotlib dans l'avant-propos, il s'agit d'une variation sur le thème du cadavre exquis cher aux surréalistes. Variation car ici, chacun ne travaille pas dans l'ignorance de ce qu'ont fait les autres. Au contraire. Chaque nouveau dessinateur s'appuie sur ce qu'ont fait ses prédécesseurs et invente une suite de deux pages au récit qu'il reçoit. L'exercice -auquel tout le monde s'est livré au moins une fois, ne fût-ce qu'oralement- est évidemment hautement risqué. Et le résultat, comme prévu, n'a ni queue ni tête. Ce qui n'empêche pas quelques jolies trouvailles. A la lecture de l'album, on distingue d'ailleurs plusieurs styles d'auteurs. Il y a ceux qui continuent l'histoire -et tentent parfois de lui redonner un peu de sens, fût-ce dans l'absurde. Il y a ceux qui préfèrent inventer quelque chose : nouveau héros (ou nouvelle héroïne, comme c'est le cas de la Nadège inventée par Blutch et qui devient un personnage récurrent) ou nouvelle situation. Et il y a ceux dont le seul but est de foutre un peu le bordel. Ceux-là jubilent en réalisant une dernière case qui va mettre les autres dans l'embarras. A côté de ses défauts (l'absence totale de scénario est la principale) « Le canard de l'angoisse » recèle des qualités propres à ce genre d'albums et la moindre d'entre elles n'est pas de nous proposer un panorama complet des auteurs maison. Parmi eux se trouvent quand même quelques sacrées pointures. Les pages dessinées par Blutch, Goossens, Tha/Tharrats, Larcenet ou Gaudelette mettent en avant la double qualité des grands auteurs de Fluide Glacial : talent et personnalité. De la personnalité, le dessin des autres est loin d'en manquer. Qu'on prenne Maester, Solé, l'inimitable Binet, Moerell, Coyote, Tronchet, Ferri, Foerster, Carlos Gimenez, Lelong, Raynal... chacun a son style et pourtant, ensemble, ils forment une sorte d'école « Fluide ». Si cette fable délirante sur le bug de l'an 2001 a un intérêt, c'est bien celui de mettre en avant des signatures qui, ensemble, constituent une véritable écurie, une « marque de fabrique », celle que le magazine parvient à cultiver depuis 25 ans.
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