
Qui est le vrai personnage? Le décor ou ceux qui s’y meuvent? Quand la question se pose, c’est qu’il existe un véritable envoûtement et une osmose entre les deux. D’un côté l’utopie d’un familistère, de l’autre un thriller et ceux qui l’habitent. François et Hautière font la paire avec un superbe album estampillé KSTR.
Le familistère en question est situé à Guise (dans l’Aisne) et existe toujours. Un « palais social » érigé et voulu par Jean-Baptiste-André Godin (des poêles du même nom), où il s’agissait d’accoler à la manufacture du patron des logements, mais aussi crèche et commerces : une Cité radieuse avant l’heure. Et le décor est à l’avenant, avec une verrière somptueuse recouvrant le bâtiment principal, prémices de l’art nouveau en gestation.
Reste que les auteurs ont mouvementé cette bonne famille, en y distillant quelques meurtres, dont le premier en janvier 1914. Le journaliste et fait diversier à l’Humanité, Victor Leblanc (clin d’œil à Victor Lenoir?), venu de la capitale, ne va d’abord en tirer qu’un entrefilet, puis, aidé par une jeune fille du sérail, Ada, et au fur et à mesure que sont perpétrés les crimes, l’affaire enfle, tandis que l’on cerne de près l’actualité du moment, dont l’assassinat de Jaurès. Le journaliste comprend le familistère comme une île, mais le « social bienveillant » ne saurait éclipser les individus, d’où sans doute l’échec de la formule à terme (le familistère existe toujours, mais est devenu une société anonyme en 1968).
Avec son décor improbable, « de Briques et de sang » aurait presque mérité de figurer au rang des « cités obscures », mais affirme une grande originalité, car Régis Hautière et David François ont été séduits par ces lieux étranges. Une œuvre à part, hautement recommandable.
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